Petit lexique façon Cleek : « meme »

 

Vous faire découvrir de nouveaux horizons, c’est bien. Vous proposer un angle de vue nouveau sur un univers qui vous est déjà familier, c’est mieux. C’est pourquoi Cleek vous propose de faire un tour lexical de ce réseau complexe de par ses codes et son langage qu’est Internet. À chaque numéro de cette petite série, il s’agira de s’intéresser à un mot ou une expression aussi geek qu’obscure (ou pas) pour pouvoir faire le beau sur les chans ou autres salons de discussion en ligne.

Le choix du mot d’aujourd’hui est on ne peut plus random, je dois l’avouer. C’est en effet au détour d’une lecture (Apocalypse – A history of the end of time, écrit par John Michael Greer, aux éditions Quercus, si vous vous posiez la question) que je suis tombée sur ce mot geek au possible, mais au caractère hautement polémique – ne serait-ce que pour sa prononciation -, et que je me suis donc pour la première fois réellement interrogée sur son sens et son origine. Et ce mot, vous l’aurez compris, n’est autre que « meme ».

 

[divider]Mais mes mémés m’aiment ?[/divider]

 

meme /mi:m/ n [C] technical – a type of behavior or an idea that spreads to other members of a group.

 

Vous l’aurez constaté : le premier obstacle (et non des moindres) que l’on rencontre en se penchant sur ce mot et qu’il n’est pas répertorié dans notre bon vieux dictionnaire de français qu’est Le Petit Robert 2013. Si des occurrences d’un équivalent français « mème » ont bien été répertoriées sur Internet (le sacro-saint), les dictionnaires ne semblaient pas encore en tenir réellement compte à l’échelle populaire il y a deux ans de cela. Dictionnaires bilingues et autres outils de traduction peinent d’ailleurs à nous donner une équivalence (lorsque le mot anglais est répertorié, ce qui n’est pas toujours le cas).

C’est donc bien du côté de l’anglais que nous sommes obligés de nous tourner dans un premier temps (et du côté de notre fidèle cinquième édition du Longman Dictionary of Contemporary English 2009, d’où est tirée la définition donnée ci-dessus), pour immédiatement mettre fin à un débat : comme nous le souligne la transcription phonologique /mi:m/ indiquée par notre cher dictionnaire, c’est donc bien « mime » que nous autres francophones devons lire, et non « même ».

Ce qui m’a dans la foulée sauté aux yeux, c’était le caractère très sociologique de cette définition : le dictionnaire ne semble pas faire mention d’un lien avec Internet ou la technologie, et renvoie même à un phénomène sociétal à grande échelle qui ne serait donc pas propre au monde geek tel que nous le connaissons. Alors, qu’en est-il de ce mot ? Geek ou pas geek ? Que cache-t-il vraiment ?

Le moment est donc venu de nous faire faire un petit détour étymologique dans l’espoir de trouver une première réponse à ces questionnements

 

[divider]Le mot de Teemo[/divider]

 

Cleek se retrouve donc une nouvelle fois en compagnie du Professeur Teemo, spécialiste dans son domaine, pour tenter d’y voir plus clair sur ses questions d’eh-Teemo-logie.

 

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Les memes ? Si je sais ce que c’est ? Et comment ! Je me rappelle, tout petit déjà, ma grand-mère m’en parlait. Il faut dire que c’est bien un concept propre à la grand-mère. Ce sont même les grand-mères qui en sont à l’origine ! Vous ne le saviez pas ? Ah, bien sûr, il faut remonter quelques années en arrière, et se perdre dans un patelin du fin fond de la France que même moi je serais bien incapable de nommer aujourd’hui. En ce temps-là, les campagnes étaient vertes, et les genoux des enfants aussi.

En ce temps-là, les grand-mères racontaient des histoires à leur famille autour d’un bon feu de bois (et d’un biberon au rhum pour calmer la pousse de dents du petit dernier). Plus régulière que le tic-tac d’une Apple Watch, et plus mélodieuse encore que le chant de Patrick Sébastien, la voix de la grand-mère rythmait les soirées à un âge où des émissions comme The Voice ou Cauchemar en cuisine n’étaient pas là pour distraire le pauvre travailleur le soir.

Mais voilà, les jeunes générations s’ennuyaient de ses histoires, il faut le dire, répétitives que les anciennes générations s’étaient tuées à transmettre. Le petit chaperon rouge et son loup, c’est bien gentil cinq minutes, mais à la longue, on connaît la chanson.

Une famille eut alors un jour l’excellente idée de mettre leur grand-mère devant un ordinateur. Et là, ce fût le début de la fin du début (les histoires de grand-mère connaissent toujours beaucoup de rebondissements, proportionnels à leur nombre de bourrelets). Vous connaissez la très buccolique expression « Faut pas pousser mémé dans les ordis » ? Eh bien ça vient de ce temps-là.

En effet, l’arrivée des grand-mères sur le net révolutionna ce dernier. Car c’est un tout nouveau monde qui s’ouvrait à elles, et elles ne manquèrent pas de le faire savoir. S’adaptant bien mieux que l’on aime à le penser, elles exploitèrent les outils qui étaient à leur disposition pour s’exprimer. Voilà le tout premier message que la première grand-mère du net laissa à la découverte de la réécriture du fameux Petit chaperon rouge. Et surtout du loup.

 

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Le meme était né. L’idée de communiquer par image interposée en conquit plus d’un, et bientôt, le net fut envahi de ces images commentées. Le nom de ces nouveaux types de messages fut choisie en l’honneur de cette grand-mère qui révolutionna sans le savoir le monde : Mémé.

Mais comme tout bon produit, celui-ci s’exporta. Le voyage en bateau était long et dangereux pour ces centaines de contenaires qui faisaient le transit entre Le Havre et les États-Unis, et ils n’en sortirent pas indemnes. Les contenaires payèrent le prix des conditions climatique : au bout de quelques semaines en mer, entre le vent, le soleil et l’air marin, la peinture s’écailla, et le beau nom de « MÉMÉ » fièrement exhibé sur les quatre face de chaque contenaire s’effaça (partiellement) pour donner « MEME ». C’est sous ce nom qu’on les récupéra aux États-Unis, et c’est donc sous ce nom que ce phénomène est désormais connu.

 

Nous remercions chaleureusement le Professeur Teemo pour cette nouvelle intervention. Vous pourrez par ailleurs retrouver très prochainement le Professeur Teemo pour sa très attendue conférence portant sur le marché du Champignon (si celui-ci n’a pas explosé entre-temps).

 

[divider]Motus et bouche cousue[/divider]

 

Et dans les faits (les vrais), ça donne quoi ?

 

Pour en revenir aux choses sérieuses, on peut effectivement se demander quel est le point commun entre l’apocalypse et internet dans le cadre de ce concept somme toute assez sociologique. Pour cela, il faut en revenir aux origines de ce concept des plus récents et scientifiques : c’est en effet le biologiste (à tendance évolutionniste) et éthologiste (soit un scientifique se spécialisant dans l’étude du comportement des espèces animales) anglais Richard Dawkins qui fut le premier à mettre un mot sur ce phénomène sociologique que serait la transmission et la réplication de certains éléments culturels au sein d’une société. Dawkins définit le meme comme une « unité d’information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d’une société ».

Dans son fameux livre Le Gène égoïste publié en 1976, qui contient la première occurrence enregistrée du mot « meme » dans la langue anglaise (ou « mème » pour le français), le mème est donc comparé au gène. Ce rapprochement est justifié d’une part par la similitude du système de transmission, d’autre part par l’impact que cette transmission a sur l’évolution du comportement et du système culturel de la société en question. Semblable à l’évolution biologique qui veut que les gènes se transmettent et évoluent, permettant de faire évoluer l’espèce au fil de la sélection naturelle, cette théorie d’une évolution socioculturelle se fonde sur la transmission et l’évolution de certains éléments culturels, qui se répliquent à la perfection, s’affinent, disparaissent ou apparaissent au fil des générations de mèmes.

De cette définition naît l’étymologie du mot. C’est en effet à partir du mot grec « mimema » (signifiant « quelque chose qui est imité »), que l’on retrouve notamment dans le concept littéraire et psychologique de mimesis (processus de reproduction et d’imitation) et dont on retrouve des échos latins dans les termes « imiter » ou « mime » notamment, que Richard Dawkins a composé le nom de son nouveau concept. Par un processus de calque (s’inspirant du mot « gène » lui ayant inspiré sa théorie, et du mot français « même », d’une étymologie différente, mais comportant le même ordre d’idées), le mot « meme » vit le jour.

 

Le mime Marceau, ou la mimesis comme un art

 

Cette théorie ébauchée par Dawkins a ensuite été reprise et développée. Comme toute théorie, elle a ses adeptes et ses détracteurs. L’idée reste néanmoins la même qu’à l’origine : certains meme ont un meilleur taux de survie dans notre environnement culturel grâce à une transmission plus efficace que pour d’autres meme, ces meme peuvent alors se répandre davantage, jusqu’à en devenir universels. Ce phénomène s’applique donc à de nombreuses idées : c’est bien pour cela que John Michael Greer parle d’un « apocalypse meme » dans son livre cité en début d’article, puisque cette idée d’une apocalypse à venir est une idée qui s’est répandue dans les différentes sociétés au fil des générations et qui s’est exprimée de diverses manières.

C’est donc la même chose sur internet : le meme, cette idée ou élément culturel, se répand d’autant plus vite qu’Internet a précisément cet aspect mondial et instantané. Sur Internet, le meme s’est rapidement développé sous une forme picturale. L’image est alors un support universel pour le message qui est dès lors instinctivement reconnu de tous. Toute personne tombant sur le meme de Grumpy Cat, par exemple, saura tout de suite de quoi il s’agit. Et pour chaque meme qui disparaît, un nouveau réapparaît.

 

Le meme est mort, vive le meme !

 

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