Le Crime de l’Orient-Express : critique à six mains

Laurianne « Caduce » Angeon, Marine « Reanoo » Wauquiez, Siegfried « Moyocoyani » Würtz

Le Crime de l’Orient-Express : critique à six mains

Le Crime de l’Orient-Express : critique à six mains

Laurianne « Caduce » Angeon, Marine « Reanoo » Wauquiez, Siegfried « Moyocoyani » Würtz
21 décembre 2017

Team VG : Le Meurtre de l’Orient-Express

Chez Vonguru, nous sommes des passionnés, aux goûts différents. Cependant, si nous avons bien une chose en commun, c’est notre amour pour l’univers Geek au sens très large du terme. Jeux vidéo, films, séries, romans, comics, mangas, la technologie et on en passe. C’est avec cette passion commune que nous avons décidé il y a quelques temps maintenant de vous proposer une série d’articles un peu particuliers, afin de partager avec vous nos avis sur certaines thématiques en les croisant.

Pour connaître nos débats précédents, découvrez sans plus tarder nos derniers Team VG, avec notre avis sur la saga Mass Effect, mais aussi nos configs PC, les meilleurs méchants à nos yeux et nos consoles préférées. Redécouvrez aussi notre vision des vacances connectées, nos héroïnes geek préféréesnos smartphones coup de cœur et les jeux qui nous ont fait craquer pendant les soldes Steam, ainsi que notre X-Men favori, nos théories sur la saison 7 de Game of Thronesnotre top et flop 2016 en ce qui concerne le cinéma et les séries ! Plus récemment, nous vous parlions des adaptations de zombiesdes gadgets dont on ne peut plus se passer, du média qui domine à la maison, de Blade Runner 2049, de notre programme pour une fête d’Halloween parfaite, de la série Mindhunterdes saisons 1 et 2 de Stranger Things, du film A Beautiful Day, de notre style de jeu préféré ou encore de la loi et de l’image des femmes dans le dixième art !

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Aujourd’hui, place à notre critique du Meurtre de l’Orient-Express, nouvelle adaptation par Kenneth Branagh du roman incontournable d’Agatha Christie après le classique de Sidney Lumet, dont la sortie mercredi dernier a été naturellement éclipsée par celle du dernier Star Wars. Heureusement ou injustement ? C’est ce qu’on va vous dire !

L'avis de Siegfried « Moyocoyani » Würtz : Hercule Branagh, ou Le Crime de l'Orient-Express avec un seul personnage

Dans la plupart des versions filmiques, téléfilmiques et sérielles de Hercule Poirot, le détective était âgé, en quête d’une retraite paisible toujours interrompue par quelque crime sordide, et si potelé que sa seule force venait de ses cellules grises (dont il était fort fier). En interprétant le personnage après Finney, Ustinov et Suchet, le réalisateur Kenneth Branagh lui fait subir un petit lifting dans l’air du temps, conservant sa moustache grandiloquente au grotesque, mais lui conférant une minceur plus athlétique et une vivacité tant d’esprit que de corps… et une histoire d’amour évoquée au passé. Bref, Branagh s’efforce d’injecter une dose de pathos dans des histoires habituellement théâtrales, de ménager d’emblée une suite (à quoi bon sinon ces références totalement gratuites dans la dramaturgie du film à une histoire d’amour qui n’existe nulle part ailleurs ?), d’imposer son propre physique dans la culture populaire plutôt que d’assimiler celui de son personnage. On peut ainsi être surpris même sans être le plus ardent défenseur de la « fidélité à la source » de la place prise par le réalisateur-acteur dans un processus d’adaptation.

Surtout quand l’action permise par la forme de Poirot se limite à monter sur un train sans trop de raison et à l’addition d’une course-poursuite au moins aussi arbitraire. Le rajeunissement permet d’explorer un Poirot célèbre mais pas viellissant, plus dandy que vacancier excentrique, imbu de lui-même mais ayant encore quelque chose à prouver, du coup (et c’est dommage) plus sérieux qu’espiègle… et de mettre en scène Branagh lui-même en vieux beau mélancolique, en figure admirable et admirablement pathétique, en vrai héros en somme plutôt qu’en détective rigide, quitte à ne pas parvenir à trouver de vraie justification dramatique à ces transformations.

C’est plus fâcheux encore quand Branagh doit recourir à la musique niaise d’un Patrick Doyle moins inspiré que jamais, et la monter sur chacune de ses phrases un peu profondes (ou se voulant telles, et généralement si déconnectées du contexte qu’on voit qu’elles obéissent à une logique différente de la cohérence dramatique), chacun de ses regards dans le vide, les yeux mouillés, échouant piteusement à créer le grand sentiment de romantisme voulu parce que la musique n’est pas bonne et surtout que ce montage se fait à la hache sur des séquences que le silence extra-diégétique aurait autrement mieux habillé. Cela culmine dans un échange entre Hercule Poirot et le gangster Ratchett, où la musique est si tendue que les paroles menaçantes paraissent ridiculement faibles et les blagues hors-de-propos…

Cela témoigne d’une absence de confiance dans la puissance du seul verbe fort gênante pour l’adaptation d’un roman de Christie qui n’est construit qu’autour d’une succession de dialogues. La théâtralité assez brute de Sidney Lumet m’avait un peu gêné dans la version de 1974 mais soulignait les performances de chaque acteur pour un résultat forcément intéressant de la part d’un aussi bon metteur en scène de la parole (l’homme derrière Un Après-midi de chien et 12 Hommes en colère, quand même). Au contraire, le réalisateur connu pour ses adaptations de Shakespeare refuse de l’assumer et multiplie les effets de manche pour conférer du dynamisme à son Crime de l’Orient-Express, chaque conversation un peu rigide paraissant fatalement d’un hiératisme anti-cinématographique et désespérément verbeux, la qualité des échanges n’étant pas réellement au rendez-vous…

L’histoire y perd tout sel, pétrie qu’elle est d’incohérences dans les détails les plus infimes (la référence à Mort sur le Nil) ou les plus cruciaux (un certain cri, l’absence de réaction de Poirot au meurtre dans une cabine avoisinante alors qu’on a insisté sur la légèreté de son sommeil, et qu’il n’est pas cette fois drogué). Le fait-même que Poirot parle anglais quand il est seul ou que personne n’ait froid dans les températures glaciales d’un Bosphore fantasmé empêche de croire à ce monde que l’on nous peint, et que l’étrangeté d’une première séquence inédite à Jérusalem où une enquête est résolue devant le Mur des lamentations ne rend pas plus crédible, au mieux kitsch. Or pour adhérer à une enquête complexe, il faudrait des surprises, que l’on induise le spectateur-enquêteur en erreur, qu’on le tienne en haleine, et pour cela il faudrait que le film croie et que le spectateur croie à chaque indice, à chaque lieu, de la ville à la couchette, à chaque parole et à chaque personnage…

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Or les interprètes peinent à donner à cette intrigue le relief que l’on aurait pu attendre d’un casting all-star. Entre ceux que l’on voit simplement trop peu pour ne pas avoir à les payer trop cher, ceux qui sont dans le non-jeu et ceux qui sont dans le sur-jeu (à commencer par le réalisateur et ses yeux constamment au bord des larmes, ému qu’il est de sa propre prestation), il n’y a guère que ceux qui ont quelque chose à prouver qui font un peu d’efforts quand ils en ont l’occasion, et cela se limite tristement à Josh Gad (Gaston dans La Belle et la Bête) et Daisy Ridley (Rey dans la nouvelle trilogie Star Wars), éventuellement Lucy Boyton, quand on nous appâtait avec Johnny Depp, Judy Dench, Michelle Pfeiffer, Derek Jacobi, Pénélope Cruz et Willem Dafoe !

Un point pourrait enfin sauver ce Crime de l’Orient-Express du déraillement, une qualité cinématographique sur laquelle Branagh a beaucoup insisté en interview… et dont il est difficile de comprendre en voyant le film pourquoi il lui a consacré autant d’efforts. Il y a bien deux petits plans-séquence sans aucune virtuosité et parfaitement gratuits, plans-séquence pour être admirés comme plans-séquence, ne créant aucune beauté extérieure à leur prouesse très relative et n’insufflant pas plus de dynamisme aux scènes que si celles-ci étaient cutées normalement. On appréciera bien quelques scènes filmées verticalement du dessus, autorisant le déplacement des acteurs dans le décor confiné des wagons, mais on est loin de la fulgurance visuelle, les fonds verts omniprésents, les gros plans sur les éléments du train, et l’une des références les moins fines et les plus absconses à la Cène jamais produites suscitant distance et rire gêné plutôt qu’une quelconque satisfaction.

Le Crime de l’Orient-Express version Branagh n’est ainsi le film que d’un seul homme, le réalisateur-interprète, qui se permet toutes les grandiloquences pour effacer le casting et même le personnage d’Hercule Poirot dans une œuvre qui n’est faite qu’à sa gloire et dont il mériterait d’être le seul spectateur, une amorce indigne à une franchise dont on ne peut qu’espérer la suite en même temps qu’on redoute du plus profond de notre être le massacre en règle auquel il pourrait se livrer d’un film assez téléfilmique mais sincère et réellement rehaussé par son casting et par Peter Ustinov. Branagh n’est pas si mauvais acteur pourtant, Dunkerque et Wallander l’ayant prouvé assez récemment encore, mais seule une bonne cure d’humilité lui permettra de se rendre compte qu’il faut déjà comprendre le film que l’on veut remaker pour donner du sens à sa démarche, et ne pas nous refuser jusqu’à l’intérêt le plus élémentaire pour l’histoire de l’un des romans policiers les plus populaires du XXème siècle.

 

 

 

L'avis de Laurianne « Caduce » Angeon : à qui profite le film ?

 

Un avis bref, pour un film simple et relativement efficace qui n’en demande pas des tonnes, selon moi.

J’étais tout d’abord très enthousiaste à l’idée d’aller voir Le Crime de l’Orient Express, et je souhaitais avant tout aimer ce film, y retrouver le caractère particulier des narrations d’Agatha Christie, le méli-mélo de personnages, l’accumulation des indices, jusqu’au dénouement tout particulier. Dans l’ensemble, le long-métrage de Branagh ne restera pas inoubliable, mais  il n’en demeure pas moins satisfaisant pour ce que l’on pouvait en attendre. Si les puristes seront sans doute un peu heurtés par l’adaptation physique, sentimentale, et trop émotionnelle du personnage-phare d’Hercule Poirot, le charme de l’accent, l’humour (surtout en début du film) viendront apporter la touche emblématique de l’œuvre que l’on attendait. Pour un peu moins de deux heures de film, l’intrigue se déroule par contre sur un axe temps légèrement trop court (inutile je pense d’introduire à ce point le propos avec l’enquête préliminaire sur le Mur des Lamentations : une simple galerie de personnages dressées à la Tarantino, ou à la Ocean’s Eleven – comme l’indiquait un peu la bande-annonce d’ailleurs – aurait sans doute été plus de rigueur, et surtout bien plus utile pour nous attacher davantage aux personnages/suspects du crime : en dehors du détective (qui malgré son adaptation critiquable à l’écran, reste amusant dans sa performance), toutes les interprétations semblent relativement fades – sans grande fausse note, mais fade quand même. Car si l’enquête se déroule sans encombre particulière, on ne perd jamais de vue qu’il y aura cette fin, bien connue des fans du livre, inconnue des autres mais pas moins attendue pour autant. Et c’est un peu dommage, car toute notre attention se focalise sur cet instant final, sans créer de réel suspense, ou de jeu de devinettes pour savoir « qui », tout au long du film. Les indices – parfois livrés très maladroitement, à l’instar de l’insertion de l’enquête Armstrong – s’accumulent pour former une sorte de bouillie (volontaire je pense) que seul Poirot pourra démêler à la fin.

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Un traitement plus long aurait sans doute donc permis plus de soin sur la psychologie des personnages, sur le déroulement de l’intrigue et la gestion du suspense, qu’un trop grand pathos (à grand renfort d’une musique aux accents larmoyants) n’aura fait que desservir un peu plus. L’ensemble reste néanmoins acceptable : n’allez pas voir Le Crime de l’Orient Express pour y découvrir la réincarnation du génie d’Agatha Christie fait film, mais plutôt pour le divertissement efficace et sans prétention qu’il propose – et proposera sans doute à l’avenir, si l’on en croit la référence plutôt franche à Mort sur le Nil en fin de film.

 

 

L'avis de Marine « Reanoo » Wauquier : un crime express

Hercule Poirot est un personnage que j’affectionne particulièrement, dans les romans comme dans un certain nombre d’adaptations télévisées. Entendre parler d’une adaptation de l’œuvre d’Agatha Christie a donc titillé ma curiosité, mais j’avoue avoir eu des réticences à la vue de l’affiche et de la bande-annonce. J’ai tendance à me méfier des castings trop éblouissants, et celui-ci ne me disait donc rien qui vaille. C’était donc un avis mitigé que je portais a priori sur le Crime de l’Orient-Express. Et son visionnage n’aura guère apaisé mon ressenti.

Le film n’est pas selon moi une catastrophe dont on parlera encore, en mal, dans les mois et années à venir, mais il est certain que cette adaptation ne s’illustre pas non plus par son génie. Trop d’incohérences, de détails et de pathos ont pour moi gâché le plaisir d’une enquête alambiquée comme je les aime typiquement. Je n’évoquerai ici que quelques points, au risque de répéter ce que mes prédécesseurs ont pu souligner. Et je commencerai par la scène introductive : trop longue, trop incohérente (comment la foule comprend-elle Hercule Poirot ?), trop évidente, et trop caricaturale à mon goût. J’aurais préféré que soit approfondie la présentation des différents personnages dont il est réellement question dans l’intrigue, trop survolée ou maladroite pour certains.

Maladroit est sans doute le terme que je garderais, s’il n’en fallait qu’un, pour qualifier le film. Maladroit, car c’est à gros coups de sabot que le film nous propose les premières intrigues, et nous invite à orienter rapidement et de façon fort convenue des soupçons vers certains personnages dont on sait que ce serait trop simple. J’ai pour ma part eu beaucoup de mal à trouver ces personnages crédibles, pour certains du fait de leur accent assez forcé en VF. Les révélations ne sont pas très fluides, et l’on voit trop rapidement se dessiner des éléments de réponse dont on essaye ensuite de nous faire croire qu’ils sont surprenants (pour ne citer, sans trop en dévoiler, que le passeport de la comtesse, ou le personnage de Lisa Arden). Le film insiste par ailleurs lourdement sur le pathos, à coup de violons et d’yeux (que Hercule Poirot a fort bleus, au demeurant) embués de larmes, un pathos qui paraît bien superflu voire néfaste au film et à son suspens. Je profite de ce point pour évoquer le choix du nouveau visage de Hercule Poirot qui ne m’a pas particulièrement dérangée, mais qui ne semble pas spécialement motivé.  Maladroit, par ailleurs, car nombre de scènes ou d’images sont questionnables, pour ne citer que la scène d’introduction, donc, la course poursuite, qui tel un soufflé retombe lamentablement, et pour laquelle on cherche vainement à nous cacher l’identité du fuyard, alors qu’elle est on ne peut plus évidente à ce moment du film ou encore l’image risible et fort peu subtile de la Cène, scènes qui nous sortent donc de l’action et qui minimisent le peu de suspens que ce Crime de l’Orient-Express possède.

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J’y suis allée en n’ayant pas lu le livre original, mais certaines lourdeurs ont tout de suite désamorcé les soupçons ou mystères que le film essayait de mettre en place. L’image n’a pour le reste pas compensé mes frustrations, et si j’ai trouvé sympathique l’idée de filmer les wagons du dessus, c’est sans doute l’une des rares choses que je retiens, n’ayant pas été convaincue par les vues plus larges d’Istanbul ou du Bosphore. Mon conseil serait de lire le livre avant d’envisager de voir le film, histoire de ne pas se faire spoiler l’intrigue pour rien, le film ne valant que pour un simple film policier.