Marvel Champions, l’ultime jeu de société super-héroïque ? Players, assemble !
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à quelques reprises, par exemple en traitant Gotham City Chronicles et le DC Comics Deck-building, je réalise une thèse sur les super-héros. Il n’y est pas question du jeu de société (même s’il apparaît évidemment dans mon livre sur Batman et dans quelques contributions universitaires), mais les jeux tentant de convertir mécaniquement les univers super-héroïques attisent toujours ma curiosité, en tant qu’elles allient deux centres d’intérêt auxquels je consacre tout de même l’essentiel de mon temps sans aller de soi.
Évidemment, d’un « jeu à licence » on redoute souvent le pire, un produit si impersonnel que le nom des auteurs n’apparaît pas sur la boîte – ouf, ce n’est pas le cas avec Marvel Champions. En outre, vendre 55 euros un pur jeu de cartes, sans même parler des innombrables « extensions » d’emblée prévues en cachant sous le joli label « jeu de cartes évolutif » une incitation à acquérir d’autres personnages pour l’enrichir paraît relever du dernier opportunisme à une époque où l’on sait le grand public particulièrement fan des Avengers. Mais c’est naturellement aussi un pari risqué : le marché est saturé de produits à licence ne témoignant d’aucune vraie recherche, et un public qui aurait pu se désintéresser d’une nouveauté peut se montrer carrément hostile en constatant que l’on se moque de lui.
Or le succès de Marvel Champions ne se dément pas depuis plusieurs mois, le jeu étant systématiquement en rupture, avec l’assurance que ces nouveaux tirages s’épuiseront aussitôt – je n’ose imaginer combien de personnes ont cliqué sur la bannière « Prévenez-moi lorsque le produit est disponible » de Phillibert, probablement l’un des records de la célèbre boutique en ligne. Avec 8,3/10 sur l’agrégateur Board Game Geek et la place de 90ème meilleur jeu de tous les temps, aurait-on trouvé une perle rare ?
C’est ce que nous allons tenter de voir dans la présentation et le décryptage de ce Marvel Champions, conçu par Michael Boggs (Android: Netrunner), Nate French (The Lord of the Rings: The Card Game, Game of Thrones: The Card Game, Arkham Horror: The Card Game) et Caleb Grace (The Lord of the Rings: The Card Game) et édité par Fantasy Flight Games (The Lord of the Rings: The Card Game, Star Wars: Rebellion, Twilight Imperium, Star Wars: Armada, Mansions of Madness), donc d’impressionnants spécialistes du jeu à licence acclamé par le public !
Destiné à 1 à 4 super-héros évidemment alliés, idéalement à 1 ou 2 de 12 ans et plus, pour des parties d’une heure à une heure et demie, Marvel Champions connaît déjà un certain nombre d’extensions en français, parues ou très prochaines : des packs permettant de jouer un seul nouveau super-héros pour 13 euros 50, Captain America, Miss Marvel, Thor, Black Widow et Doctor Strange, et des paquets scénarios permettant d’affronter de nouveaux super-vilains pour 18 euros, Le Bouffon Vert et Les Démolisseurs. Nous ne présenterons ici que le jeu de base, où l’on incarne Spider-Man, Iron Man, She-Hulk, Captain Marvel et Black Panther contre Rhino, Klaw et Ultron, tandis qu’un prochain article présentera les spécificités des extensions Miss Marvel, Captain America et Le Bouffon Vert !
Les Marvel Champions commencent à mettre leur costume
Marvel Champions n’est pas un jeu difficile, mais il affiche une relative technicité qui peut décourager : à l’ouverture de la boîte, on trouve deux grands manuels de 24 pages, le livret d’apprentissage et le guide de référence, ainsi que 343 cartes qu’aucun séparateur ne permet clairement de distinguer, alors qu’il est évident qu’elles font appel à des usages très différents. Le thermoformage semble d’ailleurs fait pour accueillir de tels intercalaires, qui ne sont pourtant inclus ni dans la boîte de base ni dans les extensions. C’est tellement curieux que je pense avoir manqué quelque chose…
Ouf, le livret d’apprentissage remplit bien sa mission en proposant une partie d’initiation pas à pas, qui serait tout de même une vraie partie, tout à fait complète, contrairement à ce que l’on trouve souvent présenté comme des initiations dans certains manuels de règles, et qui ont le défaut de tant initier que l’expérience ludique vécue n’offre pas du tout les mêmes ressentis que l’expérience ludique pensée par les auteurs, la raison pour laquelle ils ont voulu ce jeu.
On nous y recommande d’opter pour Peter Parker et/ou Carol Danvers selon que l’on joue à un ou deux joueurs (pas plus pour une première partie), et de placer le super-héros choisi devant soi sur sa face « alter ego » (c’est-à-dire l’identité civile).
Sur cette carte Identité apparaît une valeur de points de vie, que l’on reporte sur le compteur, et à deux, on désigne un premier joueur.
Chaque deck de héros comporte également un set dit de « manigance annexe » représentant une Némésis, le Vautour pour Spider-Man, le Psycho-Magnitron pour Captain Marvel, mis de côté.
Le reste des decks est simplement mélangé, puisque pour ces deux héros seulement il est pré-construit : outre leurs 15 cartes de héros, évidemment immuables, il contient 14 cartes Affinité (Justice pour Spider-Man, Agressivité pour Captain Marvel) et 11 cartes basiques, ces dernières étant modulables, comme on le verra après avoir présenté les bases du jeu. Notez que chaque type de carte est distingué très clairement par sa couleur et par la mention du type. En outre, le nom et la quantité de toutes les cartes des decks pré-construits sont bien mentionnés, tandis que les cartes de héros et manigances annexes sont numérotées, aucun risque de confusion !
Une réserve réunit les pions, jetons et cartes État (tenace, sonné, désorienté).
Il est alors temps de choisir un « scénario », avec une carte Manigance principale. Pour une partie d’apprentissage, on affrontera Rhino. La carte Manigance indique quelles cartes Méchant prendre (Rhino I au-dessus de Rhino II, avec un compteur de points de vie prenant en compte la valeur indiquée multipliée par le nombre de joueurs) et comment constituer son deck : le set Rhino de 21 cartes, mélangé aux 7 cartes Standard, à une Manigance annexe – les 6 cartes d’Alerte à la bombe – et à la carte Obligation relative à chacun des super-héros que l’on incarne.
On pioche enfin des cartes dans son deck, autant que la valeur Taille de la main indiquée sur notre carte Identité (6 en l’occurrence), que l’on peut éventuellement défausser une fois pour en repiocher autant, et la partie peut commencer.
Cela vous paraît dense ? Vous serez ravis d’être aussi bien aiguillés, par le guide d’apprentissage et par les cartes elles-mêmes, formidablement lisibles. Je leur reprocherais cependant sérieusement de ne pas porter systématiquement le nom de leur illustrateur, leur apparition semblant n’obéir à aucune logique… à moins qu’il n’apparaisse que quand il s’agit d’un dessin original réalisé par le jeu et pas d’une illustration tirée des comics, où une telle mention aurait impliqué le reversement de droits ? C’est en tout cas un vrai problème, tant la beauté de certaines illustrations peut donner envie de s’intéresser à celui qui les a faites, ne serait-ce que pour lire le run dont elles pourraient être tirées, ce qui est absolument impossible, curieux pour un jeu sachant si bien mettre en avant les super-héros…
D’autant que Marvel Champions arbore un style graphique « comics », semblant faire assez référence à une esthétique des années 1960, y compris dans les noms et pavés des cartes évoquant les cartouches, dans les valeurs d’attaque/défense/etc. apparaissant dans un phylactère d’onomatopée bruyante, ou le marqueur Premier joueur, une bulle exclamative. Dans un premier temps, je regrettais que ce ne soit qu’un habillage, qui aurait été mieux assumé si les personnages parlaient dans des phylactères au lieu de lignes de dialogue à la fin du pavé d’effet, ou si l’on avait parfois des gouttières, des effets de quatrième mur brisé, que sais-je. Si les concepteurs ont été plus classiques, c’est assurément pour garantir la lisibilité avant tout, au détriment de la fantaisie largement permise par le sujet, en quoi leur pari est tout de même réussi.
On appréciera de surcroît grandement que les illustrations représentent différentes versions des personnages, dans plusieurs types de graphisme, sans volonté de gommage des particularités des traits de crayon ou des encrages, une belle ouverture sur la diversité des comics. J’aime bien moi-même dans mes conférences varier les périodes et artistes pour rappeler aux auditeurs souvent peu connaisseurs de bande dessinée commerciale états-unienne qu’un même héros a pu passer entre les mains de centaines d’auteurs sur plusieurs décennies, au point que l’on peut rejeter la « Wonder Woman de X » comme quelque chose d’assez moche et puéril et adorer l’intelligence et la sophistication de la « Wonder Woman de Y ». Aider des joueurs à se rendre compte du foisonnement artistique génial du comics est assurément l’un des meilleurs services qu’un jeu comme Marvel Champions puisse leur rendre (en plus de leur procurer un très bon moment !)
Premier jour dans la vie d’un super-héros
Une manche se déroule en deux phases : chaque super-héros joue une fois dans le sens des aiguilles d’une montre, puis le méchant attaque.
Le tour d’un joueur ne suit aucun ordre prédéfini. Il a accès à un certain nombre d’actions qu’il peut ou non réaliser, avec une assez agréable liberté qui me rappelle mes réticences face aux jeux proposant des tours en quinze faces, d’où l’on peine à extirper une impression d’agentivité.
Une seule fois par tour on peut retourner sa carte Identité, pour enfiler son costume ou au contraire passer de l’identité secrète à l’identité civile. Cela a un impact sur la taille de la main, réduite sous le masque (où l’on est trop occupé à combattre pour se préoccuper de préparation), et sur les capacités :
- Sur sa face Alter ego, le héros possède une valeur de récupération (3 pour l’homme-araignée, 4 pour Captain Marvel). En l’inclinant, il se soigne d’autant de points de vie.
- Sur sa face Super-héros, il possède des valeurs de contre, attaque et défense. Comme on peut l’imaginer, toujours en l’inclinant, attaquer revient à infliger autant de dégâts à un sbire ou un méchant, défense à réduire le nombre de dégâts que l’on subit (ou que subit un allié), contre à retirer autant de jetons Menace d’une manigance.
J’aime beaucoup l’idée que les deux faces aient leur avantage, là où il aurait été si facile d’imaginer qu’après plusieurs actions faibles on puisse transformer l’alter ego minable en super-héros badass. Les auteurs ont préféré transmettre ici l’idée que l’identité super-héroïque et civile sont les deux versants de la même pièce (ou littéralement de la même carte), se complétant l’un l’autre.
En outre, Marvel Champions reste fidèle à l’idée que Peter Parker ou Carol Danvers peuvent devenir Spider-Man ou Captain Marvel quand ils le veulent… puisqu’ils sont Spider-Man et Captain Marvel, simplement sans le costume. Or ils ne peuvent pas s’exposer de la même manière comme Carol ou comme Captain : réaliser des actions super-héroïques trahirait leur identité secrète s’ils le font sous leur identité civile. Réfléchir au moment le plus opportun pour ôter ou mettre son costume est donc aussi important que de réfléchir à ce que l’on fait une fois le costume enfilé. Si l’on attaque frontalement, on risque logiquement de ne plus pouvoir se défendre ou défendre nos proches, et inversement… De quoi susciter une intéressante tension sur l’identité à adopter !
On peut jouer autant de cartes qu’on le souhaite du moment que l’on paye leur coût en défaussant autant de symboles apparaissant sur les cartes de nos mains, et donc sans utiliser le pouvoir ordinaire de ces cartes. Si ces symboles sont de quatre types (mental, physique, énergie et libre – donc Joker), la pose d’une carte ne prend pas en compte ces différences, qui seront utiles pour activer certains effets. Comme on peut l’imaginer, une carte Événement sera appliquée puis défaussée, tandis qu’un allié ou un soutien rejoint notre aire de jeu. Les alliés seuls sont limités à trois cartes en jeu simultanément, une nouvelle carte obligeant à défausser l’une des trois anciennes.
Les alliés possèdent également des valeurs d’attaque et de contre, et peuvent donc être inclinés comme le super-héros pour ces actions. Mais ils sont plus faibles, dotés de moins de points de vie, qu’ils perdent à chaque fois qu’ils attaquent ou contrent une manigance. Nick Fury a par exemple trois points de vie, deux points de contre et deux points d’attaque, et perd un point de vie à chaque attaque ou contre.
De nombreuses cartes en jeu possèdent un pouvoir présenté après le mot « Action » en gras, afin de bien les mettre en valeur. Sauf indication contraire, on peut les appliquer tant qu’on le souhaite à condition de pouvoir en payer le coût. On peut même demander à un autre joueur d’utiliser l’une de ses actions (ou il peut nous le proposer) alors que c’est notre tour. Carol Danvers peut une fois par tour faire piocher une carte à un joueur, quand Captain Marvel peut une fois par tour dépenser une ressource d’énergie pour se soigner d’un dégât et piocher une carte.
Certaines actions ont un effet distinct selon qu’elles sont relatives à un héros ou un alter ego, voire ne peuvent être utilisées que par l’un ou l’autre, une raison supplémentaire de bien penser à l’identité que l’on a le plus intérêt à arborer à un moment donné. Ainsi le rayon photonique n’est-il évidemment utilisable que par Captain Marvel pour infliger 5 dégâts à un ennemi, et piocher si on a dépensé 1 énergie pour le jouer. Un soutien comme Tante May peut être inclinée pour soigner quatre dégâts de Peter Parker (mais pas de Spider-Man).
On peut même trouver des actions sur les cartes ennemies (cartes Rencontre), comme Corne en ivoire renforcée, qui augmente d’un point l’attaque de Rhino, mais peut être défaussé en dépensant trois points de physique.
Une fois que tous les joueurs ont achevé leur tour, ils peuvent défausser autant de cartes de leur main qu’ils le souhaitent puis en piocher afin de retrouver la limite de leur main. Si leur deck était vide, ils pourraient mélanger leur défausse et en faire leur nouveau deck. Puis ils redressent toutes leurs cartes inclinées.
Destructions, sbires et manigances
Commence alors la phase du méchant, en l’occurrence avec l’irruption de Rhino, que vous prendrez plus au sérieux que ce pauvre Paul Giamatti !
On place d’abord sur la carte Manigance principale le nombre de jetons Menace indiqué (ici 1 jeton par joueur).
Puis le super-vilain s’active contre chaque joueur :
- si ce dernier est sous sa forme d’alter ego, il manigance. Forcément, s’il n’a pas l’impression qu’on essaye de le contrecarrer, il continue d’ourdir son sombre projet : on pioche une carte de son deck dont on ne regarde que les symboles du coin inférieur droit (c’est le boost). On ajoute sur la manigance principale autant de jetons Menace que la valeur de manigance du super-vilain, augmentée du nombre de symboles ainsi dévoilés, et la carte de boost est défaussée. Si des sbires sont attribués aux joueurs (on verra comment très bientôt), ils manigancent également.
- si ce dernier est sous sa forme de héros, il attaque : on pioche également une carte comme boost et le super-vilain inflige autant de dégâts que sa valeur d’attaque augmentée de la valeur du boost au héros. Il est heureusement possible d’incliner le héros ou ses alliés pour se défendre ou défendre un autre super-héros… mais ces cartes ne seront donc pas redressées quand notre tour reviendra. Puis les sbires attaquent le héros auquel ils sont associés, toujours avec la possibilité de se défendre.
Marvel Champions recourt ainsi à une manière apparemment assez simple, et effectivement très satisfaisante, d’adapter le jeu au nombre de joueurs sans aucune altération fastidieuse des règles (parce qu’il faut y penser, que cela modifie l’expérience…). Si j’ai tout de même une préférence pour la configuration à deux ou trois, qui permet la coopération et un semblant d’entraide, force est de constater que le solo brille par son évidence. Connaissez-vous beaucoup de jeux qu’il soit exactement aussi facile de mettre en place et de pratiquer en solo qu’en multijoueurs, le solo étant seulement plus court, par la force des choses ?
Quand le super-vilain a fait progresser sa machination ou attaqué, il pioche une carte Rencontre de son deck à destination de chaque joueur l’un après l’autre :
- une Manigance annexe est ajoutée à la Manigance principale. « Casser et emporter » arrive par exemple en jeu avec deux jetons Menace plus une par joueur, et elle attribue une rencontre supplémentaire lors de la phase d’activation du super-vilain. « Contrôler la folie » arrive en jeu avec deux jetons Menace par joueur, et doit être déjoué (en retirant tous ses jetons Menace) avant de pouvoir contrer quelque jeton Menace de la Manigance principale que ce soit. Thématiquement, ces « manigances » apportent bien la sensation d’un nouvel élément à prendre en compte dans son combat, d’un rebondissement dans le scénario.
- la carte Obligation de l’un des deux héros est remise à ce héros : l’Avis d’expulsion oblige Spider-Man à s’incliner ou à retirer au hasard une carte de sa main et à repiocher une carte Rencontre ; l’Urgence familiale oblige Captain Marvel à s’incliner ou à prendre une carte d’état Sonné (la prochaine fois qu’elle voudrait attaquer, on défaussera la carte à la place) et à repiocher une carte Rencontre. Terrible dilemme quand la vie civile et humaine du super-héros interrompt sa lutte super-héroïque !
- un sbire sera attribué à ce joueur (et l’attaquera ou manigancera lors de la prochaine manche du super-vilain). Mercenaire d’Hydra a par exemple 3 points de santé, 0 point de manigance et 1 point d’attaque, mais empêche d’attaquer le super-vilain tant qu’il est actif. L’Homme-Sable a 4 points de santé, 2 points de manigance et 3 points d’attaque…
- un Attachement est un équipement immédiatement attribué au super-vilain, à l’instar de la Corne en ivoire renforcée dont on a déjà parlé. Et oui, « attachement », étrange anglicisme, qui rappelle que certaines notions auraient pu être traduites de façon plus vivante, comme les cartes Traîtrise qui ne sont pas du tout relatives thématiquement ou mécaniquement à des traîtrises (pourquoi pas « Coup bas » ?), peut-être une traduction trop littérale de deception, à vérifier, les « réponses » qui sont plutôt des « réactions », ou pour pinailler un peu plus, « sbire » qui m’aurait davantage plus écrit « homme de main », ou « manigance » qui manque de naturel (pourquoi pas Menace, comme les jetons que cela nous fait poser), ou le deck Rencontres pour parler du deck du super-vilain (d’ailleurs appelé « méchant », moui…). Toutes les cartes sont traduites avec une parfaite clarté, et jamais un effet ne paraît confus parce que sonnant étrangement en français, en cela Marvel Champions (pourtant un jeu très textuel) a fait l’objet d’un certain soin, même les règles ne comportant à ma connaissance qu’une poignée de coquilles. Donc ces arguties linguistiques n’ont aucun impact sur le gameplay, tout en me surprenant assez pour mériter une mention à mon avis.
- une traîtrise possède un effet que l’on applique avant de la défausser. « Je suis balèze » donne par exemple une carte d’état Tenace à Rhino (qui est défaussée la prochaine fois qu’il prendra des dégâts en les absorbant tous), et s’il possède déjà une telle carte, un Renfort (c’est-à-dire la pioche d’une nouvelle carte Rencontre). Notez que pour comprendre ce qu’est un « renfort », il est indispensable de se référer au Guide de référence, l’item Renfort renvoyant à l’item Mots-clés. C’est l’un de mes rares reproches au jeu, généralement si simple, donnant tant d’informations claires directement sur les cartes, et balançant soudain une notion qu’il faut aller chercher, comme s’il n’avait pas été tellement plus simple (même si moins thématique) de dire « Si Rhino a déjà une carte d’état Tenacité, dévoilez une nouvelle carte Rencontre » que « cette carte gagne Renfort »…
La carte Traîtrise « L’Ombre du passé » a la particularité de mettre en jeu de notre côté notre carte sbire Némésis et la Manigance annexe associée, en mélangeant les autres cartes du set au deck. Pour Spider-Man, c’est le Vautour qui vient perturber le super-héros, en l’attaquant comme n’importe quel sbire, tandis que sa manigance « Cambriolage de haut vol » retire au hasard une carte de la main de chaque joueur, ajoute chaque tour une menace supplémentaire sur la manigance principale, et doit être déjouée (malgré 3 jetons Menace par joueur !) pour récupérer sa carte et mettre fin à son effet très dangereux.
Captain Marvel devra affronter le redoutable Yon-Rogg (plus redoutable en tout cas que Jude Law), quand le Psycho-Magnitron ajoute une carte Rencontre par tour du méchant (et porte 3 jetons Menace plus 1 par joueur). Vous les sentirez passer… mais ce ne sont pas vos Némésis pour rien ! Une excellente idée, à la Villainous, pour ajouter un ennemi personnel aux joueurs alors même qu’ils sont supposés pouvoir se battre contre des adversaires variés et donc plus impersonnels !
Puis le tour du super-vilain s’achève et celui des super-héros commence.
La partie de Marvel Champions s’achève par une victoire quand les super-héros ont ôté tous ses points de vie aux différentes phases super-vilain (Rhino en a 14, puis 15), et par une défaite s’ils perdent tous leurs points de vie, ou si le super-vilain réussit sa manigance principale (en l’occurrence réunir 7 jetons Menace par joueur). Les auteurs proposent un « mode débutant » où il suffit de vaincre la première forme du super-vilain, ce que je déconseillerais pour une première partie (où il est bon de prendre la mesure du jeu) mais trouverais judicieux après quelques défaites pour retrouver le moral !
La vie d’un super-héros n’est jamais monotone
C’est une fois la victoire décrochée que Marvel Champions débute véritablement.
Vous l’aurez compris, Spider-Man et Captain Marvel sont recommandés pour une première partie parce qu’ils sont les super-héros les plus polyvalents, plutôt portés sur la défense et la préparation et donc peut-être moins frustrants qu’un super-héros plus spécialisé, qu’il faut savoir appréhender dans toute sa subtilité. Aussi est-il par exemple particulièrement pertinent d’utiliser l’affinité Justice pour Spider-Man, qui retire des menaces ou peut permettre de prendre autant de dégâts à la place. L’affinité Agressivité, associée à Captain Marvel, vise plutôt l’infliction de dégâts massifs comme on s’en doute, mais après une première partie, les règles nous recommandent plutôt l’affinité Commandement, qui octroie des bonus, récupère des alliés de la défausse et en recrute davantage que les trois habituels, bref motive les troupes !
Tony Stark/Iron Man est sans doute le super-héros le plus difficile à maîtriser de la boîte de base de Marvel Champions, ne serait-ce que par ses 9 points de vie, 3 points de récupération, 2 points de contre, 1 d’attaque, 1 de défense, et sa main passant de 6 cartes comme alter ego… à 1 seule dans son armure (+1 par amélioration Tech possédée) ! Être le seul de la bande à ne posséder aucun super-pouvoir semble offrir beaucoup de super-inconvénients… Mais son action comme Tony Stark consiste à ajouter l’une des trois cartes du dessus de son deck à sa main, son Rayon répulsif inflige 1 dégât plus 2 dégât par carte parmi les cinq premières du deck à porter la ressource Énergie, la Tour Star récupère les améliorations Tech défaussées, et ces équipements sont redoutables, entre un Réacteur arc pouvant être incliné… pour redresser Iron Man, une Armure Mark V lui donnant 6 points de vie, des Bottes-fusée lui octroyant jusqu’à la fin de la phase le trait Aérien qui renforce encore plusieurs de ses cartes… Bien équipé, il peut vite s’avérer plus puissant que n’importe lequel de ses collègues, de sorte que son affinité Agressive peut faire des ravages !
Je me demande si, dans la boîte de base, ce n’est pas Jennifer Walters/She-Hulk qui a ma préférence. J’y faisais en tout cas souvent appel dans mes premières parties pour ses 15 points de vie et sa récupération de 5, sa capacité une fois par tour à réduire d’un jeton la pose de menaces sur une manigance en alter ego ou à infliger 2 dégâts à un ennemi au moment où elle se transforme. Son deck allie à l’image de la super-héroïne prévention et force brute, par exemple en retirant jusqu’à cinq jetons menace par la défausse d’une à cinq cartes ou en infligeant autant de dégâts que le nombre de blessures de l’héroïne ! Sa Némésis est l’affreuse Titania, qui possède une attaque égale à ses points de vie, donc 6 à son apparition, mais 1 seul point de manigance, incitant à favoriser la face Jennifer Walters jusqu’à être sûr de frapper fort ! Aussi les règles recommandent-elles de la lier à l’affinité Agressivité.
T’Challa/Black Panther mise beaucoup sur les équipements, en particuliers les quatre propres à son set, Génie tactique, le Costume en vibranium, les Dagues énergétiques et les Griffes de panthère. Leur capacité ne s’active qu’en jouant l’une… des cinq cartes Wakanda Éternel : la première retire une manigance, la deuxième déplace une blessure de Black Panther vers un ennemi… Et l’équipement activé le dernier redouble son effet. Il est ainsi indispensable de faire tourner son deck afin de trouver le plus d’équipements possible et de tous les activer régulièrement au moyen de Wakanda Éternel, avec l’avantage de commencer directement équipé de l’une des deux ! Le set proposé, l’affinité Protection, comporte logiquement deux équipements en double, l’un pour augmenter la défense, l’autre pour être défaussé en cas de défense et ainsi redresser le héros. Killmonger connaît cependant bien les forces du Wakanda et sera insensible aux améliorations de son roi !
Il va de soi que ces affinités ne sont conseillées qu’à titre indicatif, et que l’on vous recommandera fortement après plusieurs parties et victoires de Marvel Champions d’en changer. Pourquoi ne pas tenter un Iron Man commandant, ou une Miss Hulk protectrice par exemple, afin de varier les plaisirs mais aussi de découvrir d’autres techniques qui peut-être nous correspondront mieux ?
Rappelons en outre que si un héros de Marvel Champions disposera toujours de ses quinze cartes personnelles, de sa Némésis et d’une affinité au choix parmi quatre, son deck comporte également des cartes basiques que l’on est libre de moduler ! La seule condition est de ne pas avoir moins de 40 cartes et plus de 50, ni plus de trois cartes portant le même nom, mais en dehors de cela, on peut ajouter ou ôter comme on le souhaite cartes basiques et affinité pour tester différentes choses, adapter le deck à sa manière de faire après avoir adapté sa manière de faire aux decks pré-construits ! Les options pourront paraître limitées pour l’heure, la boîte de base contenant au mieux d’autres exemplaires de quelques cartes présentes dans les decks initiaux, et c’est là qu’interviennent les extensions, que nous présenterons très bientôt, et qui donneront tout son sens à cette possibilité stimulante de personnaliser les decks !
Vaincre un super-vilain dans Marvel Champions, toute une aventure !
Si une manigance principale est associée à un super-vilain, plutôt que de s’y réduire, c’est parce qu’on ne fait pas que battre des méchants dans Marvel Champions, on se confronte à de véritables scénarios, évidemment variables et même modulaires.
Une fois que vous vous serez habitués à Rhino et l’aurez vaincu dans plusieurs configurations avec plusieurs super-héros, voire aurez commencé à constituer un deck personnalisé, affrontez Klaw, le super-vilain immédiatement supérieur, Némésis notamment de Black Panther (c’est lui qui est joué par Andy Serkis dans le MCU) et des Quatre Fantastiques.
Avec 12 points de vie dans sa première phase, 2 points de manigance et 0 points d’attaque, il semble assez ridicule, mais il y a évidemment une astuce : à chaque attaque, on lui donne un boost supplémentaire, ce qui le rend vite dangereux… d’autant que les Trafiquants d’armes sont justement mis en jeu contre le héros quand ils sont piochés comme boost, quand le Boom sonique incline le héros s’il ne s’est pas protégé de tous les dégâts de l’attaque ! Et une fois la première forme vaincue, la deuxième possède 18 points de vie, le même pouvoir avec 1 point d’attaque supplémentaire, et dès qu’elle est révélée, met en jeu la manigance annexe Klaw « l’Immortel »… qui lui octroie 10 points de vie supplémentaires et une menace par tour sur sa manigance principale ! Ai-je dit que dès la mise en place, puis à la révélation de la deuxième manigance principale, un sbire attaquait le premier joueur, et que Klaw se repose sur ses sbires et manigances annexes pour détourner l’attention des super-héros ?
Le guide d’apprentissage recommande d’ajouter au deck de Klaw et au set de rencontre standard le set de rencontre Maîtres du mal, plus difficile qu’Alerte à la bombe. Tandis que la manigance annexe Les Maîtres du Mal ajoute en sbire l’un des quatre super-vilains de l’équipe, chacun possède un effet assez dévastateur quand il est pioché comme boost : 1 dégât à tous les héros, défausse d’une carte de la main, inclinaison de tous les alliés, ténacité de Klaw… Mais vous êtes tenace aussi, et à force de combinaisons, affinant votre maîtrise de Marvel Champions, vous arrivez plusieurs fois à bout de Klaw…
C’est que vous avez envie de vous frotter au dernier super-vilain de la boîte de base, le bien plus connu Ultron.
Il commence avec 17 points de vie, 1 point de manigance et 2 points d’attaque… mais à chaque attaque, place (au choix des joueurs) une menace sur la manigance principale ou pose face cachée la première carte de notre deck comme Drone, c’est-à-dire comme sbire possédant 1 point de manigance, d’attaque et de vie. Ne vous laissez pas submerger ! Dans sa deuxième forme, avec 22 points de vie, 2 de manigance et 2 d’attaque, l’arrivée d’un drone est systématique à chaque attaque, et il gagne un point d’attaque par drone engagé avec le joueur ! Chaque manigance principale (y compris la première, donc à la mise en place) ajoute d’ailleurs immédiatement un drone à chaque joueur, la deuxième donnant à chaque fois que l’on y place de la menace au début du tour du méchant le choix entre 2 menaces de plus et un drone, tandis qu’on ne peut simplement plus… enlever les jetons Menace de la troisième.
Et il va de soi que la plupart des cartes d’Ultron ajoutent encore des drones… voire leur donnent 1 point d’attaque et de vie supplémentaire (avec la possibilité de défausser une ressource de chaque pour retirer cette amélioration fatale) ! Ultron cherche ainsi aussi bien à vous déborder qu’à vous retirer votre deck, une stratégie particulièrement vicieuse si vous avez des super-héros le faisant tourner pour y chercher des cartes spécifiques. Tuer un drone permet de récupérer (dans la défausse) la carte qui le représentait, mais comme vous n’avez naturellement pas le droit de regarder sa face cachée avant de le battre…
Le guide d’apprentissage suggère de combiner le deck d’Ultron au set de rencontre Civils attaqués. Entre la manigance annexe qui doit être traitée avant de s’attaquer à la manigance principale (logique toujours, les civils avant tout !) et qui, lorsqu’elle est révélée, inflige 3 dégâts au héros ou s’ajoute deux menaces, les équipements qui protègent bien trop le super-vilain et les rayons pulvérisateurs qui vous blessent même utilisés comme boosts, vous ne saurez plus où donner de la tête…
Les sets modulaires (Alerte à la bombe chez Rhino, Maîtres du mal chez Klaw, Civils attaqués chez Ultron) peuvent être retirés, intervertis, ajoutés les uns aux autres pour créer des péripéties dans vos combats. Rien ne vous empêche même de tirer un ou deux sets modulaires au hasard, pour les mélanger aux autres cartes sans les regarder. La boîte de base en comporte en outre deux autres, encore plus difficiles.
La manigance annexe Légions d’Hydra ajoute des rencontres à chaque tour, gagne des menaces supplémentaires pour chaque ennemi Hydra et invoque Madame Hydra. Et elle existe en double dans le set, sachant que Madame Hydra (qui est tout de même dotée de 6 points de vie, 2 de manigance et 2 d’attaque) ne peut même pas être attaquée tant que les Légions d’Hydra sont en jeu, et qu’à chaque fois qu’elle attaque ou manigance, on ajoute deux menaces sur cette manigance annexe ! Franchement, je ne suis jamais parvenu à la vaincre et ne sais même pas comment gérer ce set encore, alors ne parlons même pas du suivant…
Le Siège de l’Apocalypse existe également en deux exemplaires, porte d’emblée 8 jetons Menace et en ajoute 1 par tour à la manigance principale. Dès son arrivée en jeu, il invoque MODOK, un sbire avec 8 points de vie, 2 points de manigance et 2 points d’attaque, et une Riposte de niveau 2 – il inflige donc 2 dégâts au héros qui l’attaque. Et le pire, ce sont peut-être les trois Améliorations biomécaniques, qui non content de faire piocher une nouvelle carte Rencontre quand elles sont révélées sont défaussées quand le sbire auxquelles elles sont attachées est vaincu… pour le soigner de tous ses dégâts ! Cela n’a peut-être l’air de rien, mais si je vous disait qu’elles équipent automatiquement le sbire ayant le plus de points de vie indiqués sur sa carte (sans prendre en compte ceux qu’il a pu perdre), et qu’il y en a peu qui en ont autant que MODOK, imaginiez-vous mieux le carnage ?
Enfin, pourquoi ne pas ajouter aux cartes Rencontre standard les trois cartes Rencontre expert, ce qui pour le coup tient du masochisme – mais si vous en êtes encore à chercher plus de difficulté, c’est que c’est bien ce qu’il vous faut. Épuisement dévoile une nouvelle rencontre et incline notre carte Identité ; Plan machiavélique place 4 jetons Menace sur chaque manigance annexe, ou invoque la prochaine manigance annexe du deck s’il n’y en a pas en jeu ; Sous le feu dévoile deux nouvelles rencontres… Avec cela, retirez la première forme du super-vilain que vous souhaitez affronter et ajoutez plutôt la troisième !
Au stade 3, Rhino est notamment doté de 4 points d’attaque, est tenace et sonne tous les héros quand il est révélé ; Klaw monte à 22 points de vie, 3 points de manigance et 2 points d’attaque, avec un boost supplémentaire à chaque attaque et en arrivant tenace sur le champ de bataille ; Ultron enfin a 27 points de vie, 4 points d’attaque, accorde 1 point d’attaque et de vie à tous les drones… et ne peut plus subir de dégâts tant qu’il reste des drones en jeu, en plus (parce que ça ne suffisait pas) de commencer la manigance annexe Ordre d’Ultron (y compris si elle avait déjà été déjouée), qui ajoute deux drones en jeu et fait piocher une rencontre supplémentaire à chaque phase de méchant… Ainsi ne s’agit-il pas à chaque fois d’augmenter légèrement leurs statistiques, mais de sauter à pieds joints dans un tout autre niveau de difficulté, avec une toute autre tension, d’autant plus terrible qu’elle est inévitable !
Parce que certains joueurs sont fous, les auteurs de Marvel Champions ont proposé quelques pistes pour un « mode héroïque », proposant notamment d’ajouter systématiquement plus de cartes Rencontre lors de la phase du super-vilain où l’on en dévoile normalement une seule par joueur. On peut ainsi jouer en « héroïque 1 » (avec deux cartes par joueur), « héroïque 2 » etc., de quoi monter la difficulté d’un cran sans trop de nouveaux points de règles à retenir. Notez que rien ne vous oblige à affronter Ultron avec le siège de l’Apocalypse en héroïque, et que vous êtes tout à fait libres de vous entraîner avec Rhino en Alerte à la bombe, l’objectif du mode étant avant tout de vous permettre toujours mieux de varier les plaisirs et de vous approprier le titre !
Marvel Champions, superhero game champion ?
Marvel Champions est un jeu cher. Tout le monde l’a dit, le dit et le dira, donc autant commencer par là. En même temps, on sait bien que le modèle économique d’un jeu de cartes « évolutif » – comme celui d’un jeu de cartes à collectionner – vise une rentabilité particulièrement importante, sans même parler du prix d’une licence comme celle des Avengers. Du moins sait-on exactement ce que contient chaque paquet acheté, et se laisse-t-on donc guider par ses goûts et sa quête de personnalisation plutôt que par une simple addiction de loterie. Il faut accepter les règles de ce jeu-là ou passer son chemin. Et si j’en juge au nombre de râleurs ayant tout de même acquis la « boîte de base » et cherchant extension après extension, il semblerait que beaucoup de joueurs aient su passer outre pour se concentrer sur les qualités ludiques du titre.
C’est que Marvel Champions brille déjà par son exploitation de la licence. La seule possibilité de passer de l’identité secrète à l’identité civile et inversement, et d’avoir si finement pensé les avantages et inconvénients de chaque forme pour nous imposer le difficile choix de la plus adaptée pour chaque action envisagée témoigne d’une passionnante réflexion sur la meilleure manière de concevoir les mécaniques autour des concepts de base définissant un super-héros Marvel. Comme on s’en doute, toutes les cartes sont ensuite assez finement thématisées, mais c’est presque attendu à ce stade, de sorte que j’ai été plus sensible encore à la variété du jeu dans ce qu’elle dit des personnages. Variété graphique, différentes illustrations des mêmes héros rappelant qu’ils ont une histoire éditoriale changeante ; variété psychologique, avec la possibilité de modifier l’affinité du super-héros, de le rendre plutôt justicier, commandant, agressif ou protecteur, dans un autre passionnant rappel qu’une même figure peut adopter un caractère et une approche très différentes entre deux aventures, et a fortiori à deux époques de son évolution, avec d’autres auteurs.
Cette modification thématico-mécanique est la première expression d’une autre très grande qualité de Marvel Champions, son invitation à le personnaliser. Entre le deck absolument fixe de Keyforge et celui extrêmement libre de Magic, Marvel Champions en recommande d’abord des pré-construits afin d’assimiler le jeu de façon très guidée, puis recommande de modestes variations, avant d’inviter à s’approprier plus pleinement le jeu, avec des limites évitant de s’y perdre et d’y perdre l’âme de la licence. Les très nombreuses combinaisons (quel héros, quelle affinité, quelles cartes basiques) et configurations (solo, deux joueurs, trois ou quatre) procurent toutes un ressenti des parties bien distinct, encourageant à tout essayer afin de varier son expérience du jeu voire de parvenir à définir ce qui nous correspond le mieux. Et celle modularité est encore renforcée par la possibilité de personnaliser le super-vilain.
Avec seulement cinq super-héros et trois super-vilains, on aurait pu craindre une certaine pauvreté de Marvel Champions, d’autant que la modularité des premiers reste un peu limitée dans la seule boîte de base. Ce serait oublier qu’affronter un super-vilain, c’est en fait se plonger dans un scénario que l’ordre des péripéties (le tirage des cartes) peut déjà faire changer du tout au tout, et dont on peut modifier considérablement la complexité (avec une autre forme de méchant ou un autre set de cartes) ainsi que la nature et l’imprévisibilité des événements retenant notre attention au cours de l’aventure choisie, avec pas moins de cinq sets de rencontres modulables à la difficulté croissante.
Depuis Gotham City Chronicles je n’avais plus trouvé une telle sensation de vivre une aventure super-héroïque dans un jeu de société, et malgré des pavés de texte sur les cartes qui n’ont pas l’élégance de ceux de Magic, Marvel Champions y parvient avec un dispositif bien plus simple tant matériellement que mécaniquement. Après la dépense que constituait l’acquisition de la boîte de base, et absolument ravi par les dizaines de parties exigeantes et différentes déjà permises, on pouvait se convaincre qu’on arrêterait là l’expérience du jeu. Pourtant, à force de l’explorer, l’envie de s’intéresser aux extensions est toujours plus pressante. Pas pour ajouter de la variété à un titre qui en manquerait, dans une pure logique d’addiction, mais pour prolonger les sensations, la qualité d’immersion d’un jeu décidément assez captivant.