Le bon, la brute et leur carcan
Le gentil et le méchant de l’histoire : deux entités bien distinctes, opposées et pourtant complémentaires dans la complexité d’un bon schéma narratif. Toutefois, et notamment avec la diversification des intrigues proposées au spectateur (film, courts-métrages, et surtout, séries en tout genre), ces deux images, symboles d’un extrême et de l’autre de la morale pourraient bien avoir évolué, jusqu’à brouiller quelque peu les pistes quant au côté formel qui fait d’un personnage un « bon » ou un « mauvais ». Gentils comme méchants fragilisent la limite de notre perception : Cleek revient donc pour vous sur cette vision des nouveaux héros.
Nous connaissons tous plus ou moins cette structure narrative basée sur la situation initiale/l’élément perturbateur/les péripéties/la conclusion, et nous savons qu’elle est tout aussi nécessaire à une histoire que peuvent l’être ses protagonistes. Néanmoins, et sans pour autant généraliser la situation, il a longtemps été communément admis qu’une bonne intrigue résidait principalement dans les divers rebondissements et autre cliffhanger que cette dernière proposait, tout en accordant aux personnages de cette même intrigue un intérêt parfois moindre ou tout du moins, relégué au second plan.
Ces dernières années ont pourtant vu naître une ribambelle de nouvelles histoires, notamment grâce à l’attrait considérable provoqué par les séries TV. Avec elles, de nombreuses heures de divertissement en perspective, de nouvelles intrigues, menées par de nouveaux héros ; des héros que l’on côtoie, à la différence d’un long-métrage, pour plusieurs dizaines d’heures le plus souvent. C’est tout naturellement donc, que la trame des dites séries s’est axée davantage sur la psychologie des personnages pour répondre au comment de ces quelques questions : comment ne pas lasser le spectateur, comment gagner son intérêt au niveau du scénario, et surtout, comment faire pour qu’il s’attache à ce héros, parfois pilier de la série ? Le phénomène s’est alors étendu jusqu’au cinéma pour notre plus grand plaisir, enrichissant la psychologie de ses personnages au cœur d’intrigues, elles, toujours aussi exaltantes.
[divider]L’idéal du héros malmené ?[/divider]
Là encore, il n’est pas question ici de généraliser un propos ou d’affirmer que certains personnages possédaient déjà, il y a longtemps, une psychologie plus que complexe. Toutefois, force est de constater que l’image/idéal du héros s’est vue être quelque peu secouée depuis une quinzaine d’années. À l’origine de tout cela, une remise en question des « essentiels » : l’idée même de placer un personnage principal au cœur d’une intrigue implique-t-elle finalement de faire de ce même personnage quelqu’un de « bon » ? Cela a souvent été le cas, et, sans nous mentir, la vision (quoique manichéenne) du gentil qui fait face à tous les obstacles a plutôt tendance à marcher. Le spectateur admire le personnage, tire parfois quelques enseignements de ces valeurs souvent propres au héros (la loyauté, le courage, l’honneur etc.) et le personnage devient alors un modèle physique, moral, spirituel etc.
Pourtant, et même si le concept de l’anti-héros (en voilà un, puis un autre, et un dernier pour la route…) remonte à bien longtemps, la psychologie du héros « bon » s’est vue être modifiée au fil du temps, noircissant quelque peu le vertueux tableau de caractéristiques du héros par quelques nuances, des traits de caractères à tendance plutôt péjorative dans certains cas. Le héros n’est alors plus un catalogue de valeurs immaculé, et l’on voit (enfin!) quelques gros défauts pointer le bout de leur nez. Malgré tout, ces défauts sont en général des caractéristiques qui tendront à rendre le personnage plus « humain » et donc, plus proche de notre réalité à nous, pauvres spectateurs. Si ces quelques vilaines manies (parfois poussées à la caricature la plus extrême) auraient le don de nous exaspérer dans la vie courante, elles deviennent alors un vecteur d’attachement au personnage qui nous semble, par conséquent, plus proche.
(Si par ailleurs vous aimez les memes, c’est par ici que ça se passe !)
Les exemples ne manquent pas, et Sheldon Cooper (Jim Parsons dans Big Bang Theory) ou autres Barney Stinson n’en sont que des exemples, certes mythiques (et poussés à l’extrême). La plupart des personnages, héros d’une série, et jouant le rôle du « gentil » optent pour l’option du charisme souvent teinté d’un cynisme à toute épreuve. Ce qui pourrait alors faire passer ces personnages pour de vraies ordures au quotidien leur distille ici une aura particulière, un aspect comique voire même un charme ravageur comme c’est le cas, notamment, de (pour rester dans les séries TV) Hugh Laurie dans Dr House, Tim Roth dans Lie To Me ou encore l’excellente relecture de Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle sous les traits de Benedict Cumberbatch ou encore Robert Downey Jr (qui avait par ailleurs fait un excellent et sarcastique Iron Man). Côté charisme, on se rappellera également de l’évolution spectaculaire du personnage de Walter White (Bryan Cranston) dans Breaking Bad, ou encore, pour ne citer que lui, de Kevin Spacey en machiavélique Frank Underwood dans House of Cards.
Pour plus de précisions concernant cette complexification de la psychologie, il serait même au passage intéressant d’aller faire un tour du côté des rôlistes, et de leur tableau d’alignement moral qui permet d’apporter un panel très subtil de nuances aux personnages dont on souhaite analyser la psychologie. En voici un exemple :
[alert type=white ]Les temps sont durs, l’hiver vient, et je ne voudrais surtout pas spoiler les quelques retardataires de Game of Thrones. Si vous êtes dans ce cas de figure, les quelques lignes à venir sont donc plutôt à éviter.[/alert]
Enfin, dans cette tendance à brouiller les pistes, certains personnages, à première vue bons ou mauvais, pourraient bien finir par nous faire perdre l’a priori que l’on en avait, à force d’actions valeureuses ou de quelques coups bas. La célèbre série Game of Thrones est par ailleurs un excellent exemple de cette galerie de personnages perdus dans les méandres de la morale. Même si Ned Stark semble plutôt du côté vertueux de la force (et on sait où cela mène…) et le roi Geoffrey du côté « arggghhhhh » de cette dernière (boh finalement, tous les chemins y mènent…), certains autres personnages, gagnent, au fil des lignes, en subtilité et en nuance. Peut-on encore affirmer, par exemple, que Jaime Lannister est quelqu’un de mauvais ? (Vous pouvez d’ailleurs essayer avec la plupart des personnages de la série en vous référant au schéma d’alignement moral ci-dessus : pas si évident !)
[divider]Pourquoi est-il si méchant ?[/divider]
Si le « gentil » de l’histoire flirte parfois avec certaines frontières morales pour toujours nous embrouiller un peu plus, il reste heureusement les méchants, les mauvais, les vrais de vrais. Du côté du mal pourtant, on remarque également certains changements. Les protagonistes sont pourtant véritablement du côté malin, mais de par leur passé, la situation, ou encore leur psychologie particulière, certains exemples plus ou moins récents tendent à donner une raison au pourquoi de la chose. Le méchant n’est pas forcément méchant parce qu’il a choisi de l’être, et ainsi, le personnage ne se résume plus seulement à être un élément perturbateur : il acquiert alors une histoire à part entière qui justifie un peu, partiellement, ou totalement ses choix de vie. Résultat, le méchant peut lui aussi devenir une source d’inspiration pour le spectateur, qui peut alors s’identifier aux penchants du « mauvais » héros (enfin… dans une certaine mesure, je l’espère). Sur ce point, la mythologie du « méchant » avait déjà trouvé toute sa subtilité dans l’univers du jeu vidéo, notamment au travers de la saga Final Fantasy, avec des personnages tels que Sephiroth ou encore Seymour Guado qui apportaient aux personnages malins une dimension grandiloquente et mélancolique à souhait.
Il serait toutefois impossible de citer tous ces « méchants » de l’histoire qui auraient pu nous marquer, mais il y a cependant quelques incontournables rôles dont les acteurs ne pourront jamais se défaire, tant leur prestation a saisi le public, illustrant un à un diverses psychologies de personnages. En voici quelques uns :
– L’intellectuel : On pourrait croire, et ce serait plutôt rassurant d’un côté, que les psychopathes agissent sous le joug de pulsions incontrôlables et qu’ils seraient alors sujets à la folie. Et si finalement, cette folie n’avait rien d’involontaire, et qu’elle était même nourrie d’une réflexion et d’une intelligence à la fois raffinée et machiavélique ? C’est par exemple le cas d’Anthony Hopkins dans son rôle de Hannibal Lecter ou encore plus récemment d’Andrew Scott dans sa relecture de la némésis de Sherlock, Moriarty. Des interprétations à vous glacer le sang !
– Le fanatique : Quoi de mieux pour se déresponsabiliser de ses crimes que d’en attribuer l’ordre à une entité supérieure, humaine ou divine ? Rappelez-vous du meurtrier de Se7en et de sa plaidoirie monocorde et implacable, ou encore de Javier Bardem, terrifiant dans No Country For Old Men.
– Le chien fou : Et l’un de ces méchants se qualifie directement comme cela dans le film. Il s’agit de ce psychopathe qui agit en dehors de tout contexte moral ou judiciaire. Peu importe que cela soit pertinent, bien ou mal puisque c’est juste… ce qu’il veut. Pour cela, le Joker reste le parfait exemple, et même si Jack Nicholson en avait livré une approche très singulière et mémorable, c’est la prestation de Heath Ledger qui marqua sans doute le plus d’esprits dans le second opus de la trilogie Batman de Christopher Nolan.
Gentils comme méchants sont donc plus riches et plus variés que jamais, pour notre plus grand plaisir de spectateur. Et vous, quel type de personnage vous inspire ?