Langues et pratiques du Geek : l’Hylian
Et si l’envie vous prenait d’apprendre cette langue fictive qu’est l’Hylian ?
Si, à cette première question, vous répondez par une autre question, qui serait de l’ordre de « Qu’est-ce qu’une langue fictive ? », je vous recommanderais chaudement de parcourir le premier volet de cette chronique, consacré au Quenya, et dans lequel je prends le temps de définir selon mes termes cette notion de langue fictive.
Néanmoins, pas besoin d’une explication complète pour affirmer ce qui va suivre : il n’est pas rare qu’un univers fictif se compose, outre de personnages et de lieux particuliers, spécifiques et parfois créés spécialement pour cet univers, de langues créées pour l’occasion. Ces langues, qui apportent très souvent cette petite pointe d’exotisme qui nous fait rêver, viennent surtout compléter l’ancrage de ces univers fictifs, les rendant plus crédibles et incroyablement plus riches. Et si nous nous plongions dans ces univers, parmi nos préférés, en apprenant leur langue ? C’est du moins ce que j’ai fait pour vous, en quatre semaines top chrono ! Bien sûr, il ne s’agira pas d’un cours de langue de ma part, mais plutôt d’une approche des différentes langues fictives qui peuvent exister, en s’intéressant à l’univers dans lequel elles s’inscrivent et à leur apprentissage.
Enrichir un univers grâce à une langue n’est pas exclusif à l’univers romanesque, comme le Quenya peut en être l’illustration. De nombreux autres univers fictifs tels que le jeu vidéo s’est frotté à ce défi, et même les jeux les plus anciens. Ainsi, la série de jeux The Legend of Zelda, qui fêtait ses trente ans le 21 février dernier, est-elle riche de langues fictives ! Pour fêter cet anniversaire (avec un mois de retard, mea culpa), nous allons donc consacrer cet article aux langues fictives de l’univers de Zelda, et plus spécifiquement à l’Hylian.
[divider]Origine de l’Hylian[/divider]
Depuis sa première apparition sur les écrans des joueurs, l’univers de Zelda et de Link s’est profondément ancré dans l’imaginaire collectif. Que l’on connaisse de près ou de loin les jeux, et même si le doute subsiste chez certains quant à la répartition des noms Zelda et Link entre les personnages centraux de l’histoire, le monde créé par Nintendo et associé à ce petit symbole triangulaire qu’est la Triforce est familier de chacun. Il faut dire qu’au fil des années et des supports, l’univers a su se montrer très riche : outre la multitude de titres que le jeu exhibe fièrement du haut de ses trente ans, il s’est diversifié par le biais de son gameplay, de ses musiques, de ses inspirations ou encore de ses univers. Si le monde fantastique dans lequel se déroule l’action est généralement le même, à savoir Hyrule, celui-ci est pourtant très riche en environnements et milieux, ce qui implique donc une grande biodiversité. Et par biodiversité, j’entends ici peuplades.
On peut ainsi dénombrer une trentaine d’espèces et peuples différents au travers de la série The Legend of Zelda, dont je ne ferai donc pas la liste ici, pour ne pas m’étendre inutilement. Nous retiendrons cependant que plusieurs de ces peuples se caractérisent par l’utilisation d’une langue bien à eux : on peut notamment citer les Minish, les Gerudos, ou encore les Hyliens. Pourtant, ces langues ne sont pas directement parler par les personnages dans le jeu. En effet, l’utilisation des langues de ces peuples restent assez minimale, et dans un but principalement décoratif, pour consolider l’univers mis en place. Ces langues se caractérisent en effet principalement par leur écriture exotique et inconnue, leur script se distinguant nettement de l’alphabet latin que nous connaissons, et n’étant pas exactement similaires aux scripts que les joueurs asiatiques connaissent. Ainsi, on peut recenser au travers des jeux et des années différentes apparitions linguistiques, sans pour autant qu’une importance spécifique leur soit officiellement accordée.
Pourtant, les fans de demandaient que ça. De nombreuses initiatives, individuelles comme de groupe, ont ainsi régulièrement vu le jour pour tenter de proposer des transcriptions et des clés de compréhension de ces différentes langues. Il faudra cependant attendre fin 2011 (pour le Japon, et début et fin 2013 pour des versions anglaise et française) que Nintendo sorte l’encyclopédie officielle Hyrule Historia pour que soit délivrée la clé officielle de décryptage de certaines de ces langues. En effet, des langues comme le Sky Hylian ne devront compter que sur la persévérance des fans (et la découverte de « Pierres de Rosette » virtuelles) pour être décryptées. Officielle ou non, le décryptage de ces langages a en tout cas permis montrer que leur utilisation dans le jeu étant tantôt vide de sens, les symboles étant alignés ne constituant pas de mots spécifiques, tantôt significative, les symboles composant ces fois-là de véritables mots ou syntagmes (comme dans l’image ci-dessus).
Diverses langues sont donc ainsi représentées dans le jeu, mais nous allons plus précisément nous concentrer sur l’Hylian, et ce pour plusieurs raisons : c’est tout d’abord la langue la plus emblématique du jeu, puisqu’elle est liée à Link (ce dernier, ainsi que Zelda, appartenant au peuple des hyliens), mais c’est aussi et surtout la langue la plus renseignée, que ce soit en termes d’apparition dans le jeu, ou par les informations que l’on a à son sujet (histoire comme décryptage). Mais il nous faut, pour parler de l’Hylian, parler DES Hylians : en effet, comme nombre de langues – réelles ou fictives -, il en existe plusieurs versions, avec une évolution due à une chronologie spécifique. En effet, les différents jeux de la saga constituerait une ligne temporelle assez chaotique (qui ne suit pas l’ordre réel de sortie des jeux), au point de se diviser en trois chronologies (c’est la théorie de la Split Timeline), pour donner deux branches distinctes – le Héros est vaincu, et le Héros est victorieux, cette dernière branche se décomposant elle-même en deux lignes temporelles, la Child timeline et l’Adult timeline.
Si nous devions parler des différentes versions de l’Hylian dans un ordre chronologique, il nous faudrait commencer par l’Ancient Hylian Alphabet (ou Sky Hylian), utilisé dans le jeu Skyward Sword (se déroulant dans la partie unifiée de la ligne temporelle de l’univers). Cette langue évolue et est remplacée dans le cadre de la Child Timeline par l’Hylian Alphabet (ou Twilight Hylian). En parallèle de cela, dans la partie unique de la ligne temporelle, existe aussi l’Old Hylian Syllabary (ou Time Hylian) que l’on retrouve dans le jeu Ocarina of Time notamment. Cette version laisse par la suite place à l’Hylian Alphabet dans la Child Timeline et au New Hylian Syllabary (ou Wind Hylian) dans l’Adult Timeline, version que l’on retrouve dans The Wind Maker.
Enfin, il existe aussi un Logographic Hylian, présent dans les jeux A Link to the Past et Link’s Awakening, qui se caractérise par l’utilisation de symboles représentants des morphèmes ou des mots complets (et non plus des syllabes ou des phonèmes – ou sons – basiques), et un Dark Hylian, présent dans A Link to the Past (bien que sa représentation varie entre les éditions anglaise et japonaise du jeu, mais aucune clé de décryptage n’est disponible.
[divider]Apprentissage de l’Hylian[/divider]
Là encore, s’il fallait être précis, il faudrait parler de l’apprentissage des Hylians. En effet, puisque l’Hylian n’est en réalité qu’un script, ne possédant pas de grammaire, de vocabulaire ou de syntaxe spécifique donc, et qu’il en existe plusieurs versions, sans que l’on puisse dire qu’une des versions est LA version officielle de l’Hylian, je me suis donc attachée à apprendre les différents Hylians. Par acquis de conscience, j’ai donc appris quatre alphabets différents et ce en quatre semaines, mais en gardant en tête, vous le verrez, que seuls deux d’entre eux ont réellement du sens pour la locutrice que je suis : le Sky Hylian, le Twilight Hylian, le Time Hylian et le Wind Hylian.
La liste des courses
Internet étant un royaume très riche et généreux, il est très aisé de trouver des sites vous fournissant de quoi apprendre l’Hylian (et peu importe celui que vous souhaitez apprendre). Pour ma part, j’ai fait le choix de suivre un cours Memrise contenant l’ensemble des scripts Hylian disponibles (soit un total de 173 caractères à apprendre). Mais sachez qu’il existe de nombreux autres façons d’apprendre : via des tableaux récapitulatifs, sur DeviantArt, ou via des sites « spécialisés » consacrés à l’univers de Zelda, qui vous proposeront à la fois les scripts et les occurrences de chaque script dans le ou les jeux dans lesquels ils apparaissent. Ces derniers vous seront utiles pour vous entraîner à «lire » l’Hylian, même si, nous l’avons vu, l’utilisation originelle de la langue est limitée.
Concernant les polices d’écritures utilisées au début de cet article, elles sont très facilement accessibles sur Internet. Pour ma part, je les ai récupéré sur un des nombreux sites consacrés à l’univers de Zelda (et qui proposent à la fois les polices d’écriture Hylian et les polices liés à la série de jeux). De nombreuses versions sont disponibles, et leur utilisation est aisée, du moins pour le Sky et le Twilight, la correspondance avec le clavier étant parfaite.
Ce qu’il faut retenir de l’apprentissage de l’Hylian
Puisque cette langue est en vérité multiple, nous allons donc aborder une par une ses différentes versions.
Le Twilight Hylian, puisque c’est par ce script que j’ai commencé mon apprentissage, est de loin le plus simple des quatre scripts. Le plus simple à apprendre, du moins. En effet, son premier avantage est de correspondre à l’alphabet anglais. Il s’agit en effet que d’une autre version de l’anglais, un symbole correspondant à une lettre précise (et vice versa). La ponctuation est même quasi identique (à l’exception du point d’exclamation, mais qui ne diffère pas énormément). Une fois les 26 (31 si l’on compte la ponctuation) symboles acquis, il n’y a plus qu’à transposer sa phrase (anglais) en Hylian. L’autre avantage de ce script est la relative similarité de son dessin par rapport à l’alphabet latin (et ici anglais). En effet, nombre de ses lettres peuvent aisément être assimilées à leur équivalent anglais, et cela en facilite donc grandement l’apprentissage.
Pourtant, aussi simple soit-il, on peut noter quelques légères faiblesses. Tout d’abord, cet alphabet ne comprend pas de chiffres : je dois cependant admettre que cela n’est que peu handicapant, puisqu’il y a souvent moyen de s’en sortir sans (à moins de vouloir écrire votre thèse doctorale en Hylian, auquel cas l’on ne peut rien pour vous). Le plus gros inconvénient de cet alphabet reste sans doute son sens : il peut en effet être écrit de gauche à droite (normal, pour nous autres locuteurs européens), mais aussi de droite à gauche (moins normal). Ce n’est pas dérangeant pour écrire (vous n’avez qu’à choisir un sens et un version) mais ça l’est davantage pour lire : si ça peut paraître anecdotique, sachez que la version Wii de Twilight Princess présente une image inversée, donc un texte inversé. Enfin, notons que si son écriture dactylographiée est aisée grâce aux polices disponibles gratuitement, son écriture manuscrite est un peu plus délicate et demande patience et entraînement.
Le Sky Hylian, ancêtre du Twilight Hylian donc, est lui aussi équivalent à l’alphabet anglais, ce qui en fait un avantage certain par rapport aux deux scripts dont il sera question ensuite. Pourtant, si sa calligraphie est plus esthétique et, selon moi, aisée, elle reste plus difficile à assimiler. En effet, notons déjà certaines irrégularités qui font que certaines lettres anglais se partagent un même symbole, et ce de façon assez aléatoire à première vue : sont ainsi regroupés le i, le x et le p d’une part, et le t, le o et le z d’autre part. Cela réduit donc le nombre de caractères à apprendre, mais cela ne facilite pas pour autant la tâche. De plus, on perd la similarité graphique que l’on avait dans le cadre du Twilight Hylian, et il est donc plus difficile de se faire des repères lors de l’apprentissage. Il s’agit donc de pratiquer régulièrement, sur ordinateur ou à la main, pour tenter d’enregistrer les différents symboles, pas tous évidents à retenir.
Mais je dois reconnaître que ses symboles sont bien plus poétiques (de par leurs traits plus ronds), et ce script nous plonge davantage dans un monde fantastique que son successeur, qui est beaucoup plus carré et a tendance à avoir, toujours selon moi, une connotation extra-terrestre-technologique.
À côté du Time Hylian, pourtant, les deux scripts que nous venons de voir sont on ne peut plus simples et organiques. En effet, le Time Hylian se distingue des deux scripts précédents par sa forme et surtout par son contenu. Sa première caractéristique (et désavantage pour la locutrice que je suis) est son contenu, puisqu’il s’agit d’une autre façon d’écrire le japonais. Cela a donc deux conséquences directes : l’augmentation notable du nombre de caractères à apprendre (on passe de 26 en moyenne à 46), puisque ce script se base dès lors sur la syllabe (et qu’il existe de nombreuses combinaisons syllabiques), et l’apprentissage d’items que l’on n’a pas coutume d’apprendre lorsque l’on ne parle pas de langue à base syllabique. Ainsi, on n’apprend plus seulement les voyelles et les consonnes, mais les voyelles et leur association avec les différentes voyelles.
Sa deuxième caractéristique (et désavantage, toujours pour la locutrice que je suis) est sa forme, puisqu’il s’agit d’une combinaison très géométrique de traits. Un peu à la façon d’un écran digital affichant certains traits et en effaçant d’autres à chaque minute qui s’écoule, la position verticale, horizontale, espacée ou non, d’un trait ou d’une moitié de trait va définir une lettre tout à fait différente de la précédente. L’absence d’une certaine logique quant à la composition de lettres « liées » (comme les syllabes composées d’un a, par exemple, etc) complique davantage encore la tâche d’apprentissage. Enfin, sans chercher à tirer sur l’ambulance, notons que ce script est à sa façon incomplet, puisqu’il ne permet pas de retranscrire les marques diacritiques du japonais (y comprendre les indices linguistiques comme les accents, etc), ce qui se traduit par des équivalences approximatives en termes de traduction.
Le Wind Hylian pare à ce problème : officiellement, l’évolution du Time Hylian prend en compte ses marques diacritiques japonaises oubliées, mais n’étant pas une locutrice du japonais, je ne pourrais guère le confirmer. On peut cependant noter une amélioration, en terme d’apprentissage, du script. Celui-ci est en effet plus facile à apprendre, bien qu’il s’agisse toujours d’une autre façon d’écrire le japonais, et ce pour plusieurs raisons. De façon assez subjective, il est déjà relativement plus agréable à lire. Les graphies sont un peu plus distinctes les unes des autres, ce qui permet de mieux identifier les lettres et syllabes. De façon plus objective (et linguistique), on note l’apparition d’une certaine logique, bien qu’incomplète. En effet, des syllabes phonétiquement proches, uniquement séparés par une caractéristique phonétique comme le voisement pour ka et ga, ta et da, ou encore ba et pa, vont partager des symboles communs, et seul un trait viendra les distinguer. Il est donc plus aisé de retenir les quelques 80 caractères (y compris les chiffres) de cet alphabet qui ne ressemblent pourtant en rien à notre alphabet latin.
[divider]Conclusion[/divider]
Apprendre en quatre semaines quatre scripts n’est pas une tâche ardue, et c’est à la portée de tout le monde. Du moins, elle ne l’est pas tant que le script se rapproche d’une réalité connue. Apprendre les scripts calqués sur le système japonais n’est donc à envisager que si l’on parle le japonais, et que l’on veut accroître ses connaissances. En ce qui concerne les scripts inspirés de l’anglais, l’existence de polices rend cette apprentissage ludique, puisque l’on peut rapidement écrire sur ordinateur des phrases en Hylian. Moins exotique que le Quenya, cette langue offre cependant un sentiment de satisfaction, puisque d’une part, les scripts sont relativement esthétiques (du moins, je suis particulièrement fan des Sky et Wind Hylian), et d’autre part car l’on peut rapidement se sentir dans la peau d’un clan (ou d’un agent) secret, les scripts relevant du cryptage, et donc n’étant pas connus de tous. À vous les messages secrets !