Hadara – le 7 Wonders mieux que 7 Wonders ?

 

La première fois que j’ai entendu vanter Hadara (« civilisation » en arabe) contre 7 Wonders, j’ai ignoré la recommandation. Comment ce titre abstrait et manifestement assez technique, compte tenu de la quantité de petits jetons éparpillés sur les photos, pourrait-il prétendre damer le pion à cet immense classique du jeu de civilisation à base de draft ? À force d’en entendre parler, il fallait cependant me rendre à l’évidence, il y avait un phénomène Hadara dont il était regrettable que je reste à l’écart, surtout après avoir beaucoup apprécié la Couronne d’Emara du même Benjamin Schwer. Et comble de la curiosité, s’adressant à 2 à 5 créateurs de civilisation, Hadara était, paraît-il, particulièrement bon à deux, clairement la configuration faible de 7 Wonders…

Illustré par Dominik Mayer (Concordia, The Artemis Project, Pictures – bien parti pour être le Spiel des Jahres 2020 !), édité par Hans im Glück (Carcassonne, Marco Polo, El Grande, Russian Railroads) et Z-Man Games (À la gloire d’Odin, Pandemic, Terra Mystica, Gaia Project – bientôt en français grâce à Super Meeple !) et traduit par Edge Entertainment, Hadara est vendu 36 euros et est accessible à partir de 12 ans pour des parties de moins d’une heure !

 

Naissance d’une civilisation

À l’ouverture de la boîte de Hadara, on est surpris par la qualité du thermoformage, presque maniaque, en tout cas complètement inhabituel pour un « jeu à l’allemande », permettant de séparer totalement les cartes Époque par couleur et par époque et proposant même de la place pour accueillir les extensions ! De quoi faciliter très agréablement la mise en place.

On commence donc en constituant le plateau central par l’assemblage des cinq parties (correspondant chacune à une couleur) dans un ordre aléatoire autour d’une roue.

Près du plateau, on dresse cinq piles avec une tuile Colonie de valeur 3, 9, 15, 21 et 30 pour chaque joueur.

Chaque joueur s’empare d’un plateau personnel portant un animal emblématique (lion, pégase, dragon, scarabée, singe), de deux jetons Bonus de chaque couleur (jaune, rouge, bleu et vert), de deux sceaux dorés, et d’une carte Départ qui indique combien il prend de pièces et sur quelle case de chaque piste du plateau il pose ses quatre marqueurs (revenu en jaune, militaire en rouge, culture en bleu, alimentation en vert).

Une mise en place assez rapide, qui échoue cependant à rassurer tant Hadara clame son abstraction, et multiplie les petits éléments ne faisant pas du tout sens, notamment autour du plateau personnel, bien loin du travail graphique de Miguel Coimbra et Repos Prod sur 7 Wonders. Comme on le verra, si cette impression de froideur et de complexité est légitime, elle est erronée, parce que ce matériel est en fait issu d’une véritable réflexion sur la lisibilité qui ne saute pas réellement aux yeux !

 

Un vrai sentiment d’évolution de… quelque chose, sur trois époques

Une partie de Hadara se déroule en trois époques (oui, comme 7 WondersGenesia, CIV…), chacune divisée en deux phases.

Le jeu est si peu thématisé que ces phases sont intitulées… phase A et phase B. Enfin ce n’est pas comme si Hadara essayait de nous faire croire très longtemps à son thème de développement d’une civilisation.

On commence la phase A en plaçant sur les emplacements de chaque couleur du plateau central 2 cartes de l’époque en cours par joueur, les autres étant replacées dans la boîte. Comme il n’y en a que 10 par couleur et par époque (14 pour les violettes), l’objectif n’est pas de garantir une variété des parties, mais précisément qu’à force de jouer à Hadara on apprenne à les connaître et à les attendre.

 

 

Puis on regarde l‘initiative des joueurs indiquée sur leur carte Départ. À la première époque, c’est celui qui possède la plus basse qui jouera le premier, à la deuxième celui qui possède la deuxième initiative la plus basse, à la troisième celui qui possède la troisième initiative la plus basse. À deux joueurs, celui qui ne commencera qu’une seule fois prend une pièce supplémentaire dès le début, de même qu’à quatre et cinq celui ou ceux qui ne commenceront jamais.

Une manière de procéder particulièrement intéressante par la volonté de rigueur qu’elle manifeste. Pas de truc rigolo pour déterminer le premier joueur, mais une carte Départ prenant bien compte de l’ordre de tour pour équilibrer les chances des joueurs avec une attribution des avantages de chacun en fonction de leur rang, avantages qui donneront déjà une idée à chacun de la tactique à privilégier, pour équilibrer les pistes ou renforcer celles où il est déjà fort.

On notera avec curiosité que ces cartes Départ ont deux faces, la face A étant recommandée au début, tandis qu’aux suivantes chacun pourra choisir la face de son choix. L’initiative sera la même, mais pas la quantité de pièces ni la répartition des marqueurs, jolie manière de l’impliquer dès le début en lui offrant la possibilité d’une petite décision.

Le premier joueur tourne alors la roue centrale, alignant chaque couleur de cartes avec un animal, donc un joueur, et choisissant de la sorte à quelle spécialité il commencera à faire appel.

 

 

Chacun prend simultanément les deux premières cartes de la pile qu’on lui a associée. L’une doit être posée face visible dans l’emplacement sous la pioche de sa couleur, l’autre peut être vendue (retirée de la partie) contre 2/3/4 pièces à l’époque 1/2/3, une valeur rappelée sur leur dos, ou acquise.

Afin d’acheter une carte, on la place sous l’emplacement de son plateau personnel de la couleur correspondante en payant son coût, minoré de 1 par carte de la même couleur déjà possédée.

Sur chaque carte apparaît une valeur dans un carré de couleur, indiquant qu’il faut avancer d’autant de cases le marqueur d’une de ses pistes. Si l’on franchit la dixième case, on encoche un marqueur +10 au bout de la piste et on replace le marqueur au début.

Les cartes violettes peuvent en outre disposer d’une capacité passive utilisable aussitôt qu’elles sont acquises : 1 pièce de plus lors des ventes, avancer d’une case pour chaque carte de la même couleur, 4 Points de Victoire (PV) par groupe de 5 cartes de couleurs différentes en fin de partie…

Comme vous le verrez, les cartes tentent bien d’illustrer des époques différentes selon qu’elles appartiennent à l’âge 1, 2 ou 3, avec une tentative de reproduire vaguement l’Antiquité, puis une espèce de Moyen Âge et enfin les Temps modernes et contemporains. Si les dessins sont assez jolis, bien que pas toujours bien mis en valeur, et si la volonté d’emprunter à toutes les civilisations est vraiment louable, cela ne fonctionne pas du tout thématiquement.

Déjà parce que faire référence à des civilisations n’ayant pas beaucoup évolué techniquement empêche de parfois saisir vraiment ce qui distingue une carte de la première époque d’une carte de la deuxième voire de la troisième époque, ensuite à cause de quelques bizarreries, un tailleur de pierre en tablier de travail ou une pyramide maya/aztèque pour la première époque, des pyramides égyptiennes pour la troisième… On ne comprend déjà pas quelle civilisation on est supposé établir avec le mélange d’éléments africains, américains, européens et asiatiques, mais on perd ainsi même l’impression thématique d’avancer dans le temps, heureusement plus forte mécaniquement, notamment car ces cartes sont de plus en plus chères et puissantes.

 

 

Une fois que l’on a « développé » sa « civilisation », chacun récupère autant de pièces que la valeur indiquée par son marqueur jaune sur la piste de revenu.

Puis, dans le sens horaire, on peut prendre une unique colonie si l’on en remplit la condition – une valeur à atteindre sur la piste militaire – et si l’on ne possède encore aucune colonie portant la même valeur. Une colonie rapporte des PV et peut être pillée, pour un gain immédiat en pièces, ou devenir une alliée, ce qui coûte au contraire des pièces mais permet de retourner la tuile et de progresser sur les pistes. On ne sait pas à l’avance ce qui figure au dos de la tuile, ce qui implique une amusante part de pari !

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Puis, dans le sens horaire, on peut sculpter un seul buste si l’on remplit la condition précisée sur notre plateau personnel à côté d’un emplacement de buste vide – 6/12/20/30 points sur la piste de culture. Or à ce buste est associé un chiffre, 2, 3, 4 ou 6. Si l’on y pose un jeton Bonus sur son dos, on marquera autant de PV à la fin de la partie, sachant qu’un buste rapporte déjà 4/8/14/22 PV. Si l’on y pose un jeton Bonus sur sa face, on avance le marqueur de la couleur correspondante d’autant de cases.

 

 

 

On passe alors à la phase B du tour.

Dans le sens horaire, chaque joueur prend au choix la carte face visible du dessus d’une pile, donc parmi celles qui ont été « défaussées » à la phase A, et il la vend ou l’acquiert. On répète l’opération cinq fois, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune carte sur le plateau.

On réalise ensuite à nouveau l’étape de revenus, de colonie et de buste, et on en ajoute deux nouvelles.

Chaque carte possédée dénote la croissance de notre civilisation et donc l’accroissement de ses besoins. Aussi compare-t-on le nombre de cartes acquises avec la position de notre marqueur sur notre piste d’alimentation. Si l’on a moins d’alimentation que de cartes, il faut défausser autant de cartes que nécessaire pour équilibrer les deux valeurs, en perdant à chaque fois la progression sur les pistes qu’elles accordaient.

Enfin, on peut acheter des sceaux. Un sceau argenté coûte 4/7/20 pièces et un sceau doré 6/12/30 selon l’époque à laquelle on se trouve. Des coûts indiqués sur l’aide de jeu individuelle, mais pas sur les plateaux, ce qui est un peu dommage compte tenu du peu d’intuitivité de ces prix. On tentera ainsi d’en acquérir aussi vite que possible, au risque de dévoiler notre stratégie. Ce n’est pas comme si l’on pouvait réellement se gêner les uns les autres, et comme si Hadara privilégiait ce genre d’agressivité, ou même tout type d’interaction !

Dans les deux emplacements de sceau argenté on place un jeton Bonus représentant donc l’une des cinq ressources du jeu. Comme indiqué sur le plateau, on gagnera à la fin de la partie autant de PV que la moitié de la valeur atteinte sur cette piste.

Dans les emplacements de sceau doré, on pose… un sceau doré, qui rapportera 7 PV par groupe de cinq cartes de couleurs différentes possédées à la fin de la partie, donc 14 PV si l’on possède les deux sceaux ! Comme on le voit, le sceau argenté favorise la spécialisation quand le sceau doré favorise un jeu équilibrant les différentes couleurs.

Ainsi s’achève une époque tandis que commence la suivante.

La partie s’achève à la fin de la troisième époque, ce qui risquera de vous prendre de vitesse lors des premières parties. On additionne alors les points des colonies, des bustes, des sceaux argentés et dorés, des cartes et 1 PV par lot de cinq pièces – ce qui ressemble à un lot de consolation plutôt qu’à une stratégie gagnante, jusqu’à ce que l’on comprenne que la quantité de pièces donne l’avantage en cas d’égalité. Une salade de points certes, qui ne permet pas tout à fait de savoir où on en est par rapport à ses adversaires, mais qui a au moins le mérite de se calculer rapidement.

 

Hadara, une vision très allemande de la civilisation ?

Comme La Couronne d’Emara du même Benjamin Schwer, Hadara paraît assez inaccessible au début, quand une manche seulement suffit à convaincre de la fluidité étonnante d’un pourtant jeu très codifié, dont les étapes s’écoulent très naturellement. Il faut dire que, derrière la quantité de jetons et de chiffres, se cache une grande volonté de lisibilité, d’autant plus admirable qu’elle est parfois très discrète. Ainsi les pistes économique, militaire, culturelle et alimentaire sont-elles par exemple ordonnées sur notre plateau personnel dans l’ordre dans lequel on réalise les étapes correspondantes, faisant figure d’aide de jeu implicite, tandis que le matériel est intégralement non-textuel et adopte des pictogrammes peu nombreux, dont le sens est immédiatement évident.

Même matériellement, notre plateau individuel inspire le désir de faire progresser sa civilisation, avec ces pistes sur lesquelles on éprouve spontanément le désir de pousser notre marqueur, avec des trous que l’on peut combler en y posant des bustes et des sceaux, avec de fines barres de couleur dictant où placer nos cartes… Tout cela participe à l’impression de croître, de partir de rien et de développer petit à petit tout le potentiel d’une civilisation prometteuse. Sans même se perdre, puisque Hadara a le bon sens de nous octroyer dès le début de la partie un avantage personnalisé amené à influer sur notre tactique, et de toujours limiter nos choix juste assez pour qu’on ait la sensation de créer sciemment quelque chose qui nous ressemble.

Beaucoup comparé à 7 WondersHadara n’en partage en fait pratiquement rien. Bien entendu, l’idée de réaliser quelque chose qui ressemble à du draft sur trois époques afin de développer une civilisation dans différentes directions suffit à prouver une influence du premier sur le deuxième, mais Hadara s’en désolidarise sur chaque point, déjà en affichant une abstraction presque totale, tout ce qui a trait à l’Histoire étant immédiatement évacué pour une oeuvre strictement mécanique, ensuite en refusant toute interaction, même indirecte, enfin en reposant sur une véritable salade de points, aisée à calculer en fin de partie bien que très peu visible pendant.

Hadara peut alors légitimement sembler moins « vivant »… et c’est tout à son honneur. Il est en effet captivant qu’au lieu de copier simplement 7 Wonders, même pour le « corriger », plusieurs auteurs en reprennent des éléments aussi directement reconnaissables pour des résultats aussi différents et personnels. Dire de Hadara qu’il est un 7 Wonders abstrait, polaire, mais aussi nettement plus rigoureux, sans doute un peu moins frustrant et excellent à deux, c’est bien avouer qu’il n’a plus, au fond, rien à voir avec 7 Wonders et vaut par une puissance propre assez flagrante.

Notez qu’on m’a beaucoup répété l’intérêt des extensions pour ajouter profondeur et rejouabilité à HadaraNobles et Inventions (48 nouvelles cartes), Marchés et Monuments (afin d’utiliser la nourriture en trop et de valoriser une civilisation équilibrant culture et armée), plus une variante solo et l’extension print and play The Plague Doctors, toutes deux officielles et disponibles gratuitement en ligne. Il n’en a pas été question dans l’article parce que je n’y ai pas joué, mais ce sont des arguments qui peuvent vous toucher si vous craignez un manque de renouvellement des parties !

 

Ludum

 

 

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