Evil Dead : The Game – le Dead by Daylight de Sam Raimi

J’ai beaucoup de sympathie pour la prétendue « trilogie Evil Dead » de Sam Raimi. Bien avant Doctor Strange in the Multiverse of Madness, et même bien avant la trilogie Spider-ManEvil Dead était le premier long-métrage de ce passionné de cinéma qui y donnait une forme plus aboutie à ses précédents courts-métrages… sans pour autant oublier de se faire plaisir dans ce qui était à la fois un film de potes artisanal et un film d’horreur très inventif, à la tonalité originale.

La critique l’avait d’ailleurs immédiatement salué comme un classique instantané, une quintessence et un modèle du cinéma d’horreur à petit budget. Le deuxième opus continuait de surprendre… en ne méritant pas tout à fait son titre d’Evil Dead 2, à la fois suite et remake du premier, quand le troisième devenait une comédie d’aventure assumant cette fois complètement sa dimension loufoque, en propulsant son héros Ash Williams au Moyen Âge. Je me souviens d’ailleurs avoir passé de très bons moments sur le jeu Android Army of Darkness: Defense, qui n’existe malheureusement plus.

Mais l’histoire d’Evil Dead ne s’arrête pas là : outre une comédie musicale, globalement oubliée, la trilogie a connu un remake/suite par Fede Alvarez étonnamment apprécié, sans doute en partie parce que produit par Raimi lui-même et déployant cette fois une horreur très premier degré, dont une suite devait sortir cette année. Et surtout, elle a continué de faire parler d’elle grâce à l’assez réussie série Ash vs. Evil Dead, en trois saisons, créée par Raimi et où l’acteur principal de la « trilogie » Bruce Campbell reprend son rôle culte d’Ash Williams.

Bref, pour une franchise née en 1981 (et même un peu plus tôt si l’on inclut les courts-métrages en ayant posé les bases), Evil Dead reste une franchise singulièrement vivace, dont il est peu surprenant qu’elle connaisse désormais… un jeu vidéo pour PC et consoles – PlayStation 5, Xbox Series, Xbox One, une version Switch retardée sans nouvelle date, et PS4, sur laquelle j’ai effectué ce test.

Cet Evil Dead : The Game est développé par Saber Interactive, par exemple responsable du portage PC de plusieurs Halo, du portage Switch de The Witcher 3, du remaster de la trilogie Crysis, et publié par Boss Team Games. Il se décline sous deux formes, une version standard coûtant environ 40 euros et une version Deluxe qui en coûte 60 (et inclut le Season Pass pour les 4 DLC à venir).

Un tel projet, comme l’annonce du remake cinématographique, pourrait effrayer : le statut culte d’Evil Dead est après tout intimement rattaché au capital sympathie considérable de Sam Raimi, de sorte que s’emparer de sa franchise pétrie de passion pour l’adapter peut vite apparaître comme une démarche mercantile contraire à l’esprit-même de la saga. Ainsi la qualité vidéoludique de cet Evil Dead : The Game importera-t-elle autant dans notre critique que son respect de l’œuvre adaptée.

Héros barrés contre Le Mal

Evil Dead : The Game est un jeu asymétrique d’affrontement entre les Héros et le démon de Kandar. Ce qui pose naturellement la question de la configuration dans laquelle en profiter le mieux

Et de fait, cet Evil Dead n’est pas destiné à l’expérience solo. Entendons-nous bien, il propose bien des features solo, d’ailleurs fort bien faites, entre le tutoriel, le combat contre des bots ou même un mode « scénarisé » vraiment punitif (ou alors je suis juste vraiment nul), faisant revivre les évènements des films… dans de longues missions exigeant des allers-retours sur la même map, où chaque mort vous fait recommencer à zéro. Mais il est assez évident qu’il s’agit là de gourmandises prévues pour vous occuper quand votre groupe n’est pas là, et témoignant du soin apporté par les développeurs à créer un jeu aussi complet que possible. Parce que c’est bien sûr quand vous avez réuni toute votre bande de joyeux lurons que le plaisir commence réellement.

Evil Dead The Game

Dans une forme rappelant inévitablement Friday the 13th et Day by DaylightEvil Dead oppose en effet un groupe de 4 survivants/héros à un joueur incarnant le Démon. Les premiers doivent résoudre une succession d’étapes afin d’accomplir un rituel repoussant le Mal, de la collecte de pages du Necronomicon à sa destruction avec la dague de Kandar, quand leur ennemi vole librement sur la carte pour invoquer des créatures, s’incarner en eux pour transformer une bête IA de zombie en ennemi soudain redoutable, voire s’incarner temporairement dans des survivants quand leur jauge de Peur est assez élevée (et même dans leur voiture !), et disposer des pièges en animant les arbres ou en trafiquant les coffres à loot.

Vous l’aurez compris, le rôle du Démon est particulièrement grisant – ou plus précisément de l’un des Démons, puisque vous aurez également un choix à faire entre des Démons au fonctionnement proche mais aux différences intéressantes. Pour autant, il me paraît pratiquement impossible pour un Démon d’affronter un groupe de 4 survivants connaissant le jeu, communiquant bien et sachant donc coordonner leurs actions. C’est qu’aussi puissant qu’il soit, il reste seul… et son rôle est naturellement plus riche, plus complexe, de sorte que je le réserverais aux joueurs le connaissant déjà s’ils ne veulent pas être frustrés, à la fois parce qu’ils seraient un peu perdus et parce qu’ils se sentiraient juste impuissants à triompher des héros. Une fois le rôle maîtrisé, le Démon est peut-être la figure du Mal la plus réussie parmi tous ces jeux en « un-contre-tous » tant le jouer s’avère satisfaisant.

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Evil Dead The Game

Pour les survivants, cet Evil Dead peut avoir quelque chose de Fortnite : non seulement les personnages, répartis en quatre classes, sont assez asymétriques, chacun ayant ses spécialités et capacités en plus de disposer de son propre arbre de compétences (à améliorer au cours de la partie… et en dehors, pour des upgrades permanents !), et ressemblant donc plus à des héros cherchant le contact qu’à de pauvres humains impuissants face à une menace surnaturelle qui n’auraient d’autre choix que de fuir, mais l’exploration sera centrale pour trouver les coffres de raretés diverses, avant que la zone se réduire fatidiquement pour la conclusion épique du combat.

De quoi conférer une belle rejouabilité au titre, dont on a envie de tester tous les héros en testant diverses synergies avec le reste du groupe ! Cette impression de puissance ne sera mise à mal… que par l’impossibilité de sauter, contre laquelle vous pesterez probablement plus d’une fois, bien que l’on comprenne ce qui a pu motiver ce choix.

Evil Dead The Game

Naturellement, tous les personnages sont directement issus des films et de la série Evil Dead… et vous pourrez même en débloquer de nouveaux en subissant jusqu’au bout le mode solo – mais comment résister au Lord Arthur d’Evil Dead 3, au Pablo de Ash vs. Evil Dead ou à une quatrième version héroïque d’Ash ? Que sur 13 personnages, Ash soit représenté quatre fois peut bien entendu souligner le manque de matériau sur lequel Evil Dead repose, contrairement à Dead by Daylight par exemple. Mais cela rappelle aussi à quel point chaque opus est différent des autres, proposant un délire propre avec un Ash assez spécifique pour qu’en incarner les différentes itérations ait non seulement du sens, mais soit même assez jouissif – d’autant que les développeurs ont judicieusement placé un Ash dans chaque classe, ce qui permet d’accentuer les différences mécaniques entre ces avatars.

C’est le genre de détails rappelant que l’on a affaire à un travail « authentique », dont on voit qu’il est mené par de véritables passionnés d’Evil Dead ayant minutieusement étudié les films et la série afin d’en tirer toute la matière possible, tant pour le gameplay que pour les nombreux Easter eggs. On trouve une autre preuve de cette authenticité dans l’appel à Bruce Campbell lui-même pour doubler les différents Ash – l’acteur ayant même participé à une session de gameplay comme commentateur pour promouvoir le jeu -, accompagné des acteurs d’Ash vs. Evil Dead. Ne manque peut-être que Raimi, à ma connaissance pas du tout associé au projet, et dont un caméo quelconque, ou même le doublage d’un monstre, pourrait encore davantage asseoir la totale légitimité de cette transposition vidéoludique.

Evil Dead The Game
L’équipe de passionnés ayant développé le jeu !

Il faut dire en outre que ces héros sont très bien modélisés (bien qu’un peu apathiques) dans des environnements d’une propreté assez impressionnante, tant on s’attendrait à ce qu’un énième jeu d’horreur asymétrique, a fortiori à licence, mette davantage l’accent sur le gameplay que sur le graphisme. Même si l’on ne traverse guère que deux maps, elles sont assez grandes pour comprendre des environnements variés, et chacun de ces environnements jouit d’un travail soigné sur les éclairages (de la Lune, de lampes, de feux…) ou la pluie par exemple pour nous plonger dans une ambiance assez immersive, aidée par une très bonne musique.

Evil Dead The Game

Souvenez-vous seulement qu’on est dans Evil Dead et pas dans Vendredi 13, de sorte que cette ambiance n’est pas forcément mise au service d’une tension – vous êtes plutôt du genre à foncer tête baissée et tronçonneuse au bras sur vos ennemis pour des finish moves délicieusement gores qu’à vous cacher en suant à grosses gouttes à chaque bruit de pas que vous croyez entendre. La barre de Peur reflète ainsi la peur du personnage, isolé dans l’obscurité, et pas du tout celle du joueur, qui sait qu’il peut compter sur une bonne pétoire et des potions pour surmonter tout véritable danger, mais qui est ainsi judicieusement invité à chercher les sources de lumière voire allumer des feux, et à ne pas trop s’éloigner des autres joueurs, donc à justement ne pas trop la jouer « massacreur de zombies faisant cavalier seul ».

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Qu’espérer des DLC ?

J’attends avec beaucoup d’impatience les DLC, qui devraient répondre au problème majeur d’Evil Dead, un certain sentiment d’en avoir fait le tour après quelques (dizaines) d’heures, en particulier compte tenu du faible nombre de maps. On songe et rêve au château d’Evil Dead 3, mais on peut aussi imaginer le regain de plaisir à découvrir d’autres Héros, Démons, pourquoi pas des loots plus grisants, de nouvelles lignes de dialogue, d’autres modes de jeu – pourquoi pas du contenu scénarisé en coop ?

Bref, il y a beaucoup à en espérer, et je me réjouis à l’idée que ce ne sont, cette fois, pas que des fantasmes personnels dont on se doute qu’ils n’ont aucune chance de voir le jour, tant on sent le désir de bien faire des développeurs, et tant on a donc l’impression qu’ils voudront vraiment compléter et enrichir leur jeu dans les mois à venir, pour des expériences multi toujours plus variées, tendues et jouissives.

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