New York Zoo – Rosenberg, polyominos, et multiplication d’animaux mignons !

 

Uwe Rosenberg n’a pas la réputation que de sortir d’excellents jeux (BohnanzaAgricolaLe HavreCavernaPatchwork, À la Gloire d’Odin…) ou d’être très prolifique, il a aussi celle, plus gênante, de recycler encore et sans cesse les mêmes mécaniques, notamment en ce qui concerne les polyominos, générant autant de lassitude que d’admiration. Mais on aime lui redonner sa chance, parce qu’à la manière de Bruno Cathala, ces réexplorations sempiternelles donnent parfois lieu à des jeux très aboutis et plaisants, comme le très agréable Nova Luna. En ira-t-il de même avec New York Zoo ?

Au moins New York Zoo a-t-il l’agrément du thème, le zoo étant prétexte à un amoncellement de meeples animaux absolument adorables (des suricates, flamants roses, kangourous, renards arctiques, un éléphant et des pingouins – plus probablement des manchots, suite à une erreur de traduction courange de Penguin ou Pinguine), accompagnés par de très jolies illustrations de Felix Wermke. Un premier attrait qui pourrait en précéder d’autres…

New York Zoo est édité par Feuerland Spiele (FujiTerra MysticaGaia Project) et donc logiquement localisé par leur partenaire Super Meeple (The Artemis ProjectCouleurs de ParisTajutoMaracaiboMagnastormDestin de voleur…). Vendu 30 euros, il s’adresse à 1 à 5 concepteurs de parcs animaliers de 10 ans et plus pour des parties d’environ 45 minutes.

New York Zoo

Pas si facile de préparer un si joli zoo

L’ouverture de la boîte de New York Zoo peut souffler le chaud et le froid, passé le long moment d’admiration de la mignonnerie des meeples animaliers.

Thématiquement parce qu’on doit poser à côté de la piste d’action centrale des tuiles Attraction, triées par taille. Or si l’on peut admettre volontiers la présence de buvettes dans un zoo, manèges et grands huit ne sont pas vraiment à leur place, non qu’il n’existe pas des zoos avec des attractions, seulement qu’il est dommage, quand on s’apprête à gérer un zoo, de se retrouver face à des tuiles tout droit sorties de Meeple Land. N’aurait-il pas été aussi bien d’en faire des bassins aquatiques, boutiques, tour panoramique, volière, que sais-je ?

Ensuite en termes de règles, parce qu’il ne fait pas si sérieux que les « jetons Portée bleus » dans la liste du matériel deviennent soudain des « jetons Portée roses » quand on nous demande de les remettre dans la boîte pour les réserver au mode solo. Et non, ce ne sont pas deux jetons différents. Une maladresse qu’il aurait si simple d’éviter… en ne précisant pas leur couleur, tout simplement, comme dans les règles du solo justement. Probablement un changement de couleur en cours de développement, entraînant une confusion au cours des relectures…

Matériellement enfin : on empile dans chacun des 15 interstices de la piste d’action (enfin 14 interstices et le bord rond du plateau, moui…) 3 tuiles Enclos, dans l’ordre indiqué sur chaque emplacement, selon leur couleur qui est aussi leur taille : vert très clair pour des polyominos de 4 cases, vert clair pour 5 cases, vert foncé pour 6 cases et vert très foncé pour 7 cases. Outre un procédé curieusement long et fastidieux… je ne pensais pas qu’on pouvait faire « mieux » que Carpe Diem et ses deux nuances de vert.

À moins de les poser côte à côte ou de compter les cases, il ne sera pas toujours si évident d’en distinguer deux, et je ne parle même pas des joueurs souffrant de troubles de discrimination chromatique, que l’on prend généralement toujours mieux en compte de nos jours (on en parlait pour The Crew ou la réédition de 7 Wonders par exemple).

Heureusement, les règles sont assez bien faites, et consacrent une page entière à expliquer et illustrer pas à pas cette étape de la mise en place, de surcroît rappelée directement sur le plateau. On peut en déduire que les auteurs ont vu la difficulté qu’elle pouvait représenter, et faute de savoir la contourner sans sacrifier une mécanique à laquelle ils tenaient, ont tenté de la compenser par un effort louable de pédagogie…

New York Zoo

 

La première impression n’est donc pas excellente, mais en dehors de cette étape pénible, la mise en place est pour ainsi dire instantanée, aidée par le plateau amovible présent dans la boîte pour séparer habilement les différentes espèces animales, et le nom de Rosenberg, la sélection du jeu par Super Meeple ou la chatoyance de l’ensemble ont de quoi inviter à persévérer.

Ajoutons que les joueurs commencent avec les deux animaux représentés sur leur plateau personnel, dont ils placent les meeples dans les habitations (des cases individuelles de leur plateau n’appartenant pas à proprement parler au zoo), conférant une légère asymétrie assez intéressante au jeu, puisqu’ils inciteront à s’orienter d’emblée vers des espèces différentes.

 

New York Zoo

Croissez et multipliez, et remplissez vos enclos…

Un joueur commence son tour en déplaçant l’éléphant d’une à trois ou quatre cases (selon le nombre de joueurs) sur la piste Action. Il peut s’arrêter sur une case d’acquisition d’animaux ou sur un emplacement comportant encore au moins une tuile Enclos.

Si l’on choisit une case d’acquisition d’animaux, on prend deux meeples représentant cet animal pour les placer dans un enclos précédemment vidé, dans un enclos contenant des animaux de la même espèce, ou dans une habitation individuelle. À chaque fois que l’on place un seul animal dans un enclos, il est par ailleurs permis d’en ajouter un autre de la même espèce dans le même enclos depuis l’une de nos habitations. En prévoyant bien son coup, on pourrait ainsi poser jusqu’à quatre animaux dans le même tour, si l’on en prend deux dans la réserve pour les placer dans deux enclos différents, et que l’on dispose justement de deux animaux de la même espèce dans nos habitations.

Si l’on choisit un emplacement comportant au moins un enclos, on prend l’enclos au sommet de la pile d’enclos de cet emplacement et on le place où on veut sur notre plateau personnel. Il ne peut pas chevaucher un autre polyomino ou déborder du plateau, et une fois placé, il ne sera plus possible de le déplacer. Il faut aussitôt y placer 1 à 2 animaux de la même espèce, soit depuis d’autres enclos (qui ne peuvent pas être ainsi vidés), soit depuis une habitation individuelle. Puisqu’il n’est pas permis de construire un enclos vide, et pas toujours profitable de répartir entre plusieurs enclos les animaux d’un seul, on comprend l’un des intérêts de ces habitations.

 

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Si l’éléphant franchit l’une des cinq lignes de naissance, le joueur effectue son action de récupération d’animaux ou de pose d’enclos, puis tous les joueurs bénéficient d’une naissance à condition de posséder dans un ou deux enclos au maximum de deux animaux de l’espèce représentée sur la ligne de naissance. Ils ajoutent alors dans ces enclos un unique animal pris dans la réserve (un nouveau spécimen venant de naître). Comme vous le verrez, la gestion des naissances est l’un des cœurs tactiques du jeu, parce qu’il faudra vous demander si vous préférez remplir aussi vite que possible vos enclos en n’ayant donc qu’un enclos par espèce ou s’il est plus rentable de répartir une espèce en plusieurs enclos pour mieux profiter des naissances ; et parce que cela vous contraindra à bien vous assurer que la naissance n’arrange pas trop vos adversaires.

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À 2 et 3 joueurs, toute naissance dont on profite octroie une seule autre naissance bonus dans l’enclos de notre choix, pour l’espèce de notre choix. Une règle rappelée pictographiquement dans la partie supérieure de chaque plateau personnel, et heureusement, parce qu’elle n’a rien d’intuitif, mais contribue à donner plus d’enjeu encore à ces naissances afin de compléter intelligemment un plateau plus grand qu’à 4 joueurs.

Cela pourrait sembler paradoxal : pourquoi accélérer ainsi la partie à 2 et 3 joueurs après leur avoir donné un plateau plus grand qu’à 4 et donc plus long à remplir ? C’est en fait une jolie manière de contrôler le rythme de la partie, de s’assurer d’accroître sa dimension tactique à 2 joueurs tout en évitant de la prolonger indéfiniment à 4 – puisqu’à 4 le plateau est plus petit et les lignes de naissance franchies bien plus souvent.

 

New York Zoo

Quand toutes les cases d’un enclos sont occupées par des animaux (donc nécessairement de la même espèce), on remet ces derniers dans la réserve et on peut prendre une attraction de son choix (généralement la plus grande possible, surtout en début de partie) et la poser sur notre plateau. Un peu triste thématiquement de se dire qu’on vide les enclos de leurs animaux pour mettre des montagnes russes dans son zoo, enfin bon, du moins mécaniquement cela ajoute-t-il une nouvelle dimension de course aux polyominos bonus. C’est qu’il n’existe par exemple qu’une attraction de 8 cases et une de 6…

Une fois l’action principale puis l’éventuelle naissance résolues, le joueur suivant dans le sens horaire peut déplacer l’éléphant. Chaque tour est donc assez rapide, en se résumant à une action facilitée par le déplacement limité de l’éléphant, et fait pourtant clairement progresser la partie en laissant ce qu’il faut de liberté au joueur pour qu’il se sente tout à fait actif, responsable de son zoo.

Notez que l’on peut encore accélérer la partie à 2 et 3 joueurs en donnant à chacun 3 enclos de six cases et 3 enclos de 7 cases en tout début de partie – et donc en réduisant d’autant les piles du plateau Action, où les enclos plus petits seront plus vite accessibles. Je trouve personnellement la variante limitée en ce qu’elle rend l’acquisition de nouveaux enclos peu intéressante pendant les premiers tours, de sorte que l’on se concentrera logiquement sur les animaux, au risque d’être moins libre de ses actions. Elle a néanmoins le mérite de permettre des parties d’une vingtaine de minutes assez tendues, ce qui pourra être tout à fait apprécié.

 

 

La partie s’achève aussitôt qu’un joueur a couvert toutes les cases de son zoo, normalement en finissant par combler les petits trous demeurant ça et là avec les plus petites attractions. La victoire ira ainsi à celui qui aura optimisé les naissances de ses animaux et la pose de ses enclos pour combler ces trous aussi efficacement que possible, sans trop recourir aux attractions d’une seule case qui peuvent engendrer une perte de temps assez fatidique en fin de partie.

Bien sûr vous aurez noté qu’il est souvent plus judicieux de se focaliser sur les petits enclos, au remplissage plus rapide, que sur les grands, qui occupent certes plus de place mais ont besoin de trop de tours avant de donner accès aux attractions. Ce n’est pas pour rien que les petits enclos se trouvent tout en bas des piles, et qu’il faut donc aussi prendre garde à ne pas (trop) les céder à nos adversaires…

 

New York Zoo

Tant d’animaux pour un seul gardien !

On l’a dit, New York Zoo dispose d’une variante solitaire.

On y déplace cette fois l’éléphant avec les cinq jetons Portée, qui représentent les valeurs de 0 à 4+. En défaussant le jeton, on le fait avancer du nombre de cases correspondant (donc de la possibilité de rester sur place à celle d’avancer d’autant de cases qu’on le souhaite), et ce n’est qu’après avoir utilisé ses 5 jetons qu’on les récupère tous. Afin que cela n’enferme pas trop le joueur, il lui est toujours possible d’avancer jusqu’au prochain emplacement d’acquisition d’animaux sans jeton Portée.

La grande difficulté de cette variante… vient de ce que la partie s’achève quand l’éléphant a fait deux fois le tour de la piste d’action, ce qui arrivera extrêmement vite si vous avez trop le réflexe de la pratiquer comme en multi-joueurs. On s’attribue alors un score négatif égal au nombre de cases non remplies sur notre plateau personnel. À moins bien sûr que l’on parvienne avant cela à compléter son plateau personnel, auquel cas on gagne autant de points que d’emplacements restants sur le plateau Action avant d’achever ce deuxième tour fatidique.

Une jolie méthode de calcul pour que le challenge soit constant – et assez relevé – sans que la variante exige trop d’aménagements. Seule la règle de la progression gratuite de l’éléphant sur la case d’acquisition d’animaux suivante me paraît excessivement peu intuitive, mais une fois que l’on maîtrise les règles de New York Zoo, on se fait vite à une addition aussi mineure, d’autant qu’elle est le corollaire de cette idée ingénieuse de gérer les jetons de déplacement.

New York Zoo, le grand retour d’Uwe Rosenberg ?

En très grand amateur de Patchwork, qui reste l’un de mes jeux de duel tout préférés, je découvre toujours un nouveau Rosenberg avec intérêt, parce que même s’il y explore très souvent des mécaniques déjà présentes dans ses créations précédentes, j’ai de l’estime pour ce besoin constant de les affiner, de les rafraîchir ou de les enrichir.

Or si le thème zoologique, les dessins mignons et les 127 (!) adorables meeples animaux semblent trahir une cible très familiale voire enfantine, New York Zoo s’avère en fait assez malin. Plus précisément, il multiplie les petits points de règles qui viennent alourdir l’expérience du jeu de manières souvent peu intuitives (les habitations ou la naissance bonus par exemple)… mais ce sont finalement ces petits points de règles qui lui apportent justement une densité mécanique, qui en font aimer les astuces et qui le rendent mémorable.

Après une première mise en place fastidieuse et d’assez nombreux retours au manuel pour s’assurer qu’on n’a pas oublié telle subtilité ou telle exception, on apprend en effet à apprécier enfin les options tactiques offertes par New York Zoo, bien plus fin qu’attendu (dans la petite asymétrie initiale, dans la gestion des habitats, que l’on peut ignorer à tort, dans l’interaction offerte par les naissances, dans la tension des courses…).

Il manque trop d’élégance pour apparaître comme un grand retour de Rosenberg, et pourtant il est assez évident qu’il n’a pas (cette fois, diront les mauvaises langues) conçu New York Zoo que pour ajouter un titre à sa ludographie mais pour expérimenter d’autres manières originales et intéressantes de susciter des micro-dilemmes autour de sa mécanique-phare de la pose de polyominos.