Unlock! Star Wars et Lastman : le salut d’Unlock! par la licence ?

 

Après sept boîtes de trois scénarios depuis 2017, on peut dire que la très célèbre série de jeux de société Unlock!, qui propose des énigmes scénarisées d’environ une heure et a lancé la mode des escape game de poche, est devenue une licence à part entière. Si elle avait tant frappé dès le premier opus, Escape Adventures, et avait continué de marquer les esprits jusqu’à l’excellente Epic Adventures (et je pense entre autres aux excellentes Exotic et Heroic Adventures), c’est qu’elle avait su si bien concilier narration, énigmes, accessibilité du système (les règles s’en résument en une minute) et ingéniosité dans l’utilisation des cartes et de l’application obligatoire. Or comment rester neuf après 21 scénarios, sans même compter les scénarios de démonstration ?

Dans la conclusion de mon article sur Epic Adventures, j’appelais ainsi de mes vœux de nouvelles surprises, et notamment une densification de la dimension aventureuse des scénarios, par exemple en déclinant un même univers en trois missions. J’ignorais alors que les Space Cowboys (excellents éditeurs des T.I.M.E. StoriesTea for 2 ou de Splendor Marvel) avaient fait encore mieux que devancer ma prière, puisqu’ils préparaient dans l’ombre un Star Wars Escape Game – Un jeu Unlock! (que l’on s’autorisera à simplifier en Unlock! Star Wars), c’est-à-dire non seulement la déclinaison d’un même univers en trois missions, mais le recours à un univers préexistant et aussi riche que celui de la saga Star Wars, à la fois extrêmement permissif (il y a tant à raconter sur un monde aussi vaste imaginé sur une temporalité aussi longue) et rigoureux (Disney veillant bien sûr à la cohérence extrême de tout ce qui se fait autour sa propriété).

Parallèlement à cela, Casterman lançait une intéressante opération promotionnelle, l’offre d’un scénario de démonstration Unlock! Lastman pour l’achat de deux volumes du célèbre manga franco-belge Lastman de Balak, Sanlaville et Vivès, autre tentative de s’appuyer sur un univers préexistant, autre tentative de jouer l’intrigante carte de la double-licence. C’est qu’en mêlant Unlock! à autre chose, on tente bien sûr d’attirer aussi bien les fans d’Unlock! que de la deuxième licence, avec l’objectif de les satisfaire tous et le risque de n’en satisfaire aucun.

Nous tâcherons donc de présenter ces quatre scénarios sans aucun spoiler bien entendu, afin de vous aider à déterminer s’ils peuvent être faits pour vous, que vous aimiez les licences impliquées ou indépendamment !

Les trois scénarios d’Unlock! Star Wars vont du facile au moyen (sans aller jusqu’au difficile donc, contrairement aux boîtes habituelles), dans une volonté affirmée de s’ouvrir à un nouveau public plus amateur de Star Wars que connaisseur d’Unlock!. Vendus ensemble à environ 32 euros, ils occuperont 1 à 6 joueurs (idéalement 2 ou 3, maximum 4 pour ne pas vous marcher sur les pieds tout en profitant pleinement de l’aventure coopérative) de 10 ans et plus pour 35 minutes à une heure. Ils exigeront l’installation d’une application dédiée, différente de l’application Unlock! habituelle, sans doute pour que Disney en garde le contrôle.

En tant que scénario de démonstration conditionné à l’achat de volumes de la bande dessinée, Unlock! Lastman ne s’adresse qu’à 1 à 2 joueurs de 10 ans et plus pour une quinzaine de minutes, en recourant cette fois bien à l’application Unlock!

 

Unlock! Lastman

Scénario de 24 cartes destiné à initier les lecteurs de Lastman à Unlock!, cet Unlock! Lastman n’est évidemment pas fait pour bouleverser les habitués de la licence d’escape games de salon. L’intrigue en est d’ailleurs aussi sommaire, puisqu’il faut parler de personnages connus sans leur faire vivre une aventure trop nouvelle, répétant les bandes dessinées ou inédite et dont il serait donc curieux qu’il ne soit jamais fait mention :

 

 

Les premières cartes expliquent ainsi les rudiments d’Unlock!, toujours pendant que l’on joue, selon les sains principes guidant la conception du jeu depuis ses débuts : objets cachés, machines, association de cartes rouges et cartes bleues…

En craignant le pire, on ne peut cependant qu’être agréablement surpris par l’inventivité déployée par le scénariste de l’aventure, Jeremy Koch, afin de respecter l’essence des Unlock! dans un écrin aussi modeste, entre appel à l’observation fine de ce qui semble n’avoir aucun lien avec les énigmes au premier regard, énigmes assez fines, et même un joli effet waouh à la fin.

Seules les associations rouge-bleu n’ont été intégrées que pour respecter un cahier des charges, mais il faut bien admettre que plus le système d’Unlock! se déploie, plus ces associations paraissent linéaires, le défi ne consistant souvent qu’à comprendre qu’on ne dispose pas encore du bon objet, ou mieux, à comprendre que tel élément est en fait bleu ou rouge. De même que les codes ont disparu et sont revenus, temporairement ou de façon permanente, on se doute que ce mécanisme-clé du système Unlock! va être amené à évoluer pour continuer d’amener la série vers toujours plus de surprises.

Le pari est donc parfaitement réussi pour un Unlock! Lastman qui fait bien mieux qu’on aurait pu l’attendre pour un scénario de démonstration !

 

Unlock! Star Wars

La première confrontation avec Unlock! Star Wars peut s’avérer décevante, aussi bien disposé que l’on soit.

Tout d’abord, malgré le recours à une application dédiée, Unlock! Star Wars ne recourt jamais aux musiques de John Williams dans la bande-son des scénarios ou de l’écran d’accueil. Bien entendu, on joue rarement avec la bande-son, souvent perturbante quand il s’agit au contraire de se concerter et concentrer, mais on ne peut qu’être surpris de retrouver plusieurs mouvements des Planètes de Holst. Heureusement, ces airs bien connus des joueurs d’Unlock! ont été une source d’inspiration importante pour Williams au moment de composer la musique des Star Wars, et vous vous surprendrez peut-être même, en entendant Neptune, à croire soudain entendre la bande originale du film.

Ensuite, Unlock! Star Wars contient… un livret des solutions, addition curieuse et de fait tout à fait inutile… sinon pour les influenceurs tâchant de se rappeler des énigmes au moment d’écrire leur test ! Le système d’indices des différents scénarios est, comme toujours, si bien fait, et les énigmes sont dans l’ensemble si logiques (ce qui ne veut pas dire qu’elles sont toujours évidentes, même si c’est le cas plus souvent que d’habitude), qu’avoir à disposition une telle source de tentations n’aide pas nécessairement à réfléchir posément. On pourrait s’attendre à ce qu’il recèle des surprises pour une énigme… mais non, même pas.

 

 

Enfin, chaque scénario commence par proposer six cartes Avantage, dont on doit choisir trois intitulés sans les retourner. Il me plairait par exemple bien d’être cartographe et expert en hyperespace en plus de disposer d’emblée d’une mise en garde, et tant pis pour le renseignement, la spécialisation en droïdes ou le pilotage expérimenté.

L’idée m’avait a priori emballé : elle apporte une petite touche immersive, et si l’on est deux ou trois, se répartir les avantages donne à chacun l’impression d’avoir sa petite pierre à apporter à l’édifice. Sachez cependant qu’elles n’octroient pas de rejouabilité aux scénario mais servent d’indices pour des énigmes spécifiques.

Non seulement elles spoilent ainsi un peu ce qui va se passer, mais elles facilitent des énigmes normalement faisables sans elles. Après tout, sur six énigmes environ concernées par les avantages, seules trois sont ainsi facilitées plus ou moins au hasard, les autres devant toujours être résolues. C’est bien simple, si vous êtes un joueur un tant soit peu expérimenté d’Unlock!… jouez sans les avantages, et ne les consultez qu’à la fin du scénario pour tout de même comprendre où et comment le jeu tentait de vous aider.

Si cependant vous êtes tout à fait néophyte ou jouez avec des enfants, recourez-y sans hésiter pour le premier scénario et voyez à quel point cela a pu vous être utile pour envisager les scénarios suivants ! On imagine bien des enfants apprécier particulièrement l’idée, d’autant qu’en se sachant expert en droïdes par exemple, on va immédiatement consulter la carte correspondante aussitôt que l’histoire nous confronte à un droïde. Il y a donc bien quelque chose qui fonctionne, mais qui déçoit trop le joueur aguerri pour que l’on puisse considérer que c’est parfaitement au point.

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La Bataille de Hoth

 

 

Sachant les joueurs partagés entre désir de vivre les films et désir d’explorer l’immense reste de l’univers Star WarsUnlock! Star Wars fait l’un et l’autre en proposant dans le premier scénario de revivre les débuts de l’épisode V, à la notable différence près que l’on n’incarne pas un Jedi, et sans maltraitance animale. Un choix paresseux jugeront certains, une jolie manière de répondre à la demande des fans sans systématiser le procédé (les deux autres scénarios sont plus originaux) jugeront d’autres, dont je fais bien sûr partie.

Je regretterais seulement que l’on n’incarne justement pas un Jedi, mais un rebelle quelconque, et qu’aucun des trois scénarios ne nous mette dans la peau d’un personnage utilisant la Force. On aurait très bien pu imaginer disposer d’emblée de deux ou trois cartes Pouvoir bleues (suggestion télépathique et télékinésie par exemple), à combiner de temps à autre avec des événements rouges… Mais ma foi, au moins on ne pourra pas dire que Unlock! Star Wars fait dans le fan service facile avec trois scénarios ne mentionnant jamais les Skywalker !

Le scénario n’est curieusement pas si immersif que cela, alors que la notion de survie paraissait centrale. Les auteurs ont donné la priorité aux péripéties, concrétisées sous la forme d’une succession d’énigmes, qui désincarnent évidemment un peu le récit, tout de même satisfaisant bien que classique et assez attendu.

Si l’on excepte une fonctionnalité du téléphone qui n’a pas marché alors que tout était paramétré pour qu’elle marche, nous privant de l’effet waouh prévu (mais véritable chez qui cela fonctionne, en particulier les néophytes), lesdites énigmes étaient très faisables sans être désespérément faciles, linéaires mais de la difficulté attendue de la part d’un premier scénario, et surtout assez variées pour donner l’impression d’accomplir quelque chose d’assez complet.

 

 

Un Retard inattendu

 

 

Après les rebelles, les contrebandiers, dans un véritable retour aux origines puisqu’il faut s’échapper d’une pièce puis s’enfuir d’un vaisseau, fidèlement aux préceptes de l’escape room dont les Unlock! étaient tout de même initialement la tentative d’émulation avant d’enrichir la dimension de decksploring.

Que l’on retrouve dans cet Unlock! Star Wars les codes/cartes jaunes qui avaient pourtant disparu des boîtes classiques fait ainsi particulièrement sens ici, et je dois dire que ce retour est plutôt appréciable parce qu’Unlock! sait trouver de jolies manières de présenter les quatre chiffres à dénicher.

Le scénario déçoit un peu en ce qu’il est bien plus simple et linéaire que ce que l’on attend ordinairement d’un second scénario. On s’y laisse beaucoup porter, ce qui n’empêche pas l’aventure d’être assez fraîche et agréable d’ailleurs, mais sans être transporté, d’autant que son sympathique point d’orgue technologique reste du niveau du gadget.

Finalement, on peut estimer que le premier scénario est une bonne initiation développée, quand ce deuxième scénario est un bon premier scénario.

 

Mission secrète sur Jedha

 

 

Le troisième scénario nous fait incarner le troisième camp, celui des Impériaux, ce qui donne lieu à une très jolie idée : puisqu’on y est un simple agent en mission, il faudra régulièrement tenir nos supérieurs au courant de notre progression, de sorte qu’ils pourront nous donner de nouvelles instructions voire des informations nous aidant pour la suite. Ce n’est pas si parfaitement convaincant parce que le signal nous invitant à contacter la base est un gros symbole présent sur plusieurs cartes, et qu’il suffit donc de l’oublier, par exemple quand on dévoile cinq cartes d’un coup en s’arrêtant trop vite sur chacune, pour ne plus tout à fait savoir si on a déjà prêté garde à ce symbole ou pas. Or on peut vite être tout à fait bloqué sans avoir contacté la base au moment opportun, de même qu’il faut absolument éviter de la contacter deux fois à cause du même symbole. Un risque un peu grand pour une action un peu mécanique, mais ingénieuse.

S’il manque un peu cruellement d’effet waouh, pourtant espéré dans une troisième énigme, remplacé par un mini-jeu logique rappelant tristement Le Dernier Conte de Shéhérazade (dans Exotic Adventures, moment insipide d’un très chouette scénario), il fait en dehors de cela tout ce que l’on aime : table bien recouverte de cartes entre lesquelles on essaye de créer du sens, nombreuses rencontres, plusieurs codes paraissant logiques, intrigue modeste prenant progressivement de l’ampleur au point qu’on finit un peu déçu d’arriver à la fin, forcément abrupte après la montée en puissance, enfin un timing serré… Notons d’ailleurs que nous avons dépassé l’heure de quelques minutes et subi quelques pénalités de codes manqués, et que l’application nous a quand même octroyé le meilleur score en nous comptant 55 minutes, curieux.

Pour pinailler, disons que le scénario fait appel à l’exploration d’une façon un peu brouillonne, au moyen de l’habituel élément présent dans la boîte mais dont je ne vous dirai rien, puisqu’on ne peut l’ouvrir que quand le scénario nous y autorise. Alors que commencera la deuxième moitié de l’intrigue, vous pourrez ainsi sentir en la répétitivité, d’autant que pour résoudre certaines cartes, il faudra chercher partout.

Un bon scénario cependant, riche, touffu et varié, justifiant à lui seul l’appel à la mythologie Star Wars.

 

Unlock! Star WarsUnlock! avait-il besoin de ça ?

Unlock! Star Wars essuie beaucoup de critiques parce que le recours à la licence de Disney l’expose évidemment aux reproches de fan service et d’opportunisme bankable – surtout quand les Space Cowboys publient parallèlement une rethématisation Marvel du classique Splendor. Il serait naïf de s’aveugler sur l’intérêt que peut avoir un éditeur à exploiter un univers aussi apprécié quelques mois avant Noël.

On notera cependant l’effort consenti pour ne pas céder au fan service, au risque même d’une certaine frustration : on évoque au mieux Jabba et Saw Gerrera sans jamais rencontrer aucun personnage de la saga ni avoir affaire à la Force par exemple. Les scénarios nous mènent cependant sur Hoth, où l’on revit les débuts de L’Empire contre-attaque, dans la Bordure extérieure et sur Jedha (vue dans Rogue One), dans la peau d’un rebelle, d’un contrebandier et d’un agent impérial, parvenant à un subtil équilibre afin d’offrir aux joueurs ce qu’ils veulent retrouver et ce qu’ils veulent découvrir tout à la fois.

Si je salue l’utilisation d’un univers préexistant pour densifier les scénarios d’Unlock!, une belle manière d’en réinventer le potentiel narratif, force est de constater qu’en termes de difficulté, cet Unlock! Star Wars s’adresse aux amateurs de Star Wars avant de concerner les amateurs d’Unlock!.

Les premiers y découvriront une passerelle extraordinaire vers les 7 autres boîtes, tandis que les autres pourront être frustrés par leur linéarité et la relative absence d’effet waouh, et se consoleront peut-être en la voyant comme un intermède entre la septième boîte (Epic Adventures) et la huitième, très prometteuse (Mythic Adventures).

Au point d’en faire la pire (ou simplement la moins bonne) boîte d’Unlock! ? La remarque me paraît injuste : on a vu des boîtes plus courtes encore et des scénarios moins inspirés. On peut constater les limites d’Unlock! Star Wars sans être obnubilé par ses préjugés pour ou contre la licence, et en appréciant au contraire, avec ses qualités mécaniques, la sincérité avec laquelle il exploite un univers pour nous inviter à en explorer autrement la magie.