Cléopâtre et la Société des Architectes : jeu sur-édité ou super-édité ?

 

La question peut apparaître comme un marronnier, mais il suffit de voir l’énorme boîte du Cléopâtre et la Société des Architectes de 2020, réédition d’un titre de 2006 avec une boîte… plus de deux fois plus grande, pour qu’elle s’impose invinciblement. Un joueur plus érudit que moi pourra sans doute trouver des contre-exemples, mais je ne connais pour ma part simplement pas d’œuvre familiale (le jeu est accessible à partir de 10 ans) aussi monumentale, au point qu’il soit surprenant qu’elle ne soit vendue « que » 54 euros.

Déjà s’agirait-il de déterminer ce qui justifierait de parler d’un jeu « sur-édité ». Chacun ne placera pas son seuil de tolérance à la même hauteur, mais je dirais qu’un jeu sur-édité est un jeu matériellement si sophistiqué, si grandiose, que cela nuit au produit, parce que cela empiéterait sur sa jouabilité par exemple (on pense au superbe Save the Meeples où l’on peine à tout voir et à avoir accès à tout) ou que l’inadéquation entre le thème, les mécaniques et le matériel bloquerait notre implication, donnant l’impression trop forte d’un immense gâchis.

Une telle définition appelle à la mesure : un jeu relativement simple peut être sublimé par une édition extraordinaire, et en a d’ailleurs parfois besoin pour se faire remarquer, et certains excès peuvent sembler assez en phase avec la démarche du jeu pour que l’on soit sensible à ce qu’ils apportent. La Forêt des frères Grimm est un bon exemple de jeu familial assez (voire très) chaotique, laissant donc attendre une boîte relativement simple, mais possédant l’un des plus beaux thermoformages que je connaisse pour accueillir de sublimes figurines en fait parfaitement inutiles (de petits jetons voire la simple pose des cartes qui les invoquent les remplaceraient bien) et quantité de cartes aux illustrations uniques et superbes. C’est probablement trop, et pourtant je ne lui reprocherais pas d’être sur-édité parce qu’il parvient malgré cette débauche éditoriale à être vendu 41 euros, et que l’on est enchanté en jouant par l’inépuisable beauté du matériel et par sa cohérence avec l’univers enchanteur des contes.

 

 

Sera-t-on aussi séduit par Cléopâtre et la Société des ArchitectesA priori, il y a autant d’arguments pour que contre : d’un côté, cette réédition est le premier projet du studio états-unien Mojito Games pour un KS pharaonique ayant collecté plus de 350 000 dollars auprès de 3679 contributeurs, ce qui peut paraître d’autant plus ridiculement opportuniste que l’éditeur original du jeu (Days of Wonder, responsable des Aventuriers du Rail, de Five Tribes, de Small World) n’est mentionné nulle part, et refaire en 2020 un jeu de 2006 peut laisser redouter des mécaniques désuètes.

D’un autre côté, Cléopâtre et la Société des Architectes est tout de même conçu par l’inénarrable Bruno Cathala (ImaginariumQueendominoOkiyaAbyssKanagawa…) avec Ludovic Maublanc (Oh mon Château, Draftosaurus, Arkeis), son collaborateur de Mr. Jack, Mr. Jack Pocket, Kingdomino Duel et Cyclades, qui n’ont accepté sa réédition qu’à condition de pouvoir le retravailler ; il est illustré par le trop rare Miguel Coimbra (Small World7 WondersAllégeance), qui remplace Julien Delval, et localisé par les Lucky Duck Games, dont on sait à quel point ils savent choisir les jeux originaux et étrangers à éditer (récemment L’Île des ChatsTang GardenMargraves de ValeriaChronicles of Crime, bientôt enfin Kingdom Rush et Time of Legends : Destinies).

Face à tant de raisons d’aimer et de craindre Cléopâtre et la Société des Architectes, il va donc bien falloir cesser de tenter de préjuger du jeu pour le tester vraiment ! Explorons donc ensemble le chantier du palais de Cléopâtre, où 2 à 4 architectes tenteront de satisfaire la Reine par une construction qui ne dépassera pas une heure – et sans une minute de retard !

 

Un chantier pharaonique

Si vous achetez Cléopâtre et la Société des Architectes, ce sera assurément d’abord pour son matériel. Non pas d’ailleurs que vous accepteriez un mauvais jeu, les règles n’ont simplement plus d’importance une fois confronté au monument qu’est la boîte, puis à l’hallucinant étalement des pièces. C’est que la boîte de ce Cléopâtre n’est pas seulement plus de deux fois plus grande que l’ancienne, elle n’a de plus pas besoin de l’habile subterfuge consistant à être utilisée comme palais, le nouveau palais étant désormais tout à fait extérieur à la boîte et plus gigantesque que jamais.

Dès le début de la partie on fera d’ailleurs face à la place du Sphinx sur la première case de laquelle Cléopâtre patiente, une piste menant déjà à une structure surélevée sur laquelle prend place un jardin. C’est déjà très joli tout en s’avérant un peu désespérant de vacuité. Disposer tout autour les superbes colonnes, portes, sphinx, trône, piédestal, obélisques et mosaïques sert alors autant à mettre à notre disposition les éléments qu’il faudra bien manipuler qu’à nous inciter puissamment à faire œuvre d’architectes en embellissant grâce à eux la base prometteuse offerte à nos yeux.

 

 

Ces pièces ne s’emboîteront d’ailleurs pas toujours parfaitement, des petites failles continuant de séparer les portes ou les colonnades au cours de la construction. On pourra le regretter tout en constatant que cela n’affecte pas le tableau d’ensemble, et en admirant le soin extrême apporté au détail. Les mosaïques représentent par exemple de fort jolis motifs, tandis que les éléments en fausse pierre taillée sont couverts d’effets de matière et de bas-reliefs, pour un jeu fait aussi bien pour être contemplé de loin que de près, et constituant une forte invitation à la peinture !

En comparaison, les pyramides cartonnées que chaque joueur plie devant lui et l’absence de toute réserve pour les scarabées (qui servent à la fois de monnaie et de points de victoire) et les amulettes de corruption font évidemment un peu cheap, quand on les aurait accepté sans se poser la moindre question de la part de n’importe quel autre jeu. Naturellement, des upgrades en étaient proposés dans le KickStarter (sacs en faux velours, pyramides rigides en plastique), mais croyez-moi, vous avez déjà de quoi être surpris pour n’avoir déboursé « que » 54 euros !

Si l’on excepte le déballage des pièces, la mise en place est d’ailleurs extrêmement simple : les joueurs ne prennent guère qu’une pyramide, deux statues d’Anubis dont le socle rappelle le propriétaire, trois cartes et cinq scarabées, tandis que le plateau Adorateurs de Sobek accueille au centre de la table les cinq tuiles Adorateurs dans un ordre aléatoire ainsi qu’une carte sur chacun des trois emplacements du marché. Petite originalité, deux tiers du paquet (à vue de nez) sont face visible, de sorte qu’en disposant les cartes sur le marché, certaines seront cachées et d’autres connues, amusant !

 

Construction et corruption

Un tour de Cléopâtre et la Société des Architectes ne consiste qu’à réaliser une action parmi deux.

On peut d’abord se fournir en ressources et artisans au marché, en prenant l’ensemble des cartes de l’un des trois étals. Puis on repose une carte de la pioche sur chaque pile, celle où l’on s’est servi et les deux autres. Vous ne lésez ainsi jamais vraiment un adversaire, puisque même en prenant une carte désirable pour tous (comme un artisan en fin de partie), rien ne vous assure qu’un autre artisan n’apparaîtra pas, et en créant ainsi des étals de trois, quatre, cinq cartes, passer après tout le monde peut aussi signifier que vous pourrez largement enrichir votre main !

On se méfiera seulement de la limite stricte de 10 cartes en main, dont il est difficile de se contenter. La dépasser impose de défausser l’excédent… ou de placer dans sa pyramide une amulette de corruption par carte surnuméraire conservée. Et comme vous vous en aviserez très vite, autant au commencement du palais il vaudra mieux se contenter de la limite généreuse de 10 cartes, autant vers son achèvement il y aura de fort belles actions à commettre en vous laissant séduire par Sobek…

 

 

Une fois bien approvisionné, on pourra réaliser sereinement l’autre action, la construction du palais, en se fiant à sa feuille résumé. Un sphinx exige par exemple de défausser un artisan et deux ressources identiques, un obélisque coûte trois artisans et quatre ressources identiques, le piédestal ou le trône revient à la bagatelle de trois artisans et quatre ressources différentes… Tant que l’on possède assez de cartes, plusieurs constructions sont possibles dans le même tour, et il sera parfois judicieux d’économiser pour construire beaucoup en un tour si vous ne voulez pas aider vos adversaires à votre détriment.

C’est que chaque élément rapporte des points de façon différente, mais toujours relative à son environnement. Poser un sphinx octroie par exemple trois scarabées, plus un par autre sphinx dans la même rangée. L’obélisque octroie 10 points plus 2 par sphinx dans sa rangée. Un bloc de colonnes vaut 3 scarabées, plus 1 par mosaïque à laquelle sa frise est adjacente. Le piédestal ou le trône donnent 10 scarabées et 2 de plus par mosaïque adjacente (enfin 2 selon l’aide de jeu et 1 selon le manuel, mais la première valeur est plus plausible)… Inutile de dire que si vous finissez une jolie rangée de trois sphinx, vos rivaux n’auront aucun scrupule à en profiter pour ériger un obélisque au bout, de même qu’il faudra bien songer, en jouant vos mosaïques, à la possibilité ou non pour les autres de construire des colonnes à proximité…

Les mosaïques ont un fonctionnement particulier, puisqu’il s’agit de polyominos de cinq cases que l’on place librement sur le jardin. Elles rapportent 1 scarabée par buisson qu’elles recouvrent, et rentabilisent largement les piédestal, trône et colonnes. Si l’on pose une mosaïque, de sorte qu’aucune autre mosaïque ne puisse être placée dans un espace ainsi clos, on peut aussi renoncer au gain de buissons pour placer l’une de ses statues d’Anubis sur ce sanctuaire. On verra bientôt à quel point elles sont indispensables…

Cette érection d’un palais commun est pour moi le premier des deux grands charmes mécaniques de Cléopâtre et la Société des Architectes, parce que je trouve formidable cette idée que chaque placement influence la désirabilité des placements suivants pour l’ensemble des joueurs. Et puis qu’il est fantastique de se voir en véritable constructeur du palais, en prenant matériellement les pièces et en les plaçant soi-même dans la construction monumentale !

 

 

Le cycle d’approvisionnement et construction pourrait paraître répétitif si les auteurs n’avaient pas envisagé de quoi le pimenter. Tout d’abord par la présence de cartes corrompues, valant 2 ressources identiques ou 1 ressource au choix, mais dont la pose entraîne la récupération d’une amulette.

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Ensuite et surtout par la possibilité en guise d’action supplémentaire facultative de faire appel à l’un des cinq adorateurs de Sobek :

  • l’Architecte octroie 4 scarabées par pièce construite ce tour-ci par le joueur.
  • le Visir (pourquoi pas Vizir ?) permet au même tour de se rendre au marché et à la carrière.
  • le Marchand permet de construire avec 2 ressources de moins.
  • le Contremaître permet de construire avec 2 artisans de moins.
  • le Mendiant permet de piocher 4 cartes.

Chaque adorateur se situe sur une case représentant son coût : 3 scarabées, la récupération d’1, 2 ou 3 amulettes. En faisant appel à lui, on le retire de la file et on le replace à la fin, donc sur l’emplacement le plus onéreux, en faisant coulisser les adorateurs les plus chers vers des cases moins chères. Une jolie idée pour faire varier la désirabilité d’un adepte, et pour que le recours peu coûteux à l’un puisse être dangereusement profitable aux autres. Si j’évite à tout prix de faire appel à un adepte rapportant 3 amulettes et évite grandement ceux qui en rapportent 2, l’Architecte est irrésistible quand il ne coûte que 3 scarabées, tandis que je ne me prive jamais d’un Vizir ou d’un Mendiant contre 3 scarabées ou 1 amulette !

 

 

Cléopâtre avance d’abord si lentement que l’on croirait la partie interminable, parce que l’on place des pièces diverses sans finir d’utiliser toutes celles d’un seul type d’élément. Viendra cependant un moment où son mouvement s’accélérera, et où elle sautera de la troisième à la quatrième case. Il sera alors temps de faire une offrande au Grand Prêtre. Tous les architectes dévoilent simultanément une quantité de scarabées de leur réserve dont ils se défaussent. Celui qui en a défaussé le plus se débarrasse également de 3 amulettes. Le deuxième prend 1 amulette, le troisième en prend 2 et le dernier en prend 3.

Ce qu’il y a de formidable avec cet événement, au-delà de la soudaine nouveauté dont elle ponctue la partie, c’est à quel point il implique tous les joueurs. Prendre 3 amulettes est excessivement dangereux, tandis qu’en perdre 3 est follement avantageux et peut mériter bien des sacrifices. Or le trésor de chacun est secret tout au long de la partie (ce qui peut s’avérer pénible quand on doit compter ses scarabées ou les échanger contre des jetons de valeur inférieure au moment de faire la monnaie… un paravent ou un petit coffre auraient été bienvenus). On doit donc tenter d’évaluer selon la progression de chacun et son attitude combien il a pu miser pour ne pas dépenser beaucoup plus qu’eux, et ne surtout pas être à la traîne…

 

 

La partie s’achève quand Cléopâtre arrive à la cinquième case de sa piste (ce qui signifie qu’un type d’élément ne sera pas entièrement construit, de quoi assurer un peu plus de variété des parties et un peu de liberté jusqu’à la fin). On finit le tour de table (ou tous les autres joueurs ont encore un tour, la règle est ambigüe mais on penchera sur la première hypothèse parce qu’elle est plus habituelle) et on passe au décompte… assez délicieux. Bien sûr bien sûr on finira par compter les scarabées, mais pas tout de suite.

Puisque la construction est commune, et que l’on participe donc ensemble à faire progresser Cléopâtre, que l’on joue à 2, 3 ou 4 architectes n’a pas d’incidence sur la longueur de la partie. On jouera seulement… deux fois moins à 4 qu’à 2, et c’est bien pourquoi les auteurs ont renoncé à laisser jouer leur jeu à 5. Si je recommandais de le pratiquer à 3 ou 4, c’est que l’on contrôle trop le jeu à 2, et que cela accentue la dimension répétitive de Cléopâtre et la Société des Architectes, où les tours alternent avec des actions similaires, au point que la partie peut sembler plus longue que quand le même temps est réparti entre 3 joueurs, laissant la place à plus d’incertitude, et à une course plus tendue.

 

 

Chacun défausse d’abord les cartes encore en main, et prend une amulette par carte corrompue qui s’y trouvait. Facile, il suffit de tenter de dépasser la limite de 10 et de défausser ses cartes corrompues à l’approche de la fin de la partie, pas vrai ? Sauf que c’est précisément en fin de partie que l’on commence à utiliser les cartes corrompues, alors qu’y recourir trop tôt ne présage rien de bon pour la suite.

Puis on place une de ses amulettes sur chaque case du jardin revendiquée comme sanctuaire. Notons que les règles sont d’une redoutable imprécision quant à ce que l’on considère comme faisant partie du sanctuaire, les jardins uniquement (probable) ou également les cases recouvertes par les mosaïques (moins probable, mais thématiquement logique et pas spécifiquement interdit). On conçoit mieux en tout cas la nécessité d’en avoir un ou deux, parce que cela permet de compenser bien des appels aux adeptes de Sobek ou des mains élargies…

On compte alors les amulettes restantes. Celui qui en a le moins les défausse toutes, et chacun en défausse ensuite autant. C’est alors qu’arrive la partie amusante : un joueur possédant encore 1/2/3/4/5/6/7 amulettes doit défausser 1/3/6/10/15/20/25 scarabées. Autant dire qu’avec plus de trois amulettes à ce stade, il est pratiquement certain que la partie est perdue. Et au-delà de 8… on est simplement jeté aux crocodiles, donc privé de tout décompte et éliminé de la partie ! Vous trouvez cela frustrant ? Imaginez que dans la mouture de 2006, on jetait aux crocodiles le joueur ayant le plus d’amulettes, y compris s’il en avait une seule de plus que les autres, amusant, mais vraiment injuste.

Cette gestion de la corruption m’apparaît comme la deuxième très bonne idée de Cléopâtre et la Société des Architectes. Contrairement à d’autres jeux, vous auriez grand tort de ne pas du tout vous laisser corrompre pendant la partie, la pureté n’est même pas une stratégie viable. Si l’on tempérera la séduction du Mal, ce n’est pas à cause de grands principes moraux, mais seulement en observant attentivement la corruption de nos rivaux. Puisqu’elle est cachée, on en aura une meilleure impression à 2 qu’à 4 bien sûr, mais la quantité exacte d’amulettes adverse n’a pas réellement d’importance tant que l’on reste dans une fourche juste assez proche pour se permettre une ou deux folies – je me souviens encore d’un coup à 32 scarabées qui m’avait imposé de recueillir 6 amulettes, mais avait évidemment fait la différence.

Enfin on compte les scarabées pour faire triompher celui qui en a le plus ! Pas de règle pour départager les égalité d’ailleurs, même pas de mention d’un partage de victoire en cas de scores identiques, sans doute parce que c’est rarissime, mais avouons que c’est inhabituel, surtout sur un titre tout de même relativement familial.

 

Cléopâtre et la Société des Architectes, le plus royal des jeux familiaux ?

Cléopâtre et la Société des Architectes est le remake deluxe/XXL d’un jeu familial remarqué de 2006. Une boîte deux fois plus gigantesque que la précédente contient en effet tous les éléments pour construire un grand palais tridimensionnel, que les éditeurs ont su particulièrement soigner afin qu’il ne se résume pas à un mauvais jouet, chaque pièce étant couverte de hiéroglyphes, bas-reliefs, frises et motifs divers, un plaisir pour les yeux et une superbe invitation à se mettre à la peinture pour sublimer le tout.

Naturellement issue d’un KickStarter, cette démesure pourrait légitimement faire craindre un excès plastique mal justifié par le jeu lui-même, et destiné exclusivement à flatter les regards des backers. Or le matériel EST le jeu : les mécaniques trouvent du sens dans cette débauche matérielle, et réduire la part de l’un revient à réduire la part de l’autre. Alors c’est clivant, c’est cher, c’est inhabituel, surtout pour un jeu relativement familial, mais cela a du sens.

C’est que Cléopâtre et la Société des Architectes est un jeu de construction d’un immense palais pour la reine Cléopâtre. Les joueurs incarnent des architectes cherchant à contribuer le plus possible à cette érection monumentale, et posant donc alternativement les pièces de la carrière sur une structure initialement sobre, puis toujours plus merveilleuse.

L’idée d’une construction commune a plusieurs impacts mécaniques évidents : chaque pose d’une nouvelle pièce rapproche de l’achèvement du palais et donc de la fin de la partie, de sorte que la partie dure aussi longtemps à 2 qu’à 4, le nombre d’actions réalisées par chaque joueur n’étant évidemment pas le même selon la configuration ; et l’on est en compétition constante pour les pièces, chacune scorant de manière particulière, mais en fonction des autres pièces placées…

Bruno Cathala et Ludovic Maublanc y ajoutent une ingénieuse mécanique de corruption, décuplant les possibilités des joueurs prêts à accepter l’aide de Sobek… une aide qui peut cependant s’avérer très coûteuse en fin de partie à celui qui en profite beaucoup plus que les autres. Il n’y a ainsi pas de degré absolu de corruption, mais celle-ci ne pénalise que relativement au degré de corruption de ses rivaux, dont il faudra scruter les actions avec le plus grand intérêt pour deviner à peu près combien d’amulettes de corruption ils cachent dans leur pyramide et donc ce que l’on peut se permettre pour transformer un tour relativement simple en action redoutable.

Ce jeu pharaonique, sans mauvais jeu de mots (enfin si, un peu), frappe aussi par son honnêteté : on n’y retrouve pas de faux solo, pourtant un passage obligé en 2020, pas de pseudo-variantes coopératives ou en équipes, les auteurs ont même permis de le pratiquer à deux (ce qui n’était pas possible dans la version précédente) en retirant cependant la possibilité de le pratiquer à cinq… C’est qu‘ils ont tenu à être fiers de leur jeu aujourd’hui comme ils l’avaient été en 2006, avec les ajustements requis par l’évolution du jeu de société et par le recul, une démarche louable qui aboutit à un jeu familial très satisfaisant à 3 ou 4 architectes notamment et matériellement extraordinaire.

 

 

Je n’ai jamais joué au premier Cléopâtre et la Société des Architectes, largement antérieur à mon entrée dans le monde du jeu de société, et n’ai donc pas tenté de vous dresser un artificiel comparatif… surtout quand vous pouvez lire directement ce qu’en dit Bruno Cathala himself ou voir Martin de la Société des jeux commenter un déballage des deux boîtes devant vous !

 

1 COMMENTAIRE

  1. Très bel article, très complet…J’ai financé le jeu en KS sur la base de la 1ère version que j’aime beaucoup…J’ai eu quelques craintes que la version 2 fasse doublon, mais il n’en est rien…entre les modifications de règles et les améliorations matérielles, les deux jeux finissent par avoir une identité propre… J’explique les différences dans ma petite vidéo : https://youtu.be/e5npCxbrHT4