RagnaRok Star : le plus grand concert de rock vous ouvrira le Valhalla !
Entendre parler d’un premier jeu, a fortiori auto-édité, fait naturellement naître des sentiments paradoxaux. D’un côté, on redoute l’amateurisme, de l’autre, on se dit qu’avec 3000 nouveaux titres par an, les auteurs ayant l’audace d’en publier un de plus ont dû s’assurer d’apporter quelque chose de frais et de solide, qui ne « polluerait » pas le marché mais serait issu d’un long travail de conception et de tests. Or on a d’emblée envie d’aimer le RagnaRok Star de Dan Thouvenot et William Aubert, deux amis de longue date ayant fondé Perte & Fracas pour permettre à leur œuvre d’exister, avec l’aide graphique d’Alexandre Gimbel et Ludovic Rouy.
C’est que l’on y incarne des groupes de rock détournant les noms d’ensembles mythiques (Green Dead, Yellow Tambourine, Red Zeppelin et Blue Sabbath)… à l’époque des vikings, et tentant de racoler des fans sur quatre îles à l’effigie des Pink Floyd, des Rolling Stones, de Motörhead et de Kiss. Délicieux, non ? On ne s’étonne pas que sa campagne KickStarter ait été financée dès son lancement par 500 contributeurs, d’autant qu’il reste 3 semaines (jusqu’au 21 juillet) pour participer et débloquer du contenu supplémentaire !
Vendu 33 euros, RagnaRok Star s’adresse à 2 à 4 leaders de groupe de 10 ans et plus pour des parties de 30 à 45 minutes, rarement plus.
Notez que mon avis repose sur un prototype envoyé par les auteurs/éditeurs, de sorte que quelques modifications pourraient être apportées aux règles ou au matériel quand la version finale sera livrée, vers avril 2021. Quand je complimente sa qualité, il va cependant de soi que je parle bien de la qualité du prototype, pas de celle de l’hypothétique promesse de ce à quoi le jeu devrait ressembler. Le « véritable » Ragnarok Star ne peut donc être que meilleur que ce que j’ai eu entre les mains, et qui était déjà très abouti.
Une Scandinavie très rock
L’ouverture de la boîte (ou le visionnage de son contenu) est en soi un argument en faveur de RagnaRok Star.
On commence en effet par installer le plateau central en double-layer, c’est-à-dire à deux couches, créant un relief du meilleur effet. Quatre îles y apparaissent. Sur l’une, on place 3 fans de couleurs différentes ; sur les deux adjacentes, 1 fan de l’une de ces couleurs et 1 fan de la quatrième ; sur la dernière, un unique fan de la seule couleur qui n’était pas encore représentée deux fois. Les autres meeples Fan constituent la réserve.
Chacune de ces îles est dotée d’un port, mais celui de l’île aux trois fans est bloqué par une tuile de glace, tandis les deux îles opposées sont reliées par une autre tuile de glace.
Au centre du plateau, chaque joueur est représenté par un drakkar, et il prend également une salle de concert, également en double-layer, chaque siège étant creusé pour accueillir un fan, une tablette de band, un marqueur Œil et un feutre effaçable.
Enfin, chaque viking pioche trois cartes Contrat, en conserve une et défausse les deux autres. Les autres cartes Contrat, la pile de 8 cartes Jeunes Fans et celle de 8 cartes Vieux Fans sont placés à portée des joueurs, et on retire secrètement une carte de chacune de ces deux piles pour assurer une très légère part d’imprévisibilité.
Une certaine impression de luxe se dégage du tout, non que le matériel soit présent en profusion ou très varié, mais on ose rarement attendre d’un jeu coûtant une trentaine d’euros un plateau principal et des plateaux personnels en double-couche, des plateaux personnels sur lesquels on peut écrire, des feutres, des meeples personnalisés… Si l’on est si favorablement disposé d’emblée, c’est aussi que ce ballet de couleurs et de formes est très engageant dans ce qu’il dégage de familial et de fun. Cette impression va-t-elle se confirmer ?
Racoler des fans, tout un programme
Une partie de RagnaRok Star dure 7 manches, et chacune de ces manches est composée de quatre phases.
La première, la plus importante, est celle de programmation.
Les joueurs inscrivent en effet secrètement sur leur tablette de band quelle action va réaliser chaque membre de leur groupe et dans quel ordre. Chaque membre possède en effet trois capacités, et ne peut en réaliser qu’une. Ainsi, sous l’une des trois capacités d’un membre on inscrira un 1, sous l’une des trois capacités d’un autre membre on inscrira un 2, etc., jusqu’à 5.
Si l’on programme ainsi une action de déplacement du drakkar avec l’un des deux premiers membres, il faut également cocher l’île de destination. Une plage blanche permet enfin de prendre des notes en cours de partie.
On dévoile alors la première carte de la pile de jeunes fans et la première carte de la pile de vieux fans, et on pose les fans correspondants sur les îles indiquées.
Puis on révèle les tablettes de band afin de résoudre simultanément l’action 1, puis 2, etc. Il peut s’agir :
- de piocher trois cartes Contrat, d’en conserver une et de reposer les autres.
- de regarder secrètement la prochaine carte de l’une des deux piles, puis d’y poser notre œil de Marlinmansson (empêchant un joueur de regarder la même pile plus tard dans la manche), que l’on récupèrera à la fin du tour.
- de racoler des fans sur l’île où se trouve notre drakkar, du type (fille jeune, garçon jeune, homme vieux, femme vieille) et de la quantité (1 ou 2) cochées sur la tablette. Si le drakkar est amarré à une île reliée à une autre et que l’on avait choisi un racolage double, on peut prendre un seul fan sur l’île adjacente à la place. Si plusieurs joueurs racolent au même moment les mêmes fans d’une île, ils se les répartissent équitablement et laissent sur l’île ceux qui ne peuvent pas être attribués. Bien sûr, les fans placés dans notre salle de concert peuvent donner une bonne indication de nos prochains mouvements. Il faut donc tenter de ne pas trahir trop vite nos intentions, sans pour autant laisser passer des occasions de compléter nos collections, pas si évident !
- de déplacer notre drakkar vers le port d’une île non-bloquée par la glace.
- de déplacer notre drakkar vers n’importe quel port, l’ampli de David Bowing permettant de survoler les éventuelles glaces.
- de prendre la troisième tuile de glace, celle qui n’est pas posée sur le plateau (y compris si on la possédait déjà).
- de voler un fan de son choix à un joueur présent dans le même port, une action qui a lieu après les autres afin de prendre en compte l’éventuelle protection ou déplacement des adversaires.
- de protéger ses fans contre un vol jusqu’à la fin du tour.
Si cela semble faire beaucoup de possibiités à prendre en compte, souvenez-vous que chaque membre n’a accès qu’à trois actions, les mêmes pour chaque joueur. La programmation de l’ordre des actions pourra bien susciter un peu d’analysis-paralysis, mais on repèrera vite ce que l’on veut faire en priorité et ce qui est moins important.
Il faut tout de même saluer la conception des différentes actions, les auteurs ayant relevé le défi de nous faire attacher de l’importance à l’ordre de chacune d’elles, à la seule exception de la prise d’un nouveau contrat. Même la récupération de la troisième tuile de glace, qu’il vaut a priori mieux garder pour sa dernière action afin de passer après tous les autres, échoue si deux joueurs ont la même idée. Par ailleurs, la question de racoler ou de voler un fan avant ou après un déplacement dépendra largement de votre capacité à décrypter le bluff de vos adversaires, tandis que la possibilité de savoir où apparaîtront les prochains fans atténue le hasard du jeu…
C’est alors que se pose la complexe question du nombre idéal de joueurs pour profiter de Ragnarok Star. Constatons en tout cas qu’il est satisfaisant dans toutes les configurations, à la fois à deux où il s’avère plus équilibré, et amusant parce qu’on se cherche beaucoup, et à quatre, où il parvient à être délicieusement chaotique.
Enfin, celui qui détient la troisième tuile de glace retire l’une des deux tuiles présentes sur le plateau, la donne au joueur de son choix (qui devient ainsi le nouveau Maître des glaces), et place la sienne sur l’un des trois emplacements vides.
Certains contrats peuvent être remplis au cours de la partie, et sont donc dévoilés aussitôt, comme « Surfing with the Viking » qui demande de déplacer deux fois son drakkar au cours du même tour, ou « Highway to Valhalla » qui propose d’offrir un fan à un adversaire.
La partie de Ragnarok Star s’achève après la septième manche, après la résolution des actions consécutive à la révélation de la septième carte des piles de jeunes et de vieux fans.
On déploie alors la piste de score, au fond facultative mais fort jolie, où l’on fait avancer notre drakkar d’une case par colonne de 5 fans identiques dans notre salle de concert, d’une case par ligne de quatre fans différents, et d’autant de cases que le nombre d’étoiles apparaissant sur les contrats remplis – « Kings of Rock » demande par exemple d’avoir 12 fans masculins dans sa salle de concert en fin de partie, « Back to the Jungle » exige de se trouver sur l’île de Pinfloidjik en fin de partie avec 7 vieillards dans sa salle…
En cas d’égalité, le vainqueur est celui qui a réuni le plus de fans, ce qui donne du sens au fait d’en collecter plus que ce qu’il faut pour compléter une colonne, les fans surnuméraires ne rapportant aucun point mais alimentant la fosse.
RagnaRok Star, un jeu pour le Valhalla ?
Dans RagnaRok Star, les joueurs incarnent des groupes vikings de rock tentant de racoler le plus de fans possible afin qu’Odin leur confie un concert au Valhalla. Si ces prémices vous paraissent fun, vous n’avez rien vu des détournements continuels de noms d’ensembles ou de titres de chansons à la sauce nordique, qui feront le régal de tout mélomane, même doté d’une culture rock basique.
Cet amusement thématique est un liminaire au plaisir que RagnaRok Star provoquera mécaniquement, puisqu’il s’agira de déplacer vos vikings d’île en île pour récupérer des fans avant vos adversaires, que vous pourrez bloquer, voler, précéder dans une ambiance électrique.
Il faut dire que RagnaRok Star a l’originalité de se présenter sous la forme d’un jeu de programmation, un genre assez rare notamment illustré par Colt Express, où les joueurs planifient leurs actions (ici cinq) avant de dévoiler ce qu’ils prévoient de faire et dans quel ordre, et de le résoudre simultanément. Puisque le plateau change du tout au tout entre la première action et la dernière, il faut ainsi tenter d’anticiper les décisions des autres pour les prendre de vitesse, ou d’anticiper leur anticipation de notre anticipation… Fumage de cerveau et ambiance garanties !
On pourrait alors s’étonner qu’un jeu si « léger » fasse l’objet d’une campagne KickStarter (en cours jusqu’au 31 juillet). C’est que, pour leur premier jeu, les deux auteurs ont vu grand : plateau central et plateaux personnels de salle de concert en double-layer, plateaux personnels de groupe effaçables, feutres, meeples personnalisés, et quelques SG sympathiques, comme un poster, des cartes Contrat pensées par les backers… Il se murmure même qu’avec assez de soutien, on pourrait voir arriver de quoi vraiment renouveler mécaniquement RagnaRok Star, donc restez à l’affût et consultez régulièrement la page du KS pendant ce premier mois d’été !