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Cloudspire : un MOBA de société serait-il le meilleur jeu de 2019 ?

Cloudspire

Cloudspire : un MOBA de société serait-il le meilleur jeu de 2019 ?

Je ne pensais pas être fait pour Cloudspire. Ses couleurs un peu fades, son matériel très abstrait, une difficulté évaluée à 4,16/5 par la communauté de l’agrégateur Board Game Geek, son livret de règles de 35 pages accompagné de deux épais manuels de scénarios, mon peu d’appétence naturelle pour les titres revendiquant la filiation du MOBA constituait de nombreux a priori me faisant regarder de loin son succès croissant, et privilégier Skytear qui, avec la même référence générique, promettait simplicité et dynamisme.

Mais ce succès est devenu phénomène. Dans la francophonie, JP ne cessait sur la chaîne YouTube de l’École du Jeu de clamer son amour inconditionnel pour Cloudspire, dont la campagne KickStarter avait tout de même récolté plus de 500 000 dollars de la part de presque 4500 contributeurs, des chiffres très élevés pour une oeuvre ne cherchant pas à nous appâter avec des centaines de figurines. Et avec une note de 8,5/10, on peut dire qu’il n’a pas déçu, et que la campagne de financement participatif de son extension, lancée pendant que j’écris ces lignes, est déjà promise à de jolis résultats.

Bref, le temps passant, il devenait difficile de passer à côté du jeu de Josh Wielgus et des frères Josh J. et Adam Carlson, créateurs de la maison d’édition Chip Theory Games et donc concepteurs des remarqués Too Many Bones et Hoplomachus, recourant déjà aux jetons de Poker (chips) auxquels le studio doit son nom, et superbement illustré par Jared BlandoMelonie Lavely et Anthony LeTourneau

Le nouveau KickStarter permet d’obtenir Cloudspire et de nouveaux Stretch Goals pour 130 dollars (et 20 dollars maximum de frais de port), plus les anciennes et nouvelles extensions à 30 euros chacune et quelques goodies (figurines, artbooks, playmat), mais il ne sera question ici que de la boîte de base, un sujet assez dense comme vous vous en rendrez compte, tout étant sinon disponible directement sur le site de Chip Theory.

Cette boîte de base comporte quatre factions qui se sont rencontrées quand leurs îles flottantes se sont percuté pour former une Pangée : les Brawnens, des géants industrieux ; les Grovetenders, une espèce végétale habituellement pacifique ; les Heirs, des oiseaux aristocrates comptant sur la tactique pour réclamer Ankar comme leur dû ; les fanatiques Narora.

Notez que le jeu n’existe qu’en anglais, et paraîtrait absolument inaccessible à qui ne serait pas à l’aise avec la langue de Rob Daviau… s’il n’existait pas de fort bonnes fantrads sur BGG. À l’exception de cartes très peu nombreuses, le matériel est non-textuel, il est donc tout à fait possible d’apprendre et de pratiquer Cloudspire dans la langue de Bruno Cathala ! Je me baserai cependant ici sur les livrets de règles en anglais, ceux avec lesquels je me suis moi-même approprié le jeu et que j’ai à disposition, donc vous excuserez, j’espère, l’emploi de termes anglais ou anglicisants quand vous pourriez être habitués par d’autres voies à leur version française.

 

 

Le monde d’Ankar

Avant même de s’apprendre ou de se regarder, Cloudspire est un jeu qui se touche. Pour son immense boîte, pour ses presque 200 jetons bien sûr, dont la texture, la masse, bref la tenue inhabituelle en main apporte un charme tout particulier au jeu (comme il participait à celui de Champ d’honneur), mais aussi pour ses 20 plateaux en néoprène, la proposition d’une véritable deck box pour n’accueillir qu’une quarantaine de cartes, en plastique de même que les larges aides de jeu relatives au faction, ou le coffre de rangement étonnamment élaboré des 50 chevilles.

En comparaison, difficile de ne pas être un peu déçu par les « casernes », des réceptacles à jetons dans un plastique plus cheap que celui servant à ranger habituellement lesdits jetons, par les chevilles elles-mêmes et surtout par les dés, à un stade où l’on espérerait au moins des dés dignes de la saison 2 de Dice Throne. Des reproches tout à fait injustifiés parce que ce sont des éléments que l’on accepte avec plaisir de n’importe quel autre jeu, mais il est toujours difficile d’apprécier à leur juste valeur des pièces d’un jeu ayant lui-même placé la barre si haut !

 

 

Une partie de Cloudspire commence logiquement par déterminer un premier joueur qui commencera à choisir une faction, avant que les autres ne procèdent à cette fatidique décision dans le sens des aiguilles d’une montre. Un choix à vrai dire si important qu’il ne faudra pas hésiter à procéder autrement, à vous mettre d’accord ou, à partir d’un certain niveau, à tirer au sort. Chaque faction reçoit son aide de jeu, ses dés, les jetons marquant la santé et le niveau de Source, et bien sûr les jetons représentant les unités de sa faction, qu’il dispose dans sa caserne de sorte qu’il peut voir d’un seul coup d’œil chaque type d’unité.

Au centre de la table, on place l’île centrale, et autour d’elle 6 des autres 7 îles face cachée. Chaque joueur dans le sens horaire retourne une île, la tourne comme il le souhaite et y colle sa forteresse, visuellement distincte des autres, s’assurant seulement qu’un sentier parte de son portail et se poursuive sur une île adjacente. Même quand toutes les forteresses sont placées, on continue de les révéler et de les positionner jusqu’à ce que le continent soit entièrement visible.

Deux trous dans la forteresse accueillent les jetons Santé et Source, la forteresse commençant avec 10 points de santé et 0 points de source.

Sur les îles sont visibles des puits de source. Sur le puits le plus proche de chaque portail de forteresse, on place un marais, et sur tous les autres on place aléatoirement un jeton Site (marais, temple ou ruines).

Les 20 jetons Marché constituent une pile face cachée dont on dévoile autant d’éléments que de joueurs plus un, non loin de la pile de territoires (des tuiles de propylène portant 3 hexagones) dont seul le supérieur est révélé.

Il ne reste qu’à placer près du plateau les piles de cartes Événement et Relique, les chevilles, les six dés d’attaque des tourelles, le D6, et à empiler séparément les jetons Attaque, Portée, Fortification et Santé, et la partie peut commencer.

Vous constaterez avec étonnement que la mise en place n’est pas longue, qu’elle n’est pas complexe, qu’elle n’est pas fastidieuse. C’est au point qu’après l’avoir réalisée une fois, vous n’aurez plus besoin de vous reporter au livret de règles pour la réaliser à nouveau, une qualité parfaitement inattendue de la part d’un titre aussi ambitieux que Cloudspire ! En outre, les éléments font étonnamment sens. Les forteresses, les sentiers, les puits de source, le marché, les casernes… tout a du sens avant même que l’on ait joué, installer les éléments commence à donner des indications sur ce que l’on sera amené à faire, alors même que l’ampleur et le niveau d’abstraction du jeu pouvaient laisser craindre la plus grande opacité !

 

Guerre pour la Source

Rassuré par la mise en place, on est malgré tout impressionné et étonné par la concision des règles, tenant en moins de 4 pages… Mais Cloudspire triche : ces règles sont ce qu’un autre jeu synthétiserait sous le nom de récapitulatif, et renvoient continuellement aux 15 pages de « concepts du jeu », lesquels semblent organisées de façon assez arbitraire…  Inutile de dire que j’aurais nettement préféré des règles exhaustives, incluant toutes les subtilités, éventuellement et idéalement accompagnées d’un récapitulatif de 3 pages afin de constituer de simples rappels à ceux qui connaîtraient le jeu mais chercheraient des rappels et confirmations.

Du moins cette description d’une séquence de jeu est-elle vraiment impeccablement claire, même sans exemples et pratiquement sans illustrations, sans que l’on se dise trop que cela manque – et pourtant je suis souvent le premier à me plaindre de ce que ces lacunes font perdre aux explications !

Une partie de Cloudspire dure quatre vagues, chacune composée de six phases.

Pendant la première phase de la vague 1/2/3/4 les factions reçoivent 5/7/9/11 Source, ce que l’on note au moyen du marqueur de source. Ainsi trouve-t-on un réel sentiment de progression au cours de la partie, puisque l’on peut à chaque vague faire bien davantage d’acquisitions qu’à la précédente. À 3 ou 4 joueurs, si notre forteresse avait perdu tous ses points de vie, on devrait la soigner jusqu’à 3 points (pas plus, pas moins) en sacrifiant autant d’améliorations, puis 2 sources par point que l’on ne pourrait payer ainsi.

 

 

Puis se tient la phase de marché : à tour de rôle, chacun réalise alors un achat, le marché étant immédiatement refourni. Un territoire coûte 2 Source, et chaque unité précise son coût.

La phase de construction permet à chaque joueur de réaliser une construction ou de passer, et se poursuit jusqu’à ce que tous aient passé. On peut ainsi bâtir :

  • une tourelle sur une source, à condition d’exercer son influence sur elle, c’est-à-dire qu’elle doit se trouver sur une île adjacente à notre forteresse ou adjacente à une île où l’on aurait déjà une tourelle. La tourelle arrive en jeu avec les améliorations indiquées sur le jeton, par exemple un jeton d’attaque, un jeton de portée et un jeton de fortification, que l’on place en-dessous dans l’ordre de son choix sans pouvoir ensuite changer d’avis. En effet, quand il faudrait détruire une amélioration à cause de dégâts subis par la tourelle, on commence toujours par le jeton inférieur. Cet aspect de tour que l’on construit est particulièrement réussi : non seulement une tourelle paraît plus forte quand elle est plus haute, mais la couleur seule des jetons d’amélioration les identifie, de sorte que l’on n’a jamais besoin de retirer le jeton supérieur (celui représentant la tourelle) pour vérifier ce qu’il y a en-dessous. Pas forcément « joli », mais élégant en termes de game design.
  • une amélioration sur une tourelle, dans la limite de la capacité en améliorations de la tourelle. Chaque amélioration d’attaque et de portée coûte autant de Source que le nombre d’améliorations se trouvant déjà sous la tourelle tandis que la fortification coûte 2 Source. Cette dimension de capacité des tourelles a évidemment son impact tactique : puisque vous devez choisir, privilégierez-vous une tourelle indestructible mais faible, très puissante mais sans portée, à peu près équilibrée mais ne brillant nulle part ?
  • un  territoire dans une zone sur laquelle on exerce son influence, soit sur une île soit en dehors du plateau pour l’augmenter, avec la possibilité de placer immédiatement l’une de ses tourelles sur la source qui y serait représentée. Il va de soi que si l’on modifie ainsi le paysage (ce qui est extrêmement plaisant, en partie grâce à l’adhérence et au poids du néoprène), on ne peut pas couper un sentier essentiel pour connecter des forteresses.
  • une amélioration de forteresse. Les Narora peuvent ainsi améliorer six aspects différents de la forteresse, le portail, les tombes perdues, la pavillon, la tour des fanatiques, les cercles de pouvoir et le temple azuréen. Ces améliorations sont extrêmement diverses, de la possibilité de bénéficier du marché avant le premier joueur, d’y payer moins cher, de ressusciter des sbires, d’augmenter sa réserve de Source, de bénéficier des dés de faction… Ces améliorations sont spécifiques à chaque faction, et s’ajoutent aux nombreux talents dont elle bénéficie en propre pour créer une asymétrie assez passionnante, à peine moins forte que celle d’un Root, en plus d’une variété des parties et d’une grande courbe de progression, puisqu’il est impossible de profiter de tous les avantages en seulement quatre vagues.

 

Pendant la phase de préparation, les joueurs nomment dans le sens horaire la forteresse qu’ils vont cibler (à plus de 2 joueurs, obviously). Ils bénéficient ensuite de 5/7/9/11 Points de Commandement (PC) à la vague 1/2/3/4 pour recruter les unités de leur caserne, le déploiement des unités achetées au marché et du héros de départ étant gratuit. Ces unités sont empilées sur le portail de la forteresse, les héros se trouvant toujours au sommet ou à la base.

Les sbires peuvent être placés individuellement ou regroupés, sachant qu’il ne sera plus possible de changer d’avis après leur déploiement. Un groupe de mignons aura l’inconvénient de se déplacer comme une seule unité, et de n’appliquer les caractéristiques que de l’unité au sommet, et l’avantage qu’en perdant la santé de l’unité supérieure, cette dernière est défaussée et l’unité suivante prend le relai. Ainsi un adversaire aura-t-il davantage de difficultés à détruire un groupe qu’une unité seule, et pourrez-vous même lui ménager la surprise d’une unité plus puissante sous des unités plus faibles. La constitution ou non d’un groupe doit être bien réfléchie, les deux ayant leur intérêt tactique, et la situation des forteresses ou les talents des unités peuvent naturellement jouer dans ces décisions.

Pour plus d’efficacité, la phase de préparation peut être pratiquée simultanément, avec la possibilité de demander au joueur vous précédant dans l’ordre du tour de vous dire quelles unités il déploie avant de décider définitivement de votre propre pile.

 

 

Arrive enfin la phase d’assaut. On peut une dernière fois poser et améliorer des tourelles, au maximum deux fois. Puis nos unités se déplacent :

  • un héros se déplace tant qu’il le souhaite, dans la limite de sa capacité de mouvement, et dans la direction qu’il souhaite. Revenir à la forteresse lui rend tous ses points de vie et le fait retourner à la caserne d’où il pourra à nouveau être déployé au tour suivant.
  • un sbire doit se mouvoir autant que le permet sa capacité de mouvement, à condition que cela ne l’éloigne pas de la forteresse ciblée. Il pourra être bloqué par une unité ennemie ou amie, mais un héros de sa faction le laissera toujours passer.

Si une unité est à portée de tourelles adverses, ces dernières attaquent. Pour chacune, on lance autant de dés que d’améliorations d’attaque, en définissant une unique cible. Les dés des tourelles possèdent 4 faces infligeant 1 dégât, 1 face critique infligeant 2 dégâts, et une face blanche indiquant qu’elles manquent leur cible.

Les unités ayant survécu au feu ennemi peuvent explorer en regardant les jetons de site qui leur sont adjacents, et que l’on avait disposés face cachée pendant la mise en place. Ils peuvent les dévoiler ou les replacer face cachée.

 

 

Il est temps de passer à l’attaque à proprement parler, un sbire étant obligé d’attaquer une cible au choix à sa portée (unité, tourelle, forteresse) quand un héros a le choix. J’aime assez cette inégalité de traitement qui simule pour le coup assez bien le MOBA dans lequel on contrôle pleinement son avatar quand les minions sont gérés par une IA, avançant et attaquant « bêtement ».

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L’unité inflige autant de dégâts que son attaque. Si la non-tourelle cible survit, elle inflige en retour autant de dégâts que sa propre attaque. Si elle est détruite, elle est défaussée s’il s’agit d’une tourelle, d’un sbire ou d’un site du marché, retirée de la partie s’il s’agit d’un héros, replacée dans sa caserne pour une unité de faction. Elle octroie la récompense indiquée sur son jeton : pour une tourelle, une unité ou une forteresse détruite par un héros, ce dernier gagne déjà un jeton d’amélioration, et quand il atteint son maximum, il est promu sur sa face opposée ; pour les tourelles, possibilité de construire sa propre tourelle sur la source désormais libre, gratuitement et même si l’on ne respecte pas la règle d’influence ; pour les unités, gain de Source et pioche de cartes Relique :

  • une relique peut être permanente : le « Gobelet de commandement » octroie 3 PC supplémentaires et permet à un adversaire de dépenser 2 PC pour l’avoir au tour suivant, mais est défaussé si une même faction en bénéficie deux tours d’affilée, quand le « Calice du Père » empêche de construire et améliorer des tourelles… mais est donné à un adversaire au début de la vague suivante, à moins qu’il l’ait déjà eu, auquel cas il est défaussé, ou à moins que son propriétaire ne paye 6 Source pour le défausser également.
  • une relique peut concerner seulement une vague : le « Convertisseur de Source » autorise les héros adjacents à un puits à annuler leur déplacement afin de regagner 1 point de santé ou 1 Source, quand les « Manilles d’Elax » octroient la Capture à nos héros (s’ils défont un sbire, on prend ce dernier en otage au lieu de lui permettre de regagner sa caserne, et son propriétaire ne pourra le récupérer qu’en blessant notre forteresse).
  • une relique peut être à usage unique, à l’instar de la « Cache de ressources » qui octroie une amélioration de tourelle gratuite, quand « Déstabilisation » retire un territoire de la partie à condition qu’aucune unité ne s’y trouvait.

Quand un assaut est achevé, c’est au joueur suivant de réaliser son assaut, et ainsi de suite… jusqu’à ce que tous les sbires en jeu aient été détruits, c’est-à-dire que l’on pourra réaliser plusieurs tours de table jusqu’à cet anéantissement total. Cloudspire assume naturellement la rapprochement avec le tower defense, où l’on affronte plusieurs vagues d’ennemis en laissant en jeu nos héros et nos tours (améliorées à chaque vague).

 

 

La phase d’assaut peut sembler un peu longue, surtout quand il s’agit des sbires purement automatisés après leur déploiement plus contrôlé. Il s’agit cependant de la phase-maîtresse de Cloudspire, normalement assez tendue pour que l’on ne s’y ennuie pas, d’autant qu’elle n’a lieu que quatre fois dans la partie. Il n’y a sans doute que lors de sa première partie qu’on pourra la trouver fastidieuse. Pas à cause des règles qui la conditionnent, agréablement transparentes, mais précisément parce qu’on n’a pas l’impression de contrôler ce qu’il se passe, parce qu’on n’a pas encore compris que l’assaut était la suite logique de la préparation, et donc à quel point tout devait être calculé dès le déploiement des unités. Dans Cloudspire, on apprend à regarder, passif et complètement captivé, l’écoulement naturel de nos décisions précédentes, avec la marge de liberté que nous offre quand même le héros.

La sixième et dernière phase consiste à transmettre les honneurs du premier joueur à la faction suivante dans le sens horaire, le nouveau tirant une carte Événement pour la vague à venir. « Tempête électrique » demande de lancer un dé avant chaque assaut du premier joueur, et sur un 5 ou un 6, inflige 2 dégâts à toutes les unités adjacentes à une tourelle (en dehors de celles des forteresses) ; « Pas de tripes, pas de gloire » permet d’augmenter de deux niveaux un héros finissant un mouvement juste devant une forteresse ennemie, et le déplacera vers sa forteresse à la fin du tour ; « Dans les bois » permet de traverser plaines et forêts exactement comme s’il s’agissait de sentiers… Avec 29 cartes Événement, les vagues pourront ainsi considérablement différer l’une de l’autre, mais sans réel chaos, puisque leur révélation au début de la vague permet de les prendre en compte et de tenter d’en profiter pendant ses préparatifs !

La partie s’achève s’il ne reste plus qu’une forteresse en jeu, ou à la fin des quatre vagues si plusieurs forteresses subsistent. Les factions calculent alors le pouvoir de leur forteresse en additionnant sa santé et le niveau de ses améliorations. En cas d’égalité, il faut posséder le plus de santé, puis posséder le plus de Source, puis posséder le plus de tourelles.

Ce petit récapitulatif des règles occulte évidemment les particularités des factions, qui altèrent pourtant considérablement la manière d’envisager et de pratiquer une partie. Afin de vous laisser vous rendre parfaitement compte du degré de spécificité des factions et donc de leur asymétrie, voici la reproduction de la fiche des Brawnen, postée par Tchikaboum sur BGG, et qui vaudra mieux que mille mots :

 

En équipes, en coopération et en solo : l’inépuisable monde d’Ankar

En 2 contre 2, Cloudspire se déroule exactement comme on pourrait l’imaginer : les alliés alternent avec leurs adversaires, doivent cibler une faction différente lors de l’assaut, ils ne peuvent pas s’attaquer l’un l’autre, et la partie s’achève au terme de quatre vagues (on additionne alors la valeur des deux forteresses) ou à la destruction d’une seule forteresse.

Ce n’est pas une configuration qui m’a particulièrement plu pour l’instant, mais une seule partie n’est clairement pas suffisante pour me faire un réel avis. Il m’a semblé que l’alliance n’avait pas grand sens, que l’on ne s’apportait pas grand chose l’un à l’autre, avec l’impression de pratiquer plutôt Cloudspire avec deux 1 contre 1 sur un même plateau. Très loin d’être inintéressant, sans être spécifiquement intéressant.

 

 

Comme le mode solo, le mode coopératif a droit à son manuel à spirale, de 50 pages, et affiche ainsi d’emblée l’expérience bien différente qu’il a l’intention de proposer.

Il se compose de dix scénarios, plus précisément quatre paires de scénarios praticables avec la boîte de base et une exigeant les Griege. Une paire de scénario doit être jouée consécutivement, puisque le deuxième prend en compte le résultat du premier, mais les paires elles-mêmes peuvent être joués dans l’ordre de son choix.

Un scénario n’est composé que de quatre pages, dont une présentant une grande illustration et un texte narratif donnant du sens à ce que l’on va réaliser.

Sur la deuxième, on nous rappelle évidemment quelles factions les joueurs devront incarner, combien de vagues durera la partie, et la mise en place. Cette partie est assurément la plus pénible, parce qu’il faut reproduire à l’hexagone près l’illustration représentée, et si l’on est aidé autant que possible, cela reste un long et peu agréable.

La troisième page fixe les trois objectifs, chacun rapportant un point de renommée. Dans le premier scénario, un point de renommée est attribué si l’une des trois tourelles centrales a survécu à la quatrième vague, deux si deux tourelles ont tenu, trois si les trois ont été épargnées. On gagne donc même en n’en sauvant qu’une, mais on se voit octroyer davantage de points en les sauvant toutes trois, ce qui constitue également un beau prétexte pour la rejouabilité ! Après avoir réalisé tous les scénarios, on se voit ainsi attribuer un rang selon son score.

On nous donne clairement les conditions de victoire et défaite, les règles spécifiques, quelques notes pour gérer l’intelligence artificielle (par exemple ce que ciblent les héros ennemis), des altérations de certaines compétences qui ne peuvent pas réellement s’appliquer à des automas, les résultats du lancer de dé Événement.

Enfin la quatrième page décrit chaque vague, si on lance le dé Événement, combien on reçoit de Source, si l’on a accès au marché, ce que construisent les IA, la quantité de CP dont on dispose, donc ce qui se passe phase par phase, vague par vague, dans un tableau remarquablement limpide.

Comme les parties de Cloudspire sont largement automatisées même en multijoueurs compétitif, la coopération n’a ainsi pas besoin de trop transformer la manière naturelle qu’a le jeu de fonctionner, ce qui facilite bien sûr grandement sa prise en main.

Enfin, ce que j’admire dans ce mode coopératif, c’est la différence entre les scénarios. Dès le premier, en 2 contre 2, il faut protéger des tours plutôt que de se contenter platement d’anéantir des adversaires. On sera ensuite confronté à des scénarios contre des mercenaires, contre des héros, sans forteresses ennemies, sur des cartes bien plus longilignes ou sinueuses que la vaste étendue à laquelle on est habitué… Un réel effort de variété a ainsi été réalisé sur les intrigues et ce qui en découle en termes d’objectifs, de configurations, de particularités des vagues, les rendant assez mémorables !

 

 

Le mode solo se pratique et se présente exactement de la même manière, mais les 16 scénarios doivent être joués dans l’ordre, 4 pour les Brownen, 4 pour les Heirs, 4 pour Narora les puis 4 pour les Grovetenders.

La grande différence concerne l’usage des points de renommée. Si l’on en gagne toujours entre 1 et 3 par scénario, on peut désormais les investir afin d’acquérir un avantage pour un seul scénario concernant la même faction. En investissant 1 point de renommée, les Narora peuvent débuter un scénario avec une forteresse dotée de 12 points de santé ; pour 1 point, on peut sacrifier à chaque tour une unité de sa caserne pour gagner sa valeur en source ; pour 3 points, on peut ajouter 2 fortifications à une tourelle à chaque phase de construction ; pour 4 points, on peut déployer une seule fois à partir de la deuxième vague un héros avec 1 point de santé sans aucun coût en CP…

Chaque faction dispose ainsi de 6 capacités différentes, qu’il est impossible de toutes débloquer au cours de la même campagne, d’autant que la renommée gagnée sur les 4 scénarios d’une faction ne peut être utilisée sur les scénarios d’une autre faction. Il faut donc non seulement tâcher de les gagner pendant la partie, mais aussi décider de les conserver ou de les investir, où les investir, et quand les utiliser, ce qui ajoute une grande part de réflexion tactique aux parties et à leur préparation, tout à fait dans l’esprit de Cloudspire !

En outre, si dans le mode coopératif on subissait ou profitait parfois des conséquences du scénario précédent, c’est plus vrai que jamais dans le solo, où pratiquement chaque partie conditionne la suivante, y compris entre le quatrième scénario d’une faction et le premier de la faction suivante, puisque leur succession continue de dessiner une seule histoire.

 

 

Cloudspire, chef-d’oeuvre dans les nuages ?

Cloudspire n’aurait pas dû être un jeu pour moi. Aussi formidable que soit l’idée d’utiliser du néoprène pour constituer un terrain modulaire et des jetons de Poker pour les unités que l’on y déplace, le résultat arbore des couleurs trop fades pour le plateau, trop flashy pour les unités, ne faisant pas honneur aux superbes illustrations que l’on devine de temps à autre dans les manuels ou au sommet des jetons. Son énorme boîte, pour un prix parfaitement justifié mais conséquent, annonçant un titre complexe, ses règles très peu exemplifiées et illustrées et demandant plusieurs passages d’une page à l’autre, son abstraction, la très grande part de calcul et de maîtrise qu’il exige pour en profiter pleinement, sont autant d’arguments qui me feraient habituellement fuir.

Et pourtant, on se surprend à en apprendre les règles aussi vite, puis à le mettre en place aussi intuitivement, à le pratiquer de façon aussi fluide alors même que la compréhension des spécificités de chaque faction confère à Cloudspire une considérable courbe de progression. Si l’asymétrie n’est pas aussi poussée que celle de Root, les quatre factions de la boîte de base sont si distinctes mécaniquement les unes des autres que l’on prendra également un plaisir considérable à jouer et rejouer la même afin de l’apprivoiser, et les autres pour les comprendre et mieux les contrer.

Il faut tout savoir afin de préparer et d’anticiper, et on se réjouit que cela représente plus de parties que de réels efforts, tant cela peut rentrer naturellement, petit à petit. La meilleure preuve que l’asymétrie de Cloudspire est réussie… est qu’après avoir assimilé quelques factions, on a juste envie de s’essayer sur et contre les extensions, quand on pourrait être découragé de tant d’apprentissage ! Les auteurs n’ont ainsi pas seulement travaillé leur équilibrage malgré leurs différences, mais ils ont aussi accordé le plus grand soin à leur prise en main.

Cloudspire est ainsi redoutablement mathématique, ce qui pourra surprendre de la part d’une adaptation des mécaniques du MOBA, que l’on attendrait bien plus démesurée, nerveuse, chaotique… mais les graphismes assez froids et le matériel relativement abstrait auraient déjà dû nous mettre sur la piste d’un jeu précisément passionnant de rigueur, et aussi riche, jusqu’à proposer des modes coop et solo qui ne sont pas des à-côtés négligés, proposés seulement pour mettre en avant les nombreuses manières de le pratiquer sur KickStarter, mais parviennent à exploiter toute la richesse des règles multijoueurs en y intégrant une dimension de défi cérébral et une histoire vraiment captivantes.

Moi qui suis si réfractaire au solo, j’ai été absolument conquis par celui de Cloudspire. C’est que je trouve généralement la mise en place d’un « vrai jeu » trop fastidieuse pour ne même pas en profiter à plusieurs, en particulier pour profiter d’une variante dont on sent trop bien qu’elle n’est pas le cœur de l’expérience. Or Cloudspire atteint un équilibre absolument remarquable entre simplicité de la mise en place et du déroulement du tour d’un côté, rigueur et ampleur de l’aventure de l’autre, et devient simplement l’un de mes jeux solo préférés si ce n’est le préféré !

Vous avez jusqu’au 24 avril pour vous procurer Cloudspire sur KickStarter, avec de nombreux avantages, y compris l’accès aux deux nouvelles extensions particulièrement prometteuses. On reviendra plus en détail dans quelques jours sur son contenu, mais si vous avez quelqu’intérêt dans le titre, ne manquez pas cette occasion qui vous reviendra nettement moins cher que l’achat sur la boutique de l’éditeur hors campagne !

 

 

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