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Les Aventuriers du rail : voyagez aux États-Unis, au Japon et en Italie depuis votre salon !

Aventuriers du rail

Les Aventuriers du rail : voyagez aux États-Unis, au Japon et en Italie depuis votre salon !

 

En 2005, 15 ans avant Oriflamme et Just OneLes Aventuriers du rail reçoit l’As d’or et le Spiel des Jahres, tout simplement les deux plus importantes récompenses socioludiques au niveau mondial. Il deviendra rapidement la locomotive de son auteur Alan R. Moon et de son éditeur Days of Wonder (Mémoire 44Small WorldFive TribesCléopâtreQuadropolis), qui multiplieront les variations pour proposer la visite d’autres pays, d’autres continents, d’autres époques, sous divers formats (cartes exclusivement, addition de dés, numérique), bien entendu aidés par leur reconnaissance comme un « classique », ayant sa place même dans les supermarchés, Fnac, Cultura… Une franchise si immuable que j’étais surpris d’en voir l’illustrateur-phare Julien Delval s’attaquer à un autre jeu… et déployer un talent extraordinaire dans Res Arcana, quand son travail sur Les Aventuriers du Rail ne démontrait que de la compétence.

En 2005, on était cependant à une époque-charnière entre le jeu de société « traditionnel » et le jeu de société « moderne », plusieurs titres de cette époque accusant leur âge. Sans que cela en nie l’intérêt d’ailleurs, cela signifie surtout que leurs auteurs étaient moins préoccupés de concision et de fluidité des parties ou d’interactivité, bref de vie du plateau et de vie des joueurs autour du plateau qu’aujourd’hui. Or après avoir présenté deux versions « express » des Aventuriers du RailLondres et New York, il était temps de revenir à celui par qui tout a commencé, la boîte qui ne portait même pas encore de nom de pays (alors qu’on y visitait les États-Unis), afin d’estimer s’il peut encore avoir de l’intérêt aujourd’hui.

Vendue 38 euros, elle s’adresse à 2 à 5 aventuriers (idéalement 2 à 4) de 8 ans et plus pour des parties d’environ 45 minutes.

On en profitera pour observer la dernière extension des Aventuriers du rail, passant de la toute première boîte à la toute dernière, avec Japon/Italie, vendue 37 euros et dotée des mêmes spécificités exactement.

 

 

Les débuts express d’un empire ferroviaire

Une partie des Aventuriers du rail commence assez logiquement en posant au centre de la table l’ample plateau États-Unis. Trop sobre, il privilégie évidemment la lisibilité sur la joliesse, rien ne ressortant du crayonné de la carte que les trajets très colorés des trains entre les capitales des différents États, de rares et très discrètes illustrations se plaçant de temps à autre dans les interstices.

Chaque joueur prend 45 forts jolis wagons de plastique de sa couleur, noirs, jaunes, verts, bleus ou rouges, et ce d’autant plus facilement que le thermoformage permet de les séparer. Un marqueur de score de sa couleur est placé sur le 0 de la piste de score faisant le tour du plateau – je le répète souvent, mais j’aime beaucoup cette solution quand elle est possible, qui facilite le comptage en cours de partie et aide tous les joueurs à avoir constamment sous les yeux l’essentiel de la progression de leurs rivaux.

On empile alors les 110 cartes Wagon, dont cinq sont révélées pour constituer un « marché » et quatre sont distribuées face cachée à chaque aventurier.

Il ne reste qu’à donner trois cartes Destination à chacun, qu’il peut décider de conserver ou dont il peut défausser l’une. Elles fixent en effet des objectifs pouvant paraître plus ou moins aisément compatibles. Les autres destinations sont empilées à leur portée, et la partie peut déjà débuter !

La très grande rapidité d’installation des Aventuriers du rail et la joliesse de ses wagons appartient indéniablement aux charmes ayant aidé à propulser le jeu dans tant de familles. J’apprécie personnellement aussi, dans la boîte de base comme dans les variations, la petite dimension pédagogique d’un jeu aidant à situer des villes que l’on connaît souvent de nom sans savoir exactement où elles se trouvent. Un plaisir géographique qui doit être assez partagé, puisque je vois bien des joueurs curieux des boîtes proposant la visite de pays qui les attirent personnellement, ou où ils ont pu passer un Erasmus ou des vacances marquantes.

 

Le tour des États-Unis

À son tour, un joueur ne réalise qu’une action parmi trois.

La principale, c’est l‘accaparation d’une unique route. Celles-ci sont composées sur le plan (le plateau central) de plusieurs tronçons d’une même couleur. Ainsi la route El Paso-Los Angeles est-elle représentée par six tronçons noirs. Afin d’y poser autant de wagons, il faut défausser autant de cartes Wagon de sa main de cette couleur (donc noirs en l’occurrence).

Certaines routes sont grises : on peut défausser des cartes Wagon d’une seule couleur de notre choix pour les occuper. À l’opposé, certaines cartes Wagon sont des locomotives multicolores, tenant lieu de n’importe quelle couleur.

Certaines routes sont à deux voies : à deux et trois joueurs, dès qu’un aventurier en a construit une, l’autre devient inaccessible. À quatre et cinq, deux joueurs différents (pas le même) peuvent occuper chacune des voies : on estime en effet qu’avec une seule voie, on pourrait vite empêcher un adversaire d’accomplir sa carte Destination. S’il paraît en effet aisé de construire une route directe entre les deux villes représentées par sa carte Destination, il ne faut pas oublier qu’un autre joueur pourrait avoir besoin d’une liaison qui vous serait commune… ou pourrait comprendre ce que vous faites et soudain interrompre votre trajet en posant ses wagons à la seule fin de vous gêner ! Il est presque toujours possible de contourner, mais au pris de bien des détours, donc des cartes, donc des tours…

À chaque fois que l’on s’est emparé d’une route, on avance son marqueur de score : pour une route d’1/2/3/4/56 tronçons, on gagne 1/2/4/7/10/15 points. Ainsi construire même sans se soucier des cartes Destination peut s’avérer rentable !

Comme on s’en doute, une autre action consiste à récupérer de nouvelles cartes Wagon. On peut prendre une seule carte Locomotive multicolore parmi les cinq face visible, ou une combinaison de deux cartes face visible et/ou de la pioche. Il va de soi qu’en piochant une locomotive… rien ne vous empêche de prendre une nouvelle carte, personne d’autre n’ayant vu la carte piochée ! Une carte prise face visible est immédiatement remplacée, rien ne vous empêche donc de prendre la carte posée à l’instant (sauf locomotive, on l’aura compris).

Enfin, il est possible de prendre de nouvelles cartes Destination. On en pioche alors trois, et il faut en garder au moins une, jusqu’à trois. Si certains joueurs attendent d’avoir réalisé un objectif pour reprendre des cartes Destination, ayant la certitude d’avoir déjà complété certains objectifs, d’autres en récupèrent d’autres dès le début, partant du principe que l’on sera de toute manière incité à en repiocher en cours de partie, et qu’il est donc aussi bien de cumuler de nombreuses options dès le début.

La partie s’achève quand un joueur n’a plus que 0, 1 ou 2 wagons, et que tous (y compris lui) ont rejoué une dernière fois.

On révèle alors ses cartes Destination, en remportant les points des objectifs accomplis… et en soustrayant les points des objectifs manqués ! Aussi est-il très risqué d’accepter trop d’objectifs, quand il peut cependant être très rentable d’en avoir plusieurs vaguement convergents. Prendre Winnipeg-Houston (12 points) alors que vous avez déjà Los Angeles-New York (21 points) ne doit être envisagé que si, à force de détours, on s’est vraiment rapproché de ces villes, qu’il semble cependant difficile d’inclure dans une stratégie à peu près cohérente. Alors que l’on se réjouira de sa chance en piochant Denver-Pittsburgh (11) quand on faisait Los Angeles-New York, ou mieux encore Seattle-New York (22) quand on avait Vancouver-Montréal 20) !

On pourrait alors estimer qu’il faut avoir beaucoup de chance dans le tirage de ses destinations. Si une part de hasard n’est pas à négliger, Les Aventuriers du rail tente justement de permettre une relative souplesse dans la pioche des cartes afin d’éviter d’imposer des missions manifestement néfastes. Dans le pire des cas, ne conservez que la carte destination valant le moins de points et refaites une pioche de trois cartes, vous finirez très vite par tomber sur des circuits plus avantageux, compensant largement les quelques points perdus ! Et si vous vous plaignez de la chance d’un adversaire cumulant deux missions proches à 20 points, gardez quand même en mémoire que cela exige un nombre considérable de wagons et la peur de chaque petit blocage imposant de larges détours…

D’ailleurs, si vous approchez la fin de partie, avec un peu moins de dix wagons, vous ne prendrez sans doute plus le risque de nouvelles destinations, et tenterez seulement de prolonger au mieux les routes déjà construites avec les segments les plus longs possibles, puisque plus rentables que les segments courts, d’autant que le joueur ayant réalisé la plus longue rouge marque dix points supplémentaires. Il y a ainsi toujours de quoi faire du moment que vous ne prenez pas de décision trop inconsidérée !

Vous devriez regarder aussi ça :
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Les Aventuriers du Shinkansen

Si l’extension comporte en fait deux nouveaux pays, chacun occupant une face de l’immense plateau central, l’Italie est reléguée à un coin de la couverture quand le Japon en occupe les neuf dixièmes au moins, et a les honneurs de son nom juste sous le titre. Pourtant, l’Italie n’est pas une sous-extension quand le Japon en serait une « vraie », les deux pays arrivent avec leur matériel et leur set de règles, mais on peut concevoir que l’un est nettement plus vendeur que l’autre dans un contexte culturel très nippophile. Et comme on s’en rendra compte en les testant tous deux, il est probable que l’on revienne bien plus souvent au Japon en effet !

Quand vous posez devant vous le plateau, deux surprises : d’abord, évidemment, le Japon a une forme très allongée, contrairement aux rectangulaires États-Unis, de sorte que l’on se demande s’il ne sera pas trop facile de se bloquer ; ensuite, une île et le centre-ville de Tokyo sont à l’écart, comment cela va-t-il se concilier avec l’idée d’un long chemin de fer ?

En ce qui concerne les zooms, rien de plus simple : tout train connecté à Kikura ou Tokyo sur le plan principal l’est aussi à ces lieux sur le zoom, évidemment très centraux afin d’éviter que l’on en coupe l’accès. À quatre ou cinq, cela pourrait cependant arriver… raison de plus pour être prudent dans ses destinations, dont on doit cette fois garder 2 à 4 cartes sur les 4 distribuées initialement.

C’est là qu’intervient le shinkansen, dont on ne peut manquer les superbes 16 éléments posés à côté du plateau.

 

 

 

Comme au «vrai » Japon, le shinkansen traverse le pays. Ses voies grises peuvent être payées en défaussant autant de cartes d’une seule couleur que de tronçons du segment convoité. Au lieu d’y poser ses wagons, on y pose cependant un train rapide, que tous les joueurs pourront utiliser dans la complétion de leurs objectifs.

Pourquoi vous embêteriez-vous à aider vos rivaux ? C’est que pour chaque tronçon, vous avancez votre marqueur d’une case sur la piste Train rapide. Et à la fin de la partie, votre classement détermine combien de points vous gagnez… ou perdez. Ainsi à deux celui qui a le plus contribué gagnera-t-il 10 points supplémentaires, l’autre en perdra 10. À cinq, on pourra gagner 25, 15 ou 5 points, ou en perdre 5 ou 10 selon notre classement. Et ceux qui ne contribuent pas du tout perdront toujours 20 points.

L’idée d’en faire un classement plutôt que des paliers bruts est assez formidable, puisqu’elle vous pousse à tenter de dépasser les autres. Si vous n’avez avancé que de deux cases, mais que personne d’autre ne contribue, vous pouvez rester en position, inutile de participer au shinkansen. S’il vous suffit au contraire de quelques cases pour gagner bien davantage (voire éviter de perdre), vous n’aurez qu’une envie, contribuer au projet commun dans cette course bis ! Et la perte de 20 points est si terrible que tous les joueurs contribueront au moins une fois… Ainsi, malgré l’étroitesse de l’île, on ne sera jamais réellement bloqué sur l’île principale, même si la tension de construire ou non le shinkansen et où sera à son comble. On n’a jamais autant regardé le jeu des autres aventuriers du rail !

En outre, on ne joue qu’avec 20 wagons. La partie est alors beaucoup plus rapide, approchant la durée des Aventuriers du rail Londres et New York

 

 

L’Italie souffre à première vue du même problème d’un espace géographique très linéaire. Ce serait oublier la présence des deux grandes îles que sont la Sicile et la Sardaigne, permettant largement de contourner par l’Ouest la partie continentale du pays.

Ces îles sont reliées au continent par le Ferry, un segment gris dont certaines cases sont recouvertes par un symbole de vague. Les tronçons sans symbole doivent comme d’habitude être complétées en défaussant des cartes Wagon d’une même couleur. Quand ils portent une vague, il faut défausser une carte Ferry (couvrant deux vagues) ou deux (pour quatre vagues), que l’on récupère en réalisant la nouvelle action relative à cette carte, la pioche d’une carte Ferry (toujours identique aux autres) dans une limite de deux par main.

La connexion de l’Italie au reste du continent européen n’est pas oubliée : des ferrys et trains peuvent se rendre en Autriche, en Suisse, en France, en Slovénie, en Croatie, à Monaco. Il ne s’agit alors que d’occuper de nouvelles cases, puisque ces voies vers l’étranger ne font que quitter l’Italie et n’y reviennent pas. Pas question par exemple de rentrer en Slovénie par un endroit et d’en repartir par l’autre en considérant avoir poursuivi la même ligne de train.

La verticalité du pays pourrait cependant gêner excessivement certaines destinations, d’autant qu’avec 45 wagons par personne, on le recouvrira assez bien à partir de 3 joueurs. L’action de prendre des cartes Destination est alors adaptée, avec la possibilité d’en piocher 4 pour en garder une au minimum, de quoi être bien plus souple.

La mécanique des ferrys ne m’a pas particulièrement emballée : pas inintéressante, elle ne ne justifie cependant pas l’existence de l’extension. Les Aventuriers du rail – Italie a alors le bon sens d’y ajouter une règle de décompte de points : chaque ville appartient à une région italienne (que l’on peut distinguer par sa couleur, son nom et son blason sur la carte). On gagne alors des points en fonction du nombre de régions que l’on est parvenu à connecter. Un seul parcours reliant 15 à 17 régions accordera ainsi 56 points ; en relier 10 n’en rapportera que 16 ; en relier 5 que 1, et la Sicile, les Pouilles et la Sardaigne comptent pour deux régions.

Il est évidemment assez improbable d’arriver aux 56, et le plus important reste de se focaliser sur les routes longues et sur ses destinations, mais quand vous aurez le choix pour poursuivre un circuit de le connecter à une ville appartenant à une région où vous êtes déjà présent ou d’en découvrir une nouvelle, cela vous aidera à faire le choix de la diversité.

 

 

Les Aventuriers du rail, toujours digne de son As d’or ?

Il suffit d’une partie des Aventuriers du rail pour comprendre qu’il ait remporté toutes les récompenses ludiques les plus prestigieuses en 2004/2005. Extrêmement accessible avec ses principes expliqués clairement en quelques minutes, il reste remarquablement fluide grâce à son unique action à chaque tour de jeu, y compris à quatre ou cinq joueurs, pour des parties rapides offrant pourtant ce qu’il faut de questionnements tactiques, sur les missions que l’on accepte, le blocage de ses adversaires au détriment de ses propres trajets, l’accumulation de petits segments ou la préférence pour de longs segments, plus rentables mais plus longs à construire… Cela en fait un excellent jeu familial, satisfaisant encore parfaitement aux standards contemporains, et dont je ne suis pas étonné que d’autres titres s’inspirent directement de l’élégance, comme Elastium récemment.

Sa dimension pédagogique (on y apprend la localisation de nombreuses villes) contribue assurément à son charme, et est renforcée par la présence de multiples extensions, promettant mille voyages et découvertes. La plus récente et l’une des plus remarquables (la plus remarquable peut-être) est Les Aventuriers du rail – Japon/Italie, qui non contente d’ajouter deux territoires où s’aventurer propose des règles distinctes pour varier nos parties autrement que thématiquement. Les plateaux y sont plus colorés, même s’ils restent plus sobres que Londres et New York, dont Japon avoisine étonnamment la rapidité des parties. Si ce plateau est davantage mis en avant que son verso, ce n’est pas que pour surfer sur une évidente vague nippophile, c’est aussi qu’il est l’argument-phare de l’extension et d’agréable qu’elle était avec Italie la rend assez incontournable.

Elle ajoute ainsi aux Aventuriers du rail l’idée assez simple de la contribution des joueurs à un projet commun, une voie accessible à tous, apparemment absurde dans un titre compétitif fondé au contraire sur le blocage, et en fait moteur d’une course exceptionnellement tendue, et d’autant plus redoutable que la partie se joue avec seulement 20 wagons, et sans trahir l’accessibilité essentielle à l’oeuvre d’Alan R. Moon !

 

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