Faut-il se ruer au cinéma pour voir Jojo Rabbit ?

 

Il y a des films qui font plus parler d’eux que d’autres. D’ailleurs la semaine passée, il a remporté l’Oscar de la meilleure adaptation. Avec Jojo Rabbit, sorti le 29 janvier dernier dans nos salles obscures françaises, on assiste à l’adaptation cinématographique du roman de Christine Leunens intitulé Caging Skies, ou Le Ciel en cage en français. L’intrigue se déroule en Allemagne nazie pendant la Seconde guerre mondiale, Johannes « Jojo » Betzler, âgé de 10 ans, est maltraité par ses camarades alors qu’il participe à un camp des Jeunesses Hitlériennes. Incapable de tuer un lapin (rabbit en anglais), il est traité de lâche et surnommé Jojo Rabbit. Il se console avec son ami imaginaire, Adolf Hitler. Amoureux de la « nation » et grand partisan du Führer, il voit sa vie remise en cause lorsqu’il découvre que sa mère Rosie, cache une jeune fille juive nommée Elsa dans le grenier.

Aujourd’hui, nous vous proposons donc une critique à quatre mains du dernier film de Taika Waititi. Envie d’en découvrir plus avant de débuter la lecture de cet article ? N’hésitez pas à jeter un œil à la bande-annonce que vous retrouvez juste en dessous :

 

 

L’avis de Siegfried Moyocoyani Würtz : La Vie est belle revisité par Wes Anderson

Saison des Oscars oblige, ce début d’année est riche en sorties intéressantes, puisque déjà largement médiatisées outre-Atlantique où elles ont été diffusées à la toute fin d’année 2019. Au moins deux films datant officiellement de 2019 auraient ainsi trouvé un chemin évident dans mes mentions honorables de l’année dernière (The Gentlemen1917, sans doute Uncut Gems) quand deux auraient aisément pu se trouver dans mon top 10/12Little Women et ce Jojo Rabbit, décidément deux titres dont je ne m’attendais pas à être surpris aussi agréablement ! J’attends désormais avec impatience la suite d’une année si bien débutée, en espérant même que d’aussi belles œuvres soient délogées par d’autres encore plus exceptionnelles.

Si je ne m’attendais à rien en allant voir Jojo Rabbit, c’est que je trouve Taika Waititi très inégal, entre des premiers films attendrissants et amusants, asseyant une véritable personnalité artistique que l’on pourrait méliorativement voir comme du « light Wes Anderson », dans une période qui culminerait avec l’excellent Hunt for the Wilderpeople, et une tendance à un humour qu’il semble croire très original dans sa désacralisation, et qui vraiment ne m’atteint pas. Si j’ai beaucoup aimé ses courts-métrages sur l’univers Marvel (bien qu’une certaine lourdeur finisse par ressortir de leur répétition), Vampires en toute intimité m’a bien plus séduit par son sujet que par ses blagues… globalement plus ennuyeuses qu’autre chose, et j’étais resté très insensible à Thor : Ragnarok, qui échouait à mon avis à trouver un équilibre entre premier degré et second degré, entre scénario tragique et moments de recul, pour une grosse pantalonnade ne rendant pas justice à la grandeur du sujet.

 

 

Un film portant sur un enfant confronté à la difficulté de concilier son éducation par la propagande nazie et le mûrissement qui naît de sa rencontre avec la complexité du réel aurait pu faire appel au meilleur de Waititi, mais l’insistance de la promotion de Jojo Rabbit sur l’idée drolatique d’avoir le Führer comme ami imaginaire, de surcroît interprété par Waititi lui-même, ne pouvait guère qu’être une confirmation que le réalisateur allait faire de son pire.

Contre toute attente, je dirais que Hitler n’est pas assez présent dans Jojo Rabbit. Extériorisation métaphorique de la manière dont Johannes imagine le nazisme (et tentative de compenser l’absence de figure paternelle), opportunité de donner un interlocuteur régulier au héros pour qu’il exprime ses sentiments et source d’humour, il est essentiel au premier quart d’heure superbement réussi du film, et on s’attendrait à ce qu’il le reste tant cela serait naturel pour raconter l’initiation de Jojo, mais il n’apparaît souvent et trop vite que comme un running gag, se retrouve même évacué d’assez larges portions du long-métrage où il ne paraît pas nécessaire au réalisateur de l’intégrer pour faire progresser son histoire, bref semble finalement un peu sous-exploité quand il commençait par promettre tant de profondeur.

C’est peut-être là que Jojo Rabbit se perd un peu, dans quelques séquences dont la répétition est indispensable pour marquer des étapes dans le mûrissement de Jojo ou sa difficulté à mûrir (un dialogue avec Elsa/un dialogue avec Hitler) tout en s’avérant… eh bien répétitives. Elles restent dans l’ensemble savoureuses, et si je ne les avais vraiment pas aimées, je ne défendrais pas aussi ardemment le film, mais elles peuvent manquer de nouveauté, de fraîcheur, de punch en somme.

 

 

Heureusement, Waititi a su entourer ce trio central (Jojo, Hitler et Elsa) d’une galerie de seconds couteaux délicieux, pas assez présents pour tirer la couverture à eux ou imposer leur tonalité au film (ce qui pourrait être le risque avec un personnage aussi caricatural que celui de Rebel Wilson), et juste assez pour créer des attendus et susciter quelque chose chez le spectateur qui n’aurait pas aussi bien fonctionné s’ils s’étaient contentés de caméos ou n’avaient pas été si bien équilibrés. Leurs interventions confèrent des sursauts de rythme au long-métrage, y compris (et c’est ce que l’on prévoyait le moins) des moments de véritable émotion, si sincèrement pathétiques qu’on peine à y croire.

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C’est que Jojo Rabbit puise évidemment dans le classique La Vie est belle, qui commençait également en pantalonnade, mais échouant bien sûr à absorber par son humour le sujet des camps de concentration, et finalement bouffé par la tragédie jusqu’à la conclusion. Le film de Waititi en ambitionne ainsi le mélange dérangeant des genres, renforcé naturellement par une esthétique très andersonienne et donc formellement assez légère, manifeste dans un goût pour la symétrie, la propreté du cadre, des couleurs franches, du sérieux traité avec dérision et de la dérision avec sérieux… On est ainsi plusieurs fois saisi, notamment dans un troisième acte particulièrement brillant de mélancolie et de douceur amère.

 

 

L’avis de Lucile « Macky » Herman

Pour plusieurs raisons, Jojo Rabbit était un film que je voulais voir. Pour commencer, il a été nominé un peu partout, notamment aux Oscars, et c’est ainsi que j’ai découvert son existence. Ensuite, j’aime beaucoup son réalisateur, Taika Waititi, que ce soit en tant qu’acteur ou réalisateur, d’ailleurs. Je trouve que cet homme à un réel talent avec un humour qui me correspond bien. Scarlett Johansson m’a fait beaucoup de bien récemment dans son rôle dans Marriage Story, et la retrouver dans un nouveau rôle de mère, cette fois bien moins conventionnelle et dramatique, encore que…, me conforte dans l’idée que c’est réellement une très bonne actrice, qui sait choisir (enfin) ses rôles.

Ici, on est sur un thème que nous connaissons tous, plus ou moins bien : la seconde guerre mondiale, et plus précisément, les Jeunesses Hitlériennes. Pas très drôle sur le papier, nous sommes d’accord. Et pourtant dès les premières minutes du film, difficile de ne pas rigoler franchement et rien que pour ça, chapeau. Dans Jojo Rabbit, nous découvrons la guerre au travers des yeux d’un enfant de 10 ans à l’imagination débordante, qui, justement, a un ami imaginaire, qui n’est autre qu’Adolf Hitler, ou tout du moins, de la représentation qu’il s’en fait. C’est d’ailleurs un Adolf compatissant, encourageant et très présent que nous avons ici au début du film. Bien loin du dictateur qui a fait trembler le monde pendant des années. Nous assistons donc à un décalage très impressionnant, illustrant bien la vision enfantine de Jojo quant à ce conflit mondial. On lui a dit que les juifs étaient un problème, et le Reich ayant toujours raison, les juifs sont donc un problème. Il n’y a pas de remise en question au départ, et les Jeunesse Hitlériennes ont l’air d’un vrai camp de vacances où l’on rigole, mais où les enfants restent des enfants et se montrent méchants entre eux. On verra très vite que cette vision manichéenne s’estompera, bien qu’il soit partagé entre sa découverte récente, et son ami imaginaire.

 

 

Jojo vit dans une bulle. Une bulle qu’il s’est confectionné seul, avec l’aide de sa mère. Extravagante, solide, souriante, rien n’est dramatique avec elle, et elle fera toujours tout pour préserver son enfant, quitte à lui mentir. Et pourtant, la vie n’a pas été tendre avec elle non plus. Son mari est parti à la guerre (mais dans quel camp ?) et n’a plus donné signe de vie depuis 2 ans. Sa fille aînée est décédée et il ne lui reste par conséquent que son fils, ou presque. En effet, elle aide une jeune juive qui a tout perdu également en la cachant dans son grenier. On arrive maintenant au personnage d’Elsa, qui fera tourner en bourrique Jojo à la moindre occasion. Je rappelle qu’on a une jeune juive qui se cache, face à un jeune garçon faisant partie des Jeunesses Hitlériennes ce qui devrait très vite être dramatique. Pourtant, leurs échanges font sourires, puis rire. Ce sujet, si grave, est très bien amené, bien pensé, touchant et c’est une réelle bouffée d’air frais.

Jojo Rabbit est un film qui va vous surprendre et vous offrir tout un panel d’émotions différents. Je l’ai regardé en sachant que je passerais un bon moment, mais je ne pensais pas qu’il me plairait aussi et me marquerait dans le temps. Vous savez, ce genre de films qui restent dans un coin de votre tête pendant plusieurs jours voire semaines ? C’est exactement ce qu’il s’est passé pour ce film et moi. Alors n’attendez plus, foncez au cinéma !