Balade à Burano – embellissez les pittoresques maisons de l’île vénitienne

 

Il y a deux semaines, nous présentions Discovery, – L’Âge des découvertes, premier test sur Vonguru d’un jeu de société asiatique, en l’occurrence taiwanais. Petit jeu de cartes compact d’une étonnante fluidité et profondeur, donnant les sensations d’un jeu de construction de moteur bien plus ample, il avait suscité ma curiosité pour l’éditeur EmperorS4, et j’annonçais avec enthousiasme la présentation d’autres jeux de son catalogue, localisés par Légion Distribution (Harry Potter Miniatures Adventure GameVillage AttacksMystheaBlack Rose WarsDark SoulsFallout Wasteland Warfare). Or c’est dans une boîte tout aussi petite que se présente le Balade à Burano du duo-vedette d’EmperorS4, l’auteur Wei-Min Ling et l’illustratrice Maisherly Chan, par exemple responsables de Trial of the TemplesPlanet Defenders et Shadows in Kyoto)

Burano, c’est cette île de Venise connue pour ses maisons colorées au bord d’un canal, un thème susceptible d’habiller joliment un jeu de puzzle où il faudra assembler le plus harmonieusement possible ces demeures afin de satisfaire des visiteurs. Pour 18 euros, la petite promenade d’environ 30 minutes sous le soleil d’Italie ne peut que vous faire du bien, seul ou jusqu’à quatre !

Notez que l’édition française de Balade à Burano contient les six cartes supplémentaires de la mini-extension Nouveaux habitants (le pêcheur, le ramoneur et la peintre, chacun en deux exemplaires), afin d’accroître la variété des parties.

 

Les maisons de Burano, tout un chantier

Comme on s’en doute quand on a pu profiter de Discovery, la mise en place est très simple, à peine moins à vrai dire parce que le matériel est un peu plus divers.

On commence par poser l’une au-dessus de l’autre les trois piles de 24 cartes Étage, une pour les cartes Rez-de-chaussée, une pour les cartes Premier étage, une pour les cartes Deuxième étage. Selon le nombre de joueurs (2/3/4), on en révèle 3/4/5 de chaque pile, ce qui dont donc l’impression de cinq maisons aux couleurs mal assorties.

Balade à Burano contient 10 types d’habitants différents (Père Noël, fleuriste, jardinier, grand-mère, homme d’affaires, ramoneur, pêcheur, peintre, restaurateur, policier), on en retire aléatoirement trois et on distingue les sept autres en autant de piles de deux cartes (ou d’une seule à deux joueurs), et 4 types de touristes, en autant de piles de trois cartes (ou de deux cartes, à deux et trois joueurs). Si les cartes ont le même format, les habitants sont à gauche de la carte et regardent vers la droite, tandis que les touristes sont à droite et regardent vers les gauche, une jolie manière assez simple de savoir qui est qui.

Chaque joueur prend alors 4 jetons Bonus Régulation à sa couleur (jaune, bleu, rouge, vert), 4 pièces et 2 cartes Échafaudage, juxtaposées devant lui sur leur face Rez-de-chaussée et constituant donc la première étape du Quartier du joueur, qui se construira dans un rectangle de 5*3 cartes (largeur*hauteur).

Il ne reste qu’à déterminer qui a le plus récemment voyagé à l’étranger pour lui remettre le jeton Premier joueur, et la partie peut commencer, avec le double-plaisir d’avoir mis en place Balade à Burano si vite et d’avoir toutes ces couleurs devant soi avec lesquelles on a instinctivement le désir de bâtir de jolis ensemble.

 

Petite leçon d’urbanisme et de tourisme

Pendant son tour, un joueur doit acquérir des étages. Pour cela, il désigne une colonne et y prend 1, 2 ou 3 cartes pour les placer dans sa main. Il ne peut pas s’emparer de la carte centrale si elle est bloquée en haut et en bas par deux autres cartes Étage, mais y a accès si l’emplacement supérieur et/ou inférieur est vide. Prendre 1 étage permet de récupérer 2 pièces, 2 étages d’en récupérer 1, tandis qu’avec 3 étages on n’en prend aucune.

Il est alors possible de placer jusqu’à trois étages depuis sa main dans son quartier, en payant 1 pièce pour un étage, 3 pour deux, 5 pour trois, sans nécessairement qu’elles constituent la même maison : il est tout à fait possible de poser un Deuxième étage d’une maison, le Premier étage d’une autre et le Rez-de-chaussée d’une troisième par exemple, avec la conscience qu’une carte posée ne pourra jamais être déplacée (vous n’avez pas le temps de démolir et reconstruire si vous voulez vite attirer plus de touristes que les autres urbanistes !).

Comme on s’en doute, une carte Rez-de-chaussée sera toujours au rez-de-chaussée, une carte Premier étage au premier étage et une carte Deuxième étage (et représentant donc le toit) au deuxième ; et un Premier étage ne peut être posé que sur un Rez-de-chaussée, comme un Deuxième étage doit être supporté par un Premier étage. On peut éventuellement utiliser ses cartes Échafaudage (sur leur face Rez-de-chaussée ou Premier étage), et la récupérer plus tard en posant l’étage correspondant.

Par ailleurs, comme on construit un quartier, une maison (finie ou en cours) doit toujours être adjacente à une autre, on ne peut laisser de trou entre deux d’entre elles.

Enfin, tous les étages d’une maison doivent être de la même couleur, tandis que deux maisons adjacentes ne peuvent pas l’être, fidèles en cela au principe visuel de Burano.

 

 

On peut pourtant défausser un jeton Bonus Régulation pour contourner l’une de ces règles, voire les deux à la fois (par exemple pour poser un Premier étage rouge sur un Rez-de-chaussée bleu et à côté d’un autre Premier étage rouge ; la première maison pourra alors accueillir librement un Deuxième étage rouge ou bleu).

Si cela vous paraît exagérément commode, comprenez que ce contournement doit surtout être perçu comme un dépannage : chaque jeton Bonus conservé en fin de partie rapporte en effet 3 PV, de sorte que leur utilisation doit être bien réfléchie. Outre l’intérêt personnel à prendre un étage très intéressant mais d’une mauvaise couleur, il pourra cependant aussi s’avérer pertinent de prendre l’étage convoité pour son adversaire même s’il ne nous arrange pas directement, au moins dans une partie à deux joueurs ou trois. À quatre, on sera évidemment moins soucieux de blocage, puisque gêner un adversaire peut donner beaucoup d’avance aux deux autres.

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C’est que deux étages, y compris de la même hauteur et couleur, ne sont jamais tout à fait identiques : ils pourront comporter plus ou moins de plantes, chats, fleurs, rideaux, lampions et cheminées.

 

 

Après avoir posé des étages, vous devez récupérer un personnage par maison intégralement construite, soit un habitant, soit un touriste. Il est cependant interdit à un joueur de prendre plusieurs fois la même carte Habitant au cours d’une partie.

Chaque personnage vient avec ses règles de scoring, en plus des 2 Points de Victoire (PV) naturellement apportés par les touristes. La Fille octroie par exemple 3 PV par chat dans la maison au-dessus d’elle, la Femme 1 PV par fleur, le Maire 1 PV par piéton sur tous les rez-de-chaussée, le Boutiquier 2/5/9/15 PV si les rez-de-chaussée proposent 1/2/3/4 boutiques différentes, le Jardinier 1 PV par plante se trouvant sur trois étages horizontalement adjacents au choix du joueur, la Peintre 9 PV si l’on possède deux maisons complétées de la même couleur, 15 si l’on a deux paires de maisons de la même couleur, 20 avec trois maisons de la même couleur…

On comprend alors la principale source de tension du jeu, récupérer les étages correspondant à un objectif précis sans que les autres joueurs ne nous en empêchent, parce qu’ils viseraient le même ou juste pour nous embêter, ce qu’ils peuvent faire à la fois en prenant les étages convoités et les personnages convoités, si limités qu’ils sont vite épuisés.

Une fois son tour effectué, on défausse toutes les cartes de sa main au-dessus de trois et toutes ses pièces au-dessus de six.

Quand tous les joueurs ont réalisé un tour, le suivant dans le sens des aiguilles d’une montre devient Premier joueur et on fait glisser tous les étages vers la droite pour ensuite compléter la réserve – à deux, on élimine de surcroît la dernière ligne, afin d’ajouter à un jeu déjà gentiment tendu la peur de perdre définitivement un étage intéressant et la bataille pour la dernière colonne.

Si, à la fin d’un round, un joueur a complété sa cinquième maison, la partie s’achève.

On additionne alors les PV rapportés par les personnages, ceux que donnent certaines boutiques de rez-de-chaussée, les jetons Bonus Régulation restants, et on retire au total autant de points au joueur ayant le plus de fenêtres closes sur l’ensemble de ses étages… qu’il a de fenêtres closes. Ce sont souvent des étages particulièrement intéressants bien sûr, afin de faire douter toujours davantage.

En cas d’égalité, il faut posséder le plus de pièces, et en cas de nouvelle égalité, le plus de chats.

 

Se promener seul sur le canal…

Balade à Burano est doté d’un mode solo qui modifie très peu les règles du jeu « normal ».

Au moment de la mise en place, on dispose quatre rangées d’étages, comme à trois joueurs, mais on retire un habitant et un touriste de chaque pile, comme à deux.

À la fin de chaque tour, on supprime la dernière colonne avant de refournir la réserve, et on retire de la partie un personnage au choix. Ce retrait ne se contente pas de simuler des adversaires prenant une carte, il nous rapproche aussi inéluctablement du moment où il n’y aura plus de cartes (intéressantes) et nous interdit donc de nous contenter de prendre notre temps avec un seul étage par tour.

Aussi la partie s’achève-t-elle à la complétion de la cinquième maison ou quand il n’y a plus aucun personnage.

Le calcul du score est exactement le même que dans la version multijoueurs, y compris la perte de PV pour les fenêtres closes, que l’on subit immanquablement.

Wei-Min Ling estime qu’à moins de 60 points, c’est « bof », qu’entre 61 et 70, c’est « pas mal », entre 71 et 80 « bien ! », entre 81 et 85 « excellent ! » et à plus de 85 « un coup de maître ». Comme on le voit, les barreaux de l’échelle sont assez rapprochés pour donner envie de grappiller chaque point, d’autant que l’auteur annonce n’avoir lui-même jamais dépassé les 87 points, une excellente idée à laquelle devraient recourir tous les auteurs de jeux solo pour nous motiver !

 

 Sam Healey (Dice Tower) classe dix jeux d’EmperorS4 !

Balade à Burano, visite pittoresque et maligne

Comme DiscoveryBalade à Burano surprend par la profondeur qu’il parvient à proposer dans une boîte si modeste, à peine plus grande que celles qui ne contiennent qu’un petit jeu de cartes malin. Puzzle-game à première vue assez innocent, pour ne pas dire simpliste (il faut y construire jusqu’à cinq maisons à trois étages de même couleur), il s’avère en fait assez retors quand on en perçoit la compétition pour les cartes Étage et les cartes Personnage, offrant de multiples possibilités de scoring.

C’est qu’il ne s’agit plus alors seulement d’optimiser son quartier dans la meilleure succession de choix possible, mais aussi de rester ouvert à assez d’alternatives pour ne pas se retrouver bloqué par un adversaire dès qu’il prend une carte convoitée, et au contraire de savoir calculer l’intérêt d’une sélection selon ce qu’elle nous rapporte et ce qu’elle nous coûte/pourrait rapporter aux autres.

La lutte serait bien abstraite si elle n’était habillée de façon si cohérente par un si joli thème, l’île vénitienne de Burano, précisément connue pour ses maisons aux couleurs vives. Devoir en reproduire la vivacité et la variété pour séduire les habitants et attirer les touristes fonctionne aussi bien matériellement que mécaniquement, parce qu’on a simplement envie avec ces cartes sous la main de produire un joli résultat, surtout dans des parties à ce point dynamiques !

En réalisant ce test, j’apprends que les mêmes auteurs ont récemment publié un Walking in Provence, voilà qui donne fort envie de se lancer dans une nouvelle balade !