Genesia, entre 7 Wonders et Bunny Kingdom ?

 

Super Meeple est devenu un éditeur de référence dans le monde socioludique francophone. Après des rééditions, parfois rethématisées avec succès, de classiques plus anciens (CuzcoU.S. Telegraph, Amun-Re, le jeu de cartes, Mississippi Queen), il a récemment entamé une politique de localisations très bienvenues (DeckscapeDice Hospital, La Quête du Bonheur, Fuji, Magnastorm, bientôt MaracaiboGloryA Thief’s Fortune) et surtout la publication de titres originaux. Aux passionnants Couleurs de Paris (l’un de mes jeux préférés de 2019) et Tajuto s’ajoutera ainsi au prochain festival de Cannes (fin février) le jeu de civilisation Genesia, première oeuvre d’Éric Labouze, très remarquée depuis plus de deux ans en tant que prototype sous le titre Ancestor, co-éditée avec la maison créée par Labouze à cette occasion, Citizen Game, avec le soutien d’Origames.

Le très talentueux Fabrice Weiss (Couleurs de ParisMississippi QueenMinuit, Meurtre en Mer) en livre les illustrations abondantes avec Alexei Iakovlev et Igor Polouchine, ce qui serait déjà un argument de choix si le nom de l’éditeur et le projet d’un jeu de civilisation à base de draft et de contrôle de territoires sur trois âges (Préhistoire, Moyen Âge et Temps modernes, Futur) n’était pas déjà si terriblement stimulant.

Disponible à partir du 21 février (au Festival International des Jeux de Cannes) au prix de 55 euros, il s’adresse à 1 à 5 chefs de clan de 10/12 ans et plus (et non 14 comme l’annonce la boîte) pour des parties de 20 minutes par joueur.

 

Le monde de Genesia, abstraction et écologie

Le titre de Genesia vient du nom d’une île merveilleuse au cœur du plateau central, représentant un archipel dont le nombre d’éléments le composant dépend du nombre de joueurs. En fait de magie, Genesia devient surtout l’objet des convoitises par le nombre de Points de Victoire (PV), 15, qu’elle octroie. On constate ainsi d’emblée une certaine abstraction du jeu. Là où les magnifiques illustrations uniques des cartes évoquent clairement notre Histoire, on habite pourtant un curieux univers fictif dont tous les territoires convergent vers cette région suprême.

L’impression d’abstraction est naturellement renforcée par l’inscription d’une valeur sur chaque région, que ce soit sur Genesia ou sur le plateau individuel, le Continent, que chacun y colle (dommage d’ailleurs de ne pas les y emboîter à la manière d’un puzzle, sans doute pour éviter l’usure des frictions), et par les couleurs de ladite Genesia, un bleu-rose pâlot qui n’accroche pas particulièrement le regard. Elle est surtout confirmée par les 20 pions Cité et les 30 pions Clan que chaque joueur prend dans la couleur de son plateau personnel  (vert, rouge, noir, jaune, blanc), des boutons de plastique représentant un homme stylisé (quelque chose comme l’indalo) et qui représenteront notre peuplade au cours des trois âges, avec l’avantage de pouvoir être empilés pour figurer un grand bassin de population voire (au troisième âge) une colonie mobile.

Inutile de dire qu’il est impossible de se projeter en constructeur de civilisation dans Genesia, qui choisit plutôt (et sans doute judicieusement) l’abstraction pour atteindre une certaine universalité. Le matériel a pratiquement valeur d’art poétique : si vous pourrez un peu mieux vous immerger dans votre rôle avec les cartes, ne vous attendez pas à retrouver les sensations d’un Civilization ou d’un 7 Wonders, quelque chose d’autre se joue ici, à quoi il vaut mieux s’attendre pour ne pas être trop déçu.

Notons seulement que la dimension « kiloplastique chinois » est étonnamment assumée pour un jeu conçu par un scientifique spécialisé dans le diagnostic environnemental et édité en 2020. On se doute bien qu’Éric Labouze avait à cœur de produire un titre beaucoup plus éco-responsable, et il a assurément cherché avec Super Meeple des voies pour le rendre possible, avant de se heurter à la réalité du marché, que l’on m’avait dite et répétée à Essen à chaque fois que je concluais une interview en demandant à mon interlocuteur ce qu’il faisait/comptait faire afin de diminuer son bilan carbone : il est pratiquement impossible d’imaginer un jeu matériellement un peu ambitieux sans plastique, et il est impossible de tirer des jeux en plastique sans faire appel à la Chine, à la fois pour des questions de coût (soyez francs, vous ne payeriez pas Genesia 200 € avec l’assurance d’une origine française) et de disponibilité des ressources premières.

Il n’empêche qu’il n’est pas très satisfaisant d’ouvrir une boîte et de se retrouver face à 250 pions en plastique de couleur vive que l’on va poser et pousser sur des plateaux, quand même Tajuto ou Mississippi Queen (qui recouraient aussi massivement au plastique) donnaient davantage l’impression que c’était une quasi-nécessité. Heureusement, l’industrie cherche continuellement des moyens de s’améliorer, et Éric Labouze créera par exemple son prochain jeu, Climax, « de manière éco-conçue », en plus d’aborder ludiquement un thème responsable. Il est toujours agréable de voir un militantisme utile irriguer la production, du thème à la conception, et c’est au moins une jolie manière d’offrir une sorte de compensation à Genesia, en espérant que l’industrie socioludique dans son ensemble (parce qu’il serait grotesque de « taper » sur Genesia, Labouze ou Super Meeple en particulier) va parvenir à mettre en place des solutions alternatives durables.

 

Naissance des humanités

Quand tous les joueurs ont posé leur continent contre l’un des côtés du plateau central Genesia, puis ont placé à côté d’eux leurs pions Cité et Clan, la mise en place est déjà presque finie. On en aimera évidemment beaucoup cette simplicité, cohérente avec un livret de règles très clair et des aides de jeu si complètes qu’elles dispensent de tour retour au manuel.

Les joueurs placent en effet aléatoirement les jetons Ordre de tour à leur effigie sur la piste correspondant à l’Âge I du plateau Ordre de tour, et prennent une tuile Guerre/Paix et deux cartes Objectif secret, dont un seul doit être conservé. Ces objectifs orienteront la stratégie du joueur, vers plus d’interactivité voire d’agressivité ou au contraire davantage de repli. Ils donneront du sens au draft qui, sans cela, serait simplement arbitraire, comme au tout début d’un 7 Wonders. On appréciera que chaque objectif qualifie le peuple qui le choisit : « diplomate », « bâtisseur », « inventeur », « petit », « nomade »… Cela confère un peu de thème tout en explicitant les enjeux de l’objectif, toujours très simple (même si une confirmation de ce qu’il entend par « lot » et « série » aurait été bienvenue).

Il est possible de jouer sans objectifs secrets pour plus de rigueur… mais Genesia est déjà un jeu de draft aux cartes très différentes, donc limitant le hasard sans du tout l’exclure. Si vous souhaitez vraiment limiter la part de l’arbitraire sans nuire au plaisir suscité par les objectifs, leur complétion ou la gêne de ceux des adversaires, excluez la carte « Peuple inventif » (la plus auto-centrée), distribuez normalement les autres cartes, puis jouez avec l’objectif face révélée. Cela attisera l’ardeur des joueurs à se bloquer les uns les autres (ce qui est toujours moins évident quand on ne sait pas au juste ce qu’ils cherchent) et évitera la « surprise » finale, toujours un peu pénible aux yeux des « experts ».

Enfin, il ne reste qu’à assembler les trois paquets de cartes Âge, un par âge. Au dos de chaque carte apparaît en effet un cercle bleu, jaune, vert, violet ou rouge. À deux joueurs, on utilisera toutes les cartes de deux couleurs, à cinq joueurs, toutes les cartes des cinq couleurs. Il est d’ailleurs tout à fait possible de réaliser l’âge I avec les cartes bleues et jaunes, puis l’âge II avec les violettes et rouges, puis l’âge III avec n’importe quelle combinaison de deux couleurs, tout ce qui compte est de les conserver en lot, et donc de ne pas les utiliser arbitrairement sans prêter la moindre attention à cette couleur.

La première édition de Genesia comporte également neuf cartes portant sur le dos un cercle gris. Il ne s’agit pas d’un nouveau lot, mais de cartes par lesquelles on peut remplacer d’autres cartes de notre choix avant une partie, une fois que l’on maîtrise finement les règles du jeu bien sûr.

C’est que cette répartition par lots est issue d’un équilibrage assez fin, offrant des tactiques diverses mais garantissant des parties complètes, où tous les objectifs secrets pourraient être remplis de façon satisfaisante. Un simple tirage aléatoire risquerait de ne laisser place à aucune carte d’un type donné, et donc de limiter les actions possibles tout en empêchant injustement la réalisation d’un objectif secret par exemple.

Pensez à Bunny Kingdom, qui puisait au contraire une partie de son plaisir dans un relatif chaos des cartes, plutôt équilibré par la grande quantité qu’on en tire. Avec Genesia au contraire, on est dans un jeu tiré au cordeau, où très peu de cartes seront jouées, et où ce genre de démarche est assez impressionnant. Ce n’est qu’avec une grande expérience du jeu que vous pourrez vous autoriser à des sélections tout à fait libres dans les différents lots, seulement selon vos préférences ou pour favoriser diverses valorisations tactiques (plus de cartes agressives, des déplacements beaucoup plus libres des clans, une optimisation à chaque âge…).

Si je décris ici le mode compétitif « chacun pour soi » classique, sachez qu’il est possible de jouer en équipes sans aucune altération des règles, le score le plus bas des coéquipiers comptant en fin de partie comme score de l’équipe. Pour l’avoir essayé une fois, c’est une variation assez intéressante parce qu’elle offre l’accès à un continent ami et ouvre les joueurs à un minimum de coopération, mais ne permet pour autant aucun partage de régions, de cartes ou d’armées.

 

Du primate à l’homme

Au début de l’âge I, la Préhistoire, chaque joueur reçoit six cartes. Il en choisit une et fait passer les cinq autres à son voisin dans le sens des aiguilles d’une montre. On répète le processus jusqu’à ce que chacun ait 5 cartes dans sa main, la dernière étant défaussée. On récupère également 15 pièces, un don généreux de Mère Nature dont il faudra essayer d’user au mieux.

Un âge de Genesia se déroule en quatre phases.

La première phase est la croissance. Le joueur dont c’est le tour peut y dépenser autant de fois qu’il le souhaite 2 pièces par clan qu’il souhaite placer depuis sa réserve dans sa terre natale (la zone initiale de son plateau personnel). Il peut également (et en plus) jouer les cartes Croissance de sa main (portant le symbole Clan sur fond vert). Comme on s’en doute, ces cartes permettent d’ajouter des clans, parfois en exigeant un coût, souvent gratuitement.

« Hommes de Florès » permet par exemple de poser un pion Clan dans une région 3 de son continent, c’est-à-dire l’une des trois zones portant la valeur 3 de son plateau personnel. « Invention de l’art » coûte une pièce et permet de choisir une carte déjà défaussée depuis le début de l’âge et de la mettre dans sa main. En outre, les cartes Invention sont les seules à n’être jamais défaussées, puisqu’elles rapporteront des PV à chaque âge (en l’occurrence 2). On notera avec plaisir que chaque carte porte un très court texte en détaillant le sens, sous son titre et son illustration très réussie. En outre, sous le texte synthétique expliquant son effet, un petit bandeau peut apporter une précision ou confirmer une intuition.

Quand un joueur a fait croître son clan, c’est au tour du suivant, et ainsi de suite jusqu’à la fin de la phase.

La seconde phase est l’expansion. Les joueurs pourront cette fois payer autant de fois qu’ils le souhaitent 1 pièce pour déplacer un clan d’une case (donc y compris pour déplacer un clan de plusieurs régions, plusieurs clans d’une seule…), sur une case déjà occupée par ses clans ou libre. Si l’on passe par des cases occupées par des clans adverses, il faut donner à leur propriétaire 1 pièce par région traversée et par clan traversant. Durant cette phase, on peut aussi à nouveau recruter des clans pour 2 pièces et poser des cartes Expansion (avec des flèches sur un fond rouge).

« Invention du langage » coûte par exemple 1 pièce et autorise 6 déplacements, à répartir librement. « Migrants » coûte trois pièces et déplace deux clans vers une région que l’on occupe déjà avec d’autres de ses clans, hors de Genesia, donc sur son continent ou un continent adverse, si l’on a réussi à déjà s’y rendre. « Pirogue » permet trois déplacements par invention déjà posée par le joueur actif. Pour deux pièces, « Nomades » permet directement de poser deux clans dans une région 2 de son continent.

 

 

La troisième phase est l’attaque, rarissime dans l’âge I parce qu’il faut déjà que deux clans occupent des régions adjacentes… en plus de trouver un intérêt à s’attaquer. Si au moins deux régions adjacentes sont occupées par des clans adverses, tous les joueurs concernés prennent en main leur tuile Guerre ou Paix et la dévoilent simultanément sur la face de leur choix. Si toutes les faces montrent la colombe de Picasso, on passe à la dernière phase.

Si au moins une face montre les deux épées croisées, leurs propriétaires ont droit à un seul assaut d’une région contre une autre (sans coalitions de troupes, même adjacentes et possédées par le même joueur), dans le sens des aiguilles d’une montre. Un assaut consiste simplement à défausser le même nombre de clans de part et d’autre. Si tous les clans de la région attaquée sont éliminés, le vainqueur peut y déplacer des clans de la région attaquante.

Quand tous les joueurs ayant choisi la guerre ont réalisé leur assaut, tous ceux qui peuvent être impliqués dans un nouveau conflit reprennent la tuile Guerre ou Paix et la révèlent à nouveau simultanément sur la face de leur choix. On répète le processus jusqu’à ce que tous les joueurs montrent la face Paix. Il est souvent possible d’attaquer sans que ce soit intéressant : après tout, on n’y gagne guère que le contrôle de territoires au prix de nombreux clans qu’il aurait pu être intéressant de déplacer aux âges suivants. Cela dépendra surtout de ses objectifs, de ce que l’on peut soupçonner des objectifs adverses, et bien sûr de Genesia, créée précisément pour attirer la convoitise générale.

La quatrième phase consiste à mettre fin à l’âge.

Dans toute région occupée par au moins deux clans, on ajoute un pion Cité de sa couleur. Il va de soi que cela ajoute une motivation pour les assauts, faire descendre juste assez les clans d’une région pour éviter l’installation d’une cité, très profitable à l’adversaire comme on va le voir.

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On peut également jouer les cartes Fin de l’âge de sa main représentant une cité dans des lauriers sur fond jaune, par exemple « Vallée fertile » qui octroie 2 PV par invention, ou « Grains d’orge » octroie 2 PV par cité et une pièce. En outre, il est alors obligatoire de défausser les cartes que l’on n’a pas pu/voulu jouer pour 4 pièces chacune.

Enfin, on note sur la fort jolie feuille de score les PV de chacun, donc rapportés par les cartes Invention et les cartes Fin de l’âge.

Le joueur ayant marqué le moins de PV est libre de choisir sa place sur le plateau Ordre de tour pour l’Âge II, puis le second joueur ayant marqué le moins de points, et ainsi de suite.

 

L’Âge des découvertes

Le second âge (Moyen Âge/Temps modernes) se distingue d’abord par le fait que le draft s’y fait dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, comme indiqué au dos des cartes et exactement à la manière de 7 Wonders. Comme au début de chaque Âge, on y récupère à nouveau 15 pièces.

Il est principalement caractérisé par l’extrême mobilité des clans.

Parmi les cartes Croissance, « Invention des Universités » place ainsi un clan dans une région 7, « Invasions barbares » place une cité et un clan dans une région hors de Genesia adjacente à une région occupée par une cité adverse, « Comptoir commercial » place une cité et deux clans dans la terre natale d’un adversaire (sachant qu’on peut attaquer depuis une terre natale, mais jamais attaquer une terre natale, seule zone de coexistence pacifique de cet univers)… Plus généralement, on peut désormais faire apparaître des clans (pour deux pièces) sur n’importe laquelle de ses cités, donc sans être limité à sa terre natale.

Bien sûr, les cartes Expansion sont à l’avenant : « Invention de l’astrolabe » déplace 6 clans dans des régions de valeur inférieure ou égale à la région de départ, « Expéditions religieuses » (qui est aussi une invention) donne deux déplacements par cité possédée, ou « Quête du Graal » (encore une carte faisant référence à notre monde et pas à celui de Genesia) deux déplacements par PV acquis à l’âge I, dans une limite de 14.

Les attaques sont bien plus fréquentes maintenant que les clans coexistent dans toutes les régions. La phase ne diffère de ce que l’on expliquait auparavant que par la possibilité d’assiéger des cités. S’il n’y a pas/plus de clans dans la cité (parce que son propriétaire l’aurait laissé libre ou qu’on aurait éliminé tous ses occupants), il suffit de défausser un clan lors d’une attaque depuis une région adjacente pour ôter la cité et la remplacer par une des siennes.

 

 

C’est naturellement à partir de cet âge plus interactif que se pose la question du nombre idéal de joueurs. À première vue, il vaudrait mieux faire de Genesia un jeu de duel. Deux territoires face-à-face, des affrontements équilibrés sans risque de coalitions arbitraires ou de harcèlement d’un seul par tous les autres… On notera cependant qu’avec seulement cinq cartes par âge, on s’autorisera difficilement des attaques qui ne sont pas nécessaires, d’autant que chaque assaut représente un coût en clans (et nous expose aux assauts des autres).

En outre, on ne s’oppose jamais tant à un joueur qu’à sa possession de régions convoitées en particulier. Si des alliances se construisent, elles ne seront jamais que de circonstance, de façon très éphémère, puisque ce n’est pas du tout viable à plus long terme. On ne peut même pas s’amuser à s’acharner sur celui qui possède le plus de PV puisque toute action n’allant pas directement dans le sens de ses objectifs est simplement contre-productive. Jouer à trois et plus produit simplement une dissémination des clans sur plusieurs régions adverses, une plus grande tension autour de l’île centrale de Genesia (pour laquelle on garde ses guerres) et évidemment des parties plus longues. Genesia parvient ainsi assez habilement à ne rendre aucune configuration foncièrement mauvaise, et on évitera seulement les parties à cinq pour des questions de longueur, sans se les interdire résolument

Les cartes Fin de l’âge reflètent également l’expansion des joueurs. « Tisserands » octroie deux pièces et 2 PV par région occupée sur Genesia, « Bâtisseurs » 2 PV par cité possédée hors de son continent, « Chemin des templiers » deux pièces et 1 PV par région occupée hors de son continent…

Pendant le décompte des PV, on ne prend pas en compte que les inventions de l’Âge II mais on y ajoute également celles de l’Âge I (de même qu’à l’Âge III on comptera les PV de toutes les inventions). Après tout, ce sont quand même des traits essentiels de votre civilisation, et on suppose bien qu’ils continuent de la caractériser et de lui apporter un avantage « évolutif » !

 

Tout est possible

Pendant l’Âge III, le draft se fait à nouveau dans le sens des aiguilles d’une montre, et on y récupère une dernière fois 15 pièces de la réserve.

Cet âge, le futur, est celui des possibles. La première différence cruciale est la réunion de tous les clans d’une même région en une colonie mobile. On ne dépense ainsi plus une pièce par région et par clan, mais une pièce par région pour un empilement d’autant de clans qu’on le souhaite de la région de départ. Comme on peut l’imaginer, même une carte relativement simple comme le « Tram supersonique », qui donne droit à 7 déplacements, prend une toute autre signification quand cela signifie que l’on peut déplacer des colonies entières sept fois !

 

 

La deuxième différence cruciale est l’apparition de cartes spécifiques à la phase d’attaque. « Drones » permet trois fois d’attaquer une région non adjacente distante de X régions, X étant au maximum égal au nombre de clans de la région attaquante. « Cyberdéfense » permet trois fois de déplacer vers une région attaquée, autant de clans qu’on le souhaite des régions adjacentes. « Cyberattaque » lance un assaut contre une région adverse avec deux régions qui lui sont adjacentes. « Commandos bioniques » ajoute soudain deux clans dans une région attaquante ou attaquée. « Terre de fraternité » permet de faire perdre deux clans à l’attaquant pour chaque clan attaqué (au lieu d’un pour un). « Dissuasion nucléaire » empêche toute attaque contre une région… Le grand âge de l’agressivité est donc aussi le grand âge de la paix, ou du moins de la tentative de défendre ses positions.

C’est que l’occupation des territoires prend bien plus d’importance qu’au cours des tours précédents. Non seulement des cartes Fin d’âge accordent des PV pour les régions occupées dans Genesia, dans les continents de ses adversaires ou (twist amusant) pour les régions occupées sur son continent pas ses adversaires, mais le décompte final prend en compte sa possession des territoires…

 

Vers d’autres chronotopes

Quand le troisième âge s’achève, on ajoute à l’habituel décompte des inventions des trois âges et des cartes Fin d’âge les points de rayonnement et de conquête.

Les points de rayonnement, ce sont 2 PV par région occupée sur un continent adverse (donc hors Genesia).

Les points de conquête sont la somme de la valeur de toutes les régions occupées, entre 0 (la Terre natale) et 15 (l’île centrale de Genesia).

Et naturellement on dévoile enfin son objectif secret pour en évaluer la réussite. Il pouvait par exemple s’agir de gagner 4 PV pour chaque lot de deux cités adjacentes, 7 PV par série de 3 régions de même valeur dans un continent, 2 PV par invention, 2 PV par région occupée dans un continent adverse… Chacun des 12 objectifs secrets est sensiblement différent des autres, juste assez pour infléchir la tactique de chacun et donc varier les parties sans la transformer radicalement.

On pourrait par exemple se dire qu’un peuple « inventif » gagnant 2 PV par invention est un peuple plutôt pacifiste, ne trouvant aucun intérêt à l’assaut, tout à fait éloigné de son objectif secret. Sauf qu’à l’objectif secret s’ajoutent toujours les points de rayonnement et de conquête, et qu’il serait donc suicidaire de se focaliser exclusivement sur le premier quand seul un habile équilibre des trois peut garantir le meilleur score.

Le joueur avec le plus de Points de Victoire remporte la partie, l’égalité favorisant celui qui a remporté le plus de points d’objectif grâce à son objectif secret, puis celui qui a remporté le plus de points avec ses inventions et cartes de fin d’âge.

 

Sans adversaires, le défi de la coexistence

Genesia est doté d’un mode solo, ce qui n’est pas commun, puisqu’aucun des titres auxquels on pourrait le comparer (7 WondersHadaraBunny Kingdom…) n’en propose.

Le joueur tentera de profiter de la coexistence pacifique de deux peuples pour que l’un et l’autre en tirent le meilleur, la mise en place reprenant donc celle pour deux joueurs (deux couleurs de clans, deux continents liés à Genesia), contrôlés par un seul.

Ce mode solitaire se décline en trois difficultés (débutant, expert, héroïque). On ne prend à chaque fois que les lots jaune et bleu, mais en écartant des cartes précises selon la difficulté choisie.

Il n’y a évidemment pas de phase d’attaque, pas d’objectif secret, pas de draft (chaque peuple dispose simplement des 5, 5 et 4 cartes distribuées aux trois âges), et aucune pièce n’est récupérée en début d’âge, ce qui donnera à la défausse une importance qu’elle n’a clairement pas dans les parties « normales » et fluidifie nettement les parties.

Le plus difficile sera d’équilibrer le score de ses deux peuplades, seul le plus bas important en fin de partie. On tente donc autant que possible de les répartir dans Genesia et de les déplacer sur le continent ami pour bénéficier des points de rayonnement.

Les règles considèrent que le mode débutant est réussi si l’on y obtient au moins 100 points et le mode expert au moins 130, le véritable défi étant ensuite de réaliser le meilleur score possible dans le mode héroïque.

La grande question que l’on se pose face aux modes solo est souvent celle-ci : aide-t-il à mieux s’initier aux règles, à affiner sa tactique, ou cherche-t-il à proposer une expérience radicalement distincte ? Genesia répond aux deux premiers cas de figure, et s’avère étonnamment intéressant (pour être honnête) dans sa tentative d’un mode fluide, dynamique, reprenant pourtant fidèlement les mécaniques du mode multijoueurs.

Je n’ai pour l’instant essayé que le mode débutant, mais ne manquerai pas de mettre à jour cette section si des remarques me viennent en me lançant dans les difficultés supérieures. Si vous êtes plus habitués aux jeux solo, n’hésitez d’ailleurs pas à adresser vos remarques en commentaire pour amender cette section ou relater vos impressions !

 

Genesia, une nouvelle étape dans l’évolution de votre ludothèque ?

Difficile de ne pas penser à 7 Wonders et Bunny Kingdom en voyant Genesia. On est après tout face à un jeu de draft de cartes proposant de construire une civilisation sur trois âges par la pose de jetons sur un plateau dont on cherche à contrôler les régions. À première vue, cela fait beaucoup de similarités, et pourtant, même si l’on peut être très légitimement attiré par d’autres jeux de civilisation à base de draft (et qui ne le serait pas ?), l’analogie est parfaitement fausse tant Éric Labouze parvient à produire de sensations différentes.

Outre les superbes illustrations de Fabrice Weiss et Alexei Iakovlev, la grande force de Genesia est dans sa variété. Variété radicale des âges, qui parviennent à traduire mécaniquement certaines différences entre la Préhistoire, le Moyen Âge/Temps modernes et le futur, et offrent ainsi une nouvelle manière d’aborder le monde à partir des acquis de l’ancien. Variété radicale des cartes, chacune offrant des opportunités très différentes des autres et ouvrant donc la voie à des options tactiques que l’on n’aurait simplement pas envisagées sans leur récupération.

Ces cartes Âge sont d’autant plus essentielles pour comprendre ce qui fait de Genesia un titre passionnant qu’on n’en posera pas plus de 15 au cours de toute la partie, 5 par âge maximum si on n’en défausse aucune pour récupérer de précieuses pièces. On ne les choisit ni ne les utilise donc à la va-vite, mais on doit essayer de les inscrire dans une optimisation réfléchie de sa peuplade. Boostera-t-on plutôt sa croissance, son expansion, son agressivité, sa capacité défensive, son inventivité, préférera-t-on se récompenser déjà du travail accompli, prendre de l’avance sur les points au détriment d’une avance civilisationnelle ? La conscience qu’on ne pourra pas tout faire, loin de là, met la tension à son comble

 

 

Une telle variété pourrait faire craindre le chaos, surtout avec l’interactivité inhérente au système de déplacement des clans sur les plateaux, avec l’avantage accordé au joueur capable d’investir au mieux le continent central de Genesia et les continents de ses adversaires. Encore une fois, la limite du nombre de cartes à chaque âge et leur différence fait des miracles : on n’aura qu’exceptionnellement intérêt à en sélectionner une pour qu’un autre ne l’ait pas, et le jeu ne récompensant pas l’agressivité en soi (par des points pour chaque victoire par exemple) mais seulement certaines de ses conséquences (par la possession de nouveaux territoires ou le blocage de l’expansion d’un adversaire), et toujours en entraînant un coût (l’attaquant perd autant de clans que l’attaqué), elle devient une option plus qu’une nécessité, à laquelle il ne faut céder que ponctuellement avec la certitude qu’elle nous avantagera vraiment.

Entre son équilibrage remarquable, son interaction mesurée et un certain plaisir matériel constamment associé aux jeux Super Meeple, Genesia fait très vite oublier sa dimension relativement abstraite pour nous plonger dans une valse de clans très stimulante.

On ressort de Genesia avec une confiance encore accrue en Super Meeple, qui pour son troisième jeu original seulement continue de frapper fort ; avec la soif d’une extension (et Super Meeple vient justement de sortir la première extension de son catalogue pour Couleurs de Paris), qui pourrait contenir de nouveaux types de pions, de nouveaux plateaux, surtout de nouvelles cartes ; et avec une grande curiosité pour les prochains travaux d’Éric Labouze et de sa maison Citizen Game (dont c’était quand même le premier jeu !)… D’autant qu’il oeuvre déjà sur Climax, et que la tranche de la boîte envisage vaguement une « suite » à Genesia !