Oriflamme, le jeu de cartes entre Gwent et Love Letter

La semaine passée, je présentais Alubari, le premier jeu édité par Studio H. Il s’agissait plus précisément du premier des deux jeux publiés simultanément, de même que son éditeur-soeur Funnyfox publiait à la fois Ceylan et Monster Rush. Pour accompagner ce jeu de société expert sur la construction de trains et la plantation de thé dans la province de Darjeeling, Studio H faisait en effet paraître Oriflamme, le jeu de cartes d’Adrien & Axel Hesling, illustré par Tomasz Jedruszek (L’Horreur d’ArkhamDominionLe Seigneur des Anneaux : le jeu de cartes, Battles of Westeros) dans un style fantasy pictural proche des thèmes qu’il a l’habitude de dessiner, soutenu par Forgenext,

Vendu 15 euros, il s’adresse à 3 à 5 joueurs de 10 ans et plus pour des parties de 20 à 30 minutes.

 

 

Du Gwent et de Love Letter à Oriflamme

Le Gwent, c’est le jeu de cartes pratiqué par les personnages des jeux vidéo (et pas des romans, ni de la série donc) The Witcher. Ce qu’il a d’extrêmement plaisant, ce n’est pas tant sa dimension de JCC (puisque l’on récupère de nouvelles cartes en vainquant des champions un peu partout) que la relative petitesse des decks, dont on pose les cartes/unités sur trois rangées, chaque carte ayant ses pouvoirs, et leur disposition militaire ayant évidemment une importance tactique cruciale.

Love Letter, c’est le jeu de cartes physique culte de Seiji Kanai. Il consiste en 16 cartes à peine, de seulement huit types différents, les joueurs posant une seule carte l’une après l’autre parmi deux de leur main dans des parties de deux minutes, puisque le seul objectif en est de faire défausser son adversaire grâce aux pouvoirs divers de ces personnages d’une Cour royale. Comme les joueurs connaissent vite les cartes et la probabilité qu’ils tombent, on en écarte aléatoirement au début de chaque partie.

Oriflamme peut évoquer ces illustres exemples en ce qu’il se décline dans un matériel assez minimaliste, chaque joueur ne possédant en tout et pour tout que dix cartes, les mêmes que ses adversaires, et chacune possédant son petit pouvoir que l’on apprend vite à connaître par cœur pour faire pencher l’équilibre, dans un jeu aux graphismes medieval fantasy où le positionnement de ses unités est essentiel…

A-t-il de quoi devenir aussi addictif que le premier (qui est évidemment devenu un jeu vidéo à part entière, à la Hearthstone) ou aussi classique que le second ? C’est ce dont vous allez peut-être pouvoir juger en comprenant mieux ses mécaniques et son intérêt !

 

Cinq familles pour un trône

La mise en place d’Oriflamme est extrêmement simple : chacun reçoit les dix cartes arborant son blason et sa couleur et en écarte trois au hasard, placées face cachée, les autres constituant sa main.

Il y ajoute un jeton Point d’Influence (PI), devant lui.

La tuile Premier joueur est remise au plus âgé, qui inaugure également la partie en posant la tuile Sens de résolution. On posera en effet les cartes au centre de la table sur une même ligne, et c’est cette tuile qui définira dans quel ordre on les résout.

Une partie d’Oriflamme dure six tours, divisés en deux phases.

Pendant la première (la phase de placement), chacun pose à tour de rôle une carte de sa main face cachée dans la file, à droite ou à gauche de la file déjà constituée par les cartes précédemment posées.

Pendant la seconde (la phase de résolution), dans l’ordre défini par la tuile Sens de résolution, les propriétaires des cartes en jeu décident s’ils révèlent ou non leur carte.

En la conservant face cachée, ils y posent 1 PI.

En la dévoilant, ils récupèrent les PI qui pouvaient s’y trouver et activent obligatoirement leur pouvoir, même s’il leur est défavorable.

L’Archer élimine la première ou la dernière carte de la file, qu’elle soit face cachée ou révélée, toute élimination rapportant 1 PI à son propriétaire. Le Soldat élimine une carte adjacente. La Changeforme copie la capacité d’un personnage révélé adjacent. L’Espion vole 1 PI au propriétaire d’une carte adjacente à l’Espion. L’Héritier rapporte 2 PI s’il est le seul personnage portant ce nom révélé (si son pouvoir est copié par la Changeforme, il faut donc qu’elle soit la seule Changeforme pour gagner les 2 PI, indépendamment du nombre d’héritiers). Le Seigneur octroie 1 PI, plus 1 PI par personnage adjacent appartenant à la même famille.

D’autres cartes sont des actions, que l’on pose face cachée et révèle de la même manière, mais que l’on défausse aussitôt que leur pouvoir est activé. Le Complot permet de gagner le double des PI se trouvant sur la carte au moment où on la révèle. Le Décret royal permet de déplacer n’importe quelle carte n’importe où (donc qu’elle nous appartienne ou non, qu’elle soit révélée ou non). L’Assassinat élimine n’importe quelle carte de la file. Les PI posés sur l’Embuscade sont perdus quand elle est révélée (ce qui n’est pas précisé sur la carte, hum…), mais elle rapporte tout de même 1 PI… à moins qu’elle soit éliminée par un personnage adverse, auquel cas elle octroie 4 PI et élimine l’attaquant en retour, un excellente garde-fou contre les joueurs trop agressifs, ainsi contraints à la prudence !

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Des pouvoirs redoutables, évidemment compensés par le fait qu’une fois révélées, ces cartes disparaissent, alors que les personnages restent en place aux tours suivants, leurs pouvoirs étant réactivés dans le sens de résolution même si elles ont été révélées plus tôt ! Sauf qu’une carte dévoilée ne peut plus cumuler de PI, et a l’inconvénient d’être connue de tous et donc vulnérable…

Quand une carte est défaussée ou éliminée, on rapproche aussitôt les deux cartes à sa gauche et sa droite pour les rendre adjacentes : il n’y a jamais de trou dans la file que l’on pourrait combler au lieu de placer sa prochaine carte tout à droite ou tout à gauche. Une telle élimination peut donc servir non seulement à faire disparaître une carte ennemie avec un pouvoir pénible, mais aussi à rapprocher volontairement deux cartes dont l’activation l’une après l’autre peut s’avérer particulièrement intéressante.

En outre, à partir du second tour, une nouvelle règle de pose autorise de placer sa carte sur une autre de ses cartes (même si elle est déjà recouverte d’ailleurs). Une carte recouverte ne peut plus cumuler de PI, être révélée ou être activée, cela n’est possible qu’à la carte au sommet de la pile. L’intérêt de la manœuvre est double : il peut s’agir de protéger la carte recouverte, puisqu’il faut évidemment éliminer celles qui sont au sommet avant d’avoir accès à celles du dessous, et il peut s’agir de profiter de la position d’une carte dans la file pour rendre le pouvoir d’une carte en main plus intéressant. Une carte face cachée intriguera vos adversaires sans nécessairement représenter une menace urgente. Mais placez-y un espion, un soldat voire un seigneur, trois personnages dont le pouvoir est relatif à l’adjacence, et vous verrez qu’une carte insignifiante au beau milieu de la file peut soudain s’avérer essentielle !

Quand tous les joueurs ont posé une carte et qu’on a appliqué les effets de la file, le suivant dans le sens des aiguilles d’une montre devient Premier joueur, et on recommence un tour.

Vous remarquerez que le sens de la file ne change pas. Il est très probable qu’il ait été envisagé à un stade de la conception que le nouveau Premier joueur pouvait décider de conserver le même sens ou tourner le jeton, ce qui dans l’idée semble assez délicieux, mais que le point de règle ait été supprimé parce que cela engendrait trop de chaos, les mécaniques simples d’Oriflamme ne permettant pas de tenter de prendre en compte cette donnée supplémentaire.

La partie s’achève donc à la fin du sixième tour, quand il reste à chacun une carte en main, qu’il ne posera pas. Comme vous vous en doutez, le joueur avec le plus de PI devant lui (pas sur les cartes, trop tard !) remporte la partie : il pourra mettre un membre de sa famille sur le trône. En cas d’égalité, il faut posséder le plus de personnages dans la file : logique, à influence égale, la famille dont le plus de membres sont récemment décédés a tout intérêt à se rétracter… pour l’heure.

 

Oriflamme, flamboyant jeu d’ombres

Oriflamme fusionne de façon stimulante des idées qui pourraient provenir du Gwent et de Love Letter pour un jeu simple, résolument agressif, ne proposant que dix types de cartes différentes et se jouant en six tours, durant lesquels on n’en pose qu’une. L’importance de bien les positionner, l’hésitation sur l’intérêt de les révéler ou de les maintenir face cachée, l’incertitude naissant de l’ignorance de ce que les autres ont dans leur main (on retire chacun trois cartes de son jeu secrètement en début de partie) ou dans la file, créent cependant une profondeur inattendue et une tension assez passionnante.

En plus de simuler parfaitement le thème bien sûr, les cruels complots qui se trament dans l’ombre pour accéder au pouvoir, dans un jeu d’ombres avec une grande part de chaos, dont il est cependant possible de délimiter progressivement les contours et de tirer profit, tandis que l’on renonce à avoir toutes les cartes en main.

En tant qu’addition à Alubari, dont il compense la complexité, Oriflamme prouve une intéressante volonté d’éclectisme dans l’ambition de son éditeur Studio H, qui redouble l’attention pour ses futures annonces !

 

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