Mandala – tacticité et éphémérité des duels de sable

Quand on pense « jeux pour deux », l’un des premiers éditeurs à nous venir à l’esprit est normalement Lookout Games. Pourtant, l’éditeur allemand ne résume pas sa production à cette configuration particulière (il publie par exemple aussi Agricola), il ne cherche pas à en produire de particulièrement beaux ou ambitieux (à la 7 Wonders Duel ou récemment à la Cairn), n’en réalise même pas tant que cela chaque année, mais avec Caverna – Caverne contre CavernePatchwork (mon petit préféré), Patchwork Express, Foothills, ainsi que d’autres titres jouables à davantage et particulièrement agréables à deux (BärenparkGingerbread House, Isle of Skye), il s’est réellement imposé dans ce domaine par la variété, l’accessibilité et la très grande finesse tactique de ses propositions. Qu’il ait récemment ajouté à cette gamme le Mandala de Trevor Benjamin (War ChestHigh Risk) et Brett J. Gilbert (High Risk, Chocolate Factory, Professor Evil et la Citadelle du temps), illustré par Klemens Franz (qui a illustré tous les jeux cités précisément, ainsi que MontanaNoriaPort Royal…) et localisé par Funforge (Tokaido, Monumental, Namiji, Évolution, et tous les jeux Lookout cités), a donc de quoi attiser le plus grand intérêt.

Si on se doute bien sûr que le thème du mandala sera un prétexte à l’habituel jeu tactique abstrait, difficile de se départir de l’idée qu’il possède également une valeur esthétique et ludique. En effet, les moines bouddhistes sont connus pour la création de mandalas somptueux à partir de sable coloré, une pratique spirituelle et méditative qui s’achève par la cérémonie de la dissolution, le motif étant détruit pour rappeler l’éphémérité de tout art et de toute vie. Les auteurs feront-ils usage de ce cycle dans leur oeuvre ? C’est ce qu’on va voir dans le test de Mandala, un jeu accessible à partir de 10 ans pour des parties de 30 minutes, vendu 20 euros.

 

L’univers du mandala

La première originalité de Mandala, c’est l’absence de plateau cartonné au profit d’un tapis, très joliment et clairement imprimé. On y gagne en poids et en taille de boîte bien sûr, donc en prix, mais aussi en thème, puisque chaque pli du tapis forme comme une petite dune de sable. Je serais très curieux de savoir si la solution est plus écologique qu’un plateau plus classique et s’il faudrait l’envisager pour améliorer généralement l’industrie. Un avis, Funforge ?

Le reste du matériel n’est composé que de deux aides de jeu et de 110 cartes Sable (18 de chacune des six couleurs, noir, vert, jaune, rouge, orange, violet). On s’attribue les premières, et on fait une pile des autres à côté du plateau.

Le centre de celui-ci est composé de deux mandalas. Au centre de chaque mandala (dans la Montagne, zone commune aux deux joueurs), on place deux cartes Sable face visible depuis la pioche.

Les joueurs piochent 8 cartes Sable, 6 pour leur main, 2 qu’ils posent face cachée devant eux pour former leur Bassin, dans le coin inférieur droit de « leur partie » du tapis.

Et il est déjà temps de commencer, une mise en place encourageante non seulement parce qu’elle est si rapide, mais aussi et surtout parce que malgré le peu de variété des éléments, on devine au tapis une certaine profondeur du titre, dont on a hâte d’avoir la confirmation en commençant la partie.

 

 

 

Construire et détruire, le cycle de la création (des points de victoire)

L’objectif de Mandala sera… de composer des mandalas, ou plus précisément de les détruire de la façon la plus profitable.

À son tour, on n’effectue qu’une action sur trois avant de passer la main. Comme souvent chez Lookout, ce nombre restreint d’actions simples dissimule naturellement les importantes implications de chacune, tout en favorisant la fluidité des tours, primordiale dans un jeu à deux.

Ces actions sont toujours soumises à un impératif chromatique : une couleur ne peut apparaître que dans une des trois zones du mandala (la montagne, au centre, ou les champs, de part et d’autre de la montagne et appartenant à chaque joueur). S’il y a déjà du vert sur le côté adverse du champ, impossible d’en placer dans son champ ou sur la montagne, mais l’adversaire pourra toujours poser des cartes Sable vertes sur son champ.

 

 

 

 

La première action consiste à poser une carte de sa main face visible sur l’une des deux montagnes. On pioche ensuite trois cartes, ou moins si l’on arrive à la limite de huit cartes en main. Puis on vérifie si le mandala est terminé.

La deuxième action consiste à prendre une ou plusieurs cartes Sable d’une même couleur de sa main et à les placer face visible sur l’un de ses deux champs, avec l’obligation d’avoir encore une carte en main après la pose. Puis on vérifie si le mandala est terminé. Comme vous le remarquerez, il n’est pas question ici de piocher, et donc de refournir sa main, seule la première action, moins fructueuse, offrant cette possibilité. Une partie du sel de Mandala consiste ainsi à hésiter entre le fournissement des champs (qui permet de choisir le premier la couleur de la montagne que l’on récupère au moment de la complétion du mandala, et donc de fournir plus aisément sa rivière) et la pioche permettant ensuite de mieux fournir les champs…

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La troisième action consiste à défausser une ou plusieurs cartes de même couleur de sa main, sans se soucier de la règle des couleurs, pour en piocher le même nombre. On ne contribue pas aux mandalas, on ne pioche pas plus de cartes qu’on en avait, mais on rend sa main plus efficace, et l’on force éventuellement l’autre à agir quand il pouvait s’attendre à ce que l’on fasse progresser la complétion de mandalas qui lui seraient favorables…

Un mandala est complet quand il utilise les six couleurs de sable. À tour de rôle, en commençant par le joueur ayant le plus de cartes dans son champ sur ce mandala (et sinon par celui qui n’a pas joué la dernière carte), chacun choisit alors une couleur et récupère toutes les cartes arborant cette couleur dans la montagne.

Si aucune carte de cette couleur n’est présente dans sa rivière (constituée de 6 cases numérotées de 1 à 6), au bas de son côté du plateau, il en place une sur la case au chiffre le plus bas, et pose le reste face cachée dans son bassin. Si une carte de cette couleur était déjà présente, il placerait tout dans son bassin.

Vous avez donc compris qu’il peut très bien n’y avoir qu’une couleur dans la montagne, et jusqu’à 6 différentes. Un joueur qui n’aurait cependant placé aucune carte dans son champ défausserait toutes les couleurs récupérées au lieu de les utiliser pour son bassin et sa rivière. Une fois toutes les cartes de la montagne distribuées, les cartes des champs sont défaussés.

Si aucun joueur n’a complété sa rivière avec les six couleurs, on prend deux cartes de la pioche et on les place sur la montagne.

 

 

Si un joueur a achevé sa rivière, la partie s’achève. S’il n’y a plus de cartes dans la pioche, on utilise les cartes de la défausse jusqu’à ce qu’un mandala soit complété et détruit, et on met fin à la partie même si aucun joueur n’a rempli sa rivière.

À chaque carte de la rivière (donc à chaque couleur) correspond un chiffre entre 1 et 6,on l’a dit. C’est le nombre de points que vaudra chaque carte de son bassin ayant la même couleur. Inutile de préciser qu’être le premier à achever sa rivière est extrêmement profitable, puisqu’on dispose de cartes valant 6 points. Mais courir pour achever sa rivière peut impliquer un bassin mal pensé, où peu de cartes correspondraient aux couleurs valant le plus de points.

Il faut ainsi savoir trouver un équilibre entre course à la rivière et fournissement du bassin, avec le risque permanent qu’en accumulant dans une couleur dont on espère faire la dernière de sa rivière on se retrouve en fin de compte avec rien, quand son adversaire a achevé sa rivière le premier et que la couleur sur laquelle on misait tout n’est donc même pas représenté dans la nôtre.

Si vous n’êtes pas impressionnés par l’efficacité du système, je ne sais pas ce qu’il vous faut.

 

 

Mandala, nouvel indispensable de la gamme pour deux joueurs de Lookout/Funforge

Avec Mandala, on retrouve l’élégance miraculeuse d’un Patchwork. Les règles sont si simples que le feuillet en explicite tous les non-dits les plus évidents et s’autorise des répétitions qui en font un modèle de clarté. La partie avance inexorablement au fur et à mesure que la pioche se vide et que les rivières se remplissent, avec l’impossibilité d’enrayer le rythme du jeu, puisque chaque geste réduit la première ou fait progresser un mandala, et donc la complétion de la seconde, et puisque les actions ne sont qu’au nombre de 3 et limpides au possible.

Même s’il n’est assurément pas très hindou ni très bouddhiste de capitaliser sur la création et la destruction des mandalas, force est de constater que ce cycle créatif a inspiré à Brett J. Gilbert et Trevor Benjamin une mécanique originale dans sa pureté, redoutable dans sa tension, séduisante dans son accessibilité et son matériel. Quel plaisir que de tester cette oeuvre en même temps que Cairn et de découvrir en même temps deux de mes futurs classiques pour deux joueurs !