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Mystery, la BD dont vous êtes le super-héros

Mystery, la BD dont vous êtes le super-héros

 

Il y a quelques mois, j’avais été conquis par Kuala, la tentative par Makaka et Blue Orange de concilier les bandes dessinées dont vous êtes le héros (la spécialité de Makaka) et jeu de société, donc avec une dimension de rejouabilité et évidemment la possibilité de le pratiquer à plusieurs. Quelques points étaient perfectibles (la qualité matérielle des livres, dont les pages se détachaient après quelques parties, la complexité du calcul final), mais l’expérience était d’une folle originalité et le défi relevé au-delà de toute attente. Un autre opus est d’ailleurs en préparation, dont j’espère vous parler bientôt.

Avant cela, je ne connaissais guère de Makaka que le très amusant Sherlock Holmes, écrit et dessiné par Ced, qui tout réussi qu’il était semblait en effet confirmer que comme un « livre dont vous êtes le héros » ou un escape book une telle bande dessinée ne pouvait être que linéaire et fatalement « kleenex ». Or j’ai récemment découvert qu’avant Kuala, Makaka cherchait déjà à explorer plus avant le potentiel du genre, par exemple dans son Mystery, qui m’attirait évidemment d’autant plus qu’en tant que chercheur universitaire sur les super-héros, la promesse d’une « BD dont vous êtes le super-héros » promettait un certain agrément.

Ce Mystery est toujours scénarisé par Ced, mais illustré par Stivo, et il s’inscrit dans la continuité de la saga des bandes dessinées Mystery de l’éditeur, racontant le parcours du super-héros éponyme. Pas d’inquiétude cependant, inutile d’avoir lu les deux opus précédents pour comprendre cette BD dont vous êtes le super-héros, puisque Mystery n’y est qu’un personnage secondaire quand on y incarne un héros sans nom et sans physique, propre à toutes les réappropriations.

Tandis que les trois « vraies » bandes dessinées Mystery coûtent 17 euros pour 96 pages, cet opus ludique en coûte 19 pour 144 pages, ce qui ne peut sembler beaucoup que tant que l’on n’a pas vu la qualité matérielle et graphique de l’ouvrage, sa reliure, son papier glacé, le soin apporté par Stivo à des dessins dans la droite lignée des Indestructibles.

Mystery Makaka

Une BD dont vous êtes le héros ?

Comme on s’en souvient assurément, le principe d’un « livre dont vous êtes le héros » est de construire un personnage, parfois en lui donnant un nom, au moins en lui choisissant des caractéristiques, soit grâce à un tirage aux dés, soit en distribuant une quantité limitée de points de compétences. Puis on navigue de paragraphe en paragraphe en lisant le texte, en faisant des choix (« si vous prenez à droite, allez au paragraphe 166 », « si vous tentez de tuer le monstre, allez au paragraphe 301 »…), en confrontant ses compétences aux obstacles sur notre route, et en tentant donc d’aller au bout de l’histoire. En prenant un mauvais chemin ou en échouant une confrontation fatidique, on peut y mourir et donc recommencer depuis le début, mais avec une certaine connaissance de ce qui va suivre qui confère un indéniable avantage.

Une « BD dont vous êtes le héros » suit évidemment le même principe, sauf qu’au lieu de naviguer de paragraphe en paragraphe, on navigue de dessin en dessin, qu’il s’agisse juste d’une vignette (le cas le plus fréquent) ou d’une succession de planches. Cela peut donc avoir un inconvénient, que l’on voie un dessin quand on était supposé lire le suivant (par exemple le 201 alors que le chemin nous menait au 202), ce qui arrive évidemment plus fréquemment que dans un livre où l’on lit rarement par erreur tout un texte qui ne nous était pas adressé. Pour éviter cela, il convient que l’intrigue propose quelques sentiers facultatifs, de sorte que l’on ne soit pas certain en voyant une image par mégarde si elle nous concernera bien un jour, qu’elle comporte des sinuosités, une certaine diversité de lieux et d’événements, de sorte que cette image suscite davantage notre désir d’arriver à ce moment qu’elle ne nous spoilerait un événement proche, et qu’elle ne dévoile rien qui détruirait l’expérience, en nous disant par exemple « bravo, le code était bien 233 ».

Inutile de dire que, compte tenu de l’expertise de Ced et de Makaka, Mystery évite brillamment tous ces écueils. Ils se sont naturellement arrangés pour ne jamais trop rapprocher deux vignettes trop liées par l’histoire (la base), mais ils profitent également de l’univers super-héroïque pour proposer une admirable diversité d’environnements urbains et plus loufoques (et croyez-moi, quand vous voyez un capitaine pirate morse, un dragon ou des zombies, vous avez juste hâte de découvrir comment on arrive à ces embranchements-là !), et si l’on est évidemment invité à suivre une trame générale, de nombreux secrets peuvent nous apporter de la réputation ou des compétences grâce à des numéros cachés dans les illustrations (à la Unlock!), et la plupart des actions peuvent être résolues de plusieurs manières différentes, et donc plus ou moins heureusement.

 

On recrute chez les super-héros

À Chicago, en 2017, Mystery et sa Légion des Combattants cherchent à recruter un nouveau héros pour combattre un crime boosté par la possibilité d’acquérir aisément des super-pouvoirs. On reconnaît immédiatement la Justice League, Shadowdark étant une évidente parodie de Batman avec sa Shadow Mobile, son absence de pouvoirs, sa relation ambiguë avec Fennec Woman, ses propositions sécuritaires un peu extrêmes… On sent qu’il a particulièrement inspiré les auteurs, ce qui n’était évidemment pas pour déplaire à l’auteur d’un livre consacré au chevalier noir ! On reconnaît aussi aisément Flash dans Slap, Wonder Woman dans Miracle Woman, une espèce d’Aquaman… Cette parodie qui se dissimule à peine offre quelques détournements faciles mais savoureux, dans un opus regorgeant d’humour, et ainsi franchement rafraîchissant.

Le joueur commence par lire le prologue, puis télécharge et imprime une feuille de personnage (ou la complète directement dans le livre, mais ce serait dommage). Il y inscrit son nom de super-héros et peut choisir une représentation physique, ou (et c’est le livre qui nous y invite) demander à l’un des auteurs de lui dessiner un avatar à son goût s’il le croise en dédicace ! Il y distribue enfin deux points de caractéristiques entre Vol, Force, Supersens… et tas de fric (le super-pouvoir de Batman et Iron Man, à ne négliger sous aucun prétexte). On aura accès quand on le souhaite au Métamorpheur pour passer un point de compétence dans une autre compétence, mais seulement trois fois, et au risque de certains dysfonctionnements… Et bien sûr, de nombreuses occasions nous seront données de gagner des points, plus ou moins louches, plus ou moins risqués, donc pas de précipitation…

On a donc accès à une carte de Chicago, constitué de quatre numéros bleus (le Zoo, le bar Capt’n Cocktail, le New Daily, le QG, les Bas Quartiers), un numéro rouge (une île), un numéro noir (le H2 Center) et un numéro violet (un dirigeable). On ne pourra au début se promener qu’entre les lieux bleus pour tenter de se faire une réputation et ainsi atteindre les 100 points de Grande Classe qui permettront d’accéder au Niveau 1 et aux lieux noirs. Puis avec 200 points on accédera au Niveau 2 et aux lieux rouges, et avec 300 on se sera bien distingué de ses concurrents et on devrait pouvoir rejoindre la Légion des Combattants… si tout se passe bien.

 

 

L’idée est bien sûr très ingénieuse, on commence comme un super-héros très basique, résolvant de petits problèmes avec de petits pouvoirs, et d’ailleurs souvent obligé d’en changer pour affronter des obstacles que notre distribution de compétences nous rendait inaptes à surmonter, puis on se sent de plus en plus puissant au fur et à mesure qu’on débloque des lieux et plus de pouvoirs. Gagner de l’expérience est ainsi un habile prétexte à nous faire multiplier les quêtes secondaires dans l’ordre de notre choix, à la manière d’un Metroidvania, c’est-à-dire que l’on explore diverses voies et qu’en étant confronté à un obstacle, on retiendra ce qu’il nous manquait, et qu’on y reviendra plus tard en disposant de l’objet ou des compétences manquantes.

Là où Mystery devient formidable, c’est qu’on nous opposera rarement un choix binaire de type « si vous avez 3 points de force allez en 121, sinon fuyez en 86 », et plus souvent « si vous avez 3 points de force, allez en 121, si vous avez 2 tas de fric allez en 99, si vous avez quatre points de supersens allez en 201, sinon tentez de fuir en 121 ». Il ne s’agit pas que de débloquer une situation, mais de comprendre comment la débloquer au mieux, quand il faut foncer dans le tas, quand il faut se montrer compréhensif, avec une louable propension à avantager les solutions non-violentes d’ailleurs, l’astuce plutôt que le bourrinage de points.

Cela illustre très joliment les choix moraux parfois difficiles du super-héros, tout en produisant aussi régulièrement des résultats inattendus et drôles, au point que l’on souhaitera presque systématiquement refaire l’aventure pour découvrir les autres options (ou aller voir directement ce que cela aurait donné, ne faites pas semblant !).

Outre ces choix, on sera également confronté parfois à quelques énigmes, accessibles mais demandant un peu de réflexion ou de chercher davantage d’indices pour les résoudre. En outre, Mystery contient quelques QR codes, qui savent ne pas être nombreux, ne pas se montrer indispensables, mais octroyer un joli bonus au besoin. Cela trahit bien sûr le livre de 2016, le QR code n’apparaissant plus autant que « jadis » comme un formidable vecteur de curiosité et de rapidité. On appréciera pourtant la volonté d’ingéniosité et de variété dans la manière même d’appréhender les informations.

 

Il n’y a que sur la fin que je pourrais émettre une petite réserve. Je ne veux pas spoiler, mais il peut être important de savoir que l’intrigue ne se conclut pas réellement. Plus précisément, Mystery tient bien ses promesses en permettant au joueur de mériter la Ligue des Combattants, mais on rencontre ce faisant un super-vilain que l’on ne peut pas appréhender, la véritable conclusion se trouvant dans le volume 3 de la bande dessinée Mystery, Passé décomposé. D’un côté, je trouve dommage de ne pas profiter d’un sentiment final d’accomplissement. De l’autre, l’absence de conclusion réelle fait évidemment référence à l’impression que l’on a souvent en BD super-héroïque que l’histoire ne finit jamais, que même quand tout semble résolu et le méchant emprisonné ou mort, on le revoit rire dans l’ombre parce que « tout se passe comme prévu ».

S’agit-il donc d’une démarche mercantile pour vendre la bande dessinée ? Pas forcément, plutôt d’une manière de faire sentir qu’on est dans un cycle en apportant un ultime rebondissement, une ouverture après la conclusion. On voulait intégrer la Ligue, et si on est arrivé jusque-là, on l’a bien intégrée. La suite est évidemment à réserver pour un autre temps, et pour une oeuvre plus linéaire puisque ses tenants et aboutissants sont plus clairs. Cela peut s’avérer frustrant une seconde, mais Mystery parvient à nous faire sentir que l’on a réussi ce que l’on voulait accomplir, d’autant que cette fin ouverte a un épilogue nous ramenant à notre objectif.

On nous accorde en effet enfin le droit de calculer nos points, en additionnant nos points de Grande Classe, nos points de caractéristiques et le nombre de criminels arrêtés au niveau 3 multipliés par 10, mais en y soustrayant le nombre d’usages du Métamorpheur multiplié par 10. Selon que le total se trouve sous la barre des 400, entre 400 et 500 ou au-dessus de 500, on n’aura pas droit à la même place dans la Ligue et à la même reconnaissance publique, vous vous en doutez, mais je vous laisse découvrir cela !

 

Mystery, super-BD dont vous êtes le super-héros ?

Le Mystery de Ced, Stivo et Makaka est un régal de bout en bout. Il ne propose pas seulement une grande variété de quêtes, d’environnements et de choix mais parvient régulièrement à témoigner d’une certaine ingéniosité, notamment dans son côté Metroidvania, en récompensant l’exploration non-linéaire, le raisonnement dans la résolution des énigmes et des conflits, le développement de ses compétences, et la capacité à se rappeler où l’on pouvait débloquer une situation grâce à un pouvoir acquis ailleurs. Très joliment dessiné, plein de rebondissements et d’humour, il fait espérer une suite à la manière de Kuala et du futur Sherlock (à paraître en novembre), avec la possibilité de vivre ces aventures à plusieurs, et chacun avec ses spécialités. En attendant, Makaka avoir mis la même inventivité à concevoir leurs dernières BD dont vous êtes le héros, notamment les très prometteurs Your Town et Your Theme Park, où vous devez faire prospérer respectivement un village du Far West et un parc d’attractions…

 

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