Requiem, Chevalier Vampire – le jeu de société pour découvrir l’infernale BD !

 

Connaissez-vous Requiem, Chevalier Vampire ? Issue de la collaboration étonnante entre le scénariste britannique de comics Pat Mills (co-créateur de Juge Dredd et auteur de Marshal Law) et le dessinateur français Olivier Ledroit (Chroniques de la Lune noire), il s’agit d’une des séries de bande dessinée franco-belge marquantes des années 2000, notamment grâce à leur univers mêlant avec une richesse extraordinaire les références historiques et culturelles à l’occulte, à leur ton grinçant, proche des blasphèmes d’un Preacher, à leur violence sans concession et superbement mise en images. Il y était en effet question d’un soldat nazi tué sur le front russe, réapparaissant sous la forme d’un vampire dans le monde de Résurrection, et cherchant à tout prix à retrouver son amante humaine, la juive Rebecca, malgré les guerres et luttes d’influence entre le parti de Dracula et les autres vampires, les loups-garous, les lémures, les goules, les dystopiens…

Les livres publiés par Nickel, puis Glénat, proposent ainsi univers geek, coloré, dense et violent, naturellement propre à l’adaptation socioludique. De façon assez originale, Youri Faja (qui signe Gurhal) et Antoine Riot (Ant1Riot) en tirent un jeu proche de l’escarmouche, opposant les figurines de deux joueurs (ou quatre avec deux boîtes) sur un terrain généré aléatoirement à l’aide de tuiles. L’idée est intéressante : si Requiem, Chevalier Vampire se prêtait bien sûr parfaitement aux figurines pour mettre en valeur sa variété monstrueuse, les jeux de figurines s’avèrent souvent assez longs, complexes et coûteux, quand l’oeuvre éditée par Asteroid Games se veut tactique et belle, mais plus abordable.

Notons tout de suite que, jeu de figurines oblige, certains éléments peuvent être détériorés par le transport, même si c’est très loin d’être systématique. Sur les 57 figurines que compte l’intégrale de Requiem, Chevalier Vampire, l’une des miennes s’était légèrement détachée de son socle, deux avaient perdu leur arme et un autre le bout de la sienne, rien qu’un point de colle ne puisse régler… et il ne faut naturellement pas hésiter à profiter du SAV qui s’avère très disponible !

Pour pénétrer en douceur ce monde dangereux, on se contentera ici de présenter la boîte de base de Requiem, Chevalier Vampire, avant de consacrer un autre article à ses six extensions. La boîte de base coûte ainsi 40 euros et propose les deux factions les plus importantes des premiers albums, les vampires et les goules. Et vous avez bien de la chance, l’excellent Quentin Boëton (Alt 236) a récemment réalisé une vidéo assez complète pour introduire les noirceurs de Requiem, Chevalier Vampire, un liminaire évidemment très intéressant au test du jeu de société :

 

La planète Résurrection

En ouvrant la boîte de base, on découvre 40 cartes/tuiles et 16 figurines de qualité moyenne (en même temps, on n’est pas dans la gamme de prix de Gotham City Chronicles ou même de Dawn of Peacemakers) : le chevalier Otto von Todt (ami et mentor de Requiem) avec ses cinq soldats vampires et ses deux vaisseaux, Dame Vénus, ses cinq soldats goules et ses deux zeppelins. La nécessité de limiter chaque camp à un héros et à ses sbires aboutit ainsi à l’éviction du Comte Dracula et de sa cour infernale, et de même, on pourra être surpris de l’absence complète de Requiem du jeu éponyme. Il est d’autant plus évident que le jeu est aussi et en grande partie une invitation puissante à lire les albums, et aime ainsi mieux manifester de la cohérence que de se vautrer dans le fan service. Bien que chevalier vampire, Requiem est en effet trop novice pour commander des troupes et poursuit une quête trop indépendante pour être réellement associé à un camp, de sorte qu’il paraissait logique de le remplacer par Otto, qui combat à ses côtés les goules de Dame Vénus dans un affrontement mémorable.

On commencera par les règles d’initiation, effectivement plus simples, et judicieusement placées dans des encadrés jaunes (quand les règles complémentaires le sont dans des encadrés bleus) pour éviter toute confusion. Par ailleurs les cartes sont très aimablement disposées dans la boîte dans l’ordre dans lequel il faut constituer le champ de bataille (une ligne de trois cartes, trois lignes de cinq, puis encore une ligne de trois) et sur la bonne face (blanche), suivies des six cartes de développement des vampires puis des six cartes de développement des goules, avec leur symbole de faction pour éviter toute confusion.

Chaque joueur prend connaissance de ces six cartes et les pose devant soi dans l’ordre numérique en deux colonnes, une avec les cartes 1 à 3 de type combat, l’autre avec les cartes 4 à 6 de type déplacement, leur face inactive (avec le bord noir) visible. Il ne reste qu’à poser trois soldats et une capitale sur la case au centre de la première ligne devant chaque joueur et la partie peut déjà commencer.

 

Requiem, Chevalier Vampire
© 2019, Requiem Chevalier Vampire from Olivier Ledroit and Pat Mills © Glénat.

Une bataille rapide et sanglante

Chacune des factions possède sa propre valeur d’initiative, déterminant qui commence. En l’occurrence, les vampires ont une initiative de 5 contre seulement 3 pour les goules.

On joue alors deux phases avant de passer la main.

La première phase consiste à réaliser des actions facultatives, dans l’ordre de son choix, et pouvant concerner les trois personnages ou moins, selon le bon vouloir du joueur.

L’action d’exploitation et d’activation des cartes impose de posséder au moins un personnage sur un terrain (case à bord blanc), et permet de le retourner sur sa face ruine (bord noir) pour bénéficier des ressources indiquées jusqu’à la fin du tour seulement (science, or, magie et sang). Ces ressources servent en effet à payer l’activation des cartes de développement, une seule carte de combat et de déplacement à chaque tour, et dans l’ordre croissant : il faut avoir activé la carte de niveau 1 pour activer plus tard la carte de niveau 2. « Runes de Puissance» , la première carte combat des vampires, coûte par exemple une unité de sang et une de magie, et octroie un point de force en attaque ou en défense sur un terrain.

Le combat est justement une autre action possible, en notant qu’une même unité ne peut combattre et exploiter dans le même tour. Si une unité adverse se trouve d’ailleurs sur la case de l’une de ses unités, il est obligatoire de la combattre, de même qu’une unité doit se déplacer sur la case occupée par un ennemi pour lancer un affrontement. Si plusieurs unités attaquent une même case, l’une est considérée comme le meneur, les autres comme les soutiens, chaque unité apportant un point de force au total, en plus des éventuels bonus des cartes de développement, qui peuvent ajouter de l’attaque et/ou de la défense, selon que le combat se déroule sur un terrain ou une ruine. En cas d’égalité, l’attaquant remporte le combat, et cette victoire impose le retrait de toutes les unités du perdant présentes sur la case. Ces unités défaussées seront remises en jeu à la fin du prochain tour de leur propriétaire dans sa capitale

Enfin, comme on s’en doute, les unités peuvent se déplacer, orthogonalement. Ordinairement, un personnage se meut d’une seule case, mais les cartes de déplacement peuvent augmenter la vélocité des unités, comme « Invincible Armada », qui augmente de deux points le déplacement des goules sur tous les types de cases, ou le « Satanik », qui augmente de deux points le déplacement des vampires réalisant leur premier mouvement sur un terrain.

Et c’est tout ! La partie s’achève quand une unité se trouve seule sur la capitale d’un adversaire, ou qu’à un moment une armée a été complètement anéantie sans avoir eu le temps de revenir.

Franchement, c’est déjà assez sympathique, même si les règles sont volontairement un peu minimalistes. On pourra cependant trouver un fugace plaisir à ce mode d’initiation légèrement asymétrique parce que les factions ne disposent pas des mêmes cartes de développement et des mêmes terrains devant eux, mais très équilibré, en rêvant de ce que cela pourrait donner avec les autres factions. Surtout, on comprend très vite les principes de base de Requiem, Chevalier Vampire, et on n’en a que plus envie de se laisser aspirer par les « règles complémentaires », beaucoup plus nerveuses comme on va le voir, donnant accès à la véritable expérience voulue par les auteurs.

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Requiem, Chevalier Vampire
© 2019, Requiem Chevalier Vampire from Olivier Ledroit and Pat Mills © Glénat.

La plus monstrueuse des guerres

On commence la mise en place en prenant ses dix cartes de développement, deux colonnes pour les cartes de déplacement et les cartes de combat, et les autres posées individuellement devant soi. Chaque faction possède quatre cartes alternatives pouvant remplacer des cartes « normales », de sorte que l’on ajoute d’emblée un élément de variété par cette possibilité de construire son moteur de jeu.

Le terrain est cette fois généré aléatoirement en mélangeant 38 cartes de lieu, en les posant en carré de six par six comme autant de cases d’un plateau, et en mettant les deux cartes restantes avec les cartes « Glissement dimensionnel » à côté du monde ainsi créé. À la lecture des règles d’initiation, vous vous disiez peut-être qu’il manquait l’habituelle compensation pour le deuxième joueur ; c’est ici qu’elle intervient. La faction ayant la plus faible initiative peut remplacer la case de son choix par l’une des cases mises de côté, puis l’autre joueur peut opérer deux changements, et le premier peut à nouveau en opérer un, sans avoir le droit de changer une carte déjà changée par son adversaire.

La disposition des « Glissements dimensionnels » a beaucoup d’importance, puisque ces cartes apportent une ressource au choix. Il ne s’agit pas tant de les poser le plus près possible de ses capitales que de trouver un endroit proche où la génération aléatoire du terrain aurait créé un déséquilibre, afin de s’assurer de ne pas tomber à court de certaines ressources quand elles pourraient s’avérer nécessaires… sans non plus en offrir trop aisément l’accès à la faction ennemie. On appréciera ainsi la dimension tactique d’une action aussi anodine que l’échange de quelques cases en début de partie !

Deuxième compensation : c’est le joueur à l’initiative la plus forte (donc ici les vampires) qui choisit le premier les deux cases non adjacentes de sa première ligne pour y poser ses deux capitales et y répartir librement ses cinq soldats, après quoi celui qui jouera le deuxième procédera à la même décision, en tentant de s’adapter.

La mise en place est évidemment un peu plus longue… mais toujours très courte, et bien plus tactique, donc impliquant bien davantage les joueurs, ce qui est une indéniable réussite.

 

Requiem, Chevalier Vampire
© 2019, Requiem Chevalier Vampire from Olivier Ledroit and Pat Mills © Glénat.

 

Un tour de Requiem, Chevalier Vampire se décompose cette fois en trois phases, la première étant dévolue à l’activation des effets des cartes de développement réalisables en début de tour. Si Ce qui nous rassemble a été activé, une goule peut ainsi piller, c’est-à-dire ruiner le terrain produisant de l’or sur lequel elle se trouve sans en tirer la moindre ressource, et gagner un point de force. Avec Le Redoutable jugement, un vampire peut quant à lui piller un terrain produisant de la magie et réaliser une frappe de force 2 sur un personnage adjacent, c’est-à-dire qu’il l’attaque sans bonus, mais ne disparaît pas en cas de défaite, quand son adversaire bénéficie de ses bonus de défense normaux, mais pas du soutien des autres unités sur la même case. Les débuts de tour peuvent ainsi s’avérer mouvementés…

Les actions de combat, de déplacement et d’exploitation se déroulent de la même manière qu’avec les règles d’initiation, à cette différence près que les nouvelles cartes de développement peuvent en instaurer de nouvelles quand elles sont activées, par exemple en autorisant plus que trois soldats à les réaliser. Certaines cartes permettent par ailleurs d’exploiter une ruine, sans récupérer la moindre ressource, mais pour la retransformer en terrain.

Les nouvelles cartes de développement ont souvent plusieurs pouvoirs et des effets bien plus variés que les conséquences basiques déjà évoquées. Par exemple « Berserker » permet simplement aux vampires de… remporter un combat, en retournant la carte « Berserker » sur sa face inactive (il faudra ainsi à nouveau en payer le coût élevé pour l’utiliser). Le « Trône de la Guilde » permet aux goules de revenir sur le terrain au début de leur tour plutôt qu’à la fin… Bref les règles peuvent être subtilement altérées par chaque faction, lui conférant une véritable personnalité tactique.

 

Requiem, Chevalier Vampire
© 2019, Requiem Chevalier Vampire from Olivier Ledroit and Pat Mills © Glénat.

 

Vous aurez constaté qu’on n’a pas du tout parlé des héros. C’est qu’ils ne font pas partie de l’armée de départ, mais n’apparaissent sur le champ de bataille qu’à condition que leur carte alternative ait été choisie en début de partie, puis activée pendant la partie. Il faut alors sacrifier l’une des unités ayant exploité un terrain permettant de payer le coût de la carte, afin qu’aucune armée n’ait plus de cinq unités, et poser enfin le héros sur une capitale. On notera que chaque héros se décline sous deux formes, une forme traditionnelle de chef de guerre, et une forme de mercenaire, permettant aux vampires de jouer avec Dame Vénus et aux goules de jouer avec Otto von Todt. Si vous ne possédez que la boîte de base, il faudra bien entendu vous mettre d’accord avec votre adversaire afin que l’un ne fasse pas appel à son héros de façon traditionnelle et l’autre au même héros comme mercenaire. Quand vous aurez des extensions, vous pourrez davantage vous amuser !

Les cartes de combat et de déplacement n’ont pas d’effet sur les héros, qui sont soumis aux limites d’un point de force et de déplacement, avec de nombreuses particularités faisant sentir leur caractère exceptionnel. En mercenaire, Otto von Todt offre par exemple un point de déplacement supplémentaire aux alliés des terrains adjacents ; il bénéficie lui-même d’un point de déplacement supplémentaire sur les terrains, ainsi que d’un deuxième point de défense ; et sur les ruines, d’un point d’attaque et de deux points de défense bonus. En cheffe de guerre, Dame Vénus possède un bonus de déplacement d’un point sur les ruines, d’un bonus de défense d’un point sur les terrains, et d’un point d’attaque et de défense sur les ruines. Les unités adjacentes exploitant de l’or rapportent en outre une unité d’or supplémentaire.

 

Requiem, Chevalier Vampire
© 2019, Requiem Chevalier Vampire from Olivier Ledroit and Pat Mills © Glénat.

Requiem, Chevalier Vampire : étonnant jeu d’escamourche infernal

Requiem, Chevalier Vampire est d’abord un jeu surprenant. Alors qu’il propose des figurines et adapte un univers sombre et torturé, il vise des escarmouches d’une demi-heure plutôt que le jeu de rôle ou le gros jeu de plateau pour nerds quarantenaires, et ose se lier à une bande dessinée, ce qui n’est déjà pas courant pour un jeu de société, mais alors à une bande dessinée aussi résolument « adulte »… Aurait-on alors « simplement » affaire à une oeuvre de passionnés, soucieux avant tout d’offrir à une franchise bien-aimée un superbe écrin, matérialisant ses personnages emblématiques et multipliant les illustrations saisissantes d’Olivier Ledroit ?

Bien sûr, il y a de ça… sauf que les auteurs ne sont manifestement pas passionnés que par la bande dessinée, mais aussi par le jeu de société, puisqu’ils livrent une oeuvre étonnamment rigoureuse et profondément satisfaisante. En effet, la multiplication des pouvoirs et le tirage aléatoire du terrain ne font qu’ajouter à sa richesse et à sa rejouabilité, sans du tout céder au chaos : on ne pioche pas de cartes, on ne dévoile pas soudain un pouvoir inattendu, on ne jette pas de dés, chaque faction voit constamment ce que l’autre fait et peut faire et s’adapte en conséquence. En outre, si le jeu multiplie les pictogrammes, c’est toujours en complément d’un texte explicatif, afin d’aider ceux qui ont besoin de précisions et de fluidifier l’expérience de ceux qui les ont compris, dans des règles se voulant étonnamment pédagogiques. Décidément un bel hommage et un bon jeu, assurément propre à inviter les lecteurs à découvrir le travail de Pat Mills et Ledroit et à occuper longuement les joueurs, et qui rend naturellement très curieux des extensions pour découvrir d’autres factions, un mode campagne solitaire et un mode coopératif, bref pour considérablement ajouter au plaisir matériel et ludique !