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Root, le jeu qui va prendre racine dans vos ludothèques et vos esprits

Root, le jeu qui va prendre racine dans vos ludothèques et vos esprits

 

Comme passionné de jeux de société, je consulte très régulièrement l’agrégateur anglophone de référence Board Game Geek et ses listes de meilleurs jeux de tous les temps, où je suis toujours curieux de constater les nouveaux arrivants. C’est qu’il n’est pas évident d’ajouter un titre aux meilleurs, que ce soit dans le monde du jeu de société, du cinéma, des livres… Entre un naturel snobisme qui peut empêcher de mettre côte à côte un « classique » et une sortie récente, ou au contraire une tendance non moins naturelle à surestimer le dernier éblouissement sans pouvoir encore manifester de recul critique, ces listes peuvent susciter le scepticisme, qu’elles soient automatiques (en se fondant sur des notes par exemple) ou réalisées consciemment par un individu/un petit groupe d’ailleurs.

Sauf à les traiter comme des listes d’achat, cette perméabilité à la surestimation et la sous-estimation en rend l’observation d’autant plus intéressante me semble-t-il, parce qu’elle en fait les témoins des fluctuations du marché, de l’opinion et de la critique tout à la fois. Et aussi douteuses qu’elles puissent sembler, elles invitent évidemment à une analyse plus poussée des titres qu’elles contiennent : on a beau dire, on ne reçoit pas tout à fait « la dixième meilleure oeuvre de tous les temps » comme la cinq millième.

Si j’en crois la liste des meilleurs jeux de société de tous les temps donc, le meilleur à avoir été testé sur Vonguru est pour l’instant Spirit Island, une sortie de 2017 au 15ème rang, avant 7 Wonder Duel (2015, 16), 7 Wonders (2010, 46), Five Tribes (2014, 55), Clank (2016, 61), Patchwork (2014, 64), Sherlock Holmes, Détective Conseil (1981, 69), T.I.M.E. Stories (2015, 70), Kemet (2012, 80), Aeon’s End (2016, 83), Star Realms (2014, 92). Le Root de Cole Wehrle, édité par Leder Games en 2018 et situé pour l’heure au 49ème rang, est donc (pour l’heure également) le jeu le plus récent présenté sur ce site et appartenant au groupe très select des meilleurs jeux de tous les temps. Sa présence frappe à vrai dire par son thème animalier, ses illustrations adorables de Kyle Ferrin (Dungeon Mayhem) tranchant avec une liste essentiellement composée de gros jeux de gestion et de figurines, avec quelques titres « modernes » aux thèmes historiques voire scientifiques et quelques jeux abstraits. Sa recommandation aux joueurs de 10 ans et plus en fait une autre exception (même si 12 ans et plus aurait paru plus approprié), seuls Wingspan (aussi 10 ans et plus) et Azul (8 ans et plus) revendiquant une accessibilité à un public aussi jeune dans le top 50. Ces contrastes sont encore plus saisissants quand on regarde la liste des meilleurs jeux stratégiques (où Root est 39ème) et celle des meilleurs jeux de guerre (où Root est 19ème), le jeu apparaissant d’autant plus comme un hapax.

Tout me portait ainsi à m’intéresser à Root, son succès bien sûr, son statut d’exception, son univers animalier… Et justement, la localisation vient ces jours-ci d’en être assurée par Matagot (Aeon’s EndKemet et son extension SethWestern LegendsScytheInis et son extension Seasons) ! L’occasion rêvée de nous pencher sur ce jeu pour 1 à 6 factions (idéalement un à quatre), des parties d’une à deux heures, vendu 74 euros 90 au lieu des 60 euros de la version anglaise parce que la boîte en contient l’extension La Rivière (sinon vendue 40 euros), une belle affaire pour une addition extrêmement intéressante, comme on le verra.

 

Root Matagot

Une forêt pour six factions

La boîte de base originale de Root n’était jouable que de deux à quatre factions (Marquise de Chat, Dynasties de la Canopée, Alliance de la Forêt et Vagabond), auxquelles l’extension La Rivière (donc comprise dans la boîte de base francophone) ajoute le Culte des Lézards et la Compagnie de la Rivière pour permettre à six joueurs de s’opposer. C’est donc ce mode compétitif pour deux à six joueurs que l’on commencera par présenter, avant de parler des modes coopératif et solitaire.

On appréciera d’emblée la présence de deux livrets de règles, le Livret d’apprentissage pour leur assimilation progressive, claire et illustrée, et La Loi de Root, qui donne les même instructions de façon beaucoup plus concise et sobre, idéale pour les parcourir plus synthétiquement après une première partie. Ils sont en outre accompagnés d’une Fiche de Guide, expliquant pas-à-pas le déroulement de deux premiers tours typiques afin de se lancer directement dans la partie en se laissant un peu guider, et sans apprentissage préalable de l’intégralité du manuel. Ce n’est pas que Root soit particulièrement complexe, mais le jeu a ses technicités, et on découvrira surtout très vite à quel point il est asymétrique, chaque faction ayant ses mécaniques et sa courbe d’apprentissage distincte, de sorte que cette approche pédagogique n’était pas nécessaire, mais s’avère très appréciable.

Si l’on remporte la partie en jouant et accomplissant une carte Domination ou en marquant 30 points de victoire, lesdits points ne sont en effet pas obtenus de la même manière selon la faction incarnée. La Marquise de Chat doit construire des bâtiments pour renforcer son infrastructure militaro-économique. Les Dynasties de la Canopée construisent et protègent des perchoirs, notamment contre la Marquise. L’Alliance de la Forêt répandent de la sympathie pour leur cause, la lutte contre les oppresseurs. Le Vagabond accomplit des quêtes et aide ou gêne les autres factions pour devenir célèbre, même tristement. Le Culte des Lézards tente de recruter, voire de fanatiser les créatures de la Forêt. La Compagnie de la Rivière construit des comptoirs commerciaux pour profiter de la guerre des autres factions.

Cette distinction d’objectifs se reflète dans une diversité de mécaniques, mais participe également à la thématisation de Root en formant une histoire, en mettant au jour les relations entre les différents peuples et leurs motivations profondes. L’une des raisons du succès du jeu peut donc déjà venir de cette impression d’embarquer dans une aventure, animalière et néanmoins complexe, loin de la plus grande froideur des jeux de guerre traditionnels.

 

Au début, les lieux étaient pourtant tranquilles…

Pour commencer, il convient de choisir sa faction. Si toutes les combinaisons sont possibles, les règles en recommandent certaines particulièrement pour assurer un certain équilibre, le meilleur usage possible des pouvoirs de chacun, la conscience par chacune de ses avantages et limites, et éventuellement une certaine cohérence scénaristique. On apprend par exemple qu’à deux il est bienvenu d’opposer la Canopée  la Marquise pour apprendre le jeu, la première devant s’étendre pour empêcher la progression de la seconde. À trois, le Vagabond aura plus naturellement tendance à jouer avec l’Alliance contre la Canopée.

De nombreuses combinaisons sont ainsi présentées et commentées, avec l’addition de quelques conseils, comme le fait de pratiquer à la suite deux parties à deux joueurs en échangeant les camps. Ces parties étant plus courtes, d’autant que cette configuration ne permet pas l’utilisation des cartes Domination, la « revanche » oblige les belligérants à revoir complètement leurs habitudes et à faire au mieux avec la faction qu’ils viennent de vaincre sans éterniser l’affrontement, c’est donc assez bien vu.

Le dos de chaque plateau de faction précise en outre sa difficulté, son agressivité, l’importance de sa bonne gestion de sa main de cartes et de sa fabrication, faibles, modérées ou élevées, et indique assez longuement comment cette faction se joue et se pense, dans un texte également résumé sur des cartes d’Aperçu, qui ne sont pas essentielles mais peuvent constituer une addition agréable lors d’une première partie pour mieux appréhender sa faction et l’univers du jeu.

Le choix de la faction implique de prendre les pièces correspondantes, également listées au dos de ce plateau. L’Alliance dispose par exemple de dix guerriers, de trois bases et de dix jetons sympathie, la Compagnie de 15 guerriers, d’aucun bâtiment, de neuf jetons Comptoir commercial et de trois marqueurs de service, quand le Vagabond n’a ni guerrier, ni bâtiment, ni jeton, mais un pion Vagabond, des marqueurs de relation, sept objets de départ, quatre objets de ruines, quinze cartes quête et trois cartes personnage. Comme on le voit, la simple liste du matériel traduit les différences profondes de gameplay auxquelles les joueurs seront très vite confrontés.

 

 

Sur le plateau central, les marqueurs de score de chacun sont placés sur le 0 de la piste de score. Ce plateau porte des emplacements marqués R sur lesquels on pose les jetons Ruine, et douze cases où l’on place 12 objets.

La paquet commun de 54 cartes est mélangé et chacun en tire trois. Deux dés sont placés près du plateau.

Enfin, on applique les règles de mise en place spécifiques à sa faction, toujours en suivant les conseils donnés au dos de son plateau individuel. Une fois que c’est fait, on pourra le retourner pour révéler le verso. Il s’agira autant d’y poser des cartes et des marqueurs que de placer des éléments sur les plateaux, et comme on commence à le comprendre, cette mise en place est plus ou moins longue et surtout extrêmement variable dans son contenu d’une faction de Root à l’autre.

La mise en place dans son ensemble est donc un peu longue du fait de ces nombreuses différences, mais elle force aussi chaque joueur à s’occuper de son camp plutôt que de laisser un joueur tout installer lui-même, encourageant à la fois à la coopération pour accélérer le processus et à l’appropriation de sa faction. La boîte est assez bien pensée pour contenir ces pièces tout de même nombreuses, et il y a plusieurs manières de repenser légèrement l’agencement pour la rendre encore plus pratique, éviter de mélanger toutes les cartes en les répartissant selon leur type au-dessus des guerriers par exemple, abandonner les sachets plastiques des mêmes guerriers pour gagner un peu de place pour les sachets contenant les nombreux marqueurs et jetons, et qui sinon sont un peu calés où l’on peut…

Matagot a clairement fait au mieux pour optimiser un rangement rendu peu évident par l’addition d’une extension assez lourde, mais on recommandera aux joueurs de trouver leurs propres idées afin que de faciliter bien davantage la mise en place à chaque partie.

 

Le tour de la Marquise de Chat

Un joueur réalise les trois phases d’aurore, de jour et de crépuscule avant de passer la main au joueur à sa gauche. Un tour de Root peut ainsi s’avérer un peu long si le joueur ne maîtrise pas bien sa faction, mais une plus grande expertise le raccourcira nettement, et il impliquera assez les autres joueurs pour qu’ils soient très loin de s’éloigner.

Concentrons-nous sur un exemple pour donner une rapide idée de ce à quoi un tour peut ressembler, étant entendu que cela pourra grandement varier d’une faction à l’autre.

Au moment de la mise en place, la Marquise de Chat avait placé son jeton Donjon dans une clairière se situant dans un coin du plateau. Elle avait ensuite placé un guerrier dans chaque clairière, sauf celle du coin opposé au donjon, puis réparti une scierie, un atelier et un recruteur entre la clairière du donjon et les clairières adjacentes. Enfin, elle avait rempli sa piste de bâtiments (sur le recto de son plateau individuel) de scieries, ateliers et recruteurs en ne laissant vides que les cases les plus à gauche.

Comme toutes les factions de Root, la Marquise de Chat possède des capacités spéciales. Elle seule peut placer des pièces dans la clairière où se trouve le donjon, et lorsque ses guerriers sont retirés, elle peut dépenser une carte de la couleur de leur clairière pour les placer dans la clairière où se trouve le donjon, qui fait donc office d’hôpital de campagne.

Pendant l’Aurore, la Marquise de Chat place 1 bois sur chaque Scierie.

 

 

Pendant le Jour, elle peut fabriquer dans ses ateliers. La carte Marchand d’armes permet par exemple de récupérer un jeton Épée et de gagner deux points de victoire en activant deux ateliers Renard en sa possession.

Puis elle peut réaliser jusqu’à trois actions, ou davantage en dépensant une carte commune Oiseau (au recto bleu) pour chaque action supplémentaire. Ces actions peuvent être accomplies dans l’ordre de son choix et autant de fois qu’elle le souhaite.

La première action est le combat : un joueur choisit une clairière où il possède des guerriers et attaque une autre faction également présente dans le même lieu. Il lance les deux dés et inflige autant de dégâts que le résultat du meilleur, tandis que le défenseur inflige autant de dégâts que le résultat du plus faible, toujours dans la limite du nombre de guerriers présents. SI l’attaquant n’a que deux guerriers, il aura beau faire 3, il ne pourra par exemple pas infliger plus de 2 dégâts. Chaque dégât correspond à une pièce retirée de part et d’autre, d’abord les guerriers, puis les jetons et bâtiments, dont la perte rapporte 1 point de victoire à leur destructeur. Notons qu’on lance des D10 possédant trois faces 0, trois faces 1, deux faces 2 et deux faces 3, de sorte qu’un assaut ne peut jamais être excessif, et qu’une armée bien préparée devrait conserver l’avantage.

Avant le lancer des dés, le défenseur peut jouer une carte Embuscade qui doit correspondre à la clairière où a lieu l’attaque, et qui lui permet d’infliger d’emblée deux dégâts. L’embuscade peut être annulée si l’attaquant joue une carte Embuscade de la même couleur. Outre la mauvaise surprise pour l’attaquant, l’embuscade a l’avantage de pouvoir infliger des pertes à un adversaire cherchant à détruire des bâtiments dans un lieu sans défense.

La deuxième action est la marche, une succession de deux mouvements en suivant des chemins vers une clairière que le joueur contrôle ou depuis une clairière que le joueur contrôle (où il a le plus de guerriers et bâtiments).

La troisième action est le recrutement : une seule fois par tour, la Marquise peut placer un guerrier sur chaque recruteur.

La quatrième action est la construction : en dépensant des jetons bois égaux au coût d’un bâtiment (indiqué sur le recto du plateau individuel, chaque construction d’un même bâtiment étant plus chère que la précédente) et provenant de clairières connectées à celle où la construction est réalisée, la Marquise y place une scierie, un atelier ou un recruteur. Comme on l’a vu, la scierie produit du bois, l’atelier permet la fabrication d’objets, le recruteur ajoute des guerriers, les trois denrées autour desquelles tourne toute la stratégie de la Marquise.

La dernière action est le surmenage : en dépensant une carte, la Marquise place un jeton Bois sur une scierie présente dans une clairière de la couleur de la carte dépensée.

Au Crépuscule, elle pioche une carte, puis en défausse jusqu’à ne plus en avoir que cinq. Elle peut piocher davantage de cartes si elle a construit le deuxième et le quatrième recruteur.

 

 

En soi, on le voit, le tour est assez simple. Il faut acquérir le tour de main, certes, mais si Root se résumait à cela, si toutes les factions se jouaient de la même manière, Root serait un jeu familial bien fait. Or il est bien plus que cela. Notez déjà que la Marquise est la faction la plus simple, la plus franche. Les Dynasties de la Canopée sont par exemple contraintes à chaque tour de recruter, se déplacer, combattre et construire, sans quoi elles subissent une crise qui leur fait perdre des points de victoire, leur fait défausser des cartes et remplace leur Dirigeant. Lorsque le Culte des Lézards perd des unités en défense, ceux-ci deviennent des acolytes, qu’il peut aussi obtenir en sacrifiant des guerriers. Quand il dépense et défausse des cartes, il les place dans une pile d’Âmes perdues, où la couleur majoritaire désigne les parias, c’est-à-dire les clairières où le Culte pourra dépenser des acolytes pour remplacer des guerriers adverses par des guerriers du culte, ou des bâtiments adverses pour y placer des jardins…

Et on ne parle même pas du Vagabond, qui ne peut contrôler de clairière mais se déplace partout, récupère des objets en fouillant des ruines, peut les épuiser pour se déplacer, combattre, frapper, explorer, aider, accomplir une quête, fabriquer, réparer, réaliser une action spéciale. N’appartenant à aucune faction, il peut entretenir avec toutes des relations différentes, et si à force de dons d’objets il parvient à s’allier à un autre joueur, il pourra se déplacer et combattre avec ses guerriers et gagner des points de victoire en continuant de l’aider. Au contraire, s’il bat un seul guerrier, sa faction devient hostile, de sorte que se déplacer dans des clairières qu’elle contrôle nécessitera de se faufiler, mais que les destructions lui rapporteront des points de victoire. Enfin, si les cartes Domination qui permettent normalement aux autres joueurs de gagner la partie s’ils possèdent 10 points de victoire et remplissent une condition précise ne s’appliquent pas à lui, elles lui permettent de former une coalition avec le joueur possédant le moins de points de victoire, même s’il était hostile, et partagera son éventuelle victoire.

Ainsi, jouer une faction n’aide pas du tout à jouer les autres, et il sera impératif de développer leur maîtrise progressivement tout en observant attentivement ce que les autres font de leur côté pour ne pas être perdu et comprendre comment lutter. Si les joueurs saisissent bien les subtilités de toutes les factions impliquées dans une partie, ils peuvent retourner le plateau central sur sa face Hiver. Les clairières n’appartiennent plus d’emblée aux renards, souris ou lapins, et on attribue aléatoirement ces couleurs pour des parties bien plus changeantes, et pouvant ainsi avoir un impact plus ou moins avantageux sur les factions.

 

La Marquise mécanique, intelligence artificielle dans une forêt plus si naturelle

En plus de deux nouvelles factions et de l’addition d’un deuxième vagabond, l’extension La Rivière propose de jouer contre la Marquise mécanique, une variante de la Marquise de Chat que ne contrôlerait aucun joueur. Cela ouvre naturellement de nombreuses possibilités avec une seule règle, celle de jouer seul, celle d’ajouter un bot dans une partie compétitive, ou celle de transformer Root en jeu coopératif où chaque faction devra atteindre 30 points de victoire avant son unique adversaire.

La Marquise mécanique ne peut apparaître dans une partie avec la Marquise de chat, elle ne peut pas subir d’embuscade, et elle ne possède pas de main. Ce dernier point est à son avantage : on ne peut pas la forcer à se défausser, si un joueur devait prendre une carte de sa main il la récupérerait dans la pioche, et s’il devait lui donner une carte, la Marquise gagnerait un point de victoire à la place. Au lieu des quatre cartes Domination, la pioche comporte quatre cartes Espion, qui permettent de révéler les ordres de la Marquise.

Si l’on joue seul contre la Marquise mécanique, on retire les cartes Faveur des Renards, des Lapins et des Souris du paquet.

Quelle que soit la configuration et le mode, on donne à la Marquise une place autour de la table, et on en confie la mise en place et la gestion des tours à l’un de ses voisins. Elle pioche cinq cartes, placées sur un porte-cartes afin de ne montrer que leur dos aux joueurs, qui ne constituent pas sa main mais son Programme d’Ordres. Celui-là même que les espions peuvent dévoiler. Un jeton Épée, Botte, Sac et Café sont placés sur la case d’Objets à vendre de son plateau de faction. On réalise enfin la même mise en place que pour la Marquise de chat, en occultant simplement ce qui se rapporte aux bâtiments (ceux qui sont placés sur les clairières et la piste).

 

 

Pendant l’Aurore, la Marquise mécanique marque deux points de victoire par clairière qu’elle contrôle et où elle possède au moins trois guerriers. Dans une partie coopérative, elle y ajoute un point par joueur humain.

Pendant le Jour, on révèle la carte la plus à gauche du Programme d’Ordre. La Marquise mécanique combat dans toutes les clairières de la couleur de cette carte. Quand plusieurs factions sont présentes dans la clairière attaquée, elle privilégie celle qui possède le plus de pièces, puis celle qui a le plus de points de victoire, puis suit l’ordre alphabétique de la mise en place (les Dynasties de la Canopée portent la lettre B et sont mis en place en deuxième position, la Compagnie de la Rivière porte la lettre G…).

Puis la Marquise se déplace depuis les clairières de la même couleur que la carte du Programme d’Ordre qu’elle contrôle et où elle possède au moins quatre guerriers. Elle en déplace tous les guerriers sauf trois vers la clairière adjacente contenant le plus de pièces adverses. En cas d’égalité, on suit l’ordre de priorité indiqué sur son plateau de faction.

Enfin elle recrute en plaçant des guerriers dans des clairières qu’elle contrôle. Si la carte d’ordre porte un à trois animaux identiques, elle ajoute un à trois guerriers dans ses clairières avec ce symbole. Si la carte porte un animal de chaque couleur, elle place un guerrier dans chaque clairière qu’elle contrôle. Si la carte représente quatre points d’interrogation, elle place quatre guerriers dans la clairière de son donjon. Dans une partie coopérative, elle place des guerriers dans les clairières portant ce symbole qu’elle les contrôle ou non. Certaines cartes ne portent aucun symbole. La Marquise recommence alors sa phase de jouer avec la carte suivante, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle ait pu recruter ou jusqu’à ce que les cinq cartes aient été appliquées.

Au Crépuscule, on complète son Programme d’Ordre jusqu’à ce qu’il contienne à nouveau cinq cartes.

On aurait pu redouter d’un jeu aimant tant finasser qu’une intelligence artificielle multiplie les subtilités. Comme on le voit, elle est au contraire très aisée à prendre en main, ne représentant pas le fardeau redouté pour le joueur qui en a la charge, et je n’en admire que davantage le travail de Cole Wehrle qui a su si bien maintenir une élégance dans la conception. C’est au point que l’on ne consultera guère les règles qu’une fois, le plateau de faction livrant ensuite toutes les informations nécessaires à la conduite d’une partie.

Surtout, elle s’avère un très bon outil d’apprentissage, un joueur seul pouvant très bien s’entraîner à conduire une faction contre un adversaire aussi franc, difficile à vaincre, mais dont on n’a aucun mal à percevoir ce qu’il veut, ce qu’il peut, ce qu’il fait et où il va… D’autant que le mode solitaire ne requiert pas d’autre matériel supplémentaire que les cartes Espion, et que sa mise en place est plus rapide encore que celui de la Marquise de Chat.

Et si la Marquise mécanique s’avère un adversaire trop facile pour une équipe blasée et experte ? Les règles suggèrent de l’affronter en « campagne », en enchaînant les parties tant que l’on gagne et en octroyant à son robotique adversaire trois points de victoire initiaux de plus à chaque fois. Le challenge toujours plus relevé finira nécessairement par s’avérer insurmontable, mais les joueurs pourront se vanter d’avoir vaincu plusieurs fois d’affilée l’ennemi sans âme qui opprimait la forêt. Je dois avouer que relever la difficulté en donnant plus de points à un ennemi n’est pas un procédé qui me parle vraiment, je ne suis pas assez bon pour me lancer dans un tel défi gonflé si artificiellement. L’auteur semble avoir pensé à moi en ajoutant le droit pour les joueurs de conserver à chaque partie une carte fabriquée lors des précédentes. Une manière très simple de conférer un semblant de consécutivité aux parties avec un petit bonus à envisager de l’une sur l’autre. Bien vu.

Root, l’un des meilleurs jeux de toute ludothèque

Une semaine après Dawn of Peacemakers, voilà qu’un autre jeu aux animaux anthropomorphes m’éblouit en refusant franchement de se conformer à l’image enfantine que l’on peut se faire d’un tel thème. Pour autant, on n’est pas dans le cartoony-trash à la Happy Tree Friends ou Itchy et Scratchy, ces jeux puisent dans l’univers animalier une beauté et une douceur presque mélancolique qui les distinguent du tout-venant et facilitent peut-être l’appréhension de leurs subtilités par des joueurs ordinairement peu portés vers des genres « experts » ou « familiaux +». Et c’est tant mieux, puisque malgré son identification comme un « jeu de guerre » et sa grosse boîte à 75 euros, Root s’avère intéressant pour des profils très variés à partir de douze ans grâce à son système de factions complètement asymétriques. Aussi bien thématiquement que mécaniquement d’ailleurs : la Marquise de chat qui assoit sa suprématie militaire sur la forêt n’a rien de commun avec les terroriste de l’Alliance, les profiteurs de guerre que sont les agents de la Compagnie de la rivière n’ont rien de commun avec le Vagabond qui vit son aventure dans son coin… La difficulté du jeu ne dépend ainsi pas « objectivement » de ses règles mais de sa maîtrise de la faction choisie, de sa connaissance des factions jouées par les adversaires, et de la connaissance par ses adversaires des factions en jeu.

C’est à la fois la limite et la plus grande beauté de Root : quand on choisit une faction, il faut être prêt à la jouer plusieurs parties d’affilée pour en comprendre toutes les subtilités, d’autant que chaque configuration impose de repenser ses possibilités. A contrario, il faut jouer toutes les factions pour comprendre ce que font les autres, parce que la Compagnie de la Rivière sera forcément perdue à ses débuts contre un Vagabond, chacun devant redoubler d’efforts pour voir comment son adversaire agit et comment le contrer. Le pire serait que des débutants jouent contre des joueurs maîtrisant leurs factions dans une longue partie de Root, l’absence totale de visibilité des premiers face à l’aisance des autres pouvant s’avérer réellement décourageante. Root s’avère idéal quand les joueurs en sont au même stade, soit que chacun connait toutes les factions impliquées, soit qu’au contraire tout le monde découvre le jeu, soit que l’on maîtrise sa faction sans avoir joué avec les autres, soit dans un mode solitaire particulièrement lisible et formateur.

Le jeu sait heureusement se montrer parfaitement pédagogique, avec des plateaux individuels servant aussi bien à collecter cartes et jetons qu’à rappeler comment la faction correspondante se joue, avec ses nombreuses aides de jeu et reformulations des règles, et même avec son matériel coloré et clair, dont ne peut venir aucune confusion. C’est au point que la boîte contient des barres de bois fendues où l’on peut insérer ses cartes, pour les avoir constamment sous les yeux sans les recouvrir involontairement dans sa main avec d’autres cartes ou sans avoir besoin de les reposer et les reprendre sans cesse à chaque manipulation !

La version éditée par Matagot possède enfin l’important avantage de contenir directement une extension ajoutant deux factions aux quatre originales, un nouveau vagabond, la possibilité de jouer à Root seul ou jusqu’à six et une intelligence artificielle pour les règles compétitives normales ou une nouvelle règle coopérative. On n’est ainsi pas dans l’addition pléthorique et gratuite de contenu, mais dans la volonté de proposer d’emblée un jeu aussi complet, riche, inépuisable que possible. Root n’avait pas besoin de cela pour s’affirmer comme fondamental dans toute ludothèque qui se respecte, cela ne l’en rend cependant que plus incontournable.

À constater partie après partie la parfaite élégance de Root même dans ses finesses, on n’en attend que plus impatiemment l’extension prévue en anglais pour décembre 2019, avec un nouveau plateau recto-verso, des taupes et des corbeaux pour confronter les joueurs aux souterrains de la forêt !

 

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