Dawn of Peacemakers : le passionnant jeu de figurines pacifiste et narratif !

 

Il y a quelques semaines, je vous présentais La Vallée des marchands, le passionnant petit jeu de deck-building de l’auteur, illustrateur et éditeur finlandais Sami Laakso. Dans sa première création, il mettait en place l’univers de Daimyria, une espèce de Moyen âge où évoluent des animaux anthropomorphiques. Mais enfin, cette dimension mondaine semblait n’être qu’un enrobage coloré pour donner une consistance thématique au jeu de cartes… Jusqu’à ce que Laakso conçoive Dawn of Peacemakers, avec l’aide de Ville Reinikainen et Aro Laaksonon pour le scénario et Chad Hoverter (Mice and Mystics) pour la confection des figurines.

Dawn of Peacemakers explore bien plus profondément Daimyria dans un jeu narratif assez massif. Vendu 80 euros, il paraît même étonnamment peu cher compte tenu de son ambition matérielle et mécanique, et l’originalité de sa proposition a de quoi frapper : s’il propose un mode escarmouche où deux joueurs s’affrontent, il est essentiellement constitué d’un mode campagne évolutif, où un à quatre joueurs incarnent des diplomates tâchant d’empêcher des guerres. Tout cela avec force decks et enveloppes scellées, et même une boîte, à n’ouvrir que quand le jeu le permet pour enrichir encore davantage l’histoire de ce monde et les manières d’y jouer. Ainsi tout m’enthousiasme dans ce Dawn of Peacemakers, son monde étonnant, sa démarche pacifiste originale, son ampleur scénaristique, la joliesse de ses figurines et illustrations animalières, et je me réjouis de vous le présenter, en espérant qu’il suscitera la curiosité d’un éditeur français qui se rendrait compte de la merveille que nous laissons passer en manquant de lui offrir la localisation rêvée.

 

Le voyage commence…

Le cœur de Dawn of Peacemakers, c’est sa campagne, que nous présenterons donc d’abord en évitant autant que possible de dévoiler le contenu que le jeu souhaite garder secret.

Avant toute chose, il s’agit pour les joueurs de choisir leur avatar : sera-ce l’ingénieux gecko Tombatro, le rusé fennec Akezan, le putois collectionneur Nabo ou le héron érudit Yainar ? À chacun est associé une figurine, ainsi qu’une enveloppe qu’il est libre de montrer à ses coéquipiers ou non. Notez que cette enveloppe ne contient qu’une lettre adressée au personnage pour l’appeler à rétablir la paix entre les civilisations ara et ocelot d’Amérique du Sud, un effort matériel assez admirable pour la seule immersion du joueur dans ce monde.

Puis on choisit un scénario, idéalement le premier des 12 que l’on n’a pas encore faits. Les scénarios sont rejouables, mais il peut être intéressant de tenter déjà de réaliser les 12 dans l’ordre, pourquoi pas avec les mêmes avatars afin de renforcer l’identification et l’immersion dans une histoire soigneusement écrite. On évoquera donc principalement le scénario 1, « Entre deux mondes », afin de donner une bonne idée de la manière de pratiquer Dawn of Peacemakers sans franchir le seuil du spoil.

On commence un scénario en plaçant le plateau au centre de la table, sur la face indiquée par le descriptif, en l’occurrence verdoyante. Puis on y ajoute les tuiles de terrain (une longue rivière, sa source, trois forêts, deux formations rocheuses, une tour et un pont – où sont placées les figurines des joueurs) et les unités, parmi les aras le Commandant Sochiyamaq sur un socle étoilé, un soldat sur un socle étoilé et deux soldats sur des socles ronds, tous bleus ; parmi les ocelots, un archer ocelot sur un socle en rouage et deux soldats ocelots, l’un sur un socle en rouage, l’autre sur un socle rond, tous rouges. Comme on le voit, les socles indiquent le camp dans lequel se trouvent les unités et permettent de former des groupes. À chaque type d’unité correspond une carte portant ses caractéristiques, placée sur le côté gauche du plateau pour les aras, sur le côté droit pour les ocelots.

 

Dawn of Peacemakers

 

Chaque camp possède un petit plateau, indiquant la motivation (six pour les aras, quatre pour les ocelots) et les unités défaites (une unité défaite réduisant la motivation), à côté duquel on place le panneau de ligne de front, dont la flèche pointe dans la direction donnée par le scénario : vers l’Est pour les aras, initialement placés à l’Ouest de la rivière, vers l’Ouest pour les ocelots, initialement placés à l’Est de la rivière, comme on s’en doute.

Chaque camp possède également un deck Stratagème de douze cartes à son effigie et un deck Tâches, contenant pour les aras une carte Mouvement, une carte Couverture et deux cartes Attaque pour les socles ronds et les socles étoilés, tandis que les ocelots disposent d’une carte Mouvement, d’une carte Couverture et d’une carte Attaque pour les socles ronds, mais d’aucune carte Mouvement, de deux cartes Couverture et de deux cartes Attaque pour les socles étoilés.

Enfin les joueurs forment une pile sur l’emplacement dédié du plateau avec les cartes Ressource et en piochent deux chacun. Il ne reste qu’à mettre à leur portée les jetons de dégâts et de fortification ainsi que le dé, et à accorder au dernier joueur à avoir évité un conflit le droit de commencer.

Cela peut sembler beaucoup, surtout pour les premières parties, quand on ne sait pas encore exactement ce que l’on fait, mais une fiche décrit précisément comment ranger la boîte, et elle est ainsi faite que les différents types de cartes, de jetons, de socles, de figurines, sont assez distinctement situés pour être retrouvés rapidement. La manipulation des très jolies figurines et l’admiration des cartes suffisent d’ailleurs à donner un certain plaisir de la mise en place, tandis que le joueur plus averti verra déjà les spécificités du terrain, et pourra donc d’emblée envisager les manières d’empêcher le combat. On est vraiment très loin d’un Spirit Island par exemple, et les constantes de mise en place ou la très grande clarté du livret de règles (même en anglais) permettront de réaliser cette étape en quelques minutes à peine avec un peu d’habitude.

 

Dawn of Peacemakers

De la difficulté de la diplomatie

Les règles générales de la campagne ne tiennent qu’en trois pages, évidemment compliquées au fur et à mesure que l’on progresse, mais justement, si cela se complique, c’est que l’on a acquis les fondamentaux exposés précédemment et que l’on est prêt à en apprendre davantage. Pour un jeu expert (14+), Dawn of Peacemakers reste donc relativement accessible, même si je ne descendrais pas en-dessous de 14 (et surtout pas avec un public non-anglophone).

Un tour de jeu consiste en trois phases.

Les joueurs pratiquent la phase des Aventuriers à tour de rôle, en accomplissant des actions. Pour cela ils défaussent leurs cartes Ressources, qui portent plusieurs symboles et/ou du texte, et choisissent le symbole ou le texte qu’ils souhaitent appliquer. Ils peuvent ainsi réaliser autant d’actions qu’ils le souhaitent tant qu’il leur reste des cartes en main, et si un joueur ne souhaite en réaliser aucune, il peut défausser une ressource pour en piocher une autre.

On pourrait éventuellement regretter que chaque aventurier n’ait pas son propre deck, avec des cartes spécifiques à sa spécialité, et il est vrai qu’il n’est pas très immersif de piocher des ressources représentant un allié absent du plateau de jeu, mais cela réduit aussi la frustration de ne pas avoir « le bon personnage » en plus d’offrir une plus grande latitude morale aux joueurs, ainsi libres de recourir aux procédés des autres aventuriers. Par ailleurs, si c’est de la variété que l’on cherche, le fait de pouvoir utiliser une même carte pour trois ou quatre effets distincts octroie bien une grande latitude tactique !

Les symboles de cartes permettent de piocher autant de cartes Ordre (donc Tâche ou Stratagème) du camp de l’unité sur la case de laquelle notre aventurier se situe. Une fois les cartes découvertes, n’importe quel joueur peut défausser des ressources pour leur influence afin que le joueur actif pioche davantage de cartes. Il est ensuite libre de les réarranger dans l’ordre de son choix, sa connaissance de ce qui se profile étant naturellement cruciale pour empêcher les conflits à venir.

Les symboles de bottes permettent de se déplacer d’autant (ou moins) de cases.

Les symboles de portail permettent de poser autant de jetons de fortification sur sa case ou une case adjacente.

Enfin les cartes ont des pouvoirs textuels divers : Matériaux naturels place deux marqueurs fortifications sur une case occupée par une unité, Pigeon voyageur fait piocher une carte ressource à un allié, qui en échange nous donne une carte ressource (en solo, on se contente de piocher soi-même), Lettre perdue permet de défausser la première carte de l’un des deux decks d’ordre d’une unité située sur la même case…

À la fin de la phase, un joueur seul pioche quatre cartes, deux joueurs piochent deux cartes, à trois seul le premier joueur en pioche deux et les autres une seule, à quatre tous ne piochent qu’une carte ressource.

 

Dawn of Peacemakers

 

Puis a lieu la phase d’armée, durant laquelle on fait agir les belligérants sans intervenir. On pioche une carte de chaque deck d’ordre, donc une Tâche et un Stratagème pour les aras, et une Tâche et un Stratagème pour les ocelots.

On regarde d’abord quel ordre on applique le premier, en comparant la vitesse indiquée sur les Stratagèmes : un camp avec une carte rapide agira avant un camp avec une carte à vitesse normale ou avec une carte lente. Si les Stratagèmes indiquent la même vitesse, on regarde la Tâche, en donnant la priorité au Mouvement sur la Couverture puis sur l’Attaque. Il est donc assez rare que les deux camps agissent tout à fait simultanément, mais cela peut arriver quand la même Tâche est accomplie à la même vitesse.

Un mouvement déplace toutes les unités concernées (donc du bon camp avec le bon socle) d’une case dans la direction de la ligne de front à moins que cela ne les éloigne des ennemis et à moins que cela ne les conduise à occuper le même espace qu’une unité adverse. Si un aventurier se trouve sur la case d’une unité qui se déplace, il peut se mouvoir avec lui.

La couverture octroie deux de défense aux unités concernées pendant ce tour.

Lors d’une attaque, les unités concernées s’intéressent aux unités ennemies (donc ni leurs alliés ni les aventuriers) les plus proches d’eux et se trouvant à leur portée. Quand plusieurs adversaires se trouvent à la même distance, on accorde sa priorité à l’ennemi dans la direction de la ligne de front, puis on tourne dans les aiguilles d’une montre pour finir par définir une cible. S’il y a plusieurs ennemis sur la même case, l’unité vise celui qui a déjà le plus de dégâts, et s’ils ont tous le même nombre de dégâts, celui qui a le rang le plus bas, et s’ils ont de surcroît tous le même rang, on tire la cible au dé. Il peut arriver que plusieurs unités visent le même ennemi, auquel cas leur attaque combinée compte comme une seule agression additionnant leurs forces. L’attaque réduit d’abord le nombre de marqueurs fortification, et si elle n’est pas annulée, on lui soustrait la valeur de défense de l’unité attaquée, qui reçoit ensuite autant de dégâts que la différence.

Si ces règles peuvent sembler complexes au premier abord (et elles ne le sont en fait pas tant que cela avec le jeu sous les yeux), des aides de jeu spécifiques au combat sont là pour les rappeler.

Notez que les cartes Stratagème peuvent influer sur la Tâche : Audacieux altère ainsi l’attaque des unités selon le résultat du dé, Surprise définit la vitesse de la Tâche en fonction du dé, Révoqué (qui simule la lassitude du combat par les armées) annule la Tâche en cours et fait perdre un point de motivation, ce qui est bien sûr une aubaine pour les aventuriers…

C’est que l’on gagne la partie si les deux camps sont prêts à accepter une trêve (c’est-à-dire s’il leur reste à tous deux 1 ou 2 points de motivation), tandis qu’on la perd si l’un des deux camps arrive à 0 et doit se rendre à l’autre, ce qui renforce la suprématie d’une espèce, précisément ce que l’on veut éviter !

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À moins que les conditions de fin de partie ne soient atteintes, le joueur suivant dans le sens des aiguilles d’une montre devient premier joueur et on commence un nouveau tour.

 

Dawn of Peacemakers

Une vraie campagne narrative

Si les conditions de victoire sont généralement les mêmes à peu de choses près, il peut arriver que les aventuriers aient un agenda personnel et ne collaborent que dans une certaine mesure, ou qu’une fois les règles de fin de partie atteintes et la page tournée, on découvre un événement inattendu qui offre une seconde vie au scénario et doit être pris en compte au plus vite.  Ainsi les rebondissements et spécificités scénaristiques sont légion pour renforcer l’impression de vivre une aventure narrative. D’autant que chaque scénario se conclut sur des textes racontant les conséquences de chaque dénouement possible (les deux camps se retirent, les aras gagnent, les ocelots gagnent, les deux camps perdent en même temps).

En outre, ces textes précisent quelle « carte de conclusion » il faut tirer, et si on reçoit une récompense ou une pénalité pour le scénario suivant, comme le gain ou la perte de ressources. Libre bien sûr aux joueurs de recommencer la partie pour une issue plus favorable ou de « jouer le jeu », en acceptant de poursuivre la campagne même après une défaite. L’impression d’une consécutivité dramatique est renforcée par le journal de campagne, où l’on doit noter le nom des joueurs, la date de la partie, l’issue obtenue et éventuellement le nom des leaders défaits pendant une mission. Ceux-ci n’apparaîtront en effet pas dans les scénarios suivants exigeant normalement leur présence, ce qui réduira logiquement la motivation de leur camp et rendra la partie plus difficile.

 

Dawn of Peacemakers

 

Je trouve personnellement assez vertigineux qu’un jeu au gameplay assez simple parvienne si puissamment à nous immerger dans une histoire au long cours de type legacy (où chaque partie a un impact mécanique et scénaristique sur les suivantes) par une multitude de procédés. À ceux que l’on a déjà mentionnés s’ajoute l’impression d’un « déplacement géographique », puisque l’intérêt d’avoir un terrain de base neutre est de pouvoir y ajouter des éléments naturels et artificiels différents à chaque partie. Chaque scénario commence d’ailleurs par nous situer précisément sur la carte fictive de Daimyria pour marquer notre progression au cours de la campagne. Cette progression dans le sous-continent sud-américain justifie narrativement la progression mécanique du jeu, puisque plus on s’enfonce dans le conflit, et plus on peut rencontrer de type d’unités et d’environnements, de leaders aux stratégies toujours plus élaborées, voire de camps distincts… Au lieu d’un « simple jeu », Sami Laakso crée ainsi un univers avec son calendrier, sa géopolitique et une histoire sur laquelle on influe directement.

Et une fois la campagne achevée ? Pourquoi ne pas en mener une nouvelle, en privilégiant la coopération si on avait suivi des agendas personnels ou vice-versa, ou simplement pour remporter les missions que l’on avait pu perdre et tenter de sauver tout le monde ? Ou jouer séparément des scénarios qui nous intriguaient particulièrement avec des aventuriers différents ? Il est assez facile de repérer dans les cartes lesquelles ont été dévoilées à quel scénario, et ainsi de revenir en arrière en se séparant intuitivement des nouveaux éléments. Laakso prévoit par ailleurs une liste de défis coopératifs proposant pour chaque scénario des altérations des règles : unités plus puissantes, asymétrie renforcée entre les camps, conditions de victoire plus exigeantes… avec cinq degrés de difficulté, d’ « épineux » à « sans espoir ». Dawn of Peacemakers est ainsi d’une très grande richesse… et on n’a même pas parlé de son mode « escarmouche » auquel est consacré un livret de règles distinct !

 

Dawn of Peacemakers

 

Dawn of Warmakers

On l’a dit, l’escarmouche est le mode compétitif réservé à deux joueurs qui incarneront des camps au lieu des aventuriers et tenteront de réduire la motivation adverse à néant. Sept modes de jeu (sept dispositions d’unités) sont proposés, dont l’un est jouable à trois, mais exige d’avoir débloqué de nombreuses pièces au cours de la campagne.

Si les règles sont globalement les mêmes que celles de la campagne, cela exige naturellement certaines variations. Le manuel dédié a ainsi le bon sens de les rappeler en encadrant et en dotant de l’inscription « escarmouche » les spécificités de ce mode, une attention tout à fait louable. Par ailleurs, puisqu’on débloque de nouvelles cartes au cours de la campagne, certaines portent le symbole de deux épées croisées pour signifier qu’elles peuvent être utilisées en escarmouche et ainsi en renforcer progressivement les parties.

On choisit d’abord la disposition parmi les sept proposées, avec le placement des lieux correspondants, puis la durée de jeu souhaitée (courte, moyenne, longue), accompagnée d’une estimation de temps, et donnant la quantité de motivation initiale et le nombre de points de draft selon ladite durée. Cette nouveauté permet de constituer assez librement son camp. Ainsi pour une partie moyenne de la première disposition proposée, chacun possède-t-il 14 points. Celui qui s’est retrouvé dans un conflit le dernier fait le premier choix, puis l’autre fait deux choix, et à tour de rôle les deux joueurs vont en réaliser un jusqu’à devoir passer.

Le draft d’un deck Stratagème est gratuit, et on ne peut en récupérer qu’un par joueur, mais compte tout de même pour un draft, qu’il faut savoir faire à un moment opportun.

Une unité coûte le nombre de points indiqués sur sa carte, entre 2 et 6. C’est à son propriétaire de déterminer quel socle il lui met, avec l’obligation de lui attribuer celui dans lequel il a le moins de troupes pour l’heure, puis il le pose sur le lieu libre de son choix dans sa zone de jeu, ce qui peut augmenter la motivation générale si l’unité se trouve dans une tour, une forteresse ou des ruines.

Pour un point de draft, il est enfin possible de récupérer trois marqueurs de fortification et de les placer sur un seul lieu du plateau.

Les joueurs récupèrent alors le deck Tâches de leur couleur, ôtent les cartes ne possédant pas l’icône escarmouche et celles se référant à des socles qui ne sont pas représentés dans son armée, puis choisissent pour chaque groupe (chaque socle) s’ils lui attribuent la tâche Couverture ou Fortification, retirant l’autre du deck.

 

Dawn of Peacemakers

 

Ils sont alors prêts à jouer des tours de trois phases, la première étant la phase de planification. La présence d’unités sur des tours, forteresses ou ruines permet de défausser des cartes de sa main, avant de la compléter à huit cartes, piochées selon ses préférences et l’une après l’autre dans la pile de Tâches ou la pile de Stratagèmes.

Puis les joueurs choisissent une Tâche et un Stratagème qu’ils posent face cachée devant eux, avec leur flèche pointant la ligne de front, également secrète pour l’instant. Enfin ils réitèrent l’opération, afin d’avoir deux lignes d’ordre. Une fois que le reste du tour aura été joué, ils ne réaliseront plus qu’une planification au début de chaque tour, l’objectif étant qu’ils soient toujours obligés de prévoir avec un tour d’avance, au lieu de planifier platement le tour à venir.

Il est possible qu’il n’y ait plus suffisamment de cartes dans les decks pour permettre une vraie planification avec plusieurs options. C’est qu’on ne remélange pas les défausses aux piles quand on ne peut plus piocher, mais que chaque joueur possède constamment une carte Stratagème « Organisation » en main. Celle-ci permet de se défausser de trois cartes, puis de remélanger les deux défausses aux deux piles. Comme elle compte pour un Stratagème (à laquelle on peut associer une Tâche), cela empêche d’appliquer ce tour-ci un autre Stratagème, et elle fait de surcroît perdre un point de motivation. Elle peut ainsi s’avérer très intéressante pour récupérer assez vite une carte que l’on viendrait de défausser, mais doit être jouée avec parcimonie.

Puis a lieu la phase d’armée, où les deux camps dévoilent simultanément leur première ligne d’ordre, et l’appliquent en suivant les règles de la campagne, y compris le choix automatique de l’ennemi attaqué, avec cette différence qu’un mouvement est appliqué même s’il éloigne une unité des ennemis. Normal, aux joueurs de gérer ce dont l’intelligence artificielle ne pouvait pas se rendre compte.

La troisième phase est celle des statuts, où l’on observe le degré de motivation de chacun, si un camp ou les deux ont perdu, ou si l’on continue la partie et recommence un tour.

Comme on le voit, l’escarmouche est très riche tout en s’avérant assez simple, et elle peut assimiler les éléments débloqués dans la campagne et ainsi se développer selon l’avancement des joueurs. Par ailleurs, rien ne contraint à une cohérence civilisationnelle, et on pourra très bien mêler aras et ocelots dans un même camp, les socles suffisant à traduire l’affiliation de chaque unité. Je craignais simplement que le retour constant à la pioche et à la planification ne s’avère un peu lourd, avant de m’apercevoir que je n’avais rien compris à ce mode de jeu, qui trouve précisément son sel dans la prévision des actions de l’autre et la difficulté à avoir toujours un cran d’avance pour le vaincre, au lieu de se contenter de déplacer directement ses unités pour frapper.

Quand on a compris la philosophie et la générosité de Dawn of Peacemakers, on n’est pas surpris de trouver à la fin du manuel d’escarmouche une page de conseils pour créer ses propres scénarios. On y trouve ainsi une URL vers un fichier (comportant une carte et des tableaux pour le temps, les drafts et la motivation)  à imprimer et compléter, une invitation à partager ses créations avec la communauté, et de nombreuses suggestions pour envisager le terrain, des nouvelles conditions de victoire, voire une scénarisation.

 

Dawn of Peacemakers

Dawn of Peacemakers – un des jeux les plus mémorables de ces derniers mois

Dawn of Peacemakers est déjà un jeu passionnant par sa démarche pacifiste. On y incarne en effet des aventuriers chargés de pousser des civilisations belligérantes à renoncer à leurs querelles, en s’assurant d’éviter les pertes des deux côtés et de diminuer leurs velléités guerrières, sans abattre tout à fait leur motivation pour ne pas anéantir leur volonté et les rendre vulnérables aux affrontements ennemis. Qu’un jeu de (très jolies) figurines dans un univers fantaisiste ne nous mette pas aux commandes de destructeurs a ainsi une extraordinaire fraîcheur.

On pourrait alors redouter la complexité a priori inhérente à une démarche aussi originale dans une boîte aussi massive. On n’en est que plus surpris de la simplicité des règles et du matériel, qui pourrait même frustrer ceux qui attendraient une œuvre plus experte et directe. Il faut dire que Dawn of Peacemakers est d’une singulière générosité, avec des explications très pédagogiques recourant par exemple au gras pour mettre en valeur les informations importantes, au surlignage coloré pour montrer qu’on aborde une notion nouvelle, et aux renvois réguliers à l’épais index (le troisième livret du jeu), qui n’existe que pour faciliter encore davantage la compréhension de points précis. On retrouve cette générosité dans le soin matériel apporté par Laakso à son œuvre, dans l’importance qu’il accorde à la rejouabilité, et dans l’addition très complète d’un mode d’escarmouche pour apporter une dimension tout à fait différente à un jeu qui était jusque-là strictement coopératif, encourageant même la création et le partage de missions.

On aborde ainsi par un biais inédit le monde fictif créé par l’auteur et illustrateur, qui n’est plus le joli enrobage thématique de La Vallée des marchands mais s’enrichit d’un calendrier, de cultures et d’une histoire dans laquelle on aura une influence directe au cours des péripéties surprenantes de la campagne. La dimension legacy du jeu accentue cette impression de découverte très partielle d’un continent vaste et passionnant que l’on ne peut que souhaiter continuer d’explorer. Ce qui sera justement possible l’année prochaine avec les campagnes de financement participatif de La Vallée des marchands 3 et surtout de l’ambitieux Lands of Galzyr. Il va de soi qu’on s’y intéressera de très près, et qu’on ne saurait assez encourager les joueurs et éditeurs francophones à s’y intéresser de même.

 

Dawn of Peacemakers

2 Commentaires

  1. Wow! Il faut faire du bruit… je veux voir un jour une sortie VF pour ce jeu « Dawn of Peacemakers » ! 🙂

    P.S.
    Félicitations! Super! et Bravo! pour vos articles sur les jeux de société ! Ça fait plusieurs que je lis.
    Très intéressant et plaisant à lire car épurés et bien présentés.

    • Merci beaucoup pour ce retour enthousiaste, cela fait bien plaisir ! 🙂
      Et j’ai en effet tenté d’inviter quelques éditeurs (Matagot, Bragelonne, Lucky Duck Games, Funforge) à s’y intéresser, sans succès pour l’instant… Espérons que ça arrivera, comme pour Betrayal Legacy, la communauté socioludique francophone manque vraiment quelque chose d’important en n’ayant pas accès à ces titres dans sa langue. N’hésitez pas à en parler autour de vous quand vous en avez l’occasion, les éditeurs ne pourront plus ignorer la demande si elle émane d’un grand nombre de joueurs 🙂