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Guardians of Legends – un vrai jeu de société pour trouver un vrai trésor ?

Guardians of Legends – un vrai jeu de société pour trouver un vrai trésor ?

 

Il y a quelques semaines à peine, un éditeur complètement inconnu, Lubee, lançait un jeu d’une grisante et folle ambition, le Guardiands of Legends de Vincenzo Bianca et Edward Preston. C’est que, pour un premier jeu, cette proposition était déjà singulièrement belle, et n’hésitait pas à rivaliser avec le bien établi Libellud (DixitMysteriumShadows – Amsterdam) dans son principe mécanique de jouer sur les associations de superbes images, ici grâce à l’impressionnant travail d’illustrations de Nicolas Hubert et Martin Maigret. C’est ensuite que Guardians of Legends s’accompagnait de l’annonce d’une véritable chasse au trésor, susceptible de rapporter 210.000 euros à celui qui la résoudrait.

Simple argument marketing pour lancer le jeu avec un bon buzz, ou association mûre et réussie d’une chasse au trésor socioludique et réelle ? C’est ce que nous allons tenter de voir, en nous concentrant naturellement sur le jeu lui-même à défaut d’avoir trouvé l’œuf d’or et pour ne pas en spoiler trop avant les énigmes. Qu’il vous suffise de savoir qu’en tant que tel, indépendamment de la quête au pactole, Guardians of Legends s’annonce comme un charmant jeu familial d’observation et de déduction, jouable de trois à cinq chasseurs de trésor de huit ans et plus, pour des parties d’une demi-heure à peine, et disponible pour 36 euros.

Guardians of Legends

Un jeu à 210.000 euros ?

Un certain nombre de joueurs avoue sans honte n’avoir acheté la boîte que pour résoudre les énigmes de la chasse à l’œuf d’or. C’est qu’elle est nécessaire pour officialiser le gain (quand même), pour accéder aux énigmes et pour communiquer sur sa quête, en espérant grappiller des indices. Lubee a ainsi très bien fait les choses en « cachant » (mais ce sera la seule énigme facile) un code unique dans chaque boîte. Dans l’onglet Forum du site guardiansoflegends.com, on n’aura plus qu’à entrer son adresse mail et le code ainsi obtenu pour participer à la quête collective et officialiser son statut de chasseur de trésor, recevoir une feuille de route et quelques indices épars.

Mais l’œuf d’or est unique. Conçu par Olivier Gangi et Cédric Sansen, deux artisans joailliers liégeois extrêmement raffinés, il est forgé en or pur 24 carats, rehaussé de trois feuilles en or blanc 18 carats sur un socle en or noir (weirdium) et serti de 600 pierres précieuses, nous dit l’argumentaire. Joli. Et quand on sait qu’il pourrait lui-même receler une nouvelle énigme, le mystère qui l’enveloppe n’en est que plus saisissant.

 

 

On pourrait alors logiquement penser qu’un chasseur n’a aucun intérêt à partager ses recherches. Ce serait négliger qu’en s’inspirant de la fameuse chasse à la chouette d’or, lancée en 1993 et n’ayant toujours pas abouti, les auteurs ont pris soin de complexifier infiniment leurs énigmes, imposant pratiquement la fédération des esprits et le soutien réciproque des chasseurs pour permettre une résolution qui pourrait ne pas arriver de sitôt.

Cette succession d’énigmes peut être résolue avec les seuls éléments du jeu de société, qui n’est donc pas qu’un ticket vers la chasse, mais aussi pleinement son instrument de résolution, le seul déplacement physique imposé au joueur ayant tout compris étant celui d’aller récupérer l’œuf d’or une fois qu’il en aura déduit l’emplacement. Guardians of Legends comporte en effet 35 cartes postales regorgeant d’éléments, à la manière de ces jeux vidéo où il faut retrouver les objets les plus incongrus dans un plan fixe. Et parmi ces éléments, certains sont plus incongrus encore que les autres, et paraissent receler un mystère dépassant leur fonction illustratrice. Suite de chiffres tracés à la craie sur un tableau noir, symboles vagues sur les flacons d’un apothicaire occulte, carrément QR codes…

Si je peux difficilement juger de l’habileté des énigmes tant qu’elles n’ont pas été résolues, je ne peux qu’applaudir l’audace novatrice de la démarche, appréciant particulièrement l’idée d’utiliser les pièces du jeu (qu’on ne doit donc pas simplement jeter une fois le code obtenu) pour progresser. Guardians of Legends n’est donc pas inutile… mais est-il bon, et serait-il même assez bon pour ceux qui ne souhaiteraient pas chasser le trésor ?

 

L’océan mystérieux et inoubliable

La sophistication de la chasse au trésor pourrait faire craindre le pire, et on ne peut qu’être naïvement surpris de voir les règles de Guardiands of Legends tenir en deux pages illustrées – deux grandes pages, il est vrai, enfin deux pages tout de même.

La mise en place commence par la création de l’océan : on pose aléatoirement les 24 tuiles hexagonales Île sur la table, dans une forme générale de son choix (pratique pour convenir aux différentes configurations et formes de tables) à condition que deux arêtes de chaque tuile en touchent une autre.

Ces tuiles sont réellement impressionnantes, leur qualité et leur taille mettant en valeur leur illustration : deux araignées géantes sortant d’un château et menacées par le boulet enflammé d’une catapulte, une île-tortue à la Disque-Monde entourée de poissons et de navires chinois, un galion français près d’un récif couvert d’étoiles de mer et d’une sirène, un paysage rocheux couvert de statues ressemblant à celles de l’île de Pâques, abordé par un canoë indien, mais portant également une ferme hydraulique et un phare… Les illustrateurs ont redoublé d’imagination pour mêler histoire et fantaisie, et rendre chaque tuile inoubliable.

Chaque joueur prend ensuite une couleur (blanc, vert, rouge ou bleu) et le matériel de cette couleur, ses quatre pions Bateau d’exploration, quatre jetons Indice et quatre pastilles Feu de position. À ce stade, on aurait apprécié une représentation claire de chacun des éléments afin de faciliter leur identification, mais bien que très (trop ?) petits, ils sont assez peu variés pour qu’un peu de déduction et d’observation suffise à les reconnaître.

Chacun reçoit alors deux cartes Trésor et une carte Légende, piochées au hasard, qu’il pose aléatoirement devant lui. Ce sont des cartes Récompense, avec un dos identique, de sorte qu’il ne sait plus où est la légende, et où sont les trésors. Puis trois cartes Lieu (représentant les îles) lui sont attribuées face cachée, et il lui faut les associer sans les regarder aux trois cartes Récompense. Ainsi chacun de ces lieux promet-il la mystérieuse récompense de la carte correspondante, dont le joueur est le Gardien. Il n’y a plus qu’à prendre un premier tas de deux cartes, à placer le reste du matériel à disposition, et la partie peut commencer.

Un Mysterium pour pirates

Un tour est composé de deux phases.

Pendant la phase de fouille, deux immenses Cartes postales sont retournées face visible. Les joueurs doivent alors utiliser leur jeton Indice pour pointer sur l’une des deux cartes un élément qui pourrait évoquer aux autres l’île qu’ils souhaitent leur faire deviner, où se trouve leur trésor. Ils n’ont évidemment pas le droit de parler à cette occasion.

Aussitôt que leur jeton Indice est posé, les joueurs placent leurs deux pions Bateau d’exploration sur les îles de leur choix, supposément indiquées par les indices des autres, et donc sans forcément attendre que tous aient fini de poser leurs indices. Chaque bateau a deux faces, l’une présentant les couleurs du joueur auquel il appartient, l’autre représentant la couleur du joueur dont il cherche le trésor. On évite ainsi de trouver un trésor en en cherchant un autre, plutôt sympathique. Et surtout, on pose le bateau sur la face présentant sa couleur, ce qui signifie qu’avant la résolution, les adversaires ignorent quel trésor on cherche à ce stade !

Avouons que la première ou les deux premières parties peuvent alors exiger un peu d’organisation, afin que les cartes postales soient visibles de tous dans le détail, sans que chacun ait besoin de les prendre en main, et pour éviter que l’on tourne autour de la table en rivant ses yeux sur les plus discrets dessins des îles. Assez vite heureusement, on finit par connaître le matériel, en particulier les îles, ce qui facilite la fluidité de cette étape. Et il est assez astucieux à cette étape qu’on ne soit pas obligé d’attendre les autres, donc de valoriser la vitesse en punissant les observateurs trop minutieux.

Arrive la phase de résolution, au cours de laquelle on retourne les Bateaux d’exploration. Si plusieurs bateaux sont posés sur la même île, on commence logiquement par le premier arrivé.

Si un trésor a bien été trouvé (c’est-à-dire que le joueur bleu est bien sur l’île où se trouve le trésor du joueur rouge avec un bateau bleu sur sa face principale, rouge sur l’autre), son Gardien dévoile sa carte Lieu et la récompense correspondante. Pour chaque récompense, le joueur le plus rapide remporte deux pièces d’or et les autres une seule, le Gardien en remportant également deux, plus une par joueur supplémentaire l’ayant trouvé. Si la récompense était une légende, le Gardien et tous les joueurs l’ayant trouvé récupèrent de surcroît une pièce de légende (rouge).

Si un trésor n’a pas été trouvé, mais se trouvait sur l’une des six îles adjacentes, le Gardien pose sur l’île où se trouve le bateau un feu de position indiquant la proximité du trésor.

Les îles dont la récompense a été obtenue sont retournées face cachée, ce qui signifie que la géographie des lieux se simplifie de tour en tour… et que les joueurs seront donc plus acharnés encore à vite poser leurs bateaux. Un Gardien dont l’île aurait ainsi été découverte récupère son indice, défausse sa carte Lieu et regarde le tas suivant. Si ses trois tas ont été découverts, il pioche une nouvelle carte Lieu et Récompense.

On dévoile finalement une nouvelle carte postale. S’il y en avait déjà trois, la première est défaussée et les jetons indice qui pouvaient s’y trouver sont rendus à leur propriétaire. Un nouveau tour commence alors.

La partie s’achève quand au moins un joueur atteint un total de douze pièces. Celui qui en a le plus remporte la partie, et en cas d’égalité, celui qui possède le plus de pièces de légende triomphe.

 

 

Péripéties de la chasse aux trésors

Les règles exposées sont celle du niveau de difficulté « Veilleurs ».

Au niveau supérieur, « Sentinelles », on ne retourne plus sur sa face cachée une île dont la récompense a été découverte, et on n’utilise plus de feux de position. Intéressante avec un public bien habitué au jeu, ce ne sera pas nécessairement la variante la plus populaire avec d’autres publics, puisque cela rallonge la partie sans réellement l’enrichir.

Tous apprécieront cependant le troisième niveau, « Les Gardiens », qui ajoute un bienvenu grain de folie aux parties de Guardians of Legends. En début de partie, on mélange  toutes les cartes Légende et Trésor en tous en récupèrent trois, sans restriction à deux trésors et une légende. Les légendes possèdent désormais des pouvoirs. Une iconographie assez claire précise si l’effet se déclenche aussitôt la légende obtenue ou plus tard, et s’il concerne son détenteur, tous les joueurs ou le joueur de son choix.

Ces effets uniques concernent tous les aspects de la partie : les Bottes de 7 lieues permettent de poser un jeton indice supplémentaire au tour suivant, le Trident de Poséidon ôte pendant un tour un bateau aux joueur de son choix, l’œuf d’or rapporte une pièce de légende et une pièce d’or, Excalibur permet d’être le seul à récupérer la récompense de l’île, la Baguette de Merlin autorise la pose du feu de position sur l’île de son choix…

Il y en a seize différentes, n’hésitez pas à y faire une petite sélection. À titre personnel, je joue par exemple rarement avec le Sablier du marchand de sable (qui ôte un indice à un autre joueur) ou la Balance de l’équilibre (qui redistribue équitablement les pièces de tous les joueurs), indéniablement amusantes, mais pas toujours pour tout le monde.

Compte tenu du boost octroyé par ces cartes, les règles recommandent judicieusement d’achever la partie quand un joueur a cumulé vingt pièces, ce qui rend moins injustes les légendes volant des pièces aux autres par exemple.

Le dernier niveau enfin, « Les Vénérables Gardiens », propose d’utiliser un chronomètre d’une minute entre la pose du premier jeton indice sur une carte postale et la fin de la phase, pose de bateaux inclus. Cela peut s’avérer problématique en ce que le joueur normalement avantagé réalisant le geste fatidique doit perdre quelques précieuses secondes pour lancer le chronomètre, mais la variante me paraît indispensable dès lors que tous les joueurs ont déjà pratiqué Guardians of Legends au moins deux fois. Je recommande d’ailleurs dans ce cas d’utiliser le chronomètre même quand on aime mieux ne pas utiliser les parties, cela ajoute un dynamisme vraiment bénéfique à un jeu d’observation !

 

Guardians of Legends, nouveau classique du jeu familial ?

On ne peut évidemment pas déterminer si Guardians of Legends est un nouveau classique du jeu familial, étant donné que cela exigerait qu’il ait une postérité dont sa sortie trop récente le prive encore. Sa parfaite simplicité, qui le rend en fait accessible dès six ans, ajoutée à l’extrême joliesse de son matériel, lui en donnent en tout cas le potentiel. Peut-être lui manque-t-il la part de bluff, de poésie ou de perversité qui fait la grandeur de ses rivaux, mais il constitue une alternative plus franche, immédiatement assimilable, et qui m’a vraiment fait plaisir parce que cela faisait longtemps que je n’avais pas pratiqué un vrai jeu d’observation endiablé, depuis Shadows – Amsterdam en fait, et avant cela je me demande si cela ne remontait pas au Figurix de mes jeunes années.

Dans ce domaine, Guardians of Legends est indiscutablement satisfaisant, la quantité de tuiles et de cartes lui confère tout ce qu’il faut de rejouabilité, et sa beauté, dont on a déjà parlé mais dont on ne saurait au fond parler assez, lui confère ce supplément d’âme, ce caractère inoubliable, dont beaucoup de productions modernes peuvent manquer. Et si l’on cherche un vrai challenge, inutile d’aller regarder plus loin, puisque ce jeu si modeste et efficace mécaniquement, avec sa pointe de chaos, recèle une course intellectuelle d’une parfaite rigueur et difficulté… et promettant même une récompense sonnante et trébuchante de légende !

 

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