Culte – placement d’ouvrier et lutte d’influence… pour que votre Dieu conquière le monde !

 

La semaine dernière, on vous proposait le test du très intéressant Fate of the Elder Gods édité par Greater than Games, où les joueurs incarnaient des religions occultes tentant d’invoquer leur Dieu en échappant aux investigations sur leurs activités. Le Culte de Konstantin Seleznev , illustré par Anton Kvasovarov et Andrey Shestakov, propose sensiblement le même thème, un peu moins sulfureux, puisqu’on tente d’y renforcer sa religion maléfique dans un lieu fictif, la Cité éternelle, où les cultes sont en conflit pour gagner le plus de suiveurs et renforcer leur Dieu.
Intéressante curiosité, Culte est d’abord édité par Igrology et localisé en France par Bragelonne (qui localise également le Nightmarium de l’éditeur russe), une maison d’édition romanesque (qui gère par exemple les Witcher de Sapkowski) ayant récemment relancé sa gamme de comics (HiComics) pour distribuer en France les aventures de Rick et Morty, des Tortues Ninja, et quelques indépendants de très grande qualité (la sensation I kill Giants par exemple), et se diversifiant depuis moins de temps encore en direction du jeu de société, avec le même soin et le même sérieux manifestement développé dans ses autres secteurs d’activité. Un jeu curieux localisé par un éditeur ambitieux, voilà qui mérite déjà qu’on s’y arrête !
Vendu 40 euros, Culte s’adresse à 2 à 5 joueurs (idéalement trois ou quatre) de 14 ans et plus (en fait compréhensible à partir de 12 ans, mais avec un thème un peu sombre) pour des parties d’une à deux petites heures. Oserez-vous vénérez les plus sombres des divinités païennes ?
Culte Bragelonne

La Cité éternelle

Avant toute chose, il faut placer entre les joueurs le grand plateau représentant les 13 zones de la Cité éternelle. Vous remarquerez peut-être que deux zones ne portent pas le même nom sur le plateau physique et sur le plateau tel qu’il apparaît dans le livret de règles, mais ne vous inquiétez pas, les règles elles-mêmes utilisent bien le « vrai nom » des lieux, celui qui a sans doute été décidé dans un second temps. Profitons-en pour signaler que si les règles auraient pu être un peu plus claires, elles tiennent essentiellement en deux pages, ce qui les rend tout de même très assimilables et aisées à parcourir.

La pile de cartes Miracle est placée sur les Ruines (le premier lieu). La pile de cartes Privilège est placée sur l’un des quatre emplacements du Palais (le dixième lieu), et sur les trois autres, on en révèle les trois premières cartes. La pile de cartes Intrigue est placée sur le Quartier noble (onzième lieu).

Chaque joueur prend cinq pièces de monnaie, puis trois jetons Prêtre (un jeton de valeur 1, un de valeur 2, un de valeur 3), deux meeples Fidèle et la jolie figurine Patriarche (dont la valeur est égale au nombre de fidèles possédés) dans une même couleur. On récupère ensuite une fiche de culte sur son côté lumineux, figurant la religion qu’il devra faire prospérer. Les règles précisent quels cultes sont recommandés pour une première partie à deux, trois ou quatre joueurs (la configuration à cinq étant logiquement déconseillée pour commencer, comme celle à quatre, un peu plus délicate), et les joueurs sont libres de les drafter, les attribuer aléatoirement, ou les choisir de la manière qui conviendra le mieux à tous. Les fiches de culte portent toutes un nombre correspondant à leur Puissance divine. Au début, la plus grande Puissance divine permet d’être premier joueur.

 

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Prêcher et prier

Un tour se compose de deux phases, l’intention et la résolution.

La phase d’intention permet de prêcher et de prier, sachant qu’aucune des deux actions n’est obligatoire, et qu’après avoir prié, on ne peut plus prêcher.

Pour prêcher, les joueurs placent à tour de rôle un Prêtre ou leur Patriarche sur un lieu où ils ont le droit d’être présents. Les trois premiers lieux sont ainsi disponibles quel que soit leur nombre de fidèles, les trois suivants exigent au moins deux fidèles (le nombre que chacun en possède au début), les trois suivants trois fidèles, les deux suivants cinq fidèles et les deux derniers, les plus redoutables, sept fidèles. À partir du quatrième Prêtre placé, un joueur doit se défausser d’un fidèle par Prêtre supplémentaire avec lequel il souhaite prêcher, une option dont il faut évidemment user avec la plus grande précaution et quand on est sûr de savoir ce que l’on fait, puisqu’un tel sacrifice trop tôt dans la partie peut pratiquement condamner un maladroit.

 

Culte Bragelonne

 

Au lieu de prêcher ou après avoir prêché, un culte peut prier en couchant sa figurine de Patriarche. Les règles ne précisent pas s’il est possible de la coucher même si elle a été placée pour prêcher sur un lieu de la Cité éternelle, il faut donc supposer que oui. Le joueur regarde alors combien il possède de foules de fanatiques. S’il en a une, il peut bénéficier gratuitement de l’effet de l’un des trois premiers lieux, s’il en a deux, cela s’étend aux trois lieux suivants, s’il en a trois, aux lieux 7 à 9. La manière la plus traditionnelle de gagner ces foules de fanatiques assez déterminantes est de sacrifier deux fidèles à la Caserne (lieu 12).

Les Ruines (lieu 1) permettent par exemple de piocher une carte Miracle, dont l’effet bouleverse généralement la phase de résolution, fait gagner des fidèles ou de l’argent, ou demande le sacrifice de prêtres ou de fidèles contre de l’argent ou des foules de fanatiques. Le Forum (lieu 4) octroie la carte Suprématie, qui augmente de 7 l’influence du Patriarche et permet de sauter un tour complet pour réaliser une célébration (et ainsi gagner quatre cartes Miracle, 20 pièces, un Prêtre de l’influence de son choix, trois cartes Intrigue ou trois fidèles). Le Quartier des artisans (lieu 7) permet de payer cinq pièces pour transformer un Prêtre placé sur un lieu en Autel. Il ne pourra plus être déplacé, mais garantira à chaque tour quatre points d’influence sur ce lieu.

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Une fois l’effet du lieu réalisé, le joueur qui a prié peut réaliser des transactions en vendant ses cartes Intrigue contre la valeur (entre 4 et 15) indiquée sur ces cartes, ou en achetant les cartes Privilège face visible du Palais. Les cartes Privilège ont un effet permanent et permettent de jouer des Prêtres après le troisième sans surcoût, de bénéficier de l’effet d’un lieu dont on n’aurait pas remporté la lutte d’influence, de poser des Prêtres sur des lieux malgré un nombre insuffisant de fidèles, de taxer des lieux afin que chaque adversaire qui y pose un Prêtre lui paye l’impôt, de rapporter un fidèle à chaque fois qu’une carte Intrigue est jouée, d’augmenter l’influence des Autels du joueur de 1, ou de gagner trois pièces à chaque fois qu’une carte Miracle est jouée.

À la fin de la phase d’intention, on passe à la phase de résolution.

 

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L’impitoyable guerre des sectes

Pendant la phase de résolution, les lieux où se trouve au moins un Prêtre, un Autel ou un Patriarche sont résolus l’un après l’autre. Au moment où l’on calcule l’influence de chaque joueur sur un lieu, les cultes peuvent perturber les résultats apparents en jouant une seule carte Miracle, ou une seule carte Intrigue (obtenues au Quartier noble, elles sont particulièrement fourbes et destructrices), ou en activant l’un de ses pouvoirs. Cthulhu augmente par exemple l’influence d’un Prêtre sur le lieu actif d’une valeur égale à l’influence d’un Prêtre disponible sacrifié, ou ajoute un Autel en échange du sacrifice de cinq fidèles et de tous ses Prêtres disponibles. Janus exige de défausser deux cartes, mais donne un fidèle et permet au culte avec la plus faible influence de remporter le lieu actif, ou permet, contre sept pièces, de piocher une carte Miracle pour chaque Prêtre présent sur le lieu actif.

Quand chaque joueur a réalisé une action, ou décidé de ne pas en réaliser, on regarde qui remporte le lieu actif, normalement celui qui y possède le plus d’influence, à moins qu’une carte n’ait changé cette règle. Le vainqueur peut alors profiter de l’effet du lieu, ou décider de ne pas en profiter, auquel cas il est perdu. Dans tous les cas, les autres joueurs présents sur la case et ayant perdu la lutte d’influence gagnent l’aumône, entre 1 et 3 pièces de monnaie. Tous récupèrent alors leurs Prêtres et Patriarches (mais pas les Autels), à nouveau disponibles, et on passe à la résolution du lieu suivant.

 

Culte Bragelonne

 

Et une fois que tous les lieux ont été résolus, on renouvelle toutes les cartes Privilège du Palais, on fait du joueur ayant remporté le lieu avec le numéro le plus élevé le Premier joueur, et on recommence un tour. À moins que l’un des cultes n’ait remporté les conditions de victoire.

La partie s’achève en effet quand un joueur possède cinq autels de son culte dans la Cité éternelle, a assemblé quatre foules de fanatiques, ou a accompli deux fois l’Invocation. Pour cette dernière action, il faut remporter la lutte de la Faille des Ténèbres (lieu 13) avec une influence supérieure à sa puissance divine. On retourne alors la fiche de culte sur l’Aspect des ténèbres, qui augmente considérablement sa Puissance divine et offre de nouvelles aptitudes. Ainsi, Cthulhu permet-il de commencer la partie et d’avoir souvent l’avantage en début de partie grâce à ses 21 points de Puissance divine, mais est-il assez difficile à retourner, et ne vaut-il que 22 points en Aspect des Ténèbres, tandis qu’Asmodée ne vaut que 5 points en Aspect de la Lumière, ce qui est très désavantageux en cas d’égalités… et 40 en Aspect des Ténèbres ! Si au cours du même tour, plusieurs joueurs remportent une condition de victoire, le culte avec la plus grande puissance divine remporte la partie, raison de plus pour peser les avantages et inconvénients de chaque culte en fonction de sa manière de jouer, voire de jeter un oeil au guide stratégique proposé par Bragelonne !

 

Culte Bragelonne

Culte, terrible jeu tactique et occulte

Culte est un jeu passionnant par sa variété : votre manière de jouer dépendra à chaque partie, et même à chaque tour, des choix des autres, tant au niveau du culte de chacun, des lieux où ils placent leurs Prêtres que des cartes dont ils disposent, et si l’on peut craindre au moment de la mise en place une surabondance de règles, on découvre très vite à quel point elles sont simples, puisque liées très précisément aux lieux. On peut ainsi très bien jouer sans cartes Intrigue ou Privilège si l’on trouve plus de profit à s’attaquer à d’autres lieux que le Palais et le Quartier noble, et soudain au tour suivant ne plus viser que ces deux lieux-là, sans que cela nous pénalise du tout. Le système de jeu est assez équilibré pour qu’il n’existe pas de « bons » et de « mauvais » choix, qu’on ne se sente pas complètement dépassé par un adversaire occupant plus vite un lieu plus puissant – après tout, les derniers lieux sont aussi les plus techniques, et se précipiter risque de coûter cher. Les religions se livrent ainsi à une course très réfléchie pour remporter les quartiers de la Ville éternelle les uns après les autres, dans ce qui pourrait apparaître comme un jeu abstrait (avec des mécaniques de placement d’ouvriers et de majorité) si Culte n’était pas aussi riche et soigneusement thématisé. Une expérience fluide, cérébrale, interactive, aussi agréable que profonde : une vraie réussite.

 

Culte Bragelonne