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Les terribles et si belles lois du darwinisme : Évolution et l’extension Climat

Les terribles et si belles lois du darwinisme : Évolution et l’extension Climat

 

Il suffit d’avoir lu quelques-uns des tests de jeux de société que je rédige sur Vonguru pour savoir que Funforge appartient à mes éditeurs préférés. Je lui dois en effet deux véritables coups de cœur, Patchwork et Tokaido, et de nombreux moments passionnants et/ou agréables devant Isle of Skye ou Bärenpark. Or dans son catalogue un jeu m’intéressait depuis longtemps, Évolution, conçu par Dominic Crapuchettes, Dmitry Knorre et Sergey Machin pour NorthStarGames avant sa localisation française en 2016. Un jeu sur l’évolution des espèces grâce à des traits génétiques pour tenter d’éviter leur extinction avait déjà un atout thématique fort, surtout quand on sait qu’il part du désir de Knorre de mettre au point un jeu pour expliquer l’évolution à ses élèves.

Mais mon intérêt premier s’explique plus bassement : comme beaucoup sans doute, sans les splendides illustrations de Catherine Hamilton, je ne suis pas sûr que j’aurais donné sa chance à Évolution quand tant d’autres jeux attendent d’être pratiqués. Ai-je eu raison de me laisser appâter ? Évolution est-il à la hauteur de ses dessins et de son ambition de transformer l’évolution animale en mécaniques ? C’est ce que nous allons voir dans ce test du jeu pour deux à six joueurs de douze ans et plus, disponible pour une cinquantaine d’euros.

Nous présenterons ensuite sa non moins magnifique et riche extension Climat, vendue quant à elle à un peu plus de 25 euros.

 

Évolution Funforge

Aux débuts du monde

Évolution commence par un très bon point, superficiel mais très appréciable, son matériel attire les curieux autour de la table et donne déjà envie de se plonger plus avant dans les règles. Pourtant, le plateau central (le Plan d’eau) est sobre, pas laid mais assez commun, et intrigant (il ne porte aucun symbole, aucune case…). Après sa pose, la deuxième étape séduit davantage, puisqu’on y place à disposition des joueurs les 240 jetons nourriture. Ils ont beau n’être que de petits jetons cartonnés, on appréciera l’astuce de représenter d’un côté une plante, de l’autre côté de la viande, et surtout la variété des illustrations, quand on n’aurait attendu qu’un dessin pour chaque type d’alimentation.

Puis chaque joueur prend un sac Nourriture. Dans d’autres jeux je déplorais des sacs sans aucun logo, sans identité. Ceux d’Évolution donnent l’impression d’une certaine qualité et si d’un côté ils portent sans réel travail de graphisme et en bien trop gros le nom de NorthStarGames, de l’autre un animal, différent pour chaque joueur, est représenté dans la même richesse chromatique et les mêmes tons pastels que sur la couverture du jeu – qui me rappelait déjà le magnifique Karmaka.

Une pile est formée avec les 129 cartes Trait (ou 89 à deux joueurs), 17 traits Carnivore, et 16 autres traits en sept exemplaires. On pourra regretter que le dos des cartes porte la mention « Évolution Carte Trait » alors que le jeu ne comporte aucun autre type de carte, enfin la beauté même du dos relègue au rang de pinaillage ce reproche déjà peu sérieux.

Et le jeton Premier joueur, élément souvent dispensable, plus encombrant qu’autre chose, prend la forme luxueuse d’un immense pion en bois figurant un brachiosaure. Pour une fois, on jouera avec ce rappel, aberrant quand les tours se jouent à tour de rôle, mais qui ajoute naturellement une dimension de plaisir à la manipulation d’objet qu’on ne pourra qu’apprécier !

Nourrir, évoluer, survivre

Un tour de jeu se déroule en quatre phases.

Pendant la première, les joueurs ne possédant aucune espèce (ce qui est le cas de tous les joueurs au début du premier tour) reçoivent un plateau Espèce, où ils placent un cube marron et un cube vert dans les premiers emplacements Taille et Population : ils possèdent désormais un petit animal, embryon encore dénué de caractéristiques.

Puis ils piochent trois cartes, plus une par espèce qu’ils possèdent (donc quatre cartes pour tous au premier tour).

La deuxième phase consiste à choisir la nourriture pour alimenter les espèces, en posant une seule carte face cachée sur le Plan d’eau. Chaque carte porte en effet un symbole plante indiquant combien de nourriture elle vaut. On passe ensuite à la troisième phase sans les révéler

Dans le sens des aiguilles d’une montre, ou tous ensemble si l’on veut jouer plus vite, il est enfin possible de poser autant de cartes Trait qu’on le souhaite. On peut réaliser trois actions différentes avec une carte.

Soit créer une nouvelle espèce, en défaussant une carte face visible pour prendre un nouveau plateau Espèce, posé à droite ou à gauche des plateaux déjà possédés (pas entre deux plateaux). Des cubes en représentent à nouveau la population et la taille (un unique embryon).

Soit augmenter sa taille ou sa population, toujours en défaussant une carte face visible.

Soit ajouter un trait génétique, en plaçant une carte face cachée au-dessus d’un plateau Espèce de son choix, dans une limite de trois cartes Trait, et d’un seul exemplaire maximum d’un trait particulier. Il est également possible de retirer un ou plusieurs traits de ses espèces. Ce n’est que quand tous les joueurs ont achevé leur tour et joué les cartes qu’ils souhaitaient jouer que l’on dévoile tous les traits attribués aux espèces.

 

 

Puis arrive déjà la quatrième phase, celle où il faudra nourrir ses animaux.

On commence par activer les traits dont l’illustration est encadrée par des feuilles : Long cou permet par exemple de prendre 1 Plante, Fertile de gagner en population s’il y a bien des cartes sur le Plan d’eau.

On révèle ensuite les cartes Nourriture du Plan d’eau et on additionne leur valeur en nourriture. On ajoute donc autant de jetons Nourriture que cette valeur sur le Plan d’eau… à moins que la valeur soit négative, auquel cas on ôte autant !

Dans le sens des aiguilles d’une montre, chaque joueur nourrit une de ses espèces d’un seul jeton une fois, et le tour continue jusqu’à ce que les animaux soient nourris ou qu’il n’y ait plus de nourriture, sachant qu’il ne faut nourrir que les animaux affamés (ceux qui ont moins de nourriture que leur population).

Certains animaux pourront cependant posséder le trait carnivore, qui leur interdit de se nourrir des plantes du Plan d’eau. Ils doivent alors se nourrir d’autres espèces végétariennes, omnivores ou carnivores, appartenant au même joueur ou aux autres. Il ne peut les attaquer que s’il a une taille strictement supérieure à l’espèce attaquée et peut contourner ses mécanismes de défense (il faut par exemple le trait embuscade pour attaquer un animal possédant un cri d’alerte). La population de l’espèce attaquée est alors réduite de 1, et le carnivore se nourrit d’autant de jetons que sa taille. Comme une espèce se nourrit obligatoirement si elle est affamée et peut se nourrir, un carnivore peut être obligé d’attaquer un animal cornu (qui le blesse en retour) ou un animal appartenant au même joueur, jusqu’à être repu.

Si une espèce n’a cependant pas pu se nourrir autant que sa population (parce qu’il n’y avait plus de jetons sur le Plan d’eau ou que tous les autres animaux étaient protégés contre un carnivore), sa population se réduit jusqu’à atteindre la quantité de nourriture consommée (si on a pu récupérer deux jetons de nourriture, seuls deux animaux peuvent se nourrir, et les autres meurent).

Si une espèce n’a pas du tout pu se nourrir, ou que sa population a été réduite à 0 suite à une attaque, elle s’éteint. Le plateau espèce et les traits associés sont défaussés, et le joueur pioche autant de cartes trait. Et dans le cas d’une extinction à cause d’un carnivore, alors que l’espèce avait été nourrie, le joueur récupère la nourriture dans son sac.

La nourriture consommée est ensuite placée par chaque joueur dans son sac Nourriture, les plantes non consommées restent sur le Plan d’eau, le joueur suivant devient Premier joueur, et on passe au tour suivant.

La partie s’achève quand le paquet Trait est vide, après qu’on le remélange et joue un dernier tour.

Chaque jeton Nourriture dans le sac rapporte 1 point, chaque plateau Espèce rapporte autant de points que sa Population, chaque carte Trait d’une espèce encore en jeu rapporte 1 point.

Vous remarquerez que la taille ne rapporte rien, et pourriez en déduire bien à tort qu’elle est inutile. Contrairement à la population, elle a l’avantage de ne pas coûter de nourriture, et son intérêt est d’ordre défensif. Rappelons que le trait Carnivore est volontairement surreprésenté, et que comme toutes les autres cartes, ses 17 occurrences finiront toujours dans une main ou dans l’autre. Et face à une horde de placides végétariens se focalisant sur le nombre, il peut s’avérer très tentant de tout miser sur la chasse, et même de fournir le Plan d’eau en cartes retirant de la nourriture pour s’assurer de l’extinction de tous ses rivaux. La taille est donc une particularité évolutive à ne pas négliger pour qui tient à la survie de son espèce…

En cas d’égalité, le joueur dont les espèces ont le plus de traits remporte la victoire, et en cas de nouvelle égalité, c’est la population qui distingue les rivaux.

Comme on le voit Évolution se joue très simplement, et peut être pratiqué vers 10 ans sans trop de difficulté, d’autant que les aides de jeu, plastifiées et en couleurs, sont complètes et claires, en plus de comporter la description des 17 traits avec les illustrations correspondantes !

Ces aides se concluent sur la proposition de nommer ses espèces préférées, avec une liste de préfixes et de suffixes scientifiques correspondant aux deux traits jugés dominants. Un carnivore charognard pourra ainsi être un Morbidagoinfrus ou un Crocopilla, un anime privilégiant la coopération et la défense en horde sera un Collabapack ou Troupasoutia. Bon, certains résultats sont moins élégants que d’autres, mais cette addition ludique devrait être appréciée !

La taille de la boîte d’Évolution, son prix tout de même élevé, sa nature initiale de KickStarter, sa restriction aux 12 ans et plus pourraient faire craindre un jeu relativement complexe ou lourd. Il n’en est rien, les règles sont extrêmement vite assimilées, les traits sont juste assez peu nombreux pour être utilisés naturellement, et juste assez nombreux pour offrir une bonne variété aux espèces présentes et un grand nombre de combos, qui inspire régulièrement le désir de tenter autre chose, de négliger une espèce en faveur d’une autre que l’on croit plus performante.

Malgré sa simplicité, Évolution s’avère un redoutable moteur à dilemmes : préfère-t-on la taille, la population, les nouvelles espèces ? l’omnivorisme ou l’interactivité permise par le carnivorisme ? Garder ses cartes en main, les jouer, multiplier les espèces pour en piocher plus, au risque de devoir en nourrir plus… Jeu de combos, jeu à choix, il a même le luxe de comporter une très sympathique composante de gestion de main, avec ses cartes qui peuvent avoir de multiples fonctions, et de bluff, grâce à la pose face cachée de la nourriture. Et à ces qualités tactiques indéniables, Évolution ajoute une vraie cohérence thématique, étonnante tant cette transposition des mécanismes de l’évolution n’allait pas de soi en jeu de société, et même pour impressionner dans le choix audacieux de laisser l’apparence de nos espèces à notre imagination. On ne pourra guère déplorer qu’une impression subjective de répétitivité : à force d’enchaîner les parties, on aura le plaisir de maîtriser les combos les plus et l’adaptation à l’évolution de ses adversaires, mais on pourra souhaiter un peu de renouvellement… justement apporté par la micro-extension Cartes (qui propose cinq nouveaux traits pour moins de cinq euros) et surtout l’extension Climat.

 

 

La nourriture n’est plus un problème ? Mais comment évoluerez-vous face à l’inconstance du climat ?

Climat comporte naturellement quelques nouveaux traits, ce qui constitue la principale attente d’une extension d’Évolution, mais exige également d’en supprimer certaines qui ont été mises à jour dans le nouveau deck de cartes, avant de mélanger la nouvelle pile à l’ancienne. D’une part, cela rappelle que le jeu perdrait de son intérêt s’il multipliait simplement les traits, empêchant complètement les joueurs d’anticiper la pioche et les combos au profit d’un aléa moins intéressant, puisqu’autorisant moins de programmation. D’autre part, il s’agit de souligner que Climat n’est pas qu’une extension additive, mais ajoute une transformation plus profonde des mécaniques d’Évolution.

Une fois la nouvelle pile de traits constituée, on en met un certain nombre de cartes de côté au hasard, 88 à deux joueurs, 60 à trois, 30 à quatre, aucune à cinq et six.

On dispose ensuite à la place du plan d’eau le plus joli plateau Climat du côté correspondant au nombre de joueurs. Le pion Climat est d’abord placé sur la case Tempéré, le calme avant la tempête. Deux paquets de cartes, les Événements liés au froid et les Événements liés au chaud, sont posés sur leur emplacement respectif, et on pioche une carte de chaque paquet pour la poser à l’endroit qu’elle indique, ordinairement sous une certaine température du plateau Climat.

Au lieu de piocher trois cartes au début de chaque tour, on en pioche désormais quatre (et toujours une de plus par espèce), et chaque espèce pourra justement posséder quatre traits (trois à deux joueurs), afin que leur personnalisation soit toujours plus poussée et les combos toujours plus cérébraux… ou décérébrés quand on fait juste évoluer l’animal en fonction des circonstances sans aucun souci de cohérence. Par ailleurs, il est désormais possible, de conclure sa phase de pose de cartes en plaçant celles que l’on n’a pas jouées sous la pioche pour en récupérer autant de nouvelles. Une main défavorable, jugée trop « injuste », pourra ainsi être régulièrement renouvelée.

Ces altérations viennent surtout améliorer les règles de base pour les rendre moins rigides et plus satisfaisantes. Mais c’est entre la phase de pose des cartes et avant la phase de pose de la nourriture que survient la véritable nouveauté de Climat, avec la nouvelle phase de modification de l’environnement.

Après avoir appliqué l’effet des cartes encadrées par des feuilles et révélé les cartes posées face cachée sur le Plan d’eau, on regarde combien ces cartes portent de flocons et de soleils. S’il y a plus de soleils que de flocons, le jeton Climat se décale vers la droite, vers plus de chaleur, et inversement s’il y a plus de flocons, tandis qu’une égalité n’aboutit à aucun changement. Si le jeton Climat arrive ainsi sur une case sous laquelle se trouve un Événement, on applique ce dernier. Une désertification en climat tropical empêche par exemple d’ajouter de la nourriture dans le Plan d’eau ce tour, et réduit la taille de toutes les espèces

Si le climat est alors froid, glacial, en âge de glace, tropical, chaud ou torride, la température tue le nombre d’individus indiqué sur la case climat (entre 1 et 3) de chaque espèce doté d’une taille dans la fourchette indiquée. Les températures chaudes privilégient les individus petits (qui peuvent plus facilement trouver de l’ombre), les températures chaudes les individus grands (qui possèdent plus de graisse), mais en âge de glace ou en température torride, le climat tue quatre individus de toutes les tailles… Il y a donc tout intérêt à développer des traits adaptés. Fourrure épaisse permet par exemple de résister même à l’Âge de glace sans aucune perte, mais augmente toutes les pertes liées à la chaleur.

Les cartes Événement et la case Climat peuvent en outre comporter une valeur en nourriture, que l’on ajoute ou soustrait au total de nourriture du plan d’eau. Une Vague de froid en climat glacial peut en retirer jusqu’à 25 ! Inutile de préciser que ces cartes peuvent rendre la partie beaucoup pus arbitraire, même si cet arbitraire touche tous les joueurs, nécessitant une certaine chance au tirage et une bonne intuition pour se préparer aux catastrophes à venir. Naturellement les stratégies existent, à commencer par la bonne anticipation du déplacement du jeton Climat… et la pose de cartes Nourriture en vue de refroidir le temps ou de le réchauffer plus que pour la nourriture elle-même !

 

 

Les règles proposent judicieusement de jouer la première partie sans les événements, comme il avait été conçu à la base avant que les développeurs ne trouvent intéressante cette part supplémentaire d’immersion. Comme on le voit, leur gestion n’est pas bien complexe en termes de mécaniques, mais afin de commencer à assimiler les ajouts de Climat, il peut être bon de ne pas s’infliger d’emblée le chaos d’une Météorite (qui empêche pour le reste de la partie la pose de nourriture dans le Plan d’eau) par exemple ! D’autant que le jeu avait d’abord été conçu sans les

À la fin d’un tour, si une carte Événement a été déclenchée, elle est défaussée et une nouvelle est piochée pour la remplacer. Et au dernier tour de jeu, au lieu de jouer avec une défausse mélangée, on utilise le paquet de cartes mis de côté en début de partie (sauf à 5 ou 6 donc).

L’extension est formidable en ce qu’elle permet de mieux développer les espèces que jamais, de s’y intéresser et de s’y attacher, de réellement vouloir les améliorer malgré leur abstraction – on notera d’ailleurs que les suggestions en fin d’aide de jeu pour nommer ses animaux concernent cette fois son genre et son espèce, pour une personnalisation onomastique encore plus poussée. On se sent davantage immergé dans le sentiment d’être des divinités naturelles tentant de produire les animaux les plus résistants, avec le plaisir pervers de provoquer des événements néfastes en modifiant la température dans le sens défavorable à ses adversaires. Et la lutte est d’autant plus acharnée que l’on doit favoriser la défense pour surmonter la rigueur du climat, autrement plus impitoyable que n’importe lequel des carnivores. Au lieu de prospérer en songeant un peu froidement aux points, on s’acharnera à tenter de survivre, une proposition d’expérience ludique originale, riche et profondément satisfaisante !

Si le jeu vous attire, sachez qu’un prometteur stand-alone (étendant l’univers, mais jouable sans la boîte « de base »), Océans, est en ce moment en financement participatif sur KickStarter, et sera également localisé par Funforge, avec quelques jolies promesses mécaniques pour renouveler l’expérience ! Une première traduction des règles en français est lisible ici.

 

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