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Squadro – le jeu abstrait le plus beau, simple et fin du moment ?

Squadro Gigamic

Squadro – le jeu abstrait le plus beau, simple et fin du moment ?

 

Même si vous aimez le jeu de société sans vous intéresser plus que cela aux éditeurs, vous avez dû voir passer quelques fois le nom de Gigamic sur notre site, voire être curieux d’un nom associé à deux des jeux les plus intéressants de ces derniers mois, Cosmic Factory et Flamme rouge. Or Gigamic doit une grande partie de sa réputation à ses jeux abstraits en bois, dont les règles tiennent sur une toute petite page, appris en deux minutes, aux pièces superbes (d’où un prix de 35 euros), et mobilisant la logique comme seuls des grands classiques (le Moulin, les Dames et Dames chinoises) savaient le faire. Vous avez probablement déjà repéré en boutiques ces QuoridorPylos et autres Quarto… J’ai donc été ravi d’apprendre la sortie de la dernière itération de la gamme, et d’en apprendre le succès immédiat.

Squadro est conçu par Adrián Jiménez Pascual pour deux joueurs de huit ans et plus, et des parties de vingt minutes. Et comme vous le verrez, il a tout d’un classique instantané.

 

Squadro Gigamic

Un matériel mémorable

La boîte de Squadro ne contient qu’un plateau, cinq pièces sombres et cinq pièces claires. Et au fond, comme il s’agit d’un jeu où l’on se contente d’avancer des pions en ligne droite, rien ne serait plus facile que d’en concevoir soi-même une version cartonnée, le plateau est si peu étendu et les pièces si peu nombreuses que la tâche serait encore plus facile que de réaliser son propre jeu de dames ou de moulin.

Autrement dit, Gigamic aurait pu faire de Squadro un petit jeu à 10 euros. Mais l’éditeur a bien compris que le jeu ne serait alors pas assez remarquable. Pire, être présenté dans un format apéritif n’aurait pu faire que du tort à un héritier direct des jeux universels et inter-générationnels cités plus tôt. Ce qui importe, ce n’est pas tant le matériel que l’ambiance qu’il installe autour de la table de jeu. Au lieu d’un plateau de voyage, on a alors affaire à une tablette massive (plus de 900 grammes !) et noire, dont la périphérie n’est occupée que par le titre du jeu, des points blancs et des lignes que nous décrypterons bientôt. Mais pourquoi la couverture montre-t-elle un plateau blanc ? Gigamic tente de compenser cela en montrant sur les quatre bords de la boîte, et bien sûr au dos, le plateau noir qu’elle contient effectivement, il n’empêche que ce choix (magnifique) de l’élégance au détriment du contenu a de quoi interroger.

Cette tablette est fendue de cinq lignes et cinq colonnes, dessinant des espaces où pourront se loger les pions tridimensionnels. Au lieu de la traditionnelle opposition blanc/noir, lesdits pions sont marron clair et marron sombre. Ils se marient ainsi mieux avec le plateau, et font davantage « bois ». Ils sont cependant très légers, ce qui en facilite la manipulation, mais pas la pose : on sait tout ce que les échecs doivent à la masse, même à la répartition de la masse, de leurs différentes pièces, et les pions des dames ou des dames chinoises ont le même avantage de pouvoir être posés immédiatement, quand dans Squadro, il faudra un tout petit peu d’attention au moment de la pose pour que les pièces restent droites, et ne tanguent pas ou ne tombent pas. Le puriste trouve cela un peu dommage, mais il est très possible que des joueurs moins pinailleurs ne remarquent même pas ce qui me surprend un peu. Ce qui est indéniable en tout cas, c’est que la forme de ces pièces a été astucieusement travaillée pour les faire ressembler, avec toute l’abstraction possible, à des vaisseaux dont la proue pointue indique la direction qu’ils vont emprunter. C’est intuitif, cohérent avec le titre (squadro > escadron), et contribue ainsi à donner du plaisir à pratiquer le jeu, habile.

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Squadro Gigamic

Le voyage des escadrons

Au début de la partie, chaque joueur dispose les cinq pions de sa couleur derrière sa ligne blanche. On appréciera le fait que, pour une fois, les adversaires ne soient pas face-à-face mais côte-à-côte. Cela a beau être nécessaire compte tenu des règles, c’est le genre de bouleversement l’air de rien des conventions du genre qui fait du bien.

Sur le plateau, à côté de chaque pièce, entre un et trois points : ce sera sa vitesse. À tour de rôle, les joueurs vont ainsi déplacer une pièce au maximum de sa capacité de déplacement, pas moins, sauf à croiser une pièce ennemie. En ce cas, on la pourfend et on s’arrête sur la case suivante, la pièce vaincue revenant du bord du plateau d’où elle était partie. Et si plusieurs pièces ennemies se trouvaient les unes à côté des autres, on les intercepte toutes pour s’arrêter sur la case suivante : comme aux dames (mais de façon plus lisible), on a tout intérêt à se méfier de l’avance que l’on peut ainsi donner à l’adversaire. Et sauf à arriver à l’extrémité opposée du plateau. En ce cas, la pièce se retourne et s’interrompt.

L’objectif du jeu est en effet de faire faire un aller-retour à quatre de ses cinq pièces, sachant que, comme la disposition l’indique clairement, la vitesse en sera inversée au retour . Une pièce avec une vitesse de 1 à l’aller partira avec une vitesse de 3 au retour et inversement, seule une pièce avec une capacité de déplacement de 2 conservant la même allure au retour qu’à l’aller.

Alors qu’on pourrait être tenté de déplacer en priorité ses pièces les plus rapides, on se rendra vite compte que leur lenteur au retour les exposera aux attaques de l’adversaire, qui n’aura de cesse de les faire revenir à leur position de départ (le box du retour si le vaisseau commençait à revenir, le box de l’aller sinon). Et naturellement, le plateau est ainsi fait que les pions pouvant réaliser trois mouvements au retour passent juste devant les boxes des vaisseaux ennemis, et sont donc d’autant plus faciles à intercepter.

Squadro, un classique instantané ?

Dire que Squadro est un « classique instantané » ne signifie paradoxalement pas qu’il soit un classique, cela, seule la postérité en décidera, mais qu’il a tout le potentiel pour le devenir. Et de fait, Squadro est bel et bien marquant matériellement, intuitif, universellement accessible (plus encore que les échecs, les dames et même le moulin), proche de ses modèles (qui sont bien, eux, des « classiques »), et évidemment et surtout, machiavélique, extrêmement punitif. Comme aux échecs, une seule erreur, et on n’aura plus qu’à guetter une erreur adverse pour récupérer l’avantage. Mais contrairement aux échecs, ce n’est pas grave, les parties sont si courtes qu’on a d’autant plus envie de prendre tout de suite sa revanche. Squadro est de ces jeux si simples qu’on hésite même à l’essayer, en se disant au mieux qu’on y passera vingt petites minutes avant de passer à des œuvres vraiment tactiques, et sur lesquels on se surprend à ressentir autant, à tant réfléchir, hésiter, regretter, pester. Et si ça, ça ne fait pas un classique, je ne sais pas ce qui le fera.

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