Oh mon Château, le jeu familial de gestion et de dessin

 

La grande force de Pictionary, c’est qu’on peut gagner sans savoir dessiner, ou plutôt en sachant dessiner intelligemment plutôt que bien dessiner – même si le talent ne peut pas desservir l’artiste. Non moins astucieusement, le récent A Fake Artist goes to New York favorise même les artistes grossiers, aux traits imprécis et épais. En un sens, avec Oh mon Château, Ludovic Maublanc (ScarabyaMr. Jack) et Corentin Lebrat (TakenokoChâteau Aventure), poussent encore plus loin ce fantasme du jeu de dessin pour joueurs  ne sachant pas dessiner, puisque la qualité des représentations… n’a simplement aucune incidence sur le gameplay, et que paradoxalement il s’agit d’un des meilleurs jeux de dessin que je connaisse.

Voyons comment résoudre cette contradiction en nous penchant plus en détail sur le cas de Oh mon Château, illustré par Sylvain Aublin (Scarabya), édité par Blue Orange (Kingdomino, Queendomino, Okiya, Blue Lagoon, Planet…) pour faire dessiner et cogiter deux à quatre artistes ou pas-du-tout-artistes de six ans et plus pendant environ une demi-heure. Comme la plupart des jeux Blue Orange, il est relativement peu onéreux puisque disponible à 22 euros 50. Notons enfin que le jeu pourra être trouvé sous le titre Once upon a castle (c’est le cas de ma version), mais incluant toujours les règles en plusieurs langues, y compris le français, conformément aux habitudes de Blue Orange.

 

Concevoir les plans

L’objectif de Oh mon Château est de concevoir le plus beau château du Royaume. Une tâche que vous pourriez croire exagérément complexe et dont on pourrait assurément faire un fastidieux eurogame, mais pour laquelle on se contente ici de donner à chaque joueur dix pions de la couleur de son choix, un plateau individuel et une feuille du bloc Château. Chacun choisira d’utiliser soit la face avec une esquisse de château, soit celle qui est vierge de tout dessin, sans que cela ait la moindre importance mécanique.

On prend ensuite dans le paquet les cartes Invités au dos vert, que l’on mélange et dont on fait une pile face cachée. Ne manque plus que la pièce la plus cruciale de Oh mon Château, le stylo ou le crayon de papier, non fourni, ce qui est peut-être un peu dommage – mais il fallait bien faire baisser le prix, y compris grâce à la finesse des cartes, de sorte qu’il est difficile de se plaindre quand on arrive sous la barre des 25 euros.

Une fois que le joueur le plus jeune a pris les dés on est prêt à commencer. Comme toujours chez Blue Orange, la mise en place est agréablement rapide et aisée.

Oh mon Château

Précis élémentaire d’architecture

Le premier joueur lance les deux dés. Si des faces indiquent des ressources (bois, pierre, or, nourriture), il place autant de jetons sur les cases de son plateau individuel correspondantes. Ces ressources y étant représentées trois fois, le joueur choisit où poser le jeton, et donc à quoi consacrer la ressource. Si la face d’un dé représente deux habitants, il dessine deux habitants dans son château (plus précisément il trace les contours des silhouettes qui se trouvent sur sa fiche Château). Si la face montre un point d’interrogation, il décide de quelle face il préfère bénéficier de l’effet.

La phase est courte, mais cela ne suffit pas à Lebrat et Maublanc, qui pour améliorer encore la dynamique de Oh mon Château permettent à tous les autres joueurs d’appliquer l’effet d’un seul des deux dés pendant que le premier réfléchit !

Rappelons que les architectes ne disposent que de dix jetons, qui ne sont pas déplaçables sur le plateau et qui constituent une limite au nombre de ressources que l’on peut entreposer. De même, si les trois ressources d’un type sont déjà possédées, tout lancer donnant à nouveau accès à une ressource de ce type est perdu.

Si à la fin du tour une ligne ou une colonne du plateau est achevée (si toutes les ressources correspondantes ont été réunies), on peut bénéficier de l’effet figurant à côté de cette ligne ou colonne. 1 bois permet par exemple l’érection d’un mur, 1 nourriture, 1 or et 1 bois l’érection de deux murs et l’arrivée d’un habitant. Le mur ne vaut pas de points mais peut porter un « drapeau » (un étendard mural). Un drapeau valant un point peut être construit pour 1 pierre, 1 autre drapeau pour 1 or, et le dernier, valant deux points, pour 1 nourriture et 1 bois.

On peut construire une tour de cinq points avec 1 pierre, 1 bois, 1 or et 1 nourriture, et une de deux points avec 1 nourriture et 1 or. Le premier joueur ayant achevé ses quatre tours peut faire briller le soleil au-dessus de son château et ainsi gagner quatre points supplémentaires.

1 or, 1 nourriture et 1 pierre attirent trois habitants. Enfin, 1 bois et 1 pierre suffisent à construire l’un des quatre étages du donjon et à attirer un invité, le premier de la pioche, pour en gagner les points.

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Une fois qu’un joueur a achevé les douze parties de son château (quatre murs, quatre tours, quatre étages), il dessine le nuage à quatre points, permet à ses adversaires de construire ce que leur plateau leur permet de construire, puis met fin à la partie. Il n’y alors plus qu’à additionner les points des tours, du soleil/du nuage, des habitants (de 0 à 20 selon le nombre qu’on en a), des drapeaux et des invités pour déterminer le meilleur constructeur.

 

Oh mon Château

Précis érudit d’architecture

Oh mon Château peut ainsi sembler bien soumis au hasard, même s’il faut prendre en compte le fait que sur le plateau individuel, lignes et colonnes se croisent, de sorte qu’il faut parfois choisir ce que l’on souhaite construire en renonçant à un autre projet. Et en plus de décider quoi construire à son tour, il faut également décider quel dé appliquer quand c’est le tour d’un adversaire. Surtout, une fois passée la partie d’introduction, et avec un public de huit ans et plus, on peut se lancer dans la version Grands architectes.

On prend cette fois les cartes Invité bleues plutôt que les vertes, et on en révèle trois. On retourne également le plateau individuel pour faire face à des options plus complexes, valant plus de points, exigeant plus de ressources, permettant des constructions plus importantes et plus hasardeuses.

Vous avez déjà compris que Oh mon Château était un jeu de course et de pondération : on peut tenter de construire le plus rapidement possible les tours les moins chères pour mettre fin à la partie et gagner le bonus, ou au contraire prendre le temps de construire les tours rapportant davantage, et de poser des drapeaux, au risque que la partie ne s’achève pas au beau milieu d’un projet. Cette dimension est renforcée dans la version Grands Architectes, où une tour valant un point exige 1 bois et 1 or, tandis qu’il existe une tour à sept points coûtant 1 bois, 1 or, 1 pierre et 2 nourriture !

En outre, les invités possèdent désormais des pouvoirs. À chaque pose d’un étage, on prend l’un des trois invités révélés (immédiatement remplacé par le premier invité de la pioche), ce qui permet davantage de contrôle de la partie que si l’on se contentait de le prendre dans la pile face cachée. Les invités « éclair » apportent un bonus immédiat : le chien autorise le lancer de deux dés supplémentaires. Les invités « sablier » apportent un bonus permanent : la bergère vous permet de dessiner un nuage de deux points à chaque fois que vous obtenez le point d’interrogation, au lieu de placer un jeton. Les invités « couronne » valent apportent un bonus de points : le prince octroie un point par mur en fin de partie.

Une colonne du plateau de ressources/d’actions permet de voler un invité à un adversaire pour le prix d’1 or, 1 pierre et 1 nourriture, et donc d’utiliser son pouvoir s’il s’agit d’un invité « éclair ». Une autre offre enfin la possibilité, pour 1 or et 1 nourriture, de réactiver l’effet d’un invité « éclair ». Autrement dit, il sera très difficile de choisir entre les pouvoirs, les habitants, l’avancement de la structure du château, les drapeaux…

 

Oh mon Château

Un jeu pour enfants ?

En lisant la mention « 6+ », on pourrait légitimement avoir l’impression que Oh mon Château est réservé aux plus jeunes. Ce qui est tout à fait faux : même la version pour les architectes en herbe impose des choix, et on a vu à quel point celle pour les Grand Architectes pouvait s’avérer tactique, malgré un nombre de mécaniques assez faible. Oh mon Château est ainsi d’abord un jeu ingénieux : le plateau individuel sert autant de plateau de ressources que de plateau d’actions, la feuille Château est à la fois support de dessin, marqueur d’avancement et fiche de score, l’idée de l’utilisation d’un dé adverse, ou des croisements entre lignes et colonnes multiplie les atermoiements sans alourdir la réflexion ou compliquer les règles… Et comme on le disait en introduction, la qualité moyenne du matériel est nettement compensée par l’invitation à créer son propre château. Cela ne sert pas à gagner, c’est vrai, mais même les plus imperméables à l’art auront envie de styliser leurs drapeaux, de personnaliser leurs murs, d’habiller leurs habitants, et avec d’autant plus de plaisir justement que ces dessins sont au cœur de l’expérience sans être du tout requis par les règles. Oh mon Château cumule ainsi les casquettes de très bonne introduction au jeu de gestion, de jeu de gestion très aimable pour les plus expérimentés, et de jeu de dessin étonnamment prenant !

 

Oh mon Château