Les Guildes de Ravnica – que devient le jeu de cartes Magic ?
Ixalan et Les Combattants d’Ixalan étaient les deux dernières éditions du jeu de cartes Magic – L’Assemblée suivant le système historique des blocs. Afin de s’autoriser plus de libertés, ses concepteurs s’autorisèrent en effet désormais à produire des éditions successives complètement autonomes les unes des autres, là où les blocs consistaient en deux ou trois éditions étendant un univers commun en développant un cœur de mécaniques propre… Pour autant, le nouveau système ne veut pas s’interdire de placer des éditions successives dans le même univers ! Autant dire que le positionnement de l’éditeur Wizards of the Coast conserve certaines ambiguïtés, et en effet, après l’édition autonome Dominaria, Les Guildes de Ravnica sera suivi par Ravnica Allegiance, de sorte que cette édition semble inaugurer un bloc qui ne dit pas son nom.
Nous attarder sur Les Guildes de Ravnica nous éclairera ainsi peut-être exemplairement sur les enjeux de la discrète révolution qui secoue la manière traditionnelle de concevoir la succession des éditions de Magic. On s’y intéressera avec d’autant plus de plaisir qu’après quelques années à m’intéresser à ce jeu de cartes, c’est après le bloc Ravnica, en 2006, que j’avais cessé de le pratiquer. Mes derniers véritables decks constitués (et dont j’étais assez fier) en format T2 (c’est-à-dire n’utilisant que des cartes du bloc en cours et de la dernière édition de base) étaient ainsi un deck golgari (vert/noir) et un deck selesnya (blanc/vert) : deux des guildes de Ravnica récemment remises à l’honneur.
Une idée de l’histoire des guildes de Ravnica vus par les golgari (vidéo de Magic C’est Chic !)
Coulisses de la Citerraine
L’intrigue des Guildes de Ravnica tourne autour de cinq guildes des dix guildes traditionnelles, chacune soumise à ses propres péripéties, luttes internes, complots, trahisons, guerres… Une instabilité qui annonce des bouleversements d’ampleur et s’intensifie tandis que les chefs de parti disparaissent les uns après les autres.
En vert/noir, les golgari consistent en elfes, fongus et zombies. Associés à la nécromancie, à la putréfaction et à la nature, ils usent de la mort comme base pour la vie, ce qui est illustré par leur nouvelle capacité, Maquis. En fait un ensemble de capacités qui sont activées quand une carte avec le maquis entre en jeu, et renforcée par le nombre de créatures dans le cimetière. Cela peut aller de la menace (l’impossibilité d’être bloqué par une seule créature) avec un bonus de +X/+0 à la recherche dans la bibliothèque d’une carte de créature dont le coût converti de mana est inférieur à X pour la mettre dans la main. Pas si convaincus ? Que dites-vous de cela ?
Les pacifistes de la guilde de Selesnya, en blanc/vert profitent de l’harmonie avec la capacité de convocation : celle-ci permet d’engager des créatures pour obtenir de chacune un mana incolore ou un mana de la couleur de cette créature, réduisant ainsi le coût de la créature possédant la convocation. Cela peut s’avérer sympathique pour jouer assez tôt de grosses créatures, ou comme manière d’engager des créatures octroyant un bonus quand elles sont engagées. Plusieurs créatures en profitent pour avoir un coût de X, venant en jeu avec X jetons de créature ou X marqueurs, ce qui peut vite faire beaucoup quand c’est bien employé.
Si le pacifisme n’est pas votre tasse de thé, les Boros auront assurément vos faveurs. En blanc/rouge, ces soldats sont intraitables, incorruptibles, disciplinés et surtout redoutablement forts. Leur capacité spéciale est le Mentor : quand ils attaquent, une créature de force inférieure attaquant avec eux reçoit un marqueur +1/+1. Et vu comme les Boros sont gonflés aux hormones, il y a fort à parier que vous aurez toujours un petit soldat pour suivre leur exemple et y trouver une source d’inspiration. Quand en plus le mentor est l’incarnation même de la justice, il y a de quoi puiser dans cet exemple une énergie que vos adversaires n’attendaient pas.
Izzet et ses savants (fous) sont logiquement en bleu/rouge, leur magie et leurs inventions sont franches, malsaines, destructrices, comme leur foi dans une science steampunk paraît déplacée en ces contrées d’heroic fantasy. Obsédés par la réplicabilité des expériences, Izzet a développé Relancez, la capacité de jouer une carte depuis son cimetière en payant son coût et en défaussant une carte de sa main. On est rarement deux fois le cobaye d’une expérience insensée : la carte relancée est alors exilée. Probablement pas la carte la plus intéressante des Guildes de Ravnica, mais quand l’adversaire ne prête plus attention à son cimetière, relancer des éphémères et rituels déjà joués (ou plus fourbe encore, défaussés), peut avoir son petit effet. En l’absence de cartes vraiment fortes avec cette capacité, compter sur le planeswalker Ral est indispensable et peut s’avérer pour le coup redoutable, toutes ses capacités favorisant ou étant favorisées par Relancez.
La cinquième guilde de Ravnica présentée dans cette édition est la Maison Dimir. En bleu/noir, ce sont les mages de l’ombre, conspirateurs, illusionnistes, assassins au besoin. Ils peuvent logiquement Surveiller, la capacité la moins neuve du set puisqu’elle rappelle le classique Regard, et possède de l’intérêt sans pouvoir justifier à elle seule un deck Dimir. Surveiller permet de regarder les cartes du dessus de sa bibliothèque, de les y laisser dans l’ordre de son choix ou d’en mettre dans son cimetière. Bien sûr la différence avec Regard est qu’on se débarrasse des cartes (pour privilégier une meilleure pioche) tout en rendant possible l’exploitation du cimetière… ce qui demandera de tirer le deck vers du noir voire du vert/noir au détriment de l’identité dimir. Sauf en ce qui concerne Lazav, avec qui le bon combo bien orchestré peut s’avérer intéressant, sans plus.
Pas tout à fait un retour à Ravnica
Les Guildes de Ravnica ressemble beaucoup à Ravnica, avec quelques nuances comme on voit, en plus des nouvelles capacités spéciales qui restent très raisonnables – il n’est par exemple plus questions de jetons insecte avec Selesnya, ou de marqueurs +1/+1 chez les golgari. L’extension se dote cependant aussi de nouveautés dépassant le cadre des guildes. Plus précisément du retour d’une curiosité, les double-cartes, présentes en dix exemplaires dont cinq rares, la preuve que le système a beaucoup inspiré les auteurs des Guildes de Ravnica.
Les cartes doubles consistent, comme leur nom l’indique, de deux demi-cartes. Tant qu’elle ne se trouve pas dans la pile ou en jeu, la carte a pour coût converti la somme du coût des deux demi-cartes, pour couleur toutes celles qui sont représentées, et par voie de conséquence, si une demi-carte est un éphémère et l’autre un rituel, la carte double est les deux à la fois, un vrai chat de Schrödinger. Mais dès qu’elle est dans la pile, dès qu’un joueur la lance, ce dernier décide quel côté il souhaite utiliser, et la carte n’a plus alors que le côté choisi, l’autre étant complètement ignoré en termes de coût, de couleur, de type et d’effet.
L’intérêt est évident : jusqu’à ce qu’il la joue, son propriétaire peut décider quel effet l’arrange le mieux, d’autant que toutes ces cartes ont pour point commun d’avoir une demi-carte beaucoup moins chère que l’autre et ayant un coût en mana hybride (donnant la possibilité de payer une couleur ou l’autre). Selon les manas disponibles et l’avancement dans la partie, une demi-carte pourra ainsi s’avérer bien plus pertinente que l’autre. D’autant que ces cartes sont relativement puissantes dans une édition en demi-teinte, appelée à être renforcée par une alliance avec les guildes de l’édition suivante !
Ravnica, retenue et générosité
Le nouveau faux bloc Ravnica ne comprendra que deux éditions, et la deuxième sera sans doute constituée simplement des cinq guildes qui n’étaient pas représentées ici. Plutôt qu’une grande histoire, ces éditions semi-indépendantes offrent ainsi un retour nostalgique dans une Ravnica en pleine mutation, ce qui leur autorise aussi une certaine générosité. Dans un bloc, il est bon que les nouveautés d’une édition se prolongent dans la suivante. Ici, l’édition suivante pourra complètement oublier les nouveautés de Guildes de Ravnica si elle le souhaite pour apporter des idées tout à fait originales, bien qu’en se plaçant dans une continuité thématique. Les concepteurs ont ainsi moins les mains liées que par le passé et peuvent manifestement se faire davantage plaisir avec chaque édition – au risque de se répéter ou de ne plus trouver d’idées ? L’avenir nous le dira.
C’est que malgré toutes ses bonnes volontés, Les Guildes de Ravnica frappe par la modestie des nouveautés en question. Simple retour des cartes doubles, capacités spéciales prometteuses dans des cas de figure très précis, mais globalement assez banales… Paradoxalement, cela fait peut-être aussi sa force, le retour sur des mécaniques raisonnables, l’obligation de réfléchir à des combinaisons fines plutôt que de se focaliser sur les créatures sur-puissantes, la réinvention de Ravnica dans une fidélité relative au cadre posé il y a dix ans… Après un système de blocs qui contraignait les auteurs de Magic à donner leur meilleur sur chaque set, quitte à être dépourvus pour le suivant ou pire, à se sentir obligés de frapper toujours plus fort, Dominaria et surtout Les Guildes de Ravnica augurent peut-être d’un sain retour « aux sources », bénéficiant idéalement du nouveau système adopté.
Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a aucune bonne carte dans Les Guildes de Ravnica. Au contraire, les efforts consentis sur les illustrations pour l’une des plus belles éditions depuis longtemps ne peut qu’accroître le désir du collectionneur ! Rapide tour de quelques préférences toutes personnelles, que ce soit pour la joliesse de l’image, l’effet passionnant ou si abusif qu’il en est amusant… :