V-Commandos, Assassin’s Creed pendant la Seconde Guerre mondiale
Triton Noir a récemment lancé un KickStarter pour le jeu Assassin’s Creed: Brotherhood of Venice, rentabilisé à 500% au moment où j’écris ces lignes, et s’achevant demain 7 décembre. Cela semble visuellement magnifique, mécaniquement très complet, bref exceptionnellement prometteur pour un jeu franchisé (plus encore que les récents jeux vidéo de la saga pourraient dire les mauvaises langues). Découvrant le jeune éditeur avec ce projet, j’ai naturellement souhaité explorer son passif, découvrir ce qui avait pu le pousser à une entreprise aussi passionnante – et donc à quel point on pouvait lui faire confiance pour créer un jeu avec une âme. Or il se trouve que cet Assassin’s Creed a pour auteur Thibaud de la Touanne, fondateur de Triton Noir et concepteur de V-Commandos, premier jeu de l’éditeur dont la dernière création reprend globalement le système. Qu’à cela ne tienne, il me fallait tester V-Commandos, avant la fin du KickStarter et enhardi par Betrayal Legacy, le dernier gros jeu présenté sur Vonguru.
V-Commandos – Infiltration, Combat, Sabotage est un jeu coopératif pour une à quatre personnes de douze ans et plus (la quantité de règles peut le faire tendre vers du 14+, mais cela commence effectivement à être abordable à partir de 12 ans avec le soutien de joueurs expérimentés) et pour des parties de 30 minutes (pour une escarmouche) à une heure et demie. Il est disponible pour moins de 50 euros, un prix finalement assez bas compte tenu du soin apporté aux illustrations par Vincent Filipiak et Bruno Tatti, ainsi qu’à la qualité et à la quantité de matériel, permises en échange de quelques concessions (pas de figurines, de thermoformage…) somme toute bien inspirées (même si le thermoformage, c’est quand même bien pratique…).
Mettre le feu à l’Europe… tout en restant dans l’ombre
V-Commandos vous met dans la peau des agents secrets du Special Operations Executive, un service créé par Churchill pour s’infiltrer derrière les lignes ennemies et y mener des opérations de guérilla, soutenant le travail de la Résistance et facilitant la préparation d’une invasion à grande échelle.
Il s’agira donc de mener des actions délicates face à une armée allemande supérieure en nombre et en armes, en rusant, en se méfiant des alarmes, en se déguisant, donc en n’assassinant ou en ne réalisant des sabotages spectaculaires qu’en dernier recours.
Après avoir choisi leur personnage (et donc leur spécialité, accessoirement leur nationalité) parmi les cinq cartes Commando (Médecin, Sniper, Sapeur, Officier, Éclaireur), les joueurs décident s’ils préfèrent réaliser une escarmouche sur un terrain unique ou se lancer dans une opération plus scénarisée, comprenant plusieurs objectifs sur plusieurs terrains. Est-il utile de dire à quel point il est agréable d’avoir le choix de la durée, sans devoir renoncer pour des parties courtes à la moitié des joueurs ou des mécaniques ?
Chacune des cartes Personnage a deux faces, correspondant à deux manières différentes de le jouer d’un intérêt à peu près équivalent. Les commandos disposent d’une arme (un Sten pour le médecin, un colt ou un browning BAR pour le sapeur…), parfois d’objets (pied de biche, grenades, trousses de soins) et de capacités spéciales, permanentes, limitées en usages par tour ou coûtant des points d’action (ou PA). Il va de soi que les joueurs peuvent diriger plusieurs commandos si une opération en requiert plus que de joueurs (notamment si on joue seul), une possibilité qui me satisfait rarement dans les jeux exigeant une certaine immersion (comme Aeon’s End), mais qui passe bien mieux dans V-Commandos puisque les wargames vidéo ou de société nous habituent à diriger une escouade plutôt qu’un personnage seul.
Les commandos commencent en pleine forme ; une blessure provoque la perte de points d’action et empêche les bonus de points d’action – vous avez donc tout intérêt à vous soigner au plus vite. Cette limitation peut s’avérer très frustrante ; si toutes les cases « -1 PA » sont déjà occupées au moment d’une nouvelle blessure, on retourne le pion du commando sur sa face critique. Il ne peut plus alors réaliser que des actions ne coûtant pas de PA. Trop blessé pour prendre des risques, il reste sur sa case et reste caché aux yeux des Allemands, mais doit être soigné dans le tour, sans quoi il sera éliminé. Si un commando meurt de ses blessures, ses équipements restent sur la case où il est décédé, sinon ils sont défaussés (dans le cas d’une explosion, d’un effondrement…). Le joueur qui le dirigeait pioche alors l’un des commandos non utilisés dans la boîte, sans autre équipement que ses armes, ou l’un des commandos défaussés s’il n’y a plus de commandos dans la boîte. L’arrivée d’une nouvelle recrue n’est possible que lors de l’installation d’un nouveau terrain : en partie rapide ou sur le dernier terrain d’une opération, le joueur ne peut plus participer.
On comprend pourquoi l’infiltration est aussi importante, la mort arrivant vite une fois que l’alarme est déclenchée et que toute une base est à nos trousses. Un commando devient automatiquement furtif quand il rentre sur une petite tuile, il se rend visible sur une grande tuile ou en tirant avec une arme bruyante, et a le choix sur une tuile moyenne entre les actions « se déplacer » et « se déplacer furtivement sur une tuile moyenne ». Même s’il n’y a aucun Allemand à proximité, un commando visible est deviné par les jumelles ennemies et attire donc les troupes voisines. Si le commando est furtif et qu’il pénètre sur une tuile comprenant des ennemis, ou si des ennemis pénètrent une zone occupée par un commando furtif, celui-ci effectue un test de furtivité en lançant un dé par ennemi. Un 1 ou un 2 le révèle, les autres chiffres lui permettent de rester discret. Heureusement, les Allemands ne sont jamais furtifs, ils sont chez eux et préfèrent compter sur leur supériorité.
Par ailleurs, l’alarme est activée si un équipement bruyant est utilisé, dès qu’un commando est visible, ou si une zone est occupée par plus de commandos qu’elle ne peut en contenir. Il faut alors réaliser l’action d’éteindre l’alarme, sans quoi les renforts continueront d’arriver même si tous les commandos redeviennent furtifs. Une bonne manière de se faufiler peut être de récupérer l’équipement « Uniforme allemand » pour se déguiser : on est alors furtif par défaut sur toutes les tuiles sans ennemi, et on est protégé sur n’importe quelle tuile comme si elle était petite. Trop attirer l’attention fait cependant perdre tous les bénéfices du costume, de sorte qu’il faut redoubler de prudence pour exploiter au mieux et aussi longtemps que possible cet avantage.
Au cœur des ténèbres
Une fois que l’on a choisi ses armes et que l’on a compris les rudiments de la furtivité, il est temps de choisir sa cible parmi les 26 cartes Terrain ou les neuf paires de cartes Opération – ce qui offre une jolie variété d’expériences.
Pour commencer, une partie rapide sur un terrain seul peut constituer un bon entraînement. On choisit donc la carte Terrain, qui décrit un lieu et l’objectif associé. À la caserne, il faudra récupérer trois plans (réaliser une opération à 0 PA aux trois endroits indiqués sur la carte), au dépôt de carburant faire exploser les trois réservoirs en se méfiant des tuiles ainsi enflammées, à la batterie, pénétrer un bunker très bien protégé pour faire sauter une batterie côtière, dans la tour libérer deux prisonniers et les escorter (avec tous les bons souvenirs que cela peut rappeler, surtout quand il s’agit d’un ennemi toujours visible à transférer)…
Certains objectifs doivent donc être détruits, et d’autres au contraire récupérés soigneusement. La carte Terrain indique aussi les portes verrouillées (que seuls les ennemis peuvent traverser) et déverrouillées (que les commandos et les tirs peuvent traverser), les entrées ennemies (par où les renforts arrivent), l’éventuel nid de MG42, une arme redoutable et une excellente couverture, les emplacements des alarmes et des trappes ouvertes ou bloquées, l’orientation (les tuiles doivent toujours être placées vers le Nord de la carte Boussole), le nombre de commandos requis pour la mission (deux pour la batterie, quatre pour la caserne, un pour les quais), et enfin le récapitulatif des pions à installer (pour la caserne, trois pions entrée, sept portes, une alarme, un objectif à détruire, deux trappes, un MG42, un explosif puissant).
On suit alors le plan donné sur la carte Terrain pour installer les tuiles correspondantes (intérieur/extérieur, petites/moyennes/grandes) et les pions. Les dessins sur les tuiles sont purement décoratifs, et apportent une très agréable variété graphique au jeu sans être contraignants. Un ennemi régulier se placera sur chaque pion triangulaire (alarme, objectif, MG42).
Enfin, on mélange les cartes Événement pour les placer face cachée à proximité des joueurs, les équipements restants sont placés dans un sac opaque ou un bol, bref un endroit où on pourra les piocher aléatoirement, comme la réserve d’ennemis réguliers assortie de trois unités spéciales. Les sept autres unités spéciales sont placées à part près de la réserve, et la réserve de cartes et pions commando est simplement laissée dans la boîte de jeu.
Comme on l’a dit, une opération est composée de plusieurs terrains liés par un scénario. On commence donc par choisir une carte Opération, qui sur son recto donne le nom, le lieu et la date de l’opération, sa durée et le nombre de commandos impliqués, tandis que le verso en livre des éléments de contexte et les objectifs. Une autre carte Opération donnera les noms des cartes Terrain à utiliser (Cuirassé et Cour centrale pour l’opération Greatsword par exemple) et les éventuelles règles spéciales, qui peuvent se substituer aux objectifs des terrains. Pour Greatsword, l’alarme est activée à la fin du deuxième tour sur le cuirassé, et les ennemis étant alertés par le sabotage, l’alarme est d’emblée activée dans la cour centrale, le nombre de troupes y est renforcé et une entrée est barricadée.
Si cela vous paraît trop facile, vous pouvez de surcroît jouer en « vétéran », donc ajouter des ennemis supplémentaires, et au cours de certaines opérations, vous soumettre à davantage de règles spéciales. Mais pour vos premières opérations, vous aurez déjà fort à faire pour enchaîner les terrains avec les mêmes personnages, sans aucun bonus d’équipement ou de soin entre les terrains. Il arrivera d’ailleurs que deux terrains soient déployés en même temps et connectés l’un à l’autre, ce qui permettra notamment de diviser le commando en deux pour réaliser plus vite les objectifs séparément avant de débloquer la suite, encore une jolie manière de distinguer les opérations d’une « simple » succession d’escarmouches.
Outre l’escarmouche et l’opération, V-Commandos est doté d’un troisième mode de jeu, plus anecdotique parce que moins varié, mais très stimulant, l’entraînement. Trois missions d’une difficulté croissante vous permettront de vous initier aux subtilités du jeu, ou de vous entraîner à les maîtriser toujours mieux même seul et même sans disposer de trop de temps, les terrains, les actions et les cartes étant limitées pour substituer au hasard une expérience courte et contrôlée, éprouvant des capacités bien précises : l’ordre des commandos, la phase ennemie, la discrétion.
Parcours du combattant
Un tour se compose de quatre phases.
La phase événement consiste à piocher une carte Événement pour chaque terrain en jeu (on rappelle qu’il peut y en avoir plusieurs pendant une opération). Certains événements peuvent favoriser le commando (« Sixième sens » octroie un jeton +1 PA, utilisable une seule fois, à un commando au choix de l’équipe, « Eine Katze ? » ôte trois pions « repéré » de la pioche d’équipements si l’alarme est silencieuse…) ou au contraire lui être très nuisibles (« Enrayé » empêche le prochain commando à obtenir 1 aux dés d’utiliser son arme pendant ce tour, « Alarm ! Alarm ? » augmente les renforts ennemis). Avec 37 cartes Événement, chaque tour de V-Commandos est imprévisible, normal pendant des opérations soumises à autant d’aléas !
On joue ensuite la phase commandos, les joueurs décidant de l’ordre dans lequel les commandos vont agir (ordre qui peut varier selon l’intérêt qu’on y trouve à chaque tour). C’est le moment d’utiliser les trois points d’action de chaque commando pour ramasser, se débarrasser ou échanger de l’équipement (0 PA), faire exploser une charge de TNT (0 PA), se déplacer vers l’emplacement libre d’une tuile adjacente (1 PA), se déplacer furtivement vers une tuile moyenne (2 PA), sortir par une trappe en achevant son tour dans un souterrain protégé (1 PA), débloquer une trappe (1 PA), attaquer furtivement un ennemi sur la même tuile en combat rapproché et l’éliminer immédiatement (1 PA), utiliser un équipement (1 PA), éteindre une alarme si le commando est furtif et une seule fois par terrain (1 PA), interagir avec un objectif situé sur la même tuile (coût selon l’objectif), économiser un point d’action en prenant un jeton +1 PA (1 PA), et enfin tirer.
Pour tirer, le commando désigne l’arme qu’il souhaite utiliser et sa cible (une tuile, une porte verrouillée) valide (dans son champ de vision, sur la même tuile ou sur une tuile adjacente séparée par une ouverture). Puis il tire en lançant autant de dés que de petits carrés blancs sous son arme, entre 1 pour un colt et 4 pour une grenade, sans oublier d’utiliser les capacités du commando : le Springfield du sniper ne porte qu’un carré blanc, mais permet de lancer deux dés et de choisir celui qui nous arrange ; et pour 2 PA, le tir à longue portée peut cibler toute tuile extérieure. Il faut seulement faire 2 et plus pour tirer sur une grande tuile, 3 et plus pour une tuile moyenne, 4 et plus pour une petite, 5 ou 6 pour un MG42. Chaque dé obtenant le chiffre espéré tue un ennemi, chaque ennemi tué laisse tomber un pion équipement pioché aléatoirement.
La troisième phase, la plus redoutée, est celle des ennemis. Ceux-ci commencent par accueillir des renforts, un jeton pioché aléatoirement sur chaque tuile en contact avec un pion d’entrée ennemie. S’il n’y a plus de jetons dans la pioche, c’est qu’il y en a trop sur le terrain : l’opération est abandonnée. Si l’entrée est cependant bloquée ou que la tuile est déjà occupée par tous les jetons possibles, les ennemis attendent devant la porte et entreront au prochain tour. Si les renforts entrent dans une pièce occupée par un commando furtif, on effectue un test de furtivité.
Puis les ennemis se déplacent, soit vers le commando visible le plus proche en suivant le chemin le plus court, soit (si aucun commando n’est visible) dans la direction indiquée par la carte Événement piochée au début du tour, en commençant toujours par les ennemis les plus proches de l’objectif. S’il y a deux chemins possibles, les troupes se divisent en deux groupes. Bien sûr, un ennemi ne se déplace pas s’il n’y a pas de tuile dans la direction indiquée/qu’il est bloqué par un mur/par la limite atteinte de jetons sur une même tuile, s’il protège un objectif, une alarme ou un MG42, s’il est confronté à un commando visible.
Enfin, les ennemis s’attaquent aux commandos visibles s’ils sont à portée, en commençant par la tuile sur laquelle ils sont, puis sur la tuile adjacente choisie par les commandos si ceux-ci occupent plusieurs tuiles adjacentes. On lance autant de dés que de carrés blancs sur la troupe attaquante (entre 1 et 3 selon l’ennemi, 4 si le MG42 est de la partie), et ils infligent une blessure par résultat supérieur au chiffre indiqué sur la tuile attaquée. Si plusieurs commandos se trouvent sur la tuile attaquée, ils décident de la répartition des blessures.
Après la phase ennemie, on arrive à la fin du tour. Si les objectifs ont été remplis et qu’au moins un commando a survécu et a quitté le terrain par une trappe, l’opération est un succès. Si tous les commandos ont été éliminés, qu’il y a trop de troupes sur le terrain ou qu’une règle spéciale décide de la défaite de l’escouade, la mission est perdue. On recommence sinon un tour.
V-Commandos, une expérience renseignée, claire et tendue
Vous aurez compris que V-Commandos est un jeu très réussi, complet sans du tout être inabordable et constamment lisible (merci aux règles très claires, bien qu’étrangement organisées), se référant régulièrement à des anecdotes et véritables faits historiques pour justifier ses mécaniques et prolonger l’immersion, délicieusement tendu au point que l’on communique beaucoup avec ses partenaires, pour mener une véritable opération collaborative comme les meilleurs jeux vidéo du genre (ou certaines pratiques scout, mais cela parlera assurément à moins de gens). V-Commandos a de surcroît le luxe d’être parfaitement rejouable, en plus d’apporter déjà un contenu assez riche : même une escarmouche sera radicalement différente en fonction de la composition de l’escouade, et même en fonction des joueurs avec laquelle on la pratique, sans même parler du hasard des événements et équipements, alors une opération entière…
Comment s’étonner qu’une expérience aussi satisfaisante ait eu le droit à deux extensions, Secret Weapons et bientôt Resistance ? Surtout V-Commandos impose immédiatement Triton Noir comme un éditeur à surveiller, tant il est parvenu à contourner les écueils traditionnels du wargame pour un jeu auquel il ne manquerait plus que la liberté de créer ses propres missions et terrains ! Cette capacité à rendre lisible malgré leurs richesses des mécaniques d’infiltration était bien digne d’octroyer à Triton Noir la confiance d’Ubisoft, et je suis d’autant plus enthousiaste que ce soit cet éditeur qui ait bénéficié du droit de transposer Assassin’s Creed – et d’autant plus impatient de voir le jeu sortir.