Sonar Family – la meilleure manière de pratiquer la bataille navale ?

 

On connaissait Matagot pour son remarquable travail d’édition de jeux experts ou « familiaux + » comme on les appelle parfois, les KemetAeon’s End, Western Legends, on ne s’attendait pas à le retrouver si bien engagé dans le jeu familial. Meeple Circus aurait pu nous mettre sur la voie, Sonar Family confirme que Matagot se diversifie dans le sens inverse de Jumbo ou Blue Orange, en visant un public plus jeune tout en continuant de sortir des jeux dans la gamme qui fait sa réputation. À l’origine, il y avait d’ailleurs Captain Sonar, un jeu pour les 14 ans et plus et un franc succès, dont les auteurs Roberto Fraga (Princesse Jing, Dr. Eurekaet Yohan Lemonnier (The World of Smog) ont décidé avec Sonar Family de proposer la version pour les huit ans et plus… revenant paradoxalement aux sources de la bataille navale, avec quelques originalités et surtout un matériel particulièrement agréable à manier.

Leur Sonar Family, illustré par Naïade (TokaidoChâteau Aventure) s’adresse à deux ou quatre joueurs (deux joueurs l’un contre l’autre ou deux équipes de deux) pour une trentaine de minutes ; il peut être acquis pour 29 euros 90.

Sonar Family

Si vis pacem, para bellum

Si vous jouez à deux contre deux (la configuration normale pour Sonar Family, même les règles ayant parfois tendance à oublier la configuration à un contre un), après avoir formé les équipes, la première chose à faire est de décider qui sera le capitaine et qui sera le détecteur. Le premier déplace le navire, active le sonar, le silence, lance le missile et fait surface, le deuxième localise le navire ennemi, une jolie complémentarité. Il va de soi qu’à un contre un, chaque joueur occupe les deux postes, ce qui est évidemment moins amusant, mais fonctionne très bien et s’avère même très satisfaisant – après tout, la bataille navale se joue bien en un contre un.

Quelle que soit la configuration, on choisit sur laquelle des quatre cartes (Archipelago, Antarctica, Jules Verne, Umbria) on va jouer. En plus d’être tout à fait jolies (cela change des grilles griffonnées sur des feuilles à carreaux), les quatre présentent des obstacles (îles, récifs, glaciers, phares) de tailles et formes différentes, de même que les quatre zones (correspondant à des densités d’eau différentes, un missile ne pouvant passer de l’une à l’autre) peuvent s’avérer plus ou moins homogènes ou anarchiques. Archipelago impose par ailleurs à l’un des deux sous-marins de commencer en A1 et à l’autre de commencer en J10, ce qui en fait la carte idéale pour une première partie. Les capitaines et les détecteurs prennent tous une carte de jeu et un feutre effaçable, auxquels les détecteurs ajoutent un calque.

Afin que les équipes ne voient pas le plan les uns des autres, Sonar Family a prévu un grand écran pour les séparer, assez chouette pour qu’on ait envie de s’en servir. À l’exception d’Archipelago, le capitaine est libre dans le choix du point de départ, que le détecteur reporte ensuite sur son calque. On tire enfin au sort l’équipe qui commence la traque.

 

bataille navale
Niveau graphismes, on vient de loin

À la poursuite d’octobre bleu (ou vert)

À son tour, le capitaine ne peut ordonner qu’une seule des cinq actions avant de redonner la main à l’équipe adverse, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un sous-marin soit touché à deux reprises.

Pour déplacer le sous-marin, le capitaine indique une direction : « On monte. » « On descend » « On va à droite » « On va à gauche ». Elle doit être donnée distinctement (l’autre équipe doit la comprendre et la reproduire sur son calque) et être fiable, on ne peut pas rentrer dans un obstacle par exemple. Surtout, on ne peut jamais repasser par un point déjà utilisé. Au capitaine de faire attention à ne pas trop vite restreindre sa zone de déplacement, et au capitaine de ne pas faire comprendre trop vite qu’il contourne des obstacles, ce qui pourrait gravement faciliter le repérage de sa position sur le calque ennemi. Un mouvement lui permet par ailleurs d’emmagasiner une barre d’énergie, sachant qu’il ne peut pas en cumuler plus de quatre à la fois.

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Activer le sonar dépense deux barres d’énergie. Cela oblige le capitaine ennemi à admettre sur quelle ligne ou sur quelle colonne il se trouve, comme il préfère. Est-il utile de dire que la prudence est de mise, puisque cette information permet immédiatement au détecteur de poser son calque sur la carte ? Un trajet trop longiligne condamnera presque à coup sûr le capitaine sans imagination…

Trois barres d’énergie permettent d’activer le mouvement silencieux. Comme son nom l’indique, il s’agit de déplacer le sous-marin sur l’un des trois points disponibles sans l’indiquer à son adversaire. C’est coûteux, mais c’est la meilleure manière d’éviter un trajet trop prévisible et de compenser un sonar.

Lancer un missile coûte quatre barres d’énergie. Évidemment, on donne deux coordonnées (une colonne et une ligne) et si le sous-marin se trouvait bien là, il perd l’un de ses deux points de structure. Mais on ne peut tirer de missile que dans celle des quatre zones dans laquelle on est. Payer quatre barres d’énergie peut paraître très cher : après avoir repéré à coup sûr un ennemi, il peut encore falloir quatre tours pour tirer, au risque de le manquer. L’intérêt est bien sûr de se permettre des manœuvres risquées quand on pense que le sous-marin ennemi est à court d’énergie (un élément que le décodeur peut tenter de compter), et que le missile soit juste plus cher que le silencieux, afin de laisser une légère chance à la proie. Cela marche finalement mieux qu’en accroissant la réserve à six barres ou le coût du missile à deux, deux solutions que j’ai voulu explorer, mais ce genre de petites adaptations peut tout à fait être envisagé pour un peu de variété.

Avec tout cela, on se mord vite la queue. Il est heureusement possible d’effacer tout son tracé (ce qui permettra de revenir sur les points déjà explorés) en faisant surface. Cela ne coûte pas d’énergie, mais l’aveu de sa position précise. Autrement dit, il faut employer cette action aussi peu que possible, et surtout pas quand l’adversaire peut se trouver dans la même zone avec quatre barres d’énergie. Idéalement avant d’activer le silence d’ailleurs. Cependant, quand on est sûr d’être à l’abri, cela peut aussi être une bonne manière de narguer ses adversaires, en leur faisant effacer leurs propres notes alors même qu’ils commençaient à deviner votre position.

Et c’est tout. À peine plus complexe qu’une bataille navale classique, et assurément pas moins tendu, que l’on joue seul ou avec un coéquipier. Notons qu’une variante propose de jouer en temps réel à Sonar Family quand on le pratique en équipes, du moins en temps réel pour les déplacements, obligeant le décodeur à redoubler d’attention pour saisir toutes les consignes du capitaine adverse. Comme il faut de toute manière interrompre le temps pour le sonar, le silence, le missile ou remonter à la surface, on est plutôt confronté à du désordre qu’au plaisir de jouer en temps réel, mais cela peut s’avérer plaisant de temps à autre, avec des joueurs expérimentés pour s’amuser à donner les ordres et à les suivre rapidement, ou moins expérimentés pour l’ambiance au détriment d’une vraie tacticité.

 

Sonar Family

Sonar Family, un manière très convaincante de revivre la bataille navale

Si la bataille navale est un jeu aussi culte, c’est qu’il peut amuser à tous les âges tout en restant extrêmement simple à appréhender. De même, Sonar Family n’est pas tant « familial » que pour tout le monde. Si l’on perd la commodité des simples crayon et papier, on gagne d’une part l’intérêt de la mobilité des sous-marins, qui suscite l’attention de chaque joueur pour les mouvements de l’autre et la crainte de manœuvrer trop clairement, de l’autre le plaisir de la manipulation du matériel. Il y a tant à faire avec des supports et des calques qu’il est étonnant de ne pas voir plus de jeux s’en emparer pour les concepts les plus fous, à la manière de Loony Quest. Cela se prêtait en tout cas idéalement à cette réinvention de la bataille navale en jeu de tension et de communication.

 

Red October