Kemet – Seth : le dieu de la Destruction bouleverse les règles
Une fois n’est pas coutume, cet article présente l’extension Seth au jeu Kemet. Si vous ne connaissez pas le jeu de base, il est fortement recommandé de jeter d’abord un œil à l’article qui y est consacré. D’autant que Seth bouleverse les règles de Kemet en transformant un classique chacun-pour-soi en un-contre-tous : quand le dieu du Mal réveille sa fureur, les dieux de l’Égypte antique doivent en effet cesser leurs chamailleries pour faire face à un envahisseur sans pitié. Kemet était un excellent jeu de combat, tactique, bourrin, et très agréablement thématisé. En y intégrant une dimension asymétrique prononcée, Jacques Bariot et Guillaume Montiage promettent d’accentuer les caractéristiques (et les qualités) du jeu de base.
Kemet – Seth est conçu pour 3 à 6 dieux (dont Seth) de quatorze ans et plus (même si un enfant de douze ans ayant bien pratiqué Kemet comprendra sans peine les rouages de Seth) pour des parties d’une heure et demie. Et comme vous pourrez l’imaginer compte tenu du chamboulement des règles, l’extension du jeu est massive, valant environ 40 euros. Rappelons qu’il existait une autre extension à Kemet, Ta-Seti, dont certaines additions pourront être prises en compte lors des parties de Seth.
Le Mal contre la Communauté
Dans cette extension, le seul Seth est opposé à la Communauté des joueurs restants. Un tel changement dans les règles impose naturellement une adaptation du matériel conséquente, et Seth ne déçoit pas dans ses additions, avec un plateau Cité de Seth, un plateau individuel pour le dieu de la Mort, un plateau de jeu commun Osiris, deux plateaux de jeu Phase de jour, un dé Pyramide violet, trois jetons de créatures (Vautour, Crocodile et Cobra), une figurine Osiris, quinze figurines Unités de Seth, trois figurines Temple assemblables pour figurer leurs trois niveaux, et pléthore de nouvelles tuiles, cartes et jetons.
Première particularité, la cité de Seth est disposée sur le delta du Nil, accessible par deux portails, que Seth peut franchir sans pénalité, contrairement à la Communauté qui devra les activer pour parvenir dans la ville de l’Ennemi. Seth possède un nombre de jetons violets égal au nombre de joueurs plus un, douze de ses quinze unités sont d’emblée situées dans sa cité en troupes de six unités au maximum, le dieu dispose de tuiles pouvoir et de cartes combat distinctes, et commence la partie en piochant une carte Intervention Divine et une tuile Pouvoir violette de niveau 1 gratuitement. Seth incarnant la Mort et la Désolation, il ne gagne que des Points de Victoire de combat, et ne peut rappeler une troupe qu’en perdant un combat. Il remporte la partie avec son huitième Point de Victoire, ou en ayant détruit toutes les unités en jeu de la Communauté.
Il récupère un jeton Action de chaque joueur. Sa pyramide de pouvoirs comporte en effet des cases violettes et des cases jaunes : ses jetons Action violets ne peuvent être utilisés que sur des cases violettes, et les jetons Action de ses adversaires sur des cases jaunes. Dans ce cas, l’Action choisie concernera le joueur auquel appartenait le jeton, pour des pouvoirs dévastateurs et assez jouissifs, qui font tout le sel du personnage (destruction de troupes, corruption de créature ou de pyramide). En plus des cases Action traditionnelles et des cases jaune, Seth peut lancer une invasion furieuse. Il déplace jusqu’à deux troupes simultanément, qui peuvent donc déclencher jusqu’à deux combats, l’agresseur décidant lequel se résout avant l’autre. Seth peut également prier (on se demande bien qui) pour récupérer trois ankhs ou invoquer une Intervention Divine de la pioche.
La Communauté contre le Mal
La Communauté s’installe également comme dans Kemet en remplaçant la pile des Interventions Divines par la pioche des Interventions Divines Communauté, comme certaines tuiles Pouvoir. Chaque joueur choisit un pouvoir de niveau 1 non violet pour le placer dans sa réserve. Il va de soi que la Communauté peut se concerter dans ses choix initiaux (pyramides de départ, pouvoirs) pour lutter de concert. On partage Points de Victoire permanents et temporaires, pour autant, on ne dévoile pas ses Interventions Divines à ses alliés. Et les temples ne rapportent de Point de Victoire permanent que quand une Communauté de deux joueurs contrôle deux temples, ou une Communauté de trois joueurs et plus en contrôle trois. Le plateau Osiris a précisément pour fonction de rassembler les nouveaux pouvoirs, les niveaux de prières et pouvoirs des temples sacrés, le pouvoir de la Grande Cérémonie et les Points de Victoire permanents et temporaires, bref de rendre les données communes plus lisibles. Mentionnons enfin parmi les avantage de la Communauté que les joueurs les plus pieux peuvent même acheter les pouvoirs de Seth en ayant leurs trois Pyramides au niveau requis par la tuile Pouvoir violette !
La Communauté remporte la victoire en construisant un temple sacré de niveau 3 dans le désert, en réalisant la Grande Cérémonie et en gagnant au moins six Points de Victoire permanents, ou en réalisant les deux premiers points et en contrôlant l’un des quartiers de la cité de Seth. Au début d’une phase d’action, mais sans consommer d’action, la Communauté peut sacrifier des unités pour construire sur une case désertique un temple de niveau 1 (sacrifice d’une unité), puis deux (deux unités), puis trois (trois unités). S’il est donc impossible de construire plusieurs niveaux lors de la même phase, il est néanmoins permis d’avancer la construction de plusieurs temples à la fois. Le niveau 2 permet de piocher au hasard un jeton Prière, rapportant un ankh à répartir à la fin de chaque phase de jour. Le niveau 3, en plus de valider l’un des trois objectifs de victoire, augmente le nombre d’ankhs gagné à la fin de chaque phase de jour, rapporte un Point de Victoire temporaire, et octroie aléatoirement un jeton Pouvoir temple, qui favorisera de façon permanente la Communauté. Si la victoire n’exige qu’un temple sacré, il va de soi qu’en posséder trois confère des avantages invincibles. Pour la Grande Cérémonie, un ou plusieurs membres de la Communauté doivent se rendre sur un obélisque et payer dix ankhs par membre de la Communauté, en une seule fois (mais éventuellement depuis plusieurs obélisques), ce prix étant réduit de quatre par Point de Victoire temporaire. La Grande Cérémonie permet de choisir un jeton Pouvoir et d’activer les portails de Seth pour accéder à sa Cité.
Contre l’invasion, le monde ne marche plus de la même manière…
Au lieu de jouer simplement les uns après les ordres, les joueurs se réfèrent à la piste Phase de jour. La nuit se déroule exactement comme dans Kemet, Seth jouant avant la Communauté et gagnant un nombre d’ankhs égal au nombre de joueurs en plus de piocher une carte Intervention Divine. La phase de jour est cependant très différente : chaque membre de la Communauté effectue une action dans l’ordre de son choix, tandis que Seth réalise un nombre d’actions déterminé par le chiffre inscrit sur la piste (une seule quand il joue contre deux joueurs, deux à trois quand il joue contre cinq). Enfin une phase d’éclipse s’intercale quand Seth affronte trois à cinq adversaires, phase durant laquelle Seth joue avant les autres joueurs.
On notera quelques modifications des mécaniques centrales de Kemet : quand un joueur rappelle ses troupes, il récupère un nombre d’ankhs égal au nombre d’unités rappelées moins un. Par ailleurs, pendant un déplacement, les joueurs peuvent traverser une case contenant des unités du même camp et donc dépasser leur limite d’unités par case, à condition de respecter cette limite à la fin du tour. Bonne manière d’éviter que les armées de la Communauté ne se bloquent les unes les autres. Sachant que la Communauté peut former des troupes mixtes, déplaçables par n’importe quel joueur y détenant une unité. Ces troupes mixtes peuvent être scindées au besoin par leurs propriétaires, mais bénéficient des tuiles Pouvoir de combat de tous les joueurs qui y participent, comme toute la troupe profite des créatures présentes de chacun. En cas de combat contre les troupes de Seth, la Communauté s’accorde sur le joueur qui contrôlera la troupe mixte avec ses cartes Combat et cartes Intervention Divine, mais pertes et bénéfices sont décidés par tous les propriétaires d’unités impliquées. Si la Communauté perdra probablement sa première partie contre Seth, c’est pour avoir trop joué comme dans Kemet, redoutant une nouveauté aussi étrange que les troupes mixtes. Sa prise en compte n’est naturellement pas indispensable, mais imaginez la puissance formidable d’une telle armée, autant pour se déplacer que pour combattre ? Surtout, jouer avec des troupes mixtes provoque un véritable vent de fraîcheur, bienvenu et très puissant tant il est rare qu’une extension revienne à ce point (en plus de l’asymétrie) sur ce que l’on croyait immuable sans du tout trahir le cœur bourrin et nerveux du jeu de base.
Seth, un Kemet + ?
Si vous aimez Kemet, Seth est indispensable. Bien sûr on pourrait dans un premier temps être sceptique sur le passage à l’asymétrie, mais Seth est une véritable extension, qui ne bouleverse le jeu de base que pour l’enrichir, et sans revenir sur aucune des mécaniques qui lui donnaient son identité. Au contraire, la thématisation est même plus forte que jamais, grâce à une scénarisation qui embarque d’emblée les joueurs, et aux nouveautés ludiques qui la soutiennent, extrêmement bien pensées, pour que le Dieu de la Destruction ne puisse pas faire autrement que d’être obsédé par une destruction très séduisante, quand la Communauté des dieux est contrainte de dialogues, de partager, de s’entraider, si elle veut remporter la victoire. Naturellement, le travail graphique n’est pas en reste : comme dans Kemet, la cité de Seth est assez terne et impersonnelle, quand les illustrations par Dimitri Bielak et Émile Denis des tuiles et cartes Combat sont magnifiques (pour le coup, la boîte ne ment pas), et les trois figurines de créatures incomparables, en particulier les impressionnants cobra et « crocodile ». Et une fois que l’on maîtrise les règles de Kemet, celles de Seth sont parfaitement claires et détaillées, contribuant à faire du jeu l’une des créations les plus notables de Matagot.