Blue Lagoon – le jeu de placement d’ouvriers Vaiana

 

Vous vous souvenez sans doute du très sympathique Vaiana de Ron Clements et John Musker (co-scénarisé par Taika Waititi), sorti en novembre 2016, qui avait si bien popularisé un pan (naturellement déformé pour les besoin de la fiction) des traditions et mythes polynésiens qu’on l’avait accusé de réappropriation culturelle. Dans le 56ème classique d’animation des studios Disney, la jeune Vaiana fuyait l’île où elle était destinée à diriger sa tribu pour découvrir un océan qui avait été interdit à son peuple. Et bien sûr, dilemme cornélien oblige, sa désobéissance lui permettait de convaincre enfin sa tribu de renouer avec son passé de grands voyageurs tout en en devenant le digne chef.

Or le célèbre auteur de jeux de société Reiner Knizia (Amun-ReTigre et EuphrateLe Seigneur des Anneaux…) était justement en train de travailler sur un jeu de placement auquel il manquait un thème original, mais aussi propre à attirer les enfants, le cœur de cible habituel de l’éditeur Blue Orange (KingdominoQueendominoOkiya). Avec les illustrations du talentueux Tomek LarekBlue Lagoon était né.

La popularité croissante de Blue Orange suite au succès triomphal de Kingdomino posait naturellement la question de savoir si l’éditeur parviendrait à continuer dans la direction de jeux addictifs, tactiques, et pourtant accessibles à tous, et Blue Lagoon fait tout pour remplir ce cahier des charges, y compris en se disant jouable à partir de huit ans, ce qui est naturellement très rare pour un vrai jeu de placement au large plateau et aux pions et tuiles nombreuses et variées. Blue Lagoon sera par ailleurs vendu moins de 30 euros, dans la même gamme de prix exactement que Queendomino, ce qui est d’autant plus impressionnant que Blue Orange est connu pour son engagement écologique et donc son attention aux matériaux des jeux édités. Blue Lagoon est par ailleurs jouable de deux à quatre, pour des parties d’une grosse demi-heure.

 

L’archipel aux mille ressources

Le plateau de jeu représente un archipel, dans les cercles sacrés duquel sont disposées aléatoirement les 24 ressources (noix de coco, bambou, eau, pierres précieuses) et les 8 statuettes. Pour favoriser le hasard et susciter le plaisir de la manipulation, on pourra placer ces 32 pions dans le petit sac en tissu fourni dans la boîte de Blue Lagoon et les en retirer un à un.

Chaque joueur choisit ensuite la tribu qu’il veut diriger, la bleue, la jaune, l’orange ou la rose. À deux joueurs, on prend l’intégralité des 30 colons de sa couleur, à trois 25, à quatre 20. Tous les colons sont recto-verso, représentant d’un côté un membre de la tribu à terre, et de l’autre ce membre de la tribu en bateau, un colon et un explorateur. Puis on récupère les cinq très jolies petites huttes en bois au toit de la même couleur (les villages). Et, très important, en particulier avec des joueurs jeunes, on place la feuille de score bien en vue. Comme dans les -domino, et comme dans la plupart des jeux de placement/gestion, il y aura une part de salade de points dans Blue Lagoon, et la feuille de score est une excellente manière de visualiser en permanence les différentes manières d’en marquer.

Blue Lagoon ressources

Explorer l’archipel

Lors d’une première partie avec les joueurs les plus jeunes, il est possible de s’initier à Blue Lagoon en ne jouant que la phase d’exploration, la partie étant normalement composée de deux phases, jouée chacune une seule fois, l’exploration puis le peuplement.

La phase d’exploration consiste à… explorer le plateau en posant un colon ou un village sur une case du plateau (couvert d’hexagones). On peut soit placer un bateau sur n’importe quelle portion maritime de l’archipel, soit placer un colon ou un village sur une case adjacente à une case déjà occupée par un colon, un explorateur ou un village. Autrement dit, peuple maritime oblige, le débarquement sur une île commence toujours par la mer, et on poursuit ensuite en colonisant case après case, récupérant les ressources et statuettes quand on pose un pion sur la case correspondante. Et naturellement, il ne peut jamais y avoir plus d’un occupant par case, qu’il s’agisse d’un membre de la tribu ou d’un village.

On achève la phase d’exploration quand toutes les ressources et statuettes ont été récupérées, ou que plus aucun joueur ne peut poser de colon ou de village. On procède alors au premier calcul des scores. Être présent sur les huit îles rapporte 20 points, être présent sur sept îles en rapporte 10. Puis on regarde la chaîne ininterrompue joignant le plus d’îles de chaque chef de tribu, et il remporte cinq points par île reliée par cette chaîne. Les joueurs ayant le plus de colons sur chaque île remportent ensuite le nombre de points indiqué sous l’île, 6, 8 ou 10. Enfin, deux ressources identiques rapportent 5 points, trois 10 points, quatre et plus, 20 points, tandis que posséder une ressource de chaque rapporte 10 points, et que chaque statuette en rapporte 4.

Vous devriez regarder aussi ça :
Entrée de l’IVG dans la Constitution : 10 livres sur le sujet

À la manière d’un U.S. Telegraph, il s’agit donc à la fois d’établir de nombreuses bases et de constituer des chaînes ininterrompues, et donc à la fois d’envisager les chemins optimaux pour utiliser le moins de colons possibles et gagner le plus de ressources et de présence sur les îles, tout en prenant garde à interrompre les chaînes des autres joueurs.

Blue Lagoon villages

Une tribu prospère est une grande famille de tribus

Après la découverte des îles, il s’agit de les peupler. Les joueurs récupèrent tous leurs colons, ainsi que les villages posés sur des cercles sacrés, remettent toutes leurs ressources et leurs statuettes dans le sac. À nouveau ils les distribuent aléatoirement sur les cercles sacrés des différentes îles, et on peut commencer une phase de peuplement identique à la phase d’exploration, à la différence que les joueurs ont gardé sur le plateau leurs villages (ceux du moins qui n’étaient pas sur des cercles sacrés).

C’est désormais à partir des villages que votre tribu polynésienne colonisera les îles, de sorte qu’il faudra qu’un colon ou un village soit disposé en bord de mer pour pouvoir poser des colons en bateau. À cette exception près, les règles sont exactement les mêmes, et à la fin de la phase, une fois que toutes les ressources ont été récupérées ou que tous les joueurs ont posé leurs colons et villages, on procède à un nouveau calcul des points selon le même système.

On additionne ensuite les points des deux phases et le joueur avec le plus grand score est sacré meilleur chef de tribu. En cas d’ex aequo, c’est naturellement le nombre de ressources et de statuettes qui fera la différence. Mon seul regret sur Blue Lagoon, l’absence d’une troisième ligne « Total » sur la feuille de score pour additionner les totaux des deux phases, une omission que je ne m’explique pas vraiment, bien qu’il s’agisse vraiment de trouver un défaut pour le principe de trouver un défaut, cette curiosité ne nuisant pas une seconde au plaisir des parties, que ce soit à deux, trois ou quatre.

Blue Lagoon plateau

Blue LagoonKingdomino à la sauce Vaiana

La filiation entre Blue Lagoon et Kingdomino est évidente, pas tant du point de vue d’une inspiration effective que de leur cohérence éditoriale : à partir d’une mécanique centrale extrêmement simple, les deux jeux dévoilent progressivement une ampleur inattendue à la seule vue des quelques pages de règles, capables en cela de satisfaire aussi bien les enfants que les adultes combinateurs. Knizia n’a cependant pas la perversité discrète de Cathala, de sorte que Blue Lagoon se joue plus franchement, avec le plaisir plus enfantin de briser les lignes adverses et celui, plus adulte, d’optimiser la colonisation des îles et la récupération des ressources en s’implantant fortement partout. Le fait que la salade de points finale prenne en compte autant de paramètres impose ainsi malgré tout une réflexion de tous les instants, bien que tout à fait accessible. Le jeu a ainsi la force d’être aussi bon à deux qu’à quatre parce qu’il se joue différemment selon les configurations. Dans la première, on aura plutôt tendance à jouer mieux que l’autre, dans la deuxième, à jouer contre ses adversaires, à les tracasser sans cesse, chaque point arraché ayant naturellement plus de valeur que quand deux tribus se partagent tout l’archipel. Blue Lagoon parvient ainsi à mêler tout à fait adroitement du Carcassonne et de l’Aventuriers du Rail pour un petit jeu tactique auquel son édition de luxe et son thème rafraîchissant octroient un charme certain.