After the Virus – le jeu de zombies éclipsé par Terraforming Mars
Jacob Fryxelius s’est fait connaître sous les trompettes avec son passionnant jeu de gestion Terraforming Mars, récompensé par l’As d’or du meilleur jeu expert, et nominé (parmi trois jeux de société seulement) pour le Kennerspiel des Jahres. Le contrecoup d’un tel succès pour un auteur par ailleurs inconnu était bien entendu l’occultation des autres productions de sa maison d’édition, FryxGames, qu’il faut amortir avec des extensions à Terraforming Mars en attendant qu’un jour peut-être le nom de leur auteur leur attire aussi l’intérêt du public.
After the Virus est exemplairement de ces jeux-là. À la décharge du public et des éditeurs non-suédois, il est évidemment plus modeste que Terraforming Mars, comme le prouve son design un peu quelconque, en tout cas peu attirant à la grande époque des beaux jeux, sa petite boîte, la simplicité de son matériel, et un titre qui ne laisse présager aucune originalité. Sans être révolutionnaire, After the Virus mérite cependant une meilleure visibilité, ne serait-ce qu’en tant que jeu de zombies, comme j’espère vous en convaincre dans ce court article.
Jouable de 1 à 3, les parties en durent entre 15 et 60 minutes et s’adressent aux 10 ans et plus, en somme After the Virus s’annonce déjà surprenant !
Encore du debckbuilding ?
After the Virus s’inscrit sans aucune hésitation dans le genre du deckbuilding, ces jeux de cartes où l’on commence avec une petite main déterminée par le jeu et un deck très petit, que l’on améliore au fur et à mesure de la partie en acquérant des cartes dans un « marché ». Il ne revendique aucun autre genre et aucune approche originale, contrairement par exemple aux très réussis Vikings gone Wild ou Aeon’s End.
Ce qui frappe au contraire est sa modestie : le deck de chaque joueur comporte les mêmes 14 zombies de quatre niveaux différents, 9 armes, 5 cartes roses, 2 véhicules, 24 cartes bleues, de sorte que la variété n’est pas au rendez-vous comme elle pouvait l’être dans le jeu de Lucky Duck Games ou dans Star Realms, le reste du matériel se résumant à quatre plateaux de personnage et à 15 petits palets, trois blancs, trois verts et neuf rouges, loin de la richesse d’un Aeon’s End ou d’un Clank !.
Au fond, cette modestie est sa grande force, puisque là où la plupart des jeux de deckbuilding se positionnent par rapport au séminal Dominion, en cherchant d’autres perspectives tout en rivalisant avec ce modèle, After the Virus explore plutôt la voie du minimalisme et de l’accessibilité, proposant l’un des rares jeux de deckbuilding ouvertement réduits, et au fond pratiquement blitz – débarrassés de la boîte, le contenu du jeu n’est pas loin de tenir dans une grande poche.
L’autre curiosité d’After the Virus est sa scénarisation : le jeu est en fait conçu comme une grande campagne, composée de cinq scénarios eux-mêmes divisés en deux à quatre missions. Dans la mesure où l’on réinitialise le deck entre chaque mission, les missions peuvent être perçues comme de simples propositions de configuration pour des parties indépendantes.
Dans ce cas, il suffit de choisir parmi les seize missions celle qui nous convient par sa longueur (courte ou longue), sa difficulté (les premières sont logiquement les plus faciles), et ses règles spéciales et objectifs, donc le scénario auquel ils correspondent (plutôt le chaos qui suit l’invasion zombie, la construction de la base, la survie familiale ou la guerre ?). Et il va de soi que les missions sont rejouables à l’envi, chacun des quatre personnages commençant avec un deck différent, et le tirage étant régi par le hasard. Du coup ce découpage m’a donné envie de speedrunner certaines mission, seul et avec des coéquipiers, une conséquence amusante et intéressante de ces choix de design !
Préparatifs avant la bataille finale
On commence donc par décider quel personnage va vivre quel contexte. L’ex-militaire, l’ado rebelle-pour-cacher-sa-timidité, la fille badass et la grand-mère ont tous quelques lignes de background pour souligner leur dimension cliché et imposent de jouer de manière différente, avec une carte en jeu au début de la partie et un deck personnel de 9 cartes plus des zombies, 1 à 3 selon le nombre de joueurs.
Puis on choisit une mission, par exemple la deuxième du premier scénario, 1B) « La Foule des morts » : « Paralysé par la terrible invasion, vous êtes resté caché plusieurs jours. Pendant ce temps, de nombreux zombies se sont regroupés dans les environs. Vous devez désormais créer un chemin dans la foule de zombies et trouver d’autres survivants ! ». Logiquement, la mission est d’arriver au bout d’un tour de jeu en ayant sauvé 4 cartes « Survivant ». On commence à la vague 1, avec 5 zombies dans chaque deck (au lieu des 1-3 normaux).
En plus de cela, on prépare le deck zombies, soit 14 cartes zombies, les plus puissantes en bas, les plus faibles en haut pour commencer doucement.
Au-dessus de l’aire de jeu avec le deck personnel et de la ligne de zombies avec le deck zombies, on place enfin la ligne de cartes repérées, avec le deck de zone. On mélange le deck personnel (donc composé des cartes indiquées sur le plateau personnage et des zombies).
Survivre ou exterminer
Une partie d’After the Virus se déroule en plusieurs tours, jusqu’à ce qu’à la fin d’un tour l’objectif soit atteint… ou jusqu’à la mort d’un personnage, ce qui suffit à entraîner la défaite de tous les joueurs.
Les survivants commencent par piocher cinq cartes du deck personnel, et mettent immédiatement en jeu tous les zombies piochés. Si au moment de piocher, il reste moins de cinq cartes dans le deck, on mélange la défausse aux cartes restantes pour constituer un nouveau deck. En plus de cette règle habituelle, on augmente de 1 le marqueur personnel de vague et on ajoute le nombre de zombies correspondant à son deck. Si c’est la troisième fois qu’on mélange sa défausse à son deck, on passe ainsi de la vague 3 à la vague 4, et on ajoute quatre zombies de la pile de zombies à son deck. Inutile de préciser que vous avez tout intérêt à acquérir de nouvelles cartes pour avoir autre chose que des zombies dans votre pioche, et que vous avez tout intérêt à vous arranger pour que les zombies ajoutés restent faibles.
Si la partie s’éternise, vous pouvez rapidement être contraint d’ajouter l’intégralité du deck de zombies à votre pioche, et il faudra être bien préparés pour affronter la horde. Pire, si vous arrivez à la vague 15 et que vous n’avez que 10 zombies dans le pile de zombies, il vous faudra défausser cinq cartes non-zombies de votre deck pour leur faire de la place. Deux-trois tours à ce régime et vous êtes comme mort… Autre conséquence : les joueurs ne seront pas tous au même niveau de vague, la taille de la défausse dépendant du nombre de cartes défaussées.
Après la phase de pioche, la phase d’action que tous les joueurs réalisent simultanément, à la Age of Towers. 7 actions sont possibles, dans l’ordre que l’on veut et tant que l’on veut, le tour s’achevant quand plus aucun joueur n’est attaqué par des zombies et ne souhaite ou ne peut plus jouer de cartes.
On peut jouer une carte événement (rose) pour son effet. « Cours ! » permet par exemple de défausser un zombie.
On peut jouer une carte non-événement (jaune, bleue ou grise) en la posant dans sa zone en position inclinée : tant qu’elle n’est pas préparée, il est impossible de l’utiliser.
Pour la préparer, on défausse le nombre de cartes indiqué. « Compétence de trappeur » exige par exemple de défausser une carte de sa main pour être préparé. Une fois préparé, il permettra de tuer un zombie à chaque fois que le joueur préparera une carte Piège (un type spécial de cartes bleues).
Partir en reconnaissance impose de défausser une carte de sa main, mais permet de révéler la première carte de la pile de zone.
Chaque carte ainsi révélée peut être placée dans son aire de jeu inclinée (non-préparée) si l’on défausse autant de cartes de sa main que le coût de la carte (précisé dans son coin supérieur gauche), sauf les cartes événement, immédiatement défaussées aussitôt qu’elles sont achetées, et sans activer leur effet. C’est une constante du deckbuilding, où les cartes récupérées sont souvent défaussées afin de ne pouvoir être jouées que quand on aura remélangé sa défausse à son deck.
On peut utiliser l’effet d’une carte préparée. Si son utilisation n’implique pas sa destruction, on peut l’utiliser autant de fois qu’on le souhaite et que c’est possible.
Enfin, il faut attaquer au corps à corps les zombies que l’on n’aura pas réussi à détruire au préalable. Difficile d’en sortir indemne : chaque zombie n’est tué qu’après nous avoir infligé une blessure.
Un zombie tué est replacé dans la pile de zombies, tandis qu’un zombie défaussé par un autre moyen sera renvoyé dans la défausse, et donc continuera d’appartenir au deck. Si une carte comporte quatre zombies, qu’on en tue trois et en défausse un, la carte est considérée comme défaussée. Il va donc de soi qu’il faut tout faire pour en tuer le plus possible.
Sauver, protéger et défendre
Quand un joueur attaque un zombie, il choisit quelle zone de son corps il expose. S’il est blessé au bras, il ne pourra plus préparer qu’une arme au lieu de deux normalement. À la jambe, il ne pourra plus utiliser la carte « Cours ! ». Si le bras et la jambe sont déjà blessés, il devra exposer son cerveau, ce qui le tue instantanément. Les personnages n’ont donc que trois points de vie, qu’ils peuvent heureusement restaurer avec de rares objets de soin et de prévention.
Il devra donc beaucoup miser sur sa puissance de feu pour se défendre. La tronçonneuse, la grenade, le lance-flammes et le pied de biche sont à usage unique, la machette ne peut servir qu’une fois par tour. Le pistolet, le fusil, le fusil à pompe et le minigun consomment des munitions, c’est-à-dire des cartes que l’on défausse de sa main au moment de préparer ces armes et que l’on considère dès lors comme des munitions. Une fois ces rares munitions utilisées, les armes seront inutiles, à moins de jouer la seule carte « magasin » qui ajoute une unique munition.
L’objectif consistera souvent à trouver des survivants et à les secourir, ce qui est toujours bénéfique, pour vous et pour le salut de l’humanité. Pour cela, il faut jouer l’une des trois cartes « Survivant » ou la seule carte « VIP », la préparer en défaussant une carte, puis jouer la seule carte « Maison sécurisée », qui met en sécurité tous les survivants préparés.
On défausse alors tous les survivants et la « Maison sécurisée », et pour chaque survivant ainsi sauvé, on a le choix entre le compter comme un survivant sauvé (pour les objectifs exigeant un certain nombre de sauvetages) ou récupérer gratuitement la première carte du deck de zone pour la mettre dans sa défausse ou inclinée dans son aire de jeu.
Et si on jouait After the Virus en compétitif ?
Les règles d’After the Virus ne proposent qu’un mode collaboratif à l’interaction assez faible. Chaque joueur joue en effet de son côté, affronte ses zombies, prépare sa base, et peut éventuellement soigner ses alliés et détruire leurs zombies, surtout s’il a déjà rempli son objectif et attend que tous les joueurs aient atteint le leur, mais en prenant toujours garde de ne pas trop s’exposer (s’il meurt, même en ayant rempli son objectif, tout le monde perd). Cela se joue assez bien, et surtout c’est aussi difficile en solo qu’en multijoueur, ajustement qui est toujours intéressant, mais enfin cela reste aussi peu collaboratif qu’on peut l’imaginer.
Daniel Fryxelius (l’un des neuf frères de Jacob, et je ne parle pas de ses six sœurs) a donc ajouté une règle compétitive, que l’on retrouvera ici. Plus question alors de scénario, seulement d’affrontement (et on peut prendre plaisir à inventer des scénarios compétitifs par souci de varier les parties). Tous les joueurs commencent cette fois avec un seul zombie dans leur pioche. En sauvant un survivant, ils ne pourront plus récupérer une carte du deck de zone mais augmenteront à la place le nombre de zombies dans la pioche de l’adversaire.
En sauvant deux survivants au même tour, ils pourront même faire passer un adversaire à la vague suivante la prochaine fois qu’il devra mélanger son deck. Imaginons que je sauve le VIP (qui vaut trois survivants) et les trois survivants au même tour, je pourrai donc imposer à un même adversaire qui serait actuellement à la vague 2 de passer à la vague 6 la prochaine fois qu’il mélangera sa défausse à son deck !
Naturellement, une partie compétitive s’appuiera beaucoup sur le hasard, et un beau coup comme celui que je viens d’évoquer implique une victoire presque certaine, mais cette règle transforme agréablement un jeu collaboratif ou solo tendu en jeu d’ambiance aux parties rapides, constituant une addition tout à fait bienvenue.
After the Virus, très bon jeu mineur pour les fans de zombies
After the Virus est un jeu édité pour le plaisir plus que pour marquer le monde du jeu de société, c’est évident et c’est ce qui explique son design peu racoleur ou quelque chose d’aussi étrange que l’absence de sachets dans la boîte pour éviter que les trois decks ne se mélangent. Les règles sont également un peu nébuleuses (mais il suffit de réfléchir deux minutes pour éclaircir ce qu’elles peuvent avoir de vague), et on peut regretter qu’elles n’aient pas d’emblée comporté de mode compétitif. Qu’il n’ait pas reçu beaucoup d’attention, surtout quand FryxGames publiait parallèlement un mastodonte comme Terraforming Mars, n’a donc rien d’étonnant.
Pourtant, After the Virus mérite qu’on s’y attarde. Ne serait-ce que pour la bonne surprise qu’il procure d’un jeu de deckbuilding à la prise en main immédiate, et à l’ambiance garantie. Au lieu de la progression contrôlée des grands jeux dans le même genre, les cartes sont ici complètement inégales, et ce n’est pas grave, après tout, dans un monde envahi par les zombies, on ne sait jamais sur quelles ressource on va tomber, et certains trouveront du pain rassis quand d’autres découvriront une armurerie ou une pharmacie ! La chance est donc un facteur thématiquement cohérent, et qui d’ailleurs n’empêche pas de succomber affreusement sous les assauts répétés de la horde sans fin.
Sa modestie n’empêche pas quelques subtilités tout à fait intéressantes, comme la radicale différence entre les quatre personnages, la campagne scénarisée à la difficulté croissante (mais toujours bien réelle), ou l’addition d’un zombie au deck à chaque fois que l’on mélange sa défausse, un moment qui n’est traditionnellement que positif dans le deckbuilding. Si vous êtes fan de zombies, il s’agit sans doute d’un indispensable, aussi fun qu’exigeant et rapide à mettre en place, particulièrement excellent en solo. En plus de constituer une excellente introduction au deckbuilding si vous êtes peu à l’aise dans ce genre, After the Virus a de quoi légitimement attirer la curiosité de joueurs expérimentés, et il faut sincèrement souhaiter qu’un éditeur francophone s’en empare pour en proposer la localisation qu’il mérite. Avec de meilleurs choix éditoriaux, After the Virus pourrait facilement devenir une pépite – et Jonathan Fryxelius a d’ailleurs annoncé que certains reproches adressés au jeu pourraient être pris en compte lors de rééditions prochaines !