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Critique de Ça et deuxième avis sur mother! : lequel est le plus fou des deux ?

Critique sans spoiler de Ça et un deuxième avis sur mother!

Ça : un bon numéro avec quelques tartes à la crème

Dans l’idée, refaire une adaptation du roman Ça de Stephen King (1986) vingt-sept ans après son adaptation culte en mini-série sur ABC avec Tim Curry dans le rôle du clown tueur Pennywise semblait s’inscrire dans la logique dégoûtante des remakes commerciaux, dont le souci est généralement plus de capitaliser sur la renommée du film remaké que de produire un résultat intéressant. Et cette impression s’était confirmée quand Cary Fukunaga (True DetectiveBeasts of no nation) avait quitté le projet pour être remplacé par l’inconnu Andrés Muschietti, réalisateur d’un seul film à la réception mitigée (Mama), et en cela exemple-type du faiseur engagé par les studios pour garder le contrôle sur leur produit.

Pourtant, depuis sa sortie américaine, Ça ne cesse de faire parler de lui. Avec 7,2/10 en critiques presse sur Rotten Tomatoes et 3,3/5 sur Allociné, il se place bien au-dessus d’une part du commun des films d’horreur, d’autre part de la majorité des remakes, et son accueil public (logiquement plus élevé) est du même aloi : 4,2/5 sur RT, 4/5 sur Allociné, et un excellent box-office où il a été immédiatement propulsé à la première place. Après les déboires de La Tour sombre, Stephen King semble pouvoir retrouver la cote, à moins d’une surestimation générale… Après tout, les résultats catastrophiques de La Tour sombre eux-mêmes auraient pu jouer en faveur de Ça en transformant un film moyen en bonne surprise pour tous les spectateurs désabusés, comme l’attente trop longtemps repoussée d’un film correct de clowns tueurs…

 

Avant d’entrer dans la salle, il faut déjà savoir que Ça n’adapte que la première partie du roman, dans l’attente d’une suite qui en racontera la deuxième partie. Cela reprend assez logiquement la structure de la mini-série – après tout, les événements séparant ces deux parties sont distants de 27 ans – mais l’absence de toute communication autour de l’inachèvement de l’histoire peut être une mauvaise surprise quand on doit attendre la toute dernière seconde du film pour lire « Ça – Chapitre 1 ». Autant être au parfum d’emblée pour éviter une double-déception, la deuxième étant évidemment l’immonde platitude de ce « Chapitre 1 » au lieu d’un plus efficace « Ça reviendra » ou « Ça n’est pas mort », comme si l’objectif était de continuer d’étendre l’univers par-delà le normalement définitif chapitre 2…

Cette bizarrerie à la limite de la malhonnêteté n’est heureusement pas à l’image d’un film qui, pris simplement comme la première partie de l’affrontement entre le groupe des ratés et le démon Pennywise, est d’une irréprochable linéarité et efficacité. On découvre les personnages, on assiste à leurs rencontres individuelles et collectives du clown, on les accompagne durant leur affrontement final : le film suit un schéma en trois actes tout à fait classique et fonctionnel, si l’on excepte deux maladresses. D’une part, le premier acte consiste dans une succession très rigide de la première confrontation de chaque enfant avec Ça, qui paraît dès lors traîner en longueur puisqu’elle est dépourvue de véritable enjeu d’horreur (on suppose bien que les supposés héros ne vont pas mourir tout de suite) et qu’on ne connaît que trop sommairement les personnages pour l’instant. Par ailleurs, on croit être arrivé à la fin du film quand la tension se relâche longuement à la suite d’un intense climax… avant que l’intrigue ne reprenne comme si de rien n’était. Même l’entremêlement de l’horreur fantastique et de l’horreur réelle (la maltraitance que subit Bev notamment) ôte beaucoup d’efficacité à la deuxième dont la menace paraît nécessairement moins grave en comparaison (et c’est affreux à dire)… L’inégalité du rythme et du ton a pour conséquence qu’il faut à chaque fois que le spectateur se remette dans l’ambiance au lieu de produire une tension permanente, et la peur en est considérablement affaiblie.

Ce qui est d’autant plus regrettable que dans l’ensemble les procédés terrifiques fonctionnent assez bien, grâce au clown et à la photographie de Chung Chung-hoon (chef op’ de Park Chan-wook, rien que ça, même s’il réalise ici l’un de ses travaux les plus faibles). Il n’y a qu’au début que Muschietti abuse bêtement du crescendo musical pour produire artificiellement une tension assez vaine, la protéiformité imprévisible de Pennywise et sa cruauté inattendue dans un film mettant en scène des enfants suffisant globalement à nous maintenir dans l’attente crispée de son prochain gag. Curieusement, le design du clown le rend moins mémorable que son interprétation par Tim Curry : le manque de budget de la mini-série faisait que derrière son maquillage on percevait bien l’acteur, ce qui donnait une réalité physique à la menace, carnalité qui manque au Ça de Bill Skarsgard, trop numérique dans ses déplacements et ses pouvoirs pour que l’on apprécie pleinement le travail du maquillage, un problème encore plus perturbant quand on est confronté au « lépreux », ridicule créature transpirant les effets spéciaux… Un mois après le Death Note de Netflix, Pennywise ne semble qu’une copie de Ryûk sans l’humour du dieu de la mort (dommage pour un clown) ou la voix de Willem Dafoe, mais avec un amusant jeu sur les yeux que seul le numérique permettait d’obtenir. C’est mieux que rien.

Quelques scènes m’ont d’ailleurs paru manquer cruellement d’inspiration, au point que j’ai pu regretter les libertés de la version de 1990, comme celle où Ben rencontre Pennywise dans le sous-sol d’une bibliothèque municipale, ou comme la scène du manoir, évacuée dans la mini-série alors qu’elle était bien présente dans le roman, et qui à notre époque fait trop écho à la quantité de films d’horreur concentrés sur une maison hantée pour être satisfaisante en une dizaine de minutes et sans vrai background pour mythifier le lieu. Même la scène où Bev est confrontée à sa peur du sang a quelque chose de grotesque, s’offrant même une petite référence à Evil Dead, alors que la simplicité frontale de l’ancienne adaptation fonctionnait mieux. Et si le loup-garou et la momie du roman de King ont été judicieusement abandonnés pour ne pas rendre le film trop kitsch, la volonté d’adapter le livre plutôt que de remaker le film a conduit à abandonner la scène des douches, ce qui est une regrettable preuve d’honnêteté – ainsi on ne copie pas les additions de la mini-série, mais on perd une scène saisissante.

 

 

S’il faudrait veiller à ne pas trop sacraliser le Ça de 1990, extrêmement vieilli dans sa deuxième partie et bien trop tout-public du fait de sa diffusion télévisuelle (on n’y aurait jamais vu d’abattage de moutons ou d’arrachage de bras d’enfants, oui oui…), un dernier élément les distingue nettement, et en faveur de l’ancien contre le nouveau, qui ose… un damsell in distress. Alors que dès ses premières minutes il tentait de nous faire ressentir toute la sympathie possible pour Beverly, dont le traitement comme un personnage féminin à la fois fragile et fort est très convaincant, comment peut-il soudain le placer impuissant entre les griffes de Pennywise comme seul prétexte pour l’union des garçons, en conformité avec un cliché sexiste que ni le roman ni le téléfilm n’avaient osé ? Remarquons d’ailleurs que l’intérêt apparent de la même Bev pour Ben, le « petit gros » de la bande, se transforme sans aucune raison (vraiment) en attirance pour le « héros » Bill. Est-on encore à une époque où le gros ne peut avoir la fille ? Et où il vaut mieux avoir un héros que d’assumer que toute la bande avait la fonction de personnage principal ? On peut comprendre que Muschietti et ses producteurs aient voulu éviter la conclusion de la première partie du roman (où l’on rencontrait la tortue cosmique qui avait vomi notre monde et où Beverly couchait avec tous les garçons du groupe pour dissiper toute jalousie !), mais il y avait assurément dans les audaces de King une modernité et une finesse qui auraient dû les faire trembler de honte à la seule idée de succomber à des facilités aussi indignes.

D’autant plus regrettable que la galerie de personnages principaux détournait assez habilement les clichés habituels : le garçon à lunettes est le sceptique du groupe et celui qui commet toutes les blagues sexuelles, le petit gros est l’érudit assez courageux, celui qui bégaie est le plus grand et le plus courageux, les autres sont tout à fait normaux en apparence alors qu’ils portent les stigmates d’une maltraitance (sexuelle ou morale)… Cela aurait fait plaisir à voir si les « harceleurs » et les « parents » (les véritables antagonistes d’une fiction qui raconte de manière symbolique le passage à l’âge adulte) n’étaient pas tous des caricatures faisant tâche dans un film contemporain…

Même le fond de l’intrigue est parfois assez confus à cause de l’inconsistance psychologique des personnages : les enfants répètent régulièrement que « ce n’est pas vrai », ce ne sont que des hallucinations, alors que rien ne leur permet de douter de la réalité physique de la menace. L’idée est évidemment que le courage rend les pouvoirs de Pennywise inopérants, mais selon que cela arrange ou non le scénario ses différents avatars sont matériellement invincibles ou purement illusoires. Cette confusion est alors entretenue par quelques incohérences, comme la scène où les enfants vont en bande explorer le manoir, et ne s’y retrouvent qu’à trois (comme si la moitié de la bande montait la garde), ou le fait que les enfants ont souvent anormalement peu peur de Pennywise, y compris au début quand Georgie le voit dans les égouts : comment peut-on faire une jump scare pour le spectateur tout en montrant que le personnage humain n’est pas si impressionné ? L’objectif est de produire un effet d’accalmie pour accroître petit à petit la tension avant la surprise terrifiante, ce qui serait impossible si les enfants ne faisaient que crier et courir dans tous les sens, mais cela ne peut pas fonctionner quand trois collégiens visitent le manoir d’un démon meurtrier et explorent tranquillement les pièces les unes après les autres, même entre deux attaques… À croire qu’ils le prennent pour un cauchemar quand il décime les enfants par dizaines… Ou comment expliquer qu’ils se laissent si facilement manipuler par Ça, quand ils reconnaissent sa manifestation et connaissent son goût du mensonge ?

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Je passerai sur le ridicule anecdotique des quelques références que Ça dissémine sans subtilité pour imiter Stranger Things (une affiche de Gremlins dans une chambre, les titres de films horrifiques sur un cinéma, l’allusion méta d’un garçon à The Breakfast Club comme s’il s’agissait d’une base culturelle universelle parmi les collégiens des années 1980…) pour remarquer que, somme toute, ce qui ne m’a pas plu dans le fond du film c’est sa prétention à être spielbergien (ou dahlien) en opposant systématiquement le monde des enfants à celui des adultes, un projet intéressant et au centre du roman de King, mais qui aurait dû le faire plus subtilement après les nombreux traitements frontaux de ce thème par Spielberg (E.T., Hook, A.I., The BFG pour les plus explicites). Le livre était même d’autant plus formidable qu’il ne se contentait pas d’en être une riche métaphore.

Comme nous l’avons en effet rappelé, le film Ça n’adapte que la première partie du roman, dont la deuxième partie raconte le combat des mêmes personnages devenus adultes contre Pennywise. Il n’était donc pas seulement question de passage à l’âge adulte, et du renoncement de l’adulte à ses rêveries d’enfant (en l’occurrence des cauchemars, contre la vision plus romantisée de Spielberg), mais de poursuivre l’exploration des personnages en les opposant une fois adultes aux mêmes fantasmes, alors qu’ils sont soumis aux affres de la banalité et de la vulgarité auxquels ils espéraient justement échapper pour ne pas ressembler à leurs parents. Ce n’est pas parce que ce sera le sujet du chapitre 2 de Ça que cela excuse la platitude du premier volet : le roman était paru en une seule fois, les deux épisodes de la mini-série avaient été diffusés à deux jours d’intervalle, c’est-à-dire qu’à chaque fois on offrait immédiatement la continuation et le pendant de la première partie pour la simple raison qu’elle ne se justifiait pas seule. Le seul fait d’imposer une attente de plus d’un an entre les deux films, et donc de les singulariser comme objets filmiques, est donc mercantile et appauvrissant, transformant le début d’une histoire saisissante en simple film d’horreur de bonne facture, très regardable et intéressant dans l’ensemble, mais pas nécessairement recommandable tant que la suite ne sera pas sortie.

 

 

 

mother! : quand Aronofsky nous refait le coup de The Fountain

en complément de la critique du film par Laurianne « Caduce » Angeon

mother! est un film long et hétéroclite. Cela peut paraître lapidaire et insatisfaisant pour le qualifier de premier abord, à moins de considérer que le ressenti traduit par ces deux adjectifs structure le film. Ainsi, dès les premières images,  le scénariste et réalisateur Aronofsky nous donne des indices lourds de sens sur le déroulement de l’intrigue, dans des images si différentes des séquences qui vont suivre qu’on les devine liées cycliquement aux dernières visions du film. Pourquoi ce spoil suicidaire dans un film s’affirmant comme mystérieux, si ce n’est pour capter l’attention du spectateur, ou plus précisément pour la retenir avec la promesse que ses longues minutes d’ennui à venir seront suivies par une scène plus spectaculaire, enfin éprouvante, bref pour lui dire qu’un pay-off a été prévu et que son attention sera récompensée ?

 

Deux affiches qui révélaient déjà beaucoup…

 

La suite, on la connaît, c’est la seule partie que dévoile le synopsis d’allociné alors qu’elle n’est même pas si importante pour le film, son acte supposément polanskien, mêlant l’irruption du couple « l’homme » – « la femme » dans la vie et la maison de « Lui » et mother, avec l’assentiment du premier et le rejet croissant de la deuxième, tandis que des éléments nous mettent sur la voie d’une lecture métaphorique d’une intrigue qui perd progressivement tout réalisme, tant dans l’ambiance gothique que dans les réactions de moins en moins vraisemblables des protagonistes. Alors qu’on nous annonçait un The Servant mâtiné de Obsession ou de Locataire voire de Les Autres ou Crimson Peak, Aronofsky fait surface en agitant sa marotte mystiquemother! quitte une veine Black Swan pour dépasser Noé et rivaliser avec The Fountain dans ses prétentions à tenir un discours sur le monde, et à n’attacher finalement que très peu d’importance à l’histoire.

Si Noé trouve grâce à mes yeux, c’est pourtant justement que son message mystique relativement clair se lit dans une intrigue satisfaisante et dans les comportements forts de personnages incarnés. mother! au contraire noie le poisson sous un océan de formes et de symboles pour faire croire à sa complexité, et il échoue précisément parce qu’on sent, même confusément, qu’il a somme toute un message plus clair qu’il ne veut l’avouer, comme si Aronofsky avait résumé sa philosophie en deux lignes avant d’en remplacer tous les mots par des symboles, puis les symboles par d’autres symboles, pour créer une ambiguïté frustrante dès lors qu’on découvre qu’il ne s’agit que d’un film à clef assez prétentieux, au message assez convenu, et qui malgré tout ne parvient même pas à une véritable cohérence dans sa forêt de signes : par exemple, quand Adam et Ève pénètrent l’Éden et s’emparent du fruit défendu, le statu quo demeure et leur exil du Paradis ne se réalise jamais, l’absence totale de conséquence suscitant le scepticisme sur l’importance de ces symboles évidents.

On peut être vite tenté de voir mother! comme une allégorie de la création poétique par son incarnation dans un couple constitué d’un poète et de sa muse, allégorie caustique, puisque ce rapport d’inspiration est avant tout un rapport de vampirisation égoïste par le Créateur de l’Amour que lui portent les autres. Cette lecture gagnerait même en profondeur en se souvenant qu’Aronofsky est en couple… avec Jennifer Lawrence (ce qui est étonnamment peu rappelé par les critiques, snobant les potins au point de les ignorer quand ils peuvent orienter leur compréhension), et au risque d’aller un peu loin, qu’il a le même âge exactement que Javier Bardem (tous deux sont nés au printemps 1969, à moins de trois semaines d’intervalle), dans un jeu de miroir qui peut rappeler celui instauré dans le formidable La Vénus à la fourrure. Mais là où Polanski mettait la création artistique (le texte et sa mise en scène) au cœur de son propos et de la relation entre ses personnages, l’Art semble singulièrement absent dans mother!, où il apparaît davantage comme un prétexte métaphorique que comme un sujet : il faut que Lui soit poète, parce que la poésie est le genre du Verbe par excellence, et ce « travail » n’est ainsi qu’un indice faisant signe vers l’allégorie du Créateur, qui est assurément la plus stimulante du film.

Pour évidente qu’elle soit, elle possède deux limites : d’une part elle exige du spectateur une connaissance basique des Textes (si vous ne vous souvenez plus des noms d’Abel et Caïn, le film n’est pas pour vous), ce qui n’est un mal que quand on voit que la promotion a vendu le film comme un film d’horreur… d’autre part, elle ne suffit pas à donner d’intérêt aux scènes laborieuses où l’homme et la femme s’installent chez Lui et mother. Il faut attendre l’extraordinaire troisième acte pour que les images soient pleinement rehaussées du sur-texte allégorique et vice-versa, quand mother devient enfin mother, non plus la femme-mère ayant la charge du Poète, mais la Mère par excellence, Marie porteuse du Messie, confondue avec une Gaïa lasse des hommes qu’elle héberge.

Ce dernier acte accélère et clarifie le projet de mother! de raconter l’histoire de notre espèce, du couple originel à son extinction par sa propre faute, en passant par l’émergence des spiritualités païennes et les contradictions de la modernité. Encore une fois, Aronofsky a commis une double-erreur qui nuit à la démence géniale de cet acte halluciné, celle de l’annoncer dès les premières images du film, pour le simple plaisir esthétique de donner à voir la nature cyclique du monde tel qu’il le voit (alors que la surprise et une plus grande brutalité dans la mise en scène auraient été plus à même de provoquer l’extase recherchée), et celle de clarifier l’appel écologique du film (ce qu’il a confirmé en interview), comme si cela élevait l’écriture ou grandissait ses personnages… Il s’est voulu lynchien, et n’est parvenu qu’à réaliser un film à thèse, alors que son troisième acte manifestait une sincère inspiration. Quelque part, son désir de faire un Superman (après avoir quitté Wolverine : le combat de l’immortel) pourrait être la thérapie dont son cinéma a besoin pour porter ses aspirations de grandeur tout en canalisant sa prétention.

 

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