Logan – un film en adamantium ?

 

L’omniprésence de personnages aussi emblématiques que les super-héros sur tous nos écrans ne nous permet pas d’imaginer que cette époque puisse finir, ni même que ces personnages puissent disparaître. On commence à peine à se faire à l’idée que Ian McKellen et Patrick Stewart abandonnent les rôles de Magneto et de Charles Xavier – parce que la transmission a été adoucie par pas moins que trois films nous présentant la jeune équipe. Mais Robert Downey Jr., mais Chris Evans, mais Hugh Jackman ? Trop vieux pour ces c…….., ils passeront pourtant tous un jour à autre chose, et le départ brutal de Wolverine a quelque chose d’annonciateur, et donc d’autant plus spectaculaire.

Il y avait alors quelque chose de paradoxal à choisir de confier une intrigue aussi marquante à un réalisateur ayant déjà livré un film assez oubliable sur le même personnageLe Combat de l’immortel, en plus de ne pas être un metteur en scène très marquant, sa popularité pour Walk the Line éclipsant à peine des divertissements autrement moins moins profonds comme Identity (on vous en parlait récemment), Night and DayKate et Léopold… A contratrio, on pourrait développer l’argument plus intéressant selon lequel Mangold a dû être extrêmement convaincant auprès des studios pour qu’ils le réengagent malgré un cursus aussi inégal, et le fait qu’il soit crédité comme à l’origine de l’histoire de Logan et comme co-scénariste est à ce titre assez encourageant.

Après tout, Wolverine a été le personnage central de la première trilogie X-Men, le seul à ce jour à avoir eu droit à des spin-offs, et assurément le plus intéressant, son interprétation par Hugh Jackman ayant bénéficié autant à la popularité du personnage qu’à celle de l’acteur. Logan est donc bien le film à ne pas rater pour la Fox, celui par lequel le studio espère rappeler qu’il est prêt à explorer des voies différentes pour le cinéma super-héroïque (démarche entamée avec Deadpool), et que malgré des derniers films à la qualité discutable, il reste un concurrent très sérieux pour Disney-Marvel et la Warner-DC.

Alors, Logan est-il le meilleur film de la saga ou la dernière erreur de Hugh Jackman ?

Déjà, la bande-annonce qui donne des frissons :

 

La promesse d’un crépuscule

Logan repose sur plusieurs promesses : celle de montrer pour la dernière fois Hugh Jackman en Wolverine, celle de se situer dans un avenir proche (en 2029), et donc de ne pas être directement en lien avec les films précédents (la continuité n’étant effectivement pas claire, mieux vaut ne pas du tout y penser et voir Logan comme un stand-alone), celle d’être beaucoup, beaucoup plus violent que tout ce à quoi nous sommes habitués, dans le premier film X-Men « canonique » (c’est-à-dire en excluant pour l’heure Deadpool) interdit aux moins de douze ans (classifié Restricted aux États-Unis).

Le scénario est supposé en être inspiré par Old Man Logan, le comics hyper-violent de Mark Millar et Steve McNiven dans lequel des États-Unis post-apocalyptiques sont divisés entre Hulk, Magneto, Fatalis et Red Skull, et Wolverine prend la route avec un Hawkeye aveugle livrer une mallette mystérieuse, le comics suggérant que Wolverine a jadis été hypnotisé, et aurait tué tous les X-Men en les prenant pour des adversaires.

 

 

Je ne sais même pas qui dans l’équipe de production a eu le premier l’idée étrange de citer Old Man Logan pour comics de référence pour Logan : non seulement la quasi-totalité des personnages du comics appartiennent à Marvel et pas à la Fox, qui ne pouvait donc pas réellement s’inspirer de cette intrigue, mais en plus cela risquait d’aiguiller les spectateurs vers un film à la Deadpool, un délire fun à la violence décomplexée, ce qui n’était pas vraiment raccord avec les bandes-annonces…

Seule la base du scénario est similaire : un Wolverine amer après une vie de violences, probablement responsable d’une catastrophe ayant provoqué directement ou indirectement la disparition des X-Men (on en apprendra à peine plus aux deux tiers du film), dans un monde où plus aucun mutant ne naît, décide de prendre la route sans pouvoir être sûr que son voyage sera aussi bénéfique que prévu.

Plus précisément, dans Logan, Wolverine (qui ne se reconnaît plus sous ce nom), est le propriétaire et conducteur d’une limousine, métier dont il tire le peu de moyens nécessaires pour le faire vivre, nourrir Caliban (un mutant albinos) et prendre soin de Charles Xavier, enfermé dans un vaste réservoir et continuellement sous tranquillisants parce que ses crises menacent toute vie environnante, même celle de ses geôliers/bienfaiteurs. Ayant perdu tout espoir de rédemption et tout but dans la vie, sa férocité s’est muée en aigreur, et son facteur auto-régénérant n’est plus aussi efficace que jadis. Contacté par une médecin mexicaine, il se retrouve contre son gré flanqué d’une jeune fille qui possède ses pouvoirs, et qu’il devra protéger contre un conglomérat militaro-chimique qui souhaite la récupérer pour bâtir une armée de mutants.

Oubliez donc la prétendue obscurité de Days of future Past ou Apocalypse, qui sentaient bon le comic book (au pire sens du terme) même quand ils cherchaient à prétendre à une certaine maturité : par son statut particulier dans la franchise, Logan est bien plus imprévisible, et peut jouer sur toutes les surprises. On nous avait promis de la violence, et on y a droit, mais elle est d’abord exécrablement introduite dans une scène d’introduction d’un gore hors-de-propos (comparé par un personnage à un carnage à la Freddy Krueger), ne se justifiant même pas (comme dans Deadpool) par son décalage. Le spectateur est d’autant plus agréablement surpris de la brutalité physique et psychologique qui va suivre.

 

 

Un monde à l’image de ce que Wolverine aurait toujours dû être

Autant nous ne sommes pas surpris de voir Logan jurer sans cesse avec toute la vulgarité possible, autant l’amertume de Xavier, sa dureté avec Wolverine, les vulgarités qu’il profère, sont assez saisissantes, et font habilement le lien entre le Professeur X de la première trilogie (donc incarné par le même professeur Patrick Stewart) et celui de la deuxième, où il est incarné plus jeune et plus sombre, plus moderne, par James McAvoy. En donnant à Stewart le caractère qu’on imagine bien le Xavier de McAvoy avoir à 80 ans, le film convainc davantage de l’unité de l’univers X-Men que tous les baroquismes de Future Past.

C’est cependant surtout la violence enfantine et celle exercée à l’égard des innocents qui justifie la classification du film, et fait une grande partie de son originalité : l’arrivée de Laura, véritable machine à tuer de douze ans, gagne de surcroît en puissance par son mutisme pendant une bonne heure, l’audace d’une protagoniste principale ne proférant pas un mot s’ajoutant à celle de voir cette gamine s’intégrer si spontanément au monde sanguinaire de Wolverine, allant en cela bien plus loin que la Hit-Girl de Kick-Ass ! La jeune Dafne Keene est ainsi une révélation (principalement quand elle ne parle pas, elle est insupportable dès qu’elle se met à déblatérer en espagnol) et un atout majeur du film, que l’on espère vraiment retrouver dans d’autres films de la franchise – elle serait bienvenue dans Deadpool, même si la différence de timelines voire d’univers diégétiques ne permet probablement pas aux personnages de coexister… Quand on voit que même Caliban est joué par un acteur différent (et plus jeune) que le personnage homonyme d’Apocalypse !

 

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La singularité crépusculaire de Logan vient aussi de sa sobriété : le film semble tourné sur pellicule tant l’image manque parfois de netteté et de la propreté standardisée de la dernière trilogie X-Men, ce qui accentue l’impression désertique des paysages de la frontière mexicaine, souligne la référence au western (L’Homme des vallées perdues est explicitement référencé plusieurs fois) et à la colorimétrie sablonneuse des Mad Max et autres Fallout, et renforce cette sensation de réalisme brut que les productions en tout-numérique peinent à susciter.

Cela nuit malheureusement à l’élégance de la mise en scène : l’absence de plans-séquences sidérants pendant les scènes de combat, et de tout mouvement sophistiqué de caméra, donne l’impression d’une réalisation en demi-teinte, effacée derrière un travail d’ambiance et de décors (dans la première partie) extrêmement réussi. La musique composée par Marco Beltrami est dans une logique similaire de retrait et de délicate accentuation de l’ambiance, ne cédant que rarement à des sonorités plus lourdes, autrement moins efficaces, et il livre ainsi une de ses meilleurs bandes-son depuis longtemps, en ce qu’elle contraste agréablement avec l’orchestration de plus en plus générique à l’oeuvre dans la plupart des films de super-héros. On regrette tout de même que Logan attende le générique pour nous faire entendre du Johnny Cash avec The Man comes around (alors que ce n’était pas du tout le bon moment et que cela renforce la sensation d’une fin expédiée), et que le merveilleusement beau Hurt n’ait servi qu’au trailer…

 

Logan, un film en adamantium ou un film en diamant ?

Cet élément de comparaison n’est pas négligeable, parce qu’il a probablement joué un rôle considérable dans l’excellente réception de Logan. Le film se défend très bien indépendamment de sa dimension publicitaire (le film testamentaire de Hugh Jackman et Patrick Stewart) par sa tonalité, sa brutalité inattendue et ses superbes scènes d’humanité, dues à des interprétations saisissantes dès lors qu’elles tournent autour des relations complexes entre des personnages qui ne savent pas s’aimer, et à une longue et d’autant plus belle pause au beau milieu du film auprès d’une famille qui les recueille, et qui rappelle la beauté des scènes autour du feu de camp, lieu commun du western dont elles cassaient sciemment le rythme.

C’est pourtant en comparaison avec les productions super-héroïques dont nous sommes inondés que Logan peut s’apprécier comme le chef-d’oeuvre qu’il n’est pas vraiment : il est aisé de lui pardonner ses défauts quand on les sait habituels au genre, par exemple un méchant ridiculement pauvre en background, remplacé par un antagoniste plus redoutable mais trop peu approfondi (le fameux X-24 dont on ne vous dira rien de plus), une sous-exploitation de certains pouvoirs, et surtout la pauvreté du personnage de Wolverine et du jeu de Jackman dans les relations où il est confronté à Laura. Quand on a compris que Logan était plus cynique, plus bourru, plus misanthrope, plus terrorisé à l’idée de se faire à nouveau piéger par ses sentiments que jamais, le film continue d’insister lourdement pendant deux heures sur ces aspects, même dans les scènes où une pierre tendrait la main à la fillette, et où les spectateurs ont envie de s’émouvoir plutôt que de le voir s’énerver pathétiquement contre une voiture (une scène pour le coup plus digne des premiers films de Singer que d’un Logan aspirant à une plus grande profondeur psychologique). Cette manière très artificielle de créer un contraste entre ce que le personnage est au début et une supposée rédemption finale nuit à la performance (véritable) de Jackman et à l’efficacité dramatique du film, en rendant soudain apparentes des ficelles que Logan parvient assez bien parfois à faire oublier.

Logan est ainsi, plus encore que Deadpool, un film salutaire, indispensable à tout amateur de cinéma super-héroïque pour sa profondeur (il se double même d’un sous-texte politique pour le coup digne de Mangold, sur les relations avec le Mexique et le Canada, les méfaits du capitalisme…), la subtilité de son obscurité, l’humanité de ses personnages, son impressionnante brutalité, en plus de conclure avec émotion l’histoire des collaborations des tant-aimés Jackman et Stewart à la saga. Mais un film salutaire dans sa singularité, justifié par un contexte étouffant, qui appelle dans une certaine mesure une amélioration psychologique des productions super-héroïques tout en étant très loin d’en constituer un nouveau modèle. Pas un grand film, pas un chef-d’oeuvre, mais un film assez percutant pour être mémorable, et disposant d’assez de qualités pour séduire timidement par-delà les aficionados des encapés.