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Le Na’vi, langue fictive ?

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Langues et pratiques du Geek : le Na’vi

 

Et si l’envie vous prenait d’apprendre le Na’vi ?

Si, à cette première question, vous répondez par une autre question, qui serait de l’ordre de « Qu’est-ce qu’une langue fictive ? », je me contenterai de vous expliquer qu’il n’est pas rare qu’un univers fictif se compose, outre de personnages et de lieux particuliers, spécifiques et parfois créés spécialement pour cet univers, de langues créées pour l’occasion. Ces langues, qui apportent très souvent cette petite pointe d’exotisme qui nous fait rêver, viennent surtout compléter l’ancrage de ces univers fictifs, les rendant plus crédibles et incroyablement plus riches. Une explication plus détaillée sera présentée dans un prochain article. Au travers de cette chronique, je vous propose donc de plonger dans ces univers, parmi nos préférés, en apprenant leur langue. C’est du moins ce que je fait pour vous, en quatre semaines top chrono ! Bien sûr, il ne s’agit pas d’un cours de langue de ma part, mais plutôt d’une approche des différentes langues fictives qui peuvent exister, en s’intéressant à l’univers dans lequel elles s’inscrivent et à leur apprentissage.

Les fêtes de fin d’année, c’est cette période d’émerveillement pour les grands et les petits où tout semble devenir magique. Décorations, musique, nourriture, tout nous porte vers un monde féerique que l’on a bien du mal à quitter le premier janvier au petit matin.  Un peu comme un monde à la Avatar, si ce n’est que ce dernier, on peut le rejoindre quand bon nous semble, à tout moment de l’année. Outre ses êtres fantasmagoriques et sa flore tout droit née de notre imaginaire, ce qui fait de Pandora un monde si particulier, et vous m’aurez vu venir avec mes gros sabots, c’est aussi sa langue, le Na’vi. Langue que vous allez pouvoir apprendre pour vous échapper dans des contrées lointaines lorsque la nouvelle année se fera trop banale.

 

« Vongurul lì’fyati leNa’vi nume » – Vonguru apprend le Na’vi

 

Les origines du Na’vi

 

Le Na’vi (ou pour les initiés Lìʼfya leNaʼvi, se traduisant littéralement par Langue ayant un lien avec le peuple Na’vi) est la langue de ces bons hommes bleus dont un grand méchant lorgne sur les terres. Je ne parle bien évidemment pas des Schtroumpfs mais des Na’vis, ces indigènes humanoïdes vivant sur Pandora dans le film Avatar. Produit et réalisé par James Cameron et sorti dans les salles en 2009, le film avait fait parler de lui pour son réalisateur, ses parti-pris alors assez novateurs, et pour l’immersion qu’il proposait. Cette immersion était bien sûr le fruit de paysages magnifiques mais aussi d’une langue exotique, le Na’vi, du nom de ses locuteurs.

L’histoire extra-diégétique du Na’vi (en dehors de l’univers d’Avatar, donc, dans le monde réel qu’est le nôtre) est particulièrement bien détaillée, mais surtout très dynamique. Le Na’vi comme langue fictive a été désiré par James Cameron depuis l’écriture du script d’Avatar, et a d’abord consisté en une trentaine de mots inventé par le réalisateur lui-même. Mais ce dernier avait à cœur de mettre en scène dans son film une véritable langue ayant un réel fondement linguistique. C’est pourquoi l’intervention d’un spécialiste du domaine, en la personne de Paul Frommer, docteur en linguistique, fût requise pour répondre à un cahier des charges assez précis : avoir une langue qui puisse être prononcée sans trop de difficulté par les acteurs, tout en ayant une sonorité qui n’ait rien d’humain mais étant agréable à l’oreille de l’humain (enfin, du spectateur), et dont l’apprentissage par des humains (enfin, par les personnages débarquant sur Pandora dans le film) soit plausible.

 

 

C’est donc avec ces contraintes en tête, et sur la base de la liste de mots fournie par Cameron, que Frommer proposa trois ensembles de mots et de phrases distincts, chaque ensemble se caractérisant par sa propre sonorité. Une fois un de ces systèmes phonologiques validé par Cameron (celui se basant sur des consonnes éjectives, c’est-à-dire impliquant un mouvement de la glotte, pour information), Frommer put s’attaquer à la construction des aspects grammaticaux, morphologiques, syntaxiques et lexicaux de la langue. Ce qui lui prit six mois – du moins, pour le Na’vi tel qu’utilisé dans le film. Je distingue l’état de langue du Na’vi dans le film du Na’vi tout court car Paul Frommer a poursuivi le développement du Na’vi bien après le tournage et la sortie d’Avatar, pour les besoins du jeu vidéo Avatar notamment, mais aussi et surtout par simple désir de compléter la langue. Désormais, le Na’vi comptabilise plus de 1 500 mots, dont certains sont le fruit d’erreurs – conservées et intégrées dans le vocabulaire – de prononciation par les acteurs lors du tournage.

Sur le plan intra-diégétique (dans l’univers d’Avatar lui-même), le Na’vi a une histoire linguistique assez singulière puisque, contrairement à la Terre, il n’existe qu’une seule famille linguistique sur Pandora. Sur Terre, les langues se regroupent en différentes familles, ce qui nous permet de dire que le français appartient à la famille des langues romanes, elle-même une branche des langues indo-européennes, que l’on distingue par exemple (parmi tant d’autres) de la branche des langues chamito-sémitiques comprenant notamment le kabyle. Sur Pandora, il n’y a que le Na’vi, et rien que le Na’vi. S’il existe bien divers dialectes sur Pandora, comme le ch’ti ou l’occitan pour le français, ils sont tous issus d’une même langue unique qu’est, vous l’aurez compris, le Na’vi, et dont l’évolution sur les 18 000 ans, couverte par le biais de chansons et de contes, fruit de la très forte, pour ne pas dire unique, tradition orale de Pandora, est somme toute relativement minime. Il est en effet admis que le proto-Na’vi (l’ancien état de langue du Na’vi, désormais éteint) est aussi distant du Na’vi actuel que le français de Rabelais est distant de notre français contemporain. Somme toute relativement proche, donc.

 

« Ientends & veulx que tu aprenes les langues parfaictement. » Gargantua à Pantagruel, extrait du chapitre VIII de Pantagruel – Rabelais, 1532

 

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L’apprentissage du Na’vi

 

Connaître l’histoire du Na’vi, c’est bien, mais que faut-il penser de son apprentissage ? Rappelons qu’une des contraintes majeures émises par Cameron était que l’apprentissage de la langue par des humains devait paraître crédible dans l’histoire d’Avatar. Cela se reflète donc fortement dans la structure de la langue elle-même, comme nous allons le voir.

 

La liste des courses

Le Na’vi est une langue relativement bien dôtée (c’est-à-dire qu’elle est bien renseignée, et que l’on a de nombreuses données et ressources la concernant), il ne sera donc pas difficile de trouver la ressource d’apprentissage de votre choix. Vous pouvez vous tourner vers des cours de type Memrise, qui propose entre autres des cours sur le vocabulaire, plus ou moins ciblés par ailleurs, mais aussi sur des points très précis de grammaire. Sachez que de très nombreux sites traitant d’aspects linguistiques du Na’vi existent, un certain nombre d’entre eux étant recensés sur le site officiel de Paul Frommer, Na’viteri.org. Mais le site que je vous recommanderai le plus chaudement est sobrement appelé learnnavi.org, et regroupe tout ce dont vous aurez besoin pour apprendre rapidement le Na’vi : dictionnaire Na’vi-anglais, grammaires plus ou moins précises, textes, liens…

 

Ce qu’il faut retenir de l’apprentissage

Commençons par la conséquence de ce que nous avons vu précédemment. Puisque les Na’vi n’ont qu’une tradition orale, le Na’vi n’a pas de système d’écriture spécifique (à ma connaissance). Nous utilisons donc notre alphabet romain pour le transcrire. En ce qui concerne la prononciation du Na’vi, prenez bien le temps de vous familiariser avec les sons qui ne nous sont pas familiers, nous autres francophones (notamment les fameux sons glottaux) et avec l’accentuation qui joue un rôle primordial, puisque l’accent mis sur la mauvaise syllabe peut changer le sens d’un mot.

Le Na’vi est une langue sans ordre syntaxique précis. Contrairement au français qui suit un ordre Sujet-Verbe-Objet très précis, le locuteur Na’vi peut intervertir l’ordre de tous les mots de sa phrase (ou presque, il existe tout de même quelques exceptions que je laisserai découvrir). Cela est permis par le système casuel utilisée par la langue, à l’image du latin ou de l’allemand, qui attribue à chaque mot sa fonction précise grâce à une particule, indépendamment de sa place dans la phrase. À vrai dire, la langue entière est construite à partir d’affixes, et utilise à tout va des préfixes, suffixes et même infixes (particules que l’on rajoute à l’intérieur du mot). C’est en cela sa richesse, ce qui peut la rendre accessible mais aussi très complexe.

Cela la rend accessible car on retrouve de très nombreux liens sémantiques dans le vocabulaire. Ainsi, on retrouve des familles très fournies, à l’image de numeyu (étudiant), numtseng (école), numtsengvi (salle de classe), numultxa (classe), numultxatu (camarade de classe) mais aussi sänume (apprentissage) et sänumvi (cours), mots tous dérivés de nume (apprendre) grâce à l’ajout de divers préfixes et suffixes. Cela facilite donc grandement l’apprentissage du vocabulaire puisque la connaissance de la racine permet de deviner assez aisément le mot dérivé.

 

Notre perception du monde dépend de notre langue (hypothèse de Sapir-Whorf)

 

Mais l’importance de ces affixes constitue aussi la majeure difficulté quant à l’apprentissage du Na’vi : prenons l’exemple de la phrase proposée au début de cet article : Vongurul lì’fyati leNa’vi nume (que nous avons traduit par Vonguru apprend le Na’vi, avec quelques petites libertés puisque le verbe nume est normalement intransitif, et s’utilise donc sans objet à la suite). Puisqu’il n’y a pas d’ordre prédéfini, il faut indiquer à l’interlocuteur (c’est une langue parlée, rappelons-le) la fonction de chaque mot. Pour indiquer que Vonguru est le sujet, nous avons donc mis le suffixe -l (-ìl quand le mot finit par une consonne). Pour signifier que l’objet du verbe est le mot lì’fya (langue), on rajoute le suffixe –ti (dont le i disparaît parfois). Pour parler de langue Na’vi et pas juste de langue, on fait du mot Na’vi un adjectif grâce au préfixe le-. Seulement, si l’on avait mis l’adjectif leNa’vi devant le mot lì’fya qu’il modifiait, il aurait fallu rajouter le préfixe a– devant notre adjectif : on aurait alors eu aleNa’vi lì’fya. Enfin, le verbe nume au présent ne marque quant à lui pas les personnes (c’est déjà ça de pris, me direz-vous). Mais les verbes Na’vi marque le temps, et si nous avions voulu parler au passé ou au futur, il aurait fallu rajouter un infixe au milieu du verbe (deux si l’on veut modifier le temps et l’humeur – oui oui -) : ainsi, on mettra Vongurul nayume pour Vonguru apprendra (futur simple)  et Vongurul nayeiume pour Vonguru apprendra (futur simple et joie à l’idée de faire l’action d’apprendre).

Sachez qu’il y a de nombreux autres points que je n’ai pas abordés (les différentes nuances de futur, la place précise des infixes, les contractions…). À vous d’approfondir les divers points de grammaire en fonction de votre maîtrise du Na’vi.

 

Conclusion

 

Le Na’vi est une langue très riche grammaticalement, et son apprentissage ne peut pas être improvisé. Il faut être prêt à apprendre un grand nombre d’affixes pour maitriser réellement le fonctionnement de la langue. Mais c’est un apprentissage très stimulant puisqu’il fonctionne un peu à la façon d’un puzzle. Il est très facile d’acquérir des premières connaissances qui permettent petit à petit d’aller plus loin dans l’apprentissage. Outre sa sonorité, le Na’vi est aussi une langue exotique de par la réalité qu’elle traduit. En effet, à cause de la culture dans laquelle elle s’inscrit, elle ne possède pas les mêmes référents. L’apprentissage de certains termes liés à des technologies typiquement humaines (comme les ordinateurs, dont il est question sous la forme de « cerveau métallique ») ou à des éléments plus primaires comme les couleurs ou les chiffres (basé sur un système octal, de par le nombre de doigts qu’ils possèdent) sera donc d’autant plus dépaysant.

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