Miss Peregrine, le retour en grâce de Tim Burton ?
La sortie de Miss Peregrine et les enfants particuliers, la semaine dernière dans les salles françaises, n’est pas passée inaperçue. Non seulement parce qu’il s’agissait du nouveau film de Tim Burton, l’un des réalisateurs les plus tendance des vingt dernières années, mais surtout parce qu’après de nombreuses productions décevantes, il aurait enfin retrouvé une occasion de manifester son génie.
Nous avions déjà profité de cette sortie pour vous livrer un DCEDC où quelques rédacteurs vous livraient leur avis sur les meilleur et pire films de Tim Burton, et où nous exposions rapidement ce qui faisait la singularité de son œuvre. Avant cela, nous vous avions expliqué une première fois dans une Hype Review ce que nous attendions de Miss Peregrine, aussi bien par rapport à sa source qu’à son équipe artistique, et nous vous invitons à vous y reporter pour les considérations que nous n’estimons pas nécessaire répéter dans le cadre de cette critique.
Et il est donc temps désormais de présenter notre opinion de son dernier film, afin de juger si, comme de si nombreux critiques s’égosillent à le dire, Miss Peregrine restaure enfin la confiance dans un réalisateur dans lequel nous sommes supposés avoir perdu tout espoir.
[divider]Burton adapte un roman burtonien[/divider]
Miss Peregrine et les enfants particuliers est l’adaptation du livre homonyme de Ransom Riggs, premier tome d’une trilogie et succès de librairie d’autant plus étonnant qu’il est récent, et doit donc s’affirmer face à la horde innombrable des mauvais pastiches d’Harry Potter, Twilight, Hunger Games et Le Seigneur des anneaux, sur un créneau – celui de la littérature pour adolescents – bien embourbé.
L’intrigue en est assez curieuse : après la mort dans d’obscures circonstances de son grand-père, Jacob découvre que les histoires de bonne fée qu’il lui racontait dans son enfance étaient vraies, quand il se rend dans l’orphelinat qu’il a quitté en 1943, et y rencontre Miss Peregrine et les enfants particuliers, des gens dotés de pouvoirs extraordinaires, se dissimulant dans une brèche temporelle (un loop qui leur fait revivre le même jour de 1943) pour éviter les Sépulcreux qui en ont après eux pour accroître leurs capacités.
Deux réalisateurs seulement semblaient s’imposer aux lecteurs du roman pour l’adapter dans toute son ampleur, Guillermo del Toro et Tim Burton, de sorte que nous nous trouvons dans l’une de ces rarissimes circonstances où le choix créatif correspondait à l’idéal du lectorat. Miss Peregrine paraissait en effet typiquement burtonien dans son rapport à l’imaginaire et sa friction avec la réalité, sa marginalisation du personnage principal à la recherche de semblables et d’un havre de paix, son obscurité gothique mâtinée de fantaisie…
Burton va cependant prendre le risque d’inséminer plus de Burton encore dans une intrigue déjà burtonienne. Parfois pour le meilleur, comme cette bataille en stop-motion (animation image par image, au beau milieu d’un film live !), très dérangeante, entre deux poupées-Frankenstein dotées d’un véritable cœur. Souvent pour des résultats plus mitigés : il introduit ainsi un « arbre burtonien», baigné d’une lumière surnaturelle, quand Jacob cherche son grand-père, sans se soucier de l’incohérence environnementale entre ce décor de bayou gothique trois mètres derrière une banlieue pavillonnaire, qui peut aisément créer une seconde d’incrédulité nuisible au pathos de la scène. Un peu plus heureusement, il imagine dans un navire submergé que l’immense salle à manger en est encore remplie des squelettes des convives, sans se dire qu’il n’y avait aucune chance que, durant le naufrage et leur noyade, tous restent tranquillement assis à leur table. L’image est belle, mais parfaitement gratuite – les personnages n’y accorderont pas une ligne de dialogue. Ces exemples montrent une tentative d’appropriation de l’œuvre, louable en soi, trop mal pensée pour être acceptée dans le fil du récit…
Cela s’ajoute naturellement au fait que Burton ait eu une autre bonne idée, celle de faire du premier volume d’une trilogie une histoire à part entière, auto-suffisante. En un temps où la mode est plutôt d’étendre à n’en plus finir chaque livre (et littéralement à n’en plus finir, si on pense au cas Divergente ou aux nombreuses sagas qui ne se sont pas poursuivies au cinéma après l’échec du premier volet), le processus inverse est assurément la plus irréprochable manière de justifier les libertés prises par rapport à la source.
Plutôt que de profiter de la liberté créative ainsi affirmée, le film se présente plutôt comme l’adaptation dans un temps trop court d’une matière qui aurait exigé un bien plus long développement. On finit par reprocher à Miss Peregrine d’avoir cherché à boucler son intrigue, parce que si le film s’était contenté d’adapter le livre, il aurait pu progresser plus posément, tandis que le montage des séquences est ici franchement étrange, le spectateur devant souvent faire l’effort au début d’une scène de se demander pourquoi les personnages sont soudain là, tandis que certaines explications auraient mérité plus de temps, en particulier sur les loops, dont les règles paraissent claires…jusqu’à une fin qui crée une confusion absolue.
[divider]Un anti-X-Men ou un X-Men à la sauce Burton ?[/divider]
Mais peut-être, vous direz-vous, l’intrigue était-elle si consistante que Burton était contraint à cette cadence forcée de l’intrigue ? D’une part, certaines parties peu intéressantes auraient pu être synthétisées avec profit, notamment quand Miss Peregrine montre de la manière la plus ridiculement caricaturale que Jacob n’a pas d’existence sociale, sa singularité en faisant plutôt un objet de moqueries injustifiées pour ses camarades, ou quand Jacob et son père arrivent sur l’île…
D’autre, pour boucler son intrigue, Burton a non seulement réinventé l’antagoniste principal, mais il lui a confié une armée qui impose un affrontement final interminable…alors que ces adversaires, pas inintéressants dans l’idée (la scène où ils se délectent des yeux d’enfants particuliers est agréablement sordide), mais sans relief dans le résultat. Nonobstant mon admiration pour Samuel L. Jackson, il cabotine ici bien plus que permis, accumulant grimaces et plaisanteries médiocres pour compenser la personnalité que son personnage n’a pas, et ses mignons sont si pauvres que Burton peut sacrifier l’un de ses lieutenants…sous un tram, alors qu’il traversait tranquillement la rue, juste pour la blague. Et difficile assez généralement de prendre au sérieux des méchants qui auraient mille occasions de tuer les héros mais les relâchent par instinct de suicide ou prennent un temps infini à jongler avec eux pendant que les autres s’enfuient ou préparent des manœuvres offensives.
Il ne faudrait pas croire que cette absence de développement ne touche que les ennemis, il n’y a malheureusement aucun personnage qui y échappe, et très rares sont ceux dont on peut juger l’écriture suffisante. Jacob connaît un parcours initiatique très classique, et où le processus de maturation qu’est supposé connaître le héros au cours de sa quête est étonnamment pauvre, mais passe encore, comme l’interprétation de Terence Stamp (l’interprète de Zod dans Superman II !) et celle d’Eva Green, qui s’affirme mieux que dans Dark Shadows comme une actrice prometteuse pour la « franchise » Burton. Certains enfants sont d’emblée ressentis comme des personnages parfaitement secondaires, dont on peut espérer un développement, mais sans doute pas être frustré par son absence.
Cette frustration est ressentie dès lors que le film accorde une quelconque importance à un personnage, le faisant sortir du rang des Jean-Jacques (pour citer OC, bien sûr), pour l’exploiter ensuite très insuffisamment, comme c’est particulièrement le cas pour Enoch (l’enfant capable de déplacer le cœur d’un être vivant pour en animer un autre), Victor (qui est simplement oublié tout à coup), le père de Jacob (auquel, dans le roman, Jacob disait la vérité sur les enfants particuliers, le réconciliant post-mortem avec son père qu’il accusait jusqu’à la fin de mentir pour couvrir ses aventures adultérines, et qui n’est ici qu’un mauvais parent), la psychiatre (que l’on gagnerait beaucoup à trouver sympathique), et naturellement Emma.
J’avais bien apprécié l’idée que certains enfants aient des pouvoirs d’une puissance disproportionnée les uns par rapport à ceux des autres, et de natures très différentes, cela changeait agréablement des X-Men où les pouvoirs inutiles paraissent ne pas exister, et où tous peuvent être mis à contribution militairement. Ce n’est pas plus rationnel scientifiquement, mais cela obéit à une certaine logique : si une mutation pouvait aléatoirement vous donner un pouvoir, pourquoi ne serait-ce pas plutôt celui de voir un certain type de monstres ou de projeter vos rêves que celui de manier le feu ou l’air ? Cela devient gênant dès lors qu’il y a cumul de pouvoirs pour les besoins du scénario : Barron peut prendre la forme de son choix et transformer sa main en un arme contondante à la forme variable, Emma maîtrise l’air…et en fait tout ce qu’elle veut : créer des bulles dans lesquelles respirer sous l’eau, souffler fort au point d’expulser l’eau de la pièce d’un navire coulé, et elle flotte, pour le coup et assez paradoxalement sans le contrôler.
Dans le livre, c’est Olive qui possédait ce pouvoir, tandis qu’Emma était pyrotechnicienne, mais leurs pouvoirs ont été inversés sans doute par souci de fantaisie burtonienne, les nouveaux pouvoirs d’Emma en faisant davantage une freak, thème central des films de Burton, que celui de jeter des boules de feu, qui pourrait passer inaperçu dans le monde normal (alors que flotter en permanence est moins discret). Le réalisateur affirme également qu’il voulait mieux coller au caractère du personnage et à la romance qui se noue avec Jacob…alors que cela était aussi vrai dans le roman et plus fort. En effet, Emma y accueillait Jacob en l’attaquant avec ses pouvoirs. Elle y était plus farouche, plus agressive, et lui en voulait beaucoup pour l’abandon de son grand-père, dont elle était amoureuse, amour qu’elle reporte progressivement sur le petit-fils. Donc une personnalité avec du caractère, des sentiments troubles, qui sont effacés dans le film au profit d’une absence relative de caractérisation, et d’une histoire d’amour entre elle et Jacob à laquelle on peine à croire, le coup de foudre étant assez grossier et immotivé.
Encore une fois, le film Miss Peregrine a entièrement le droit d’adapter librement le roman, si l’équipe créative assume ces libertés pour mieux s’approprier le contenu, développer les enjeux, réduire la durée, et être plus fidèles au matériau cinématographique, dont la grammaire n’est évidemment pas la même que celle de la littérature. Même la disparition du libraire, très bon personnage du premier tome, est admissible pour de bonnes raisons. Encore faudrait-il qu’on comprenne en quoi ces motivations sont à l’oeuvre, la disparition ou l’interversion d’éléments paraissant souvent plus nuisible qu’intéressante dans un film qui respecte pourtant largement l’intrigue de Ransom Riggs pour l’essentiel.
[divider]Si Miss Peregrine est le réveil de Tim Burton, il s’est levé du pied gauche…[/divider]
Miss Peregrine et les enfants particuliers n’est ni un mauvais film, ni un mauvais Burton. Sa très jolie photographie, son histoire plutôt intéressante, son traitement burtonien, et quelques scènes qui parviennent à communiquer l’enchantement recherché, même rares, son interprétation globale (sauf Enoch, il ne faut pas exagérer) sont autant de bons points qui le rendent regardable, voire agréable.
Miss Peregrine est cependant aussi loin d’être un grand Burton qu’un grand film, et ce pour trois raisons essentiellement : Burton n’a pas compris que la prétention du film à se dérouler dans le monde réel empêchait (contrairement à la plupart de ses autres films) les entorses au réalisme qu’il s’autorise trop fréquemment, et qui gênent notre suspension consentie de l’incrédulité ; jamais il n’aura aussi peu développé ses personnages. Sans doute dépassé par leur nombre, il a cru pouvoir en placer l’essentiel au second plan pour les ramener sur le devant de la scène quand l’action l’exigeait, mais sans leur donner plus de caractère, et sans introspection, la faute à un rythme plus porté sur l’action que sur la méditation ; Miss Peregrine est un film catastrophiquement anti-dramatique. Comprenez par là qu’à chaque fois que Burton pourrait susciter de la peur ou de l’excitation, il parvient à ne procurer aucune émotion, grâce au montage, la mise en scène, la musique, l’incohérence, la stupidité des héros ou méchants, en particulier durant les deux scènes de confrontation avec les monstres qui auraient dû être les deux morceaux de bravoure d’un film réalisé par un maître de l’ambiance comme Tim Burton.
Cependant, ce n’est ni pour ces défauts, ni pour la cible relativement enfantine (et sans doute trop puérile) du film que je ne comprends pas pourquoi tant de critiques parlent d’une résurrection de Tim Burton : c’est parce que le réalisateur ne m’a jamais paru avoir besoin d’une telle résurrection. Ses deux précédents films, Frankenweenie et Big Eyes, n’avaient peut-être pas trouvé leur public, pourtant, Burton y avait manifesté une vigueur qui ne correspond assurément pas à celle du grabataire qu’on voudrait lui accoler pour cette période.