Critique du film – The Theatre Bizarre

 

C’est en errant en long et en large sur le catalogue Netflix belge (on en parle des nouveaux programmes uniquement proposés en anglais ou en néerlandais sans aucun sous-titre ?) que mon regard s’est porté sur l’affiche atypique d’un film, catégorie Horreur-Épouvante. The Theatre Bizarre, sorti en mai 2012, est un film particulier en ce qu’il s’inscrit dans le cercle très restreint des films à sketches, sept pour être exacte, rendant hommage aux codes du genre de « l’Art du Grand-Guignol ». Si l’exercice d’un film à sketches revêt en général un défi particulier, à savoir celui de rester homogène pour que le film garde une certaine cohérence, il n’en reste pas moins intéressant de découvrir les visions de sept cinéastes différents sur le registre de l’horreur. Et avec les films d’épouvante cousus de fil blanc de ces dernières années, on espère que le pari de courts-métrages multiples saura nous surprendre, dans le fond comme dans la forme. Asseyez-vous donc dans le Théâtre du Bizarre.

 

[divider]Septs nuances de l’Horreur[/divider]

 

Enfin… nuances… Le mot est sans doute un peu trop ambitieux pour répondre au travail sur lequel planche The Theatre Bizarre. Mais avant de vous en dire plus là-dessus, découvrez ci-dessous les synopsis de chacune de ces sept histoires, ainsi qu’un bref avis sur la production pour elle-même, et non pas sur la globalité du film.

 

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[divider]The Mother of Toads – réalisé par Richard Stanley[/divider]

Synopsis – Un couple en voyage à Mirepoix rencontre une énigmatique vieille femme, au détour d’un marché. Cette dernière propose au couple de la retrouver chez elle, affirmant qu’elle possède dans son antre une copie du Necronomicon (ouvrage fictif relaté maintes fois dans l’œuvre de Lovecraft, ndlr).

The Theatre Bizarre donne le ton, et justifie d’emblée son titre par la simple présentation de ce court-métrage. Puisant dans un folklore médiéval, sur fond d’incantations et de sorcellerie, The Mother of Toads nous livre l’histoire tragique d’un couple envoûté par les promesses d’une sorcière. Parlons peu, parlons bien : si l’idée de départ reste efficace et prometteuse, le court-métrage se perd vite dans les trop nombreux défauts qu’il laisse transparaître. Des dialogues sans saveur pour un jeu d’acteur médiocre, une histoire sans réel enjeu ni surprise, une photographie nauséabonde… Difficile de s’enthousiasmer pour l’œuvre de Stanley, tant cette dernière accumule les gaffes, en plongeant systématiquement dans chaque faille et chaque cliché du genre. À la rigueur, on retiendra de The Mother of Toads son ambiance particulière, teintée d’une menace aussi latente que sensuelle, quoique résolument malsaine et mystérieuse. Mention spéciale à la musique et surtout au thème lyrique qui habille à merveille les quelques plans de paysages réussis du film.

 

[divider]I Love You – réalisé par Buddy Giovinazzo [/divider]

Synopsis –  Un couple se déchire et se sépare. Leur rupture n’est pas sans conséquences.

I Love You part dans une direction diamétralement opposée à Mother of Toads, tout simplement par le traitement d’un sujet réaliste, sans artifice occulte ni paranormal. À vrai dire, et pendant la majeure partie du court-métrage, les scènes qui nous sont proposées sont assez criantes de réalisme et de pathétisme. Un couple se dispute, l’un veut partir, l’autre non, et cela semble se réconcilier avant de repartir à nouveau sur une séparation… Fuis-moi, je te suis, rien de nouveau sous le soleil. Les premières images du film nous laissent cependant supposer un retournement de situation violent, puisque l’homme se réveille dans sa salle de bain, couvert de sang et avec une profonde entaille à la main. Tout l’enjeu du film réside dans l’explication de cette blessure, et si la chute ne nous surprend pas le moins du monde, la progression qui nous mène à elle demeure relativement efficace. Ne vous attendez pas quand même à un exercice de haut-vol, les dialogues sont plats (rehaussant du même coup le côté ordinaire et le pathos de la situation), et les psychologies bien trop manichéennes pour nous permettre vraiment de nous attacher aux deux protagonistes. Ne soyons toutefois pas trop sévères, puisqu’ après le chaotique Mother of Toads, I Love You remonte un peu (mais vraiment un petit peu) la pente.

 

[divider]The Accident – réalisé par Douglas Buck [/divider]

Synopsis – Une enfant et sa mère sont témoins d’un accident de la route.

Je songeais à arrêter le visionnage du film, tant les deux premiers courts m’avaient laissée sur ma faim. Et puis il y a eu The Accident. Très bref, The Accident n’en demeure pas moins très efficace, et présente un registre bien différent de ses deux prédécesseurs. Il n’est plus question de peur ou de gore ici, mais d’un traitement beaucoup plus fin et psychologique, tout en nuances et poésie. Malgré quelques dialogues mère/fille un peu trop mielleux, The Accident relate la première confrontation d’une enfant face à la mort brutale d’un motard qu’elle avait vu passer quelques secondes avant sa mort. L’ensemble est très efficace, et certains plans, minutieusement choisis, mettent en relief la perception de l’enfant face au corps inerte qui était quelques secondes plus tôt en vie. Pourquoi meurt-on ? Pourquoi la jeunesse n’assure-t-elle pas la vie ? Autant de questions plutôt ordinaires, qui cependant, par le témoignage de l’enfant deviennent vraiment parlantes. On assiste donc à cet accident (ou plutôt, à l’après-accident) de façon omnisciente, et l’on ne peut s’empêcher de penser à ce que cet instant deviendra dans la mémoire de la petite fille. Évoluera-t-il en un trauma, en une expérience marquante pour elle ? Beaucoup de subtilité donc pour ce troisième court. Belles images, ambiance réussie, bref, rien à voir avec les deux premiers.

 

[divider]Wet Dreams – réalisé par Tom Savini [/divider]

Synopsis – Une femme trompée se venge de son mari.

Une histoire vieille comme le monde, en somme. Et je vous rassure, son traitement le sera aussi. Entre mari infidèle sans le moindre scrupule et épouse blessée, victime et affaiblie, rien ne manque au tableau. Le seul twist réside en fait dans la douce mise en place de la vengeance et dans le fait qu’on ignore toujours si l’on se trouve dans le réel, ou bien dans un cauchemar du mari, qui craint les conséquences de son adultère. Passés ces atouts, Wet Dreams nous plonge dans un ensemble de scènes assez surréalistes, mais pas très fines pour autant : le caractère onirique du titre, on peut donc s’asseoir dessus. Pour les amateurs du genre, un peu de gore et de torture au rendez-vous, des cris et du sang. On va dire que ça passe, si vraiment on ne cherche qu’un peu d’hémoglobine.

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[divider]Vision Stains – réalisé par Karim Hussain [/divider]

Synopsis – Une tueuse en série se plaît à revivre et à retranscrire les souvenirs de ses victimes, en extrayant de leur yeux une substance particulière au moment de leur mort.

Quel dommage, car Vision Stains était de très loin le synopsis le plus attrayant de The Theatre Bizarre. Nous suivons donc le parcours atypique de cette meurtrière et de sa quête pour absorber les souvenirs de ses victimes. Beaucoup de poésie, et un background très subtil pour ce court, qui n’en demeure pas moins l’un des plus étranges. Lors de sa diffusion en festival, Vision Stains a provoqué une grande vague de malaise plus ou moins marquée chez les spectateurs : la faute à quelques plans difficiles, mettant en scène des seringues et des yeux. Pas besoin de vous en dire plus, vous frissonnez déjà d’horreur. Passé ce cap, et si l’on ne reste pas obnubilé par ça, Vision Stains propose une réflexion assez mature sur la quête du désir, la pulsion, le devoir de mémoire, la vérité. Un essai globalement réussi et mélancolique à souhait, dont on aurait aimé voir un aboutissement en long-métrage. Le format du court n’est ici pas du tout adapté, et on aurait tellement aimé en savoir plus. Si en l’espace d’une grosse dizaine de minutes, Hussain parvient à nous livrer des bribes brillantes de réflexion, on aurait aimé voir ce propos étendu à deux bonnes heures de film, afin d’en apprécier toutes les nuances.

 

[divider]Sweets – réalisé par David Gregory [/divider]

Synopsis – Encore une histoire de rupture, dans un couple cette fois obsédé par la nourriture.

Et c’est là qu’on hurle au « WTF ». Dernier court-métrage du film (oui je sais, le sixième en fait, mais je sais compter, et je vous explique le reste juste après), Sweets met en scène, une fois encore, une histoire de rupture. En plus de la redite du thème, le court nous plonge dans l’univers nauséabond et surréaliste d’un couple obnubilé par la nourriture. Leur salon, théâtre de la rupture, et jonché d’une multitude de déchets que les deux protagonistes mangent sans rechigner. Cette même scène est entrecoupée de flashback heureux du même couple, à l’époque glorieuse de leur gavage et autres jeux érotico-wtf. S’ensuit une soirée mondaine autour d’accros à la nourriture, une mise à mort du pauvre type largué, et la dégustation de son cadavre. J’ai essayé de chercher une explication à tout cela, en vain. Il n’y pas de cohérence souhaitée, et avec de longues minutes de dialogues insupportables, on subit une surenchère visuelle vraiment dégueulasse. Du sang, de la nourriture à outrance… Critique du besoin d’avoir toujours plus, de la société de consommation, du gavage des oies ? On ne sait pas vraiment, et pour le coup, Sweets vous écœurera à coup sûr. Sans doute le plus détestable et le plus dérangeant de tous, Sweets aura au moins le mérite de vous dégoûter de toutes vos envies culinaires pour quelques temps, et  à l’approche de l’été et de la saison des maillots, on apprécie (enfin, je crois…).

 

[divider]Theatre Guignol – réalisé par Jeremy Kasten [/divider]

Synopsis – Un automate envoûte les spectateurs d’une salle de cinéma, et par le biais de ses récits, les transforme petit à petit en pantins.

Voilà le fameux septième, qui, en fait, est The Theatre Bizarre. Le film commence comme cela, avec ce court-métrage, qui servira de scène et d’introduction aux autres courts. Theatre Guignol est donc « coupé » à chaque apparition d’un nouveau court-métrage, comme une mise en abyme d’un film à l’intérieur du film (filmception, tout ça…). Une jeune femme se retrouve donc « absorbée » dans ce théâtre où s’agitent des marionnettes aux allures baroques et macabres. Le Maître de cérémonie, guère plus rassurant, nous partage donc l’ensemble des histoires du film, et l’on voit à chacune de ses interventions un caractère plus inquiétant.On ne peut s’empêcher de penser à la scène du Silencio dans Mullholland Drive, et cela fonctionne. La jeune spectatrice semble tour à tour amusée, intimidée, terrorisée par le spectacle, jusqu’à ce que l’on se rende compte que les récits de l’artiste transforment peu à peu cette dernière en une énième marionnette qui rejoindra bientôt la scène. Très étrange tant dans sa structure que dans son propos, Theatre Guignol se veut envoûtant et mystérieux, quoique très cliché pour ce qui est de l’aspect baroque. On apprécie particulièrement le jeu de l’actrice, très infantilisée, dont on ignore à tout moment si elle se mettra à rire ou à pleurer. Un Théâtre pour présenter The Theatre Bizarre, astucieux, il fallait y penser.

 

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[divider]En conclusion[/divider]

 

Vous l’aurez compris, The Theatre Bizarre n’aura pas échappé à la malédiction des films à sketches en nous proposant un contenu variable tant dans ses propos que dans sa qualité. On souligne néanmoins l’effort de mettre en avant beaucoup de vecteurs de l’horreur (le paranormal, la violence, le gore, le psychologique) et malgré quelques courts franchement ratés, on se retrouvera au moins dans l’une ou l’autre œuvre proposée. La structure d’un court qui contient tous les autres est également appréciable et l’on se prête volontiers au jeu. Néanmoins, The Theatre Bizarre n’en reste pas moins un film inégal dont on ne peut affirmer qu’il est réussi, au contraire. Bannissez la VF et tentez : certains sketches sont astucieux et plaisent tandis que d’autres décevront, inéluctablement. Pourtant, il m’a été difficile de condamner le film de bout en bout tant l’entreprise est louable. Certaines ambiances demeurent très réussies, et même si l’ensemble n’est pas abouti, on salue le pari et le défi de dessiner l’horreur sous toutes ses formes. Ne perdons pas de vue enfin que les films à sketches restent une denrée rare, que l’on se doit de découvrir avec un œil bienveillant. À tester, sans forcément l’adopter.