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Jin-Roh, chef d’oeuvre du film d’animation pour adultes

Jin-Roh, chef d’oeuvre du film d’animation pour adultes ?

 

Le dessin animé n’est pas un genre réservé aux enfants, on le sait, sans toujours savoir en citer de nombreux exemples : d’abord parce que les plus adultes sont noyés dans la masse des Disney et autres Dreamworks qui monopolisent pratiquement le calendrier des sorties cinématographiques en matière de films d’animation, ensuite parce qu’en France, une tendance contestataire a souvent assimilé dessin animé pas pour les enfants et dessin animé érotisant, à l’exemple de Métal hurlant et des ses épigones.

Lucile « Macky » Herman analyse dans une chronique les séries d’animation pour adultes, qui en adoptant la forme a priori enfantine de dessins animés renverse cette logique pour proposer une causticité décomplexée en même temps qu’un sous-texte social voire politique étonnant. Mais le format de production d’une série animée n’est pas le même que celui d’un film d’animation, dont le coût de réalisation et de distribution rend souvent dangereux une limitation du public.

C’est que le sexe n’est heureusement pas la seule barrière entre les publics adulte et plus jeune de dessins animés, et ce n’est surtout pas la plus stimulante artistiquement. C’est ce qu’ont compris les Japonais, à partir des années 1980 notamment, en proposant des films à la fois bien plus violents et plus complexes que ce à quoi le monde de l’animation était habitué : nous savons tous que Miyazaki ne se limite pas à Mon voisin Totoro, et que nous ne montrerions sans doute pas Princesse Mononoké à un enfant de dix ans ; et des titres comme Akira, Ghost in the Shell nous sont bien connus pour leur ambition qui n’a rien à envier à celle des plus sérieux des films live.

Et Jin-Roh (La Brigade des loups), bien que plus ignoré que les derniers titres évoqués, n’a assurément rien à envier à ces chefs-d’œuvre.

 

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[divider]Qualités historiques[/divider]

 

Jin-Roh est une uchronie, c’est-à-dire que l’histoire prétend s’inscrire dans le cadre réaliste de notre histoire à la différence d’un seul élément, comme Le Maître du haut château de Philip K. Dick qui se déroule dans les années 60 d’un monde où l’Axe aurait remporté la Seconde guerre mondiale.

Ici, on nous demande d’imaginer qu’après leur victoire sur les Japonais, les Américains n’aient pas participé à la reconstruction économique du pays. Une politique de restructuration autoritaire veut rompre son isolement, mais la reprise n’empêche pas une montée spectaculaire du chômage, la multiplication des ghettos, et (donc) l’augmentation de la criminalité. Le mécontentement populaire favorise les groupes anti-gouvernementaux, dont les actions violentes à Tokyo poussent le gouvernement à créer une force spéciale, dotée d’un armement de pointe mais à l’action limitée sur la seule capitale, la POSEM (Police de SEcurité Métropolitaine), la police étant débordée et l’ambition de l’armée laissant craindre qu’elle profiterait abusivement de l’extension de ses pouvoirs.

Les groupes d’opposition violente fusionnent alors pour former la Secte, et les affrontements avec les Panzers, l’unité d’élite de la POSEM, sont de plus en plus nombreux, aucun des deux partis ne bénéficiant plus d’un réel soutien populaire.

Lors d’une intervention illégale mais efficace des Panzers contre la Secte, l’un de ses membres, Fuse, ne parvient pas à tirer sur la jeune fille qui fait exploser une bombe sous ses yeux. Suspendu, il pourrait servir de bouc émissaire à ceux qui veulent la fin des Panzers, tandis qu’une rumeur prétend qu’un groupe d’auto-défense, la Brigade des Loups, aurait été créée au sein de l’unité d’élite.

 

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Cette intrigue politique, où chaque personnage même secondaire possède des motivations propres et contraires aux intérêts des autres, se mêle à l’histoire personnelle de Fuse, que le traumatisme de ce qu’il a vu isole, et qui, en se rendant à la tombe de la jeune fille qui s’est fait exploser, rencontre sa sœur, et commence à entretenir une relation avec elle.

 

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L’histoire n’est pas seulement complexe, elle est traitée avec une grande intelligence et subtilité.

L’introduction du film pourrait pourtant donner l’impression opposée, puisqu’en moins de trois minutes elle livre un nombre record d’informations, dont l’assimilation est d’autant plus malaisée que le cadre est uchronique, en commettant le crime de la voix-off. J’ai rarement eu si peu de mal à le pardonner pourtant, d’abord parce que cette voix off ne sert qu’à exposer les faits : elle n’est pas celle d’un personnage, ne reviendra jamais avec cette fonction, ne perd pas de temps. Ensuite parce qu’elle s’accompagne d’une succession d’images fixes, des photos historiques (en commençant par celle de la bombe) aux pseudo-historiques, n’illustrant pas servilement le propos (avec des images correspondant à la phrase prononcée au même moment), mais dans un rapport plus proche de la bande dessinée avec le texte : l’association des deux fait pleinement sens, historiquement et artistiquement. Et enfin, il y a la musique… Mais on y reviendra.

D’un film employant judicieusement le procédé le plus débilitant offert par la tradition cinématographique, on a envie d’attendre beaucoup. Et on n’est pas déçu : il n’y a pas une ligne de dialogue que l’on supprimerait, fait assez rare pour être noté, le dessin animé nous épargnant même les habituels nipponismes (personnages criant tout le temps, les soka, sodeska et autres polysèmes phatiques – mots dont l’objectif est principalement de maintenir le contact, de parler pour parler si l’on veut).

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Le lien entre officiel et personnel est également traité d’une manière qui impressionne par son humilité, aucun des deux aspects n’étant un prétexte pour l’autre, et aucun n’occupant au détriment de l’autre un supposé cœur de l’intrigue. Le dénouement-même, alors qu’il pourrait extrêmement décevoir, ne fait que forcer l’admiration par son art du refus de s’étendre en d’inutiles circonvolutions – on n’en dira pas plus. Même le choix de montrer un Fuse complètement inexpressif pendant tout le film, y compris dans sa relation avec la sœur, fonctionne sans empêcher l’empathie du spectateur ou l’émotion dégagée par la romance – preuve, s’il en fallait, qu’on peut émouvoir avec une histoire d’amour sans sourires béats ou niaiseries embarrassantes, si l’on peut se permettre.

 

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[divider]Qualités artistiques[/divider]

 

Le film devait à l’origine être réalisé par Mamoru Oshii, à qui Bandai demanda de n’écrire que le script en raison de ses semi-échecs précédents, confiant la réalisation à Hiroyuki Okiura. Le réalisateur de Ghost in the shell, Patlabor, Avalon, scénarisant un film de l’animateur et/ou character designer de Ghost in the shell 1 et 2, Paprika, Evangelion 3, les films Naruto et Cowboy Bebop), voilà qui peut donner une relative idée de la qualité graphique de Jin-Roh.

Le film ne possède en fait qu’un défaut : le dessin assez pauvre des visages, particulièrement dans leur expression, et leur couleur de peau étonnamment brillante, comme nimbée d’une aura, ce qui n’est pas commun, même pour des Japonais.

Et quand je dis un seul défaut, c’est réellement que cela met en valeur les autres qualités visuelles du film, d’abord les fonds : tous les arrière-plans sur lesquels se détachent les personnages sont réussis quand ils ne sont pas excellents. Ensuite, et surtout, les plans. Je n’ai jamais vu de film d’animation aussi « cinématographique », c’est-à-dire employant à ce point la grammaire du septième art en matière de photographie. La grande rareté des travelings pourrait justifier le reproche d’une certaine rigidité, d’une image trop statique, alors qu’elle est une richesse parce qu’elle rend d’autant plus prenants les exceptionnels mouvements de la « caméra », d’ailleurs plus souvent en avant et en arrière que latéraux, et qu’elle est contrebalancée par un montage continuel, idéalement rapide, parfois à la limite du saccadé mais ne sombrant jamais dans le déplorable, variant les points de vue et les types de plan, au point qu’il n’est pas rare de voir un même personnage dans une même scène en plan moyen, rapproché et gros plan, en plongée, contre-plongée et en caméra horizontale, à différents niveaux, selon des choix indéniablement judicieux, et prouvant un œil dont on ne trouve de bon équivalent que dans les meilleurs Miyazaki.

Cette capacité à rendre chaque visuel frappant et évocateur est naturellement au service du récit, aussi bien pour exprimer les rapports de pouvoir ou les états d’esprit des personnages que pour souligner un lyrisme de la scène, d’autant plus important que les métaphores sont assez nombreuses dans Jin-Roh. À commencer par celle du Loup, dès le titre, présent à divers degrés, figuratifs et métaphoriques, dans le récit, jusqu’à une version assez étrange du petit chaperon rouge, qui redouble le récit sur le mode expressionniste.

 

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Une scène parmi les plus remarquables du film d’animation montre ainsi Fuse lire l’histoire du Petit Chaperon rouge, avec en parallèle le même Fuse participant à un entraînement avec d’autres Panzers, ainsi que le rêve qu’il fait de poursuivre la jeune fille qui a explosé au début du récit et qui se transforme en sa sœur poursuivie par les loups, auxquels Fuse n’appartient pas, mais qu’il n’empêche pas de l’attaquer. Deux niveaux de sens s’ajoutent à ces trois-là : le récit en voix off fait par la sœur de l’histoire du petit chaperon rouge, et la musique à la fois tendue et mélancolique, qui ne correspond parfaitement à aucune de ces scènes tout en les couvrant toutes, parce qu’elle exprime l’état d’esprit général de Fuse. Et rien ne paraît dissonant, pas même l’histoire du petit chaperon rouge sur des images d’entraînement militaire avec une musique triste.

 

 

Il faut dire que la musique est parfaite, et l’adjectif est aussi pesé et pondéré qu’il est possible : la composition du plutôt inconnu Hajime Mizoguchi est simplement la plus belle B.O. de film que j’aie jamais entendue, au-delà de toutes celles de Zimmer, Hisaishi, Morricone, Elfman ou Williams. Chaque piste pratiquement a son identité, toutes sont sublimes en plus de coller parfaitement aux images, et de ne jamais être ressenties comme des additions artificielles, venant susciter une émotion qui n’existerait pas sans elles.

Pour finir, une courte scène du film, au tout début, bonne introduction à la violence, la puissance et la beauté du film (ce qui est facile dans un film sans imperfections). Après l’introduction en voix off et des images de manifestants aux prises avec les forces de l’ordre, le « petit chaperon rouge » fuit dans les égouts retrouver ses camarades de la Secte :

 

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