Les Soprano est-elle vraiment la « meilleure série de tous les temps » ?

 

Il existe une période que traverse tout sérivore qui se respecte, une période de doute existentiel à base de « mais que vais-je donc pouvoir regarder maintenant ? » Vous avez fini Breaking Bad et autres Mad Men et êtes désespérément à jour dans votre visionnage de Game Of Thrones, The Walking Dead ou encore True Detective et un simple coup d’œil au programme de ce qui passe ce soir à la télévision vous plonge dans le désarroi ? Ne cherchez plus, Cleek vole à votre rescousse et vous propose, à la manière d’un chineur rétro qui flânerait dans les marchés aux puces à la recherche de la perle rare, de (re)découvrir une série qui a marqué sa génération et ouvert la voie aux créations audiovisuelles telles que nous les connaissons aujourd’hui : Les Soprano.

 

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Si le titre ne vous dit rien (mais alors vraiment absolument rien), n’ayez crainte, nous sommes ici en terre connue chez nos amis d’HBO, ou Home Box Office, qui a, il y a quelques années, flairé le bon filon en diffusant pour notre plus grand bonheur la série Game of Thrones. Pour Les Soprano, cependant, il nous faut remonter un peu plus dans le temps puisque la série a été diffusée sur HBO entre 1999 et 2007. Tournée au New Jersey, le cadre du récit, la série raconte les déboires de Tony Soprano, mafieux de son état, qui tente de concilier sa vie de famille, les rivalités de clan et sa santé mentale, quelque peu mise à mal par la nature assez violente de ses activités. La série débute lorsque Tony Soprano entame une thérapie avec une psychiatre, le docteur Jennifer Melfi, au moment où un certain nombre de bouleversements perturbent le milieu de la mafia.

Devenue un classique, Les Soprano fait désormais partie de la culture populaire et est aujourd’hui considérée comme rien de moins qu’une des meilleures séries de ces vingt dernières années, voire de tous les temps selon de nombreux classements. Cleek vous explique pourquoi, et surtout si la série mérite effectivement ce titre et ses très nombreuses récompenses.

 

[divider]Une démarche narrative originale[/divider]

 

Ce qui frappe au premier visionnage des Soprano, c’est le rythme. S’il peut sembler assez lent en comparaison de séries où actions et rebondissements se succèdent sans répit, il cache cependant ici une intrigue aux ramifications foisonnantes. La série multiplie les détails qui n’en sont pas, non point pour organiser un savant plot twist qui retournera le cerveau du spectateur, mais plutôt pour nous livrer une intrigue cohérente, où tout ou presque trouve sa justification, sa raison d’être et ses conséquences logiques sur la suite du récit. Il en résulte une construction solide aux ressorts scénaristiques incroyablement bien huilés.

 

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Bien loin des outils narratifs traditionnels destinés à entretenir l’attention et l’intérêt du spectateur pour l’intrigue, Les Soprano fait preuve d’une grande confiance et d’une originalité tout aussi remarquable dans le genre très codé du format télévisé, auquel la série a pourtant conféré ses plus belles lettres de noblesse. L’absence de cliffhangers ou de flashforwards créateurs de suspense est flagrante et assez étonnamment rafraîchissante : tout le suspense repose en effet sur les pistes ouvertes par le récit, que la série laisse au spectateur le soin de repérer. Cette « force tranquille » dont fait preuve Les Soprano est assez inédite et, pourtant, force est de constater que ça marche : dénuée de savants artifices, la série a fait le pari de tout miser sur un récit linéaire et malgré cela toujours imprévisible dans ses rebondissements.

 

[divider]Un récit et des personnages complexes[/divider]

 

Car il faut bien avouer que tout l’enjeu du récit tourne autour de l’évolution de ses personnages. Et notamment de son héros principal, Tony Soprano, personnage à la psychologie subtile et complexe dont on ne sait jamais quelle facette on découvrira au prochain épisode. Et la galerie de personnages secondaires qui le complètent dévoile toute une série de caractères intéressants, et également susceptibles d’évoluer au fur et à mesure que le récit progresse.

 

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Les liens qui unissent ces différents personnages sont toujours assez complexes et ambigus, et une multitude de scènes de dialogue laissent une impression étrange au spectateur. Car bien souvent, c’est moins ce qui se dit que les rapports de force qui sous-tendent l’échange qui viennent justifier la scène et sa place dans le récit global. Véritable réussite scénaristique : les scènes d’analyse auxquelles participe le personnage de la psychiatre, Jennifer Melfi, extrêmement réalistes et bien documentées, confèrent au récit une grille d’interprétation d’une grande richesse. Et une dimension dramatique supérieure, où les tragédies des destins individuels se fondent dans la représentation sans fard ni illusion des turpitudes de l’esprit humain.

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[divider]Un passage à la postérité réussi[/divider]

 

Si les noms apparaissant au très bon générique d’ouverture des Soprano, en ce qui concerne les acteurs, peuvent vous paraître relativement inconnus au bataillon, il n’en est rien en ce qui concerne l’équipe technique de la série. En l’espace de six saisons et quelque 86 épisodes, ce qui devait être, au départ, le scénario d’un film s’est avéré d’une telle richesse que le projet s’est finalement tourné vers un format télévisé. On retrouve au générique des Soprano des noms tels que Matthew Weiner, producteur et scénariste de la série, et qui réapparaîtra aux mêmes postes pour la série Mad Men, mais également celui d’un certain Terence Winter, qui récidivera – en tant que producteur et scénariste, également – au générique de la non moins acclamée série Boardwalk Empire.

 

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Une bonne école pour scénaristes ambitieux, Les Soprano ? Peut-être. En son temps, la série a d’abord su s’inscrire dans une lignée d’œuvres inspirées du monde de la mafia italienne. On ne compte plus les références et clins d’œil aux mythiques films de gangsters Le Parrain et Les Affranchis, la série partageant par ailleurs avec ce dernier pas moins de quinze noms communs au casting. Les Soprano présente ainsi une mafia consciente de sa propre mythologie et n’hésite pas à jouer avec les codes du genre, tout en demeurant extrêmement réaliste. À tel point que l’on raconte que la véritable mafia italienne de l’époque, troublée par les similitudes entre la série et la réalité, aurait cherché à savoir si des membres de l’équipe technique de la série ne se procuraient pas des informations auprès d’informateurs au sein de la mafia.

Impossible, également, de ne pas rapprocher Les Soprano d’un autre film où figure le légendaire Robert de Niro, et concomitant de la sortie de la série, soit en 1999 : Mafia Blues, ou le récit – sur un registre beaucoup plus comique, cependant – d’un parrain de la mafia qui décide de se faire psychanalyser. Il faut dire que la série s’amuse des ponts jetés entre la mafia et Hollywood, certains mafieux repentis n’hésitant pas, dans la série, à s’improviser scénaristes pour un cinéma gourmand du genre et aidant à la reconversion vers les sirènes des projecteurs. Plus qu’un simple témoin de son époque et du genre alors très à la mode du film de mafieux, Les Soprano fait partie de ces rares séries qui se sont nourries de leur temps autant qu’elles auront nourri, en retour, l’imaginaire de leur public.

 

[divider]Les Soprano, un prélude à Breaking Bad ?[/divider]

 

Narration atypique, psychologie des personnages, extrême réalisme, générosité des marges d’interprétation, sobriété, justesse, et le destin individuel de Tony Soprano comme être humain, père de famille et parrain de la mafia. Voilà les arguments qui font des Soprano une série à part et un prélude aux « grandes » séries qui font la part belle à la psychologie des personnages, sans se permettre d’astreindre la portée du récit à une espèce de jugement moralisateur sur la nature du bien et du mal. Plus particulièrement, Les Soprano fait indubitablement penser à Breaking Bad, ou plutôt, pour ceux qui n’ont pas, comme moi, le défaut de la jeunesse qui consiste à cheminer à l’envers, Breaking Bad fait indubitablement penser aux Soprano.

Tout y est : le cheminement d’un personnage principal à la psychologie complexe, compromis par la nature illicite de ses activités, le rôle sanglant de l’argent, le rapport à la famille, un récit qui se refuse à se poser en arbitre, les consciences tiraillées et, enfin, une certaine vision de l’Amérique. Breaking Bad et Les Soprano sont deux séries riches de sens et de symbolique, qui ont su déployer un style de narration lent mais extrêmement prenant. Couronnées de succès et acclamées par la critique, ces deux mastodontes du genre sont désormais considérées comme deux des meilleures séries de tous les temps, qui ont su marquer leurs générations respectives.

 

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Si les préférences individuelles peuvent choisir de favoriser l’envergure de l’une plutôt que de l’autre, il est probable que sans Les Soprano, il n’y aurait, peut-être, jamais eu de Breaking Bad, tant la première, pionnière dans ce style de narration lent faisant la part belle à la profondeur psychologique des personnages, a su ouvrir la voie à la seconde, en lui aménageant un public réceptif à ces valeurs d’écriture et un espace télévisuel tout trouvé. La série Les Soprano mérite-t-elle sa place au sein du classement des meilleures séries de tous les temps ? Indubitablement, oui. Continuera-t-elle à influencer les générations successives de séries ambitieuses et soigneusement écrites ? Seul l’avenir nous le dira.