Hype Review – Batman v Superman : L’Aube de la Justice

 

Bonjour et bienvenue dans Hype Review, la nouvelle publication irrégulière de Cleek dans laquelle il s’agira de commenter un film…avant sa sortie. Bandes-annonces, casting, filmographie de l’équipe technique, influences, tout y passera, afin de juger du degré légitime de hype suscité par le long-métrage en question, en essayant de pré-juger de sa qualité, mais toujours dans l’espoir qu’il finisse malgré tout par nous surprendre et surpasser toutes nos attentes !

Cependant, de même que la DVDthèque garantit l’absence de tout spoiler, on ne tiendra pas compte dans cette chronique des photos de tournage ou d’éléments de scénario leakés, dont nous estimons qu’ils risquent de détruire notre étonnement et donc notre plaisir face au film. Nous considérons au contraire que les données analysées étant officialisées par l’équipe du film et les studios eux-mêmes, elles appartiennent à une politique de marketing qui les diffuse pour créer un plaisir d’attente et accroître le plaisir de visionnage (et l’argent récolté). Et s’ils sont assez bêtes pour dévoiler un twist final dans des images promotionnelles, c’est leur problème, pas vrai ?

Enfin, n’hésitez pas à suggérer vous-même des titres de films dont la sortie est prochaine et sur lesquels vous souhaiteriez lire une analyse similaire !

Comment alors mieux commencer une chronique sur les films à venir qu’en abordant celui qui est sans aucun doute le plus attendu de 2016, le Batman v Superman : L’Aube de la justice de Zack Snyder, à sortir le 23 mars prochain ?

 

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[divider]Why so much hype ?[/divider]

 

Comme nous l’analyserons de manière plus approfondie dans un article prochain, Batman v Superman est le premier film DC Comics à vraiment chercher à reprendre la main dans un contexte d’hégémonie cinématographique de Marvel Comics. Non content de réunir les deux super-héros favoris des lecteurs de comics, il est également la pierre angulaire de l’Univers étendu DC qui doit rivaliser avec l’Univers cinématographique Marvel. L’ « aube de la justice » du titre ne signale donc pas tant l’apparition des super-héros, synonyme d’une nouvelle justice, que les débuts de la fameuse « Ligue de justice », ce qui est étayé par la présence dans le film de Wonder Woman, mais aussi d’Aquaman et d’un nouveau Flash, sans doute comme caméos.

Batman v Superman prétend également, comme son nom l’indique, opposer les deux héros, coïncidence amusante avec le lancement de l’arc Civil War par Marvel, ce qui est évidemment une source d’étonnement pour les spectateurs, qui même pour les moins avertis savent que ces deux personnages sont supposés représenter le Bien. Zack Snyder parlait même en pré-production du film d’adapter le The Dark Knight Returns de Frank Miller, l’un des chefs-d ’œuvres du comics, dans lequel Batman sort d’une longue retraite pour combattre non seulement le Joker, mais aussi et surtout Superman, qui s’est associé à un gouvernement américain corrompu parce qu’il y voyait le seul moyen efficace de continuer de sauver des vies. On n’imagine malheureusement pas un film de super-héros condamner fermement la politique américaine, la violence du comics aurait empêché la classification PG-13 (déconseillé aux moins de 13 ans), et la déshéroïsation de Batman et Superman aurait resserré davantage encore le public visé, tout en empêchant la construction ensuite d’une ligue de justice…

Le film se paye surtout le luxe de prendre en compte les nombreux reproches de spectateurs contre Man of Steel, qui se cristallisaient autour d’un point, les destructions massives occasionnées par Superman lui-même dans son combat avec Zod. Les bandes-annonces montrent en effet clairement Superman comparaître devant la justice américaine pour répondre de ses actes sur fond de foule en colère (« Superman = illegal alien », « This is our world, not yours », peut-on par exemple lire sur les panneaux qu’ils brandissent), et le regard de Bruce Wayne quand il voit le bâtiment de la Wayne Financial s’effondrer sous ses yeux laisse peu de doutes sur les raisons de la haine que Batman voue à Superman.

Cette guerre entre les deux héros apparaît avec une force considérable et inattendue tant dans les trailers que dans le court extrait présenté par Snyder lors du O’Brien talk show :

 

[Clark Kent :] On bafoue les libertés dans votre ville. Les gens vivent dans la peur. Cet homme se croit au-dessus des lois.

[Bruce Wayne :] De la part du Daily Planet, critiquer ceux qui se croient au-dessus des lois, c’est un peu hypocrite, non ? Vu que chaque fois que votre héros sauve un chat coincé dans un arbre, vous sortez un édito ronflant sur un extra-terrestre [pourtant] capable de tout mettre à feu et à sang.

[Clark Kent :] Peu de gens partagent votre opinion, monsieur Wayne.

[Bruce Wayne :] Ça doit être mon côté Gotham. Il faut dire qu’on a de mauvais souvenirs de monstres déguisés en clowns.

 

[Superman :] La prochaine fois qu’ils projetteront ta lumière dans le ciel, n’y va pas. La chauve-souris est morte, enterrée. Vois ça comme de la pitié.

[Batman :] Dis-moi, il t’arrive de saigner ? Ça viendra.

 

Il ne s’agit pas seulement de les faire combattre, mais d’accentuer le fossé qui existe entre eux, et les scénaristes ont apparemment eu le bon goût d’assombrir les deux personnages. L’évidente supériorité de Superman, qui pourrait effectivement rendre inutile et plus néfaste que bénéfique l’action violente et limitée de Batman, semble contrebalancée par son orgueil et le fait qu’il se substitue à la justice humaine. On tient bien là la plus intéressante promesse idéologique de ce trailer, la question de la place de l’homme dans un monde où existe un Dieu, avec des allusions assez nettes à ce qu’il y a de meilleur dans le conflit entre Lex Luthor et Superman : la crainte que l’humanité ne devienne dépendante d’une force qu’elle ne peut contrôler, contraire à l’humanisme au sens fort de Luthor, qui veut au contraire responsabiliser les hommes – ce que l’on voit par exemple dans le riche comics Lex Luthor : Man of steel de Brian Azzarello et Lee Bermejo.

Le film semble donc assumer le côté dark associé depuis trente ans aux comics DC, et depuis la trilogie The Dark Knight à leurs films, et jouer cette carte à fond. Cela explique pourquoi on est passé d’un Man of steel 2 à un Batman v Superman, pour lequel les producteurs semblent de surcroît avoir demandé d’insister au montage sur les scènes faisant apparaître le Batman. Comment ne pas attendre un film où Batman marque les criminels qu’il arrête au fer rouge, tandis que la justice de Superman se teinte de grotesque par le fait que chacune de ses bavures peut entraîner la mort de milliers d’innocents ?

Malgré toutes ces promesses, de nombreux spectateurs ont été extrêmement déçus par la dernière bande-annonce, qui contraste en effet singulièrement avec le relatif mystère conservé par la production autour du scénario, en nous livrant à peu près tout, rien que ça.

 

 

Si on se doutait que Batman et Superman mettraient fin à leur combat pour affronter un adversaire commun, seul ciment solide pour la future ligue de justice, il est curieux de voir leur union dès le trailer, preuve si besoin était que la moitié des images de destruction sont sans doute tirées de la bataille finale des héros contre un super-vilain et non de celle entre les deux héros, et explication trop claire du titre : Snyder déjà expliquait qu’il avait choisi Batman v Superman au lieu de Batman vs. Superman pour que le titre soit plus subtil. Il s’agit en fait bien d’euphémiser la relation conflictuelle en assimilant presque la lettre qui sépare les deux noms à un signe qui les réunirait, le Batman & Superman dans lequel se muera le film.

Que semble-t-on comprendre très manifestement de l’histoire dans cette bande-annonce ? Que Lex Luthor manipule Batman en assimilant Superman au Joker (lequel a probablement tué son Robin) pour parvenir à la destruction de ce dieu, qui menace sans doute davantage ses intérêts que ceux de l’humanité (le cinéma n’aime pas les méchants avec des motivations humanistes). Devant l’échec de Batman, il transforme le cadavre de Zod en monstre, évoquant le Doomsday des comics, ses destructions massives contraignant les héros à s’allier.

L’affrontement subtil de deux conceptions du Bien devient ainsi affrontement contre un méchant-brute, assurément le moins stimulant des antagonistes pour un film de cette ampleur, et la multiplication des personnages nuit aussi bien à l’efficacité du trailer qu’il risque de nuire à elle du film : d’abord, au moins trois méchants principaux (Batman/Superman, Luthor, Doomsday) ; ensuite, même si on l’apercevait en civil au début de la bande-annonce, l’arrivée de Wonder Woman arrive comme un cheveu sur la soupe, le rythme étant de surcroît cassé par l’échange entre Batman et Superman (« Elle est avec toi ? » « Non, je croyais qu’elle était avec toi ! »), qui a apparemment lieu au milieu de la mêlée. Or l’humour sur le champ de bataille est une caractéristique des films Marvel que l’on espère absent des productions plus « réalistes » et sombres de DC, où les personnages sont supposés prendre le salut du monde au sérieux.

Ce « réalisme » est d’ailleurs également ébréché par l’apparition d’éléments inutilement « folkloriques » dans la bande-annonce (auxquels on ne prêterait peut-être pas tant d’attention dans le fil du film) : un énorme morceau de kryptonite que contemple Lex, le fait que Wonder Woman porte son « lasso de vérité », porte un bouclier indestructible et produise des ondes de choc avec ses bracelets…

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[divider]Des comics et des hommes[/divider]

 

Une grande partie de la hype autour d’un film vient de l’élément humain, l’équipe technique et le casting, dont le travail peut amplement faire pardonner les craintes suscitées par un scénario outrageusement divulgué.

Et le nom le plus important à être associé à ce projet est bien entendu celui de son réalisateur. Zack Snyder était, à défaut de Christopher Nolan, le choix le plus évident pour réaliser Batman v Superman. On considère ordinairement que le comics est entré dans l’âge de la modernité en 1986 avec la publication de deux comics extraordinaires chez DC, Watchmen, d’Alan Moore et Dave Gibbons, et The Dark Knight Returns de Frank Miller. Or Snyder avait déjà adapté Watchmen en 2009 de manière très réussie, malgré la réputation inadaptable du graphic novel, après avoir réalisé en 2007 le film 300, adaptation d’un comics…de Frank Miller. Ce publicitaire réputé est connu pour son amour de la stylisation outrée et pour sa confiance dans la force narrative des images, qui lui permet de se passer de cartons explicatifs ou de voix off assumant maladroitement une fonction d’exposition. Il est significatif que son premier film ait été un remake du Dawn of the Dead de Gorge Romero, connu justement pour son efficacité, et on se souvient à ce titre de la première scène mémorable de Sucker Punch, entièrement muette alors qu’elle lance tout le récit. Rien de plus naturel donc que de lui confier Man of Steel, pour lequel il avait su assagir son style, les relents d’esthétisme mettant en valeur la nature surnaturelle de Superman, et devant le succès commercial du film, malgré un succès critique en demi-teinte, de lui maintenir la confiance des studios. On peut donc compter sur une colorimétrie très sombre, dont on voit dans la bande-annonce qu’elle n’est remise en cause que par une série d’images d’un jaune sale, peut-être oniriques (la même couleur dominait certains des délires de Babydoll dans Sucker Punch), et déchirée par des effets lumineux (éclairs, vision thermique), sur des scènes de dialogue peut-être plus platement réalisées, contrastant avec des scènes de combat grandioses (l’assassinat du Comédien au début de Watchmen, le combat final entre Zod et Superman…), qui à défaut d’une playlist pop seront soulignées par les compositions épiques de Hans Zimmer.

Toujours fidèle au poste, le meilleur compositeur de BO de films des dix dernières années a récemment diffusé un extrait de la piste « Their War here ».

Il a déclaré vouloir rester dans la continuité de Man of steel, ce qui est naturel puisque Batman v Superman en est la suite officielle, tout en s’imposant comme défi de rompre totalement avec son travail pour les Dark Knight de Nolan, qui appartenaient en effet à une continuité différente. On reconnaît bien ici son air « Arcade », mais cet extrait laisse également présager les accusations d’auto-caricature que l’on entend de plus en plus souvent à l’égard de Zimmer : un air que l’on connaît auquel on ajoute des basses et des chœurs, l’épique par le vacarme. Avouons que cela fonctionnait parfaitement dans Man of steel, que je suis allé voir une deuxième fois quelques jours après ma première déception pour me focaliser sur la musique, ce qui a rendu ce deuxième visionnage étonnamment plus appréciable parce que la dimension épique en était bien plus évidente une fois mises de côté les faiblesses scénaristiques. Il ne travaillera cependant pas seul, puisqu’il s’est vu associer les services de Junkie XL, un musicien qui a versé dans le métal industriel, l’électronique et la progressive house et auquel on doit les BO entre autres de Divergente, Night Run, Mad Max, Strictly Criminal, Point Break, Deadpool. Donc pas nécessairement des compositions mémorables, mais des musiques d’accompagnement de qualité, qui seront peut-être sublimées par la coopération avec Zimmer.

Ajoutons-y deux techniciens habituels de Snyder, David Brenner, un monteur spécialisé dans le cinéma pour les mirettes (300 : Rise of an empire, Man of steel, la plupart des Roland Emmerich, plusieurs Oliver Stone) et le directeur de la photographie Larry Fong, qui avait travaillé sur 300, Watchmen et Sucker Punch. Pour la claque graphique au moins, les attentes promettent de ne pas être déçues !

Parce que le scénario, on l’a vu, paraît étonnamment inégal, comme dans Man of steel finalement, où des idées excellentes étaient minées par des dialogues plats et des explications sans cohérence. On retrouve David S. Goyer, dont l’omniprésence à Hollywood ne manque pas de surprendre : certes, il a co-écrit The Dark Knight (on n’est pas de loin de lui accorder un passe-droit à vie), mais aussi les insuffisants Man of steel et The Dark Knight rises, et les inavouables Ghost Rider 2, Jumper, Batman Begins, tous les Blade…  Il est accompagné dans l’écriture par Chris Terrio, qui n’est guère connu que pour son travail sur Argo…et auquel on a déjà promis les scénarios des deux prochains films Justice League, preuve s’il en est que les studios ont aimé son travail sur Batman v Superman !

Techniquement, le film est alléchant, ne reste donc plus qu’à jeter un œil au casting, qui a beaucoup fait parler de lui, et qui permet une remarque importante : alors que chez Marvel on fait appel à des réalisateurs peu connus afin d’assurer le contrôle total des studios, au point que Joss Whedon s’est plaint de la pression sur Avengers 2 et qu’Edgar Wright s’est retiré d’Ant-Man, et que l’on favorise des acteurs peu connus, les films DC, produits par la Warner, frappent par la remarque contraire. Certes, Gal Gadot (Wonder Woman) s’est fait connaître en jouant dans Fast and Furious et Jason Momoa dans Game of Thrones, et appartiennent donc bien à la catégorie d’acteurs qui cherche la renommée par les grosses productions, tandis que Laurence Fishburne, Amy Adams, Diane Lane, appartiennent à l’habituel cortège de seconds rôles de prestige…

Mais la présence de Ben Affleck ne correspond à aucun de ces cas de figure, au contraire, l’engagement d’une personnalité oscarisée pour ses réalisations sérieuses qui accepte de consacrer un temps considérable au rôle de Batman a de quoi surprendre…et stupéfie quand on apprend qu’il s’est proposé pour réaliser le prochain film consacré à Batman, prévu avant 2020 ! Il apporte à ce rôle une maturité intéressante puisqu’elle poursuit le travail de Christian Bale tout en contrastant avec la jeunesse de Henry Cavill, excellent interprète de Superman d’ailleurs. On regrettait que l’excellent Matthew Goode (Ozymandias dans Watchmen, l’oncle dans Stoker, Hugh Alexander dans Imitation Game) ait été recalé pour le rôle, après le peu d’intérêt manifesté par Ryan Gosling et Josh Brolin,  mais il faut admettre qu’un justicier nocturne âgé contre un justicier diurne inexpérimenté n’est certainement pas la dialectique la moins intéressante proposée par le rôle et la confrontation de ces deux personnages ! Les trailers accentuent cependant une hyper-expressivité naturelle au jeu de Ben Affleck, dont il faut espérer qu’elle choquera moins dans le film.

Deux autres surprises sont constituées par les choix de Jesse Eisenberg et Jeremy Irons. Le premier, révélé dans The Social Network, est un acteur talentueux qui cherche à faire sa marque dans des productions plus indépendantes (The Double, Night Moves, Louder than Bombs), ce qui ne paraît pas correspondre avec le cabotinage en Lex Luthor que montre le trailer. Il paraît cependant parfait dans sa double-fonction de comic relief aux sous-entendus appuyés et de marionnettiste psychopathe, et ajoute beaucoup au charme des bandes-annonces. Irons, quant à lui, a peut-être un rôle aussi secondaire que le laisserait entendre le peu de temps qui lui est consacré dans ces images, mais qu’un acteur aussi réputé et possédant une présence aussi forte succède à Michael Caine manifeste une volonté passionnante de ne pas négliger le personnage d’Alfred Pennyworth malgré l’âge du nouveau Bruce Wayne. Les paris pour déterminer qui volera la vedette à l’autre dans les dialogues entre les deux acteurs sont ouverts !

 

Superman face à Luthor
Brian Azzarello, Lee Bermejo, Lex Luthor : Man of steel.

 

[divider]L’heure du bilan…en attendant le film ![/divider]

 

Malgré une dernière bande-annonce maladroite et des craintes notamment scénaristiques dont tout laisse prévoir qu’elles sont fondées, on ne se départit pas de l’espoir d’assister à un chef-d’œuvre du cinéma super-héroïque qui obligera Marvel à reprendre en considération l’existence de la Distinguée Concurrence, Batman v Superman ayant assez de cordes à son arc pour se distinguer par son intelligence et ses parti-pris esthétiques des productions similaires, ces qualités étant encore trop rares dans le genre !

Rappelons que Batman v Superman sortira le 23 mars en France, soit deux jours avant la sortie américaine, et sera proposé en IMAX et 3D – pour une fois, cette technologie ne risque pas de ternir les couleurs à l’écran, le film promettant déjà de ne jouer que sur des teintes sombres. Son budget d’environ 250 millions de dollars en fait l’un des films chers de l’histoire du cinéma, et il durera 151 minutes.