Bienvenue dans le troisième numéro de notre série spéciale consacrée aux héroïnes de saga ! Minoritaire face à ses collègues masculins, l’héroïne de saga est une figure rare des paysages littéraires et vidéo-ludiques. Après nous être attentivement penchés sur ce qui faisait la réussite d’héroïnes telles que la hackeuse Lisbeth Salander ou encore la sorcière Hermione Granger dans les précédents épisodes, nous nous attaquons aujourd’hui à une héroïne très populaire. Le cheveu si blond qu’il en est presque blanc, l’iris améthyste, et accompagnée de dragons cracheurs de feu, Daenerys Targaryen a conquis le public de Game Of Thrones aussi sûrement que les villes qu’elle tient désormais sous son joug.

 

Daenerys Drogo

 

Plus encore que les héroïnes de Millénium ou de Harry Potter, Daenerys incarne la très délicate question de la représentation des femmes de pouvoir. Si Lisbeth Salander est une figure solitaire et vengeresse, et Hermione Granger l’élève appliquée et légèrement surpuissante sur les bords, Daenerys, elle, asservit carrément des villes entières et prétend conquérir rien de moins que le légendaire Trône de Fer. Dans la saga polyphonique Game Of Thrones, Daenerys est une personnage parmi tant d’autres, mais son parcours et le destin qui sont le sien font d’elle un personnage à part. Isolée à l’autre bout de la carte, Daenerys semble être, au début de l’aventure, un personnage semblable à Arya ou Sansa, du fait de sa vulnérabilité de femme dans un monde en proie à la guerre, et du sort peu enviable que lui réserve un Viserys assoiffé de reconquête. Mais notre chère tête blonde sera, au fil des chapitres, appelée à s’élever jusqu’à atteindre un niveau vertigineux de pouvoir. Focus sur une conquérante qui n’a pas froid aux yeux.

 

[divider]Divine Daenerys[/divider]

 

Car le secret de la fascination exercée par Daenerys réside là : au départ victime des ambitions de son frère, Daenerys, soumise et vendue comme une vulgaire esclave à un seigneur de guerre dont elle ne parle pas la langue, connaît une progression fulgurante. Tel un conte de fée fichtrement sanglant, du statut d’esclave, Daenerys passe à celui de reine régnant sans partage sur ses conquêtes terrestres. Subissant, comme la plupart des femmes de l’univers ravagé de GoT, la menace du viol, Daenerys Targaryen, pourtant très jeune, se révèle pleine de ressource, et passe, avec courage, de la position de femme-objet à celui de femme-sujet, fût-ce aux dépens de son frère.

 

“Je ne veux pas être sa reine, s’entendit-elle répliquer d’une voix ténue, si ténue…Par pitié, Viserys, par pitié, je ne veux pas, je veux rentrer à la maison.
– À la maison ? » Il continuait à parler tout bas, mais d’un ton vibrant de rage. « Comment rentrerions-nous à la maison, sœurette ? Ils nous l’on prise, la maison ! » Il l’entraîna dans l’ombre, à l’abri des regards, et ses doigts lui broyèrent le bras. […] « Je ne sais pas ! hoqueta-t-elle enfin, les yeux pleins de larmes.
– Moi, si, dit-il sèchement. Nous rentrerons à la maison, sœurette, avec une armée. Avec l’armée de Khal Drogo. Voilà comment nous rentrons à la maison. Et, à cet effet, tu dois l’épouser, tu dois coucher avec lui. Tu le feras. » Il lui décocha un sourire. « Au besoin, j’aurai laissé tout son khalasar te baiser, sœurette. Chacun des quarante mille hommes, et leurs chevaux en prime, si cela devait me fournir mon armée. Remercie-moi : c’est seulement Drogo. À la longue, tu en viendras peut-être à l’apprécier. A présent, sèche-moi ces larmes. Le gros nous l’amène, et il ne te verra pas pleurer. »
En se retournant, Daenerys dut se rendre à l’évidence. Tout sourires et tout courbettes, maitre Illyrio conduisait en effet le khal vers eux. D’un revers de main, elle acheva de ravaler ses larmes. […] Daenerys, bien droite, se mit à sourire.”

 

Véritable self-made woman, c’est à la force de son intelligence, de sa capacité adaptation, de sa résilience et de sa capacité à susciter l’admiration et le meilleur chez ses sujets que Daenerys s’en sort. Dans un chapitre mémorable qui se termine avec un léger arrière-goût de chair brûlée, Daenerys nous montre tout le chemin parcouru : parlant désormais plusieurs langues, et farouchement déterminée à protéger les siens, tout en ralliant son objectif final, Westeros, Daenerys émerge loin, loin au-dessus de la vulgarité du vendeur d’esclaves, qui croit l’insulter à son insu mais tombe finalement lui-même dans un piège habilement tendu. Daenerys nous rappelle régulièrement que, mi-Targaryen par le sang, mi-Dothrakie de coeur, elle allie des capacités de leader politique avec une redoutable ambition de conquérante.

 

daenerys-the-ruler

 

Il y a en elle une dimension de grandeur, morale et humaine, qui ne laisse personne indifférent. À tel point qu’elle en devient idolâtrée, adorée de ses sujets, qui voient en elle la chance d’un salut inespéré. Elle-même traitée comme une esclave, Daenerys rêve d’affranchir les Cités Libres, et ne recule devant aucun adversaire politique. Même les Fils de la Harpie, même la difficile Meereen. Et lorsqu’elle s’extirpe de ce guêpier, elle le fait par le haut, à dos de dragon, comme pour mieux signifier sa nature presque divine. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, malgré les sirènes des courtisans et son pouvoir, elle reste seule aux commandes. Ni Viserys, ni Khal Drogo, ni les attentions de Jorah Mormont, ni son amant, ni son mariage de convenance ne l’écartent du pouvoir. Aussi libre, féroce et indépendante qu’Arya, elle joue cependant son jeu à bien plus grande échelle.

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Mais Daenerys sera-t-elle la rédemption de Westeros, ou bien sa perte ? Car notre héroïne est tout sauf univoque, et la capacité corrosive du pouvoir pourrait bien mettre le feu aux poudres. Sa volonté sans faille de reprendre le Trône de Fer, de venger le terrible sort réservé à sa famille, et les choix stratégiques mêmes qu’elle effectue peuvent l’entraîner vers un dénouement tragique. Quelque part, son obsession, qui n’est pas loin de virer, parfois, au fanatisme, s’apparente à la conviction de Stannis que le Trône de Fer est sien, et que la fin justifie les moyens employés pour s’en emparer. Mais au contraire de Stannis, Daenerys, recentrant l’action et le cours des évènements du récit autour d’elle, elle, cherche une troisième voie. Celle qui lui permettra d’échapper à la violence, et à la manipulation de ses propres alliés. La trouvera-t-elle ? C’est là tout l’enjeu de sa reconquête.

 

[divider]George R. R. Martin, l’enfant terrible de la Fantasy[/divider]

 

Du haut de ses 66 ans, George R. R. Martin mène son œuvre avec une certaine passion du détail, une écriture fluide, ainsi qu’un certain féminisme. Dans une interview accordée au Telegraph, le créateur de Daenerys, Arya, et Brienne de Torth déclare sans détour qu’il est, au fond, foncièrement féministe. Et l’engouement de son public féminin autour des personnages qu’il a créés, est, selon lui, une de ses plus belles réussites. Loin de tout manichéisme, c’est la profondeur psychologique et l’ambivalence de ses personnages qui font des filles de Game Of Thrones des figures crédibles, et attachantes. Confrontées aux mêmes défis que les hommes – mourir, ou se battre -, il suffit de se pencher sur les talents létaux des « Aspics des Sables » de la Maison Martell, ou sur la fougue d’Asha Greyjoy pour comprendre que George R. R. Martin prend ses personnages féminins, et leur capacité à se battre, très au sérieux.

 

Daenerys par ©avvart, sur deviantart
Daenerys par ©avvart, sur deviantart

 

« Que le personnage soit féminin, ou masculin, je crois qu’il faut le peindre en nuances de gris. » Telle est la conviction de George R. R. Martin, auteur de Fantasy au talent fou et créateur de Daenerys. Est-là la clé du succès de son personnage ? Daenerys, l’enfant exilée, l’adolescente qui rêvait d’une maison à la porte rouge, à l’ombre d’un citronnier, de rentrer chez elle, est maintenant une reine, et entreprend de libérer un continent, pour mieux conquérir l’autre. Mais ses faiblesses, et ses doutes, rendent le personnage humain, et faillible. D’une grande beauté, ce qui n’a pas manqué de contribuer à renforcer le mythe qui l’entoure, Daenerys séduit avant tout le lecteur de par sa capacité à avancer, et à bousculer l’ordre des choses. Actrice géopolitique majeure, au même titre que Mélisandre, Cersei, ou Margaery, elle a, en plus, une puissance de feu qui fait toute la différence. Et l’intime conviction que son destin est intimement lié au dénouement final de la saga n’amoindrit en rien l’importance d’un personnage susceptible de tout faire basculer. Son nom, tout droit sorti de l’imaginaire de George R. R. Martin, se démarque cependant de la rondeur féminine des fins en – a, de Sansa à Arya, en passant par Nymeria. Non, on retrouve chez le nom de l’Imbrûlée toute la majesté de la toponymie targaryenne. Daenerys rime avec « Dae », ou « grandeur », en coréen, et « Nerys », qui signifie « dame» en gallois. Qu’on se le tienne pour dit.

 

Le sang tiède lui emplit la bouche et ruissela sur son menton. Le goût …, le goût la menaçait de nausées, mais elle se força de mastiquer, déglutir. À condition toutefois que la mère le mangeât intégralement, le cœur d’étalon était, aux yeux du moins des Dothrakis, censé procurer au fils vigueur, promptitude et intrépidité. Mais qu’elle répugnât au sang ou vomît la viande, et les présages en étaient moins fastes : l’enfant risquait de venir au monde soit mort-né, soit débile, ou monstrueux, voire de sexe féminin.