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Héroïne de saga, mode d’emploi #1 : Lisbeth Salander

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Elle a les cheveux noir de jais et vous avez peut-être déjà croisé son regard dans les couloirs de la FNAC. La parution prochaine du tome 4 de la saga littéraire Millénium signe le grand retour de la turbulente hackeuse scandinave Lisbeth Salander. Ce qui ne me tue pas, sortira le 27 août et est d’ores et déjà disponible en précommande chez tous les bons libraires. L’occasion pour Cleek d’initier une toute nouvelle série d’articles sur cette figure encore trop rare : l’héroïne de saga. Créer une héroïne qui accrochera le lecteur – ou le joueur – dans la durée et sera le personnage principal d’une œuvre « grand public », est-ce une gageure ? Un pari risqué, reposant sur une alchimie mystérieuse ?

 

Princesse Mononoké

 

Il faut le croire, car les filles représentaient, en 2013, 38% des héros individuels des livres pour enfants, et 10% des héros de BD. Quel que soit le support sur lequel on se penche (et le jeu vidéo n’est malheureusement pas une exception), l’héroïne est une figure plus rare, minoritaire. Cleek a sélectionné pour vous six héroïnes de saga qui aimeraient bien faire mentir ces satanées statistiques. Elles font partie du cercle très fermé des personnages principaux du récit – ou du jeu – ou en sont même le héros unique. Parmi elles, la très badass Lisbeth Salander a su s’imposer comme le personnage principal et indissociable de la saga au succès mondial Millénium, signée Stieg Larsson. Genèse d’une héroïne grand format.

 

[divider]Sensationnelle Salander[/divider]

 

Au commencement, il y eut Mikael Blomkvist. Dès les premières pages du premier tome de la série Millénium, c’est le personnage du journaliste suédois que l’on suit, dans l’amorce d’une enquête qui annonce un format de polar somme toute assez classique. Une disparition, un mystère, et une ribambelle de suspects dans le huis clos hivernal d’une petite île de Suède. L’arrivée du personnage de Lisbeth Salander, dont on ne sait alors presque rien, donne un grand coup d’accélérateur et fait réellement décoller l’intrigue, pour lui faire atteindre les sommets d’une saga désormais culte. Lisbeth Salander est Millénium, aussi sûrement que si chacun des livres était frappé de son nom. Hackeuse de renommée internationale, sous le pseudonyme de Wasp, Lisbeth est petite, maigre, fait preuve de capacités d’esquive et de frappe inhérentes à sa pratique de la boxe, est farouchement indépendante, percée, arbore un style gothique parfois radical, est bisexuelle et jamais sans sa moto. Eh oui, tout ça à la fois.

 

Noomi Rapace est Lisbeth Salander dans le film de Nils Arden Oplev (2009)

 

Armanskij avait du mal à s’habituer au fait que son plus fin limier soit une fille pâle, d’une maigreur anorexique, avec des cheveux coupés archicourt et des piercings dans le nez et les sourcils. Elle avait un tatouage d’une guêpe de deux centimètres sur le cou et un cordon tatoué autour du biceps gauche. Les quelques fois où elle portait un débardeur, Armanskij avait pu constater qu’elle avait aussi un tatouage plus grand sur l’omoplate, représentant un dragon. Rousse à l’origine, elle s’était teint les cheveux en noir aile de corbeau. Elle avait toujours l’air d’émerger d’une semaine de bringue en compagnie d’une bande de hard-rockers.

 

Alors que Blomkvist pourrait être qualifié d’intellectuel, curieux et patient, on ne compte plus les fois où Lisbeth en a fait baver aux méchants de l’histoire à grands coups de poings. Peu loquace, mystérieuse et aux multiples talents, Lisbeth n’est jamais là où on l’attend, et Mikael Blomkvist le super-journaliste s’est depuis longtemps résigné à la voir parfois disparaître du jour au lendemain, sans donner de nouvelles. Au cœur du « mystère Salander » il y a une haine des sadiques, des pervers, et des hommes violents qui croisent sa route, et, placée sous tutelle contre sa volonté à cause d’une enfance malmenée, une longue quête pour retrouver sa liberté perdue. Ce mystère nébuleux qui entoure Lisbeth se dissipe peu à peu mais reste plein de questions en suspens et de zones d’ombre. Au fil des tomes et à mesure qu’elle met fin aux agissements de ses ennemis, Lisbeth se fait enlever certains de ses tatouages, qu’elle avait fait faire comme une promesse de vengeance.

Millénium ne cherche pas à atténuer la réalité de la violence à laquelle son héroïne se retrouve sans cesse confrontée, et offre au public le personnage iconique d’une jeune femme entière, sans concession, sans compromis, parfois en marge de la loi, radicalement indépendante et qui – dans un renversement des rôles assez rare pour être souligné – sauvera même la vie de Mikael Blomkvist. Souvent touchant, parfois violent, toujours bien écrit, Millénium est l’écrin d’une héroïne comme vous n’en avez jamais vue, et la fascination qu’elle exerce sur le lecteur est un moteur de lecture aussi efficace que le suspense pur de l’intrigue.

 

[divider]Stieg Larsson, plume de combat[/divider]

 

La vérité était – depuis longtemps elle l’avait constaté – qu’elle aimait fouiner dans la vie d’autrui et révéler des secrets que les gens essayaient de dissimuler. Elle avait agi ainsi – sous une forme ou une autre – depuis aussi longtemps qu’elle pouvait s’en souvenir. Et elle le faisait encore aujourd’hui, pas seulement quand Armanskij lui donnait des missions mais parfois rien que par plaisir. Cela faisait pousser en elle une poussée de satisfaction – exactement comme dans un jeu vidéo compliqué, à la différence qu’il s’agissait de personnes vivantes. Et voilà que tout à coup son hobby était installé dans sa cuisine et lui offrait des bagels. Situation totalement absurde.

 

Derrière Lisbeth Salander, dont il partage, inversées, les initiales, se cache Stieg Larsson, journaliste suédois engagé contre le racisme, l’extrémisme d’extrême-droite, résolument féministe, et plusieurs fois menacé de mort par ses ennemis politiques. Lorsque l’idée du roman le traverse subitement, en 2001, il se met à écrire, d’abord par plaisir, sans même considérer une publication. Il écrira ainsi plus de trois mille pages en trois romans avant de se tourner vers un éditeur. Dans la seule interview qui nous soit restée de lui, on apprend que Stieg Larsson, critique de romans policiers, connaissait bien les rouages du genre pour l’avoir longuement étudié.

Et là, révélation : à l’origine de la création du personnage de Lisbeth Salander se cache une autre célèbre héroïne de fiction suédoise, que vous connaissez tous. Fifi Brindacier, la petite fille superforte créée par l’écrivain Astrid Lindgren. « Comment serait-elle aujourd’hui ? […] Je ferai d’elle une adulte de 25 ans, et une paria. Elle n’a pas d’amis, et peu d’aptitudes sociales » confiait alors Larsson. Et face à l’immense Lisbeth Salander, celui qui fera contrepoids, inspiré d’un autre personnage de Lindgren, Kalle Blomkvist, le petit garçon détective. Et peut-être un peu, dans son intégrité, son humanité, et son combat, le personnage de Mikael Blomkvist, le journaliste, tient-il de Stieg Larsson lui-même.

 

 

Né en 1954 et mort en 2004 à Stockholm d’une crise cardiaque à l’âge de 50 ans, Stieg Larsson avait, quelques mois avant sa mort, remis ses manuscrits à un éditeur. Devenu mondialement célèbre à titre posthume, sa trilogie se vendra à plus de deux millions d’exemplaires en Suède et sera traduite en non moins de 25 langues pour 75 millions d’exemplaires vendus à travers le monde. Stieg Larsson envisageait un Millénium 4, 5, et même 6, en tout, dix livres dont il n’aura finalement eu le temps d’écrire que le tiers.

À l’issue d’une bataille juridique féroce, sa compagne depuis plus de 20 ans ne pourra récupérer les droits de l’œuvre, l’absence d’un mariage lui retirant tout droit à prétendre à hériter de lui. Ces derniers sont donc revenus à la famille de Larsson, qui a donné son accord pour que la série se poursuive. Si le filon littéraire est en effet loin d’être tari – l’attente immense suscitée par la parution prochaine du tome 4 le prouve –  la mort brutale de l’auteur et la « récupération » de l’œuvre par sa famille est devenue source de polémiques. David Lagercrantz, chargé de poursuivre l’écriture de la saga, confiera n’avoir « jamais travaillé aussi dur de sa vie » et n’avoir « jamais été aussi terrifié de la réaction des lecteurs ». Verdict le 27 août.

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