Still Walking, loin des yeux, près du cœur

 

Bienvenue dans votre série d’articles consacrée au 7e art, côté asiatique. Comme toujours, nous allons nous pencher sur une œuvre un peu à part, et emblématique de cette patte orientale qui nous transporte vers une autre façon de faire du cinéma. Après avoir fait escale au pays du matin calme dans notre précédent numéro consacré à Stoker, nous levons l’ancre et repartons vers un pays voisin : le Japon. C’est à l’occasion de l’article inaugural de la série Les Bijoux du cinéma asiatique, avec le film Departures, que nous avions pour la première fois posé nos valises au pays du soleil levant. Nous y revenons aujourd’hui pour vous présenter un nouveau film : Still Walking, du réalisateur Hirokazu Kore-Eda, sorti en 2008.

 

STILL+WALKING

 

Still Walking raconte l’histoire de la famille Yokoyama. Le fils, Ryôta, va rendre visite à ses vieux parents à la retraite, accompagné de sa nouvelle femme et du fils qu’il a adopté. Chaque année, la famille commémore la mort accidentelle du fils aîné, Junpei, décédé en sauvant un autre garçon de la noyade. Le film se déroule sur environ vingt-quatre heures, en unité parfaite de temps et de lieu, et raconte les relations des membres de cette famille frappée par le deuil, et tournée malgré elle vers le passé. Ryôta, un peu barbé par cette visite familiale à laquelle il ne peut couper, redoute les réactions de son père bougon et de sa mère qui n’a pas sa langue dans sa poche lorsqu’il leur présentera ce qui est désormais sa nouvelle famille, et a encore du mal à comprendre l’obsession presque morbide qui empêche ses parents d’avancer au-delà de ce jour fatidique où leur fils aîné a quitté ce monde.

 

[divider]Une histoire de famille[/divider]

 

Still Walking est sans aucun doute l’un des meilleurs films d’Hirokazu Kore-Eda, et malgré un synopsis qui aurait pu en effrayer plus d’un, rien n’est lourd ni mélodramatique dans ce film de 114 minutes. À la manière d’un tableau impressionniste, Kore-Eda peint, par petites touches d’humour, de lumière et des actions banales du quotidien, la réalité de cette famille et des relations complexes qui la sous-tendent. La subtilité et l’amour du détail, si caractéristiques de la culture japonaise, sont omniprésents dans le film, et on se prend à s’attacher au clan des Yokoyama, malgré les vacheries, les incompréhensions mutuelles et même le choc des générations : cette famille, c’est la vôtre. Kore-Eda aime profondément ses personnages et ne verse jamais dans la caricature, ni la critique : il pose sa caméra pour capturer la fragilité du moment présent, la beauté d’un instant fugace, à peine perçu qu’il nous a déjà échappé, dans ce coup de génie temporel qu’est Still Walking. En effet, si le film nous parle indubitablement de mémoire, et du poids du passé sur ces parents qui ne pourront jamais complètement faire leur deuil, le choix d’avoir organisé le récit sur une journée nous fait toucher du bout des doigts l’aspect fragile et éphémère du présent.

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Dans la chaleur du Japon en été, et plus particulièrement dans la ville balnéaire de Yokohama, le film déploie sa puissance évocatrice, dans le vent qui agite les arbres ou dans la fraîcheur d’une pièce de la maison familiale. Les relations entre les personnages sont données à comprendre au spectateur au détour d’une phrase, d’une anecdote ou d’un regard, toujours avec légèreté et sans pathos démonstratif. Still Walking est un film rare, capable de traiter du sujet du deuil en faisant rire ses spectateurs, et surtout, apte à capturer l’essence d’un drame familial, dans ce qu’il peut avoir de plus cruel, de plus tragique, mais aussi de plus ordinaire. Longtemps après avoir vu le film, il y aura fort à parier que certaines scènes vous resteront en mémoire, comme la scène du papillon, l’anecdote du vol dans le champ de maïs, et bien sûr la géniale scène de fin, en plan fixe, que je vous laisse le plaisir de découvrir. La musique est quant à elle à l’image du film, un peu passée, un peu nostalgique, et intervenant à petites touches subtiles, sans jamais prendre le pas sur l’image, mais toujours en complétant le tableau général du film par quelques notes de musique, discrètes mais efficaces.

La fameuse chanson du film, décrit par la grand-mère comme « une vieille chanson à la mode », Blue Light Yokohama, qui a donné son nom au film vous restera en tête comme la touche finale, douce-amère, de nostalgie cruelle, du film. Son refrain, « Aruitemo, aruitemo », que l’on pourrait traduire par « tout en continuant de marcher » est ce qui a donné son titre au film dans sa version japonaise, ensuite traduit pour les versions anglophones et francophones par « Still walking ».

 

https://www.youtube.com/watch?v=MZ7RiVZvc-Y

 

Profondément juste et universel, Still Walking étonne par son humanité, et sa capacité à s’adresser à chacun d’entre nous, à nos souvenirs d’enfance et aux relations compliquées et maladroites, pleines de non-dits avec les membres de notre propre famille. Il est difficile de ne pas être touché par la beauté fragile du film, sa tendresse pour ses propres personnages et son art magistral de capturer le temps qui passe. Et une certaine émotion dans des scènes du quotidien, aussi banales que de préparer le repas ou de prendre une photo de famille. Loin des clichés et sans une once de mélodrame, Kore-Eda nous donne rien de moins qu’une petite leçon de cinéma, minimaliste, tout en maîtrise et en authenticité.