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Le déclic artistique : les grottes de Lascaux

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Et si les grottes de Lascaux avaient été un préquel de Slenderman ?

 

Et si les œuvres d’art telles que nous les connaissons aujourd’hui avaient été réalisées à notre époque ? Et si Leonard de Vinci, Michel-Ange, Picasso, van Gogh, Dalí, Delacroix, Manet, ou même les hommes de Lascaux, avaient été des hommes de notre temps, internautes plus ou moins aguerris, et consommateurs avertis de technologies ?

C’est en partant de ce postulat que Cleek vous propose, au travers de cette nouvelle petite série, de découvrir ou redécouvrir certaines œuvres majeures de l’histoire de l’art passées à la moulinette de notre culture pop et geek. Une interprétation résolument moderne (pour ne pas dire décalée) viendra donc servir le propos d’une analyse plus technique, pour appréhender d’un nouvel œil cette discipline souvent mal-aimée qu’est l’histoire de l’art.

C’est un petit coup de graphite pour Cleek, mais grand saut dans le temps pour nous que cette nouvelle réflexion puisque nous retrouvons cette semaine nos ancêtres très lointains, ceux qui ont colonisé des grottes pour des raisons obscures, et qui ont lancé la mode du ravalement de façade artistique (que l’on appellera peintures rupestres et pariétales, pour un peu plus de classe) : c’est en effet du côté des grottes de Lascaux que nous pénétrons aujourd’hui.

 

[divider]Un lascar, des Lascaux[/divider]

 

Les grottes de Lascaux, c’est un peu le préquel de Slenderman de la Préhistoire.

 

Les grottes de Lascaux, France

 

Certains s’indigneront, d’autres s’enthousiasmeront, et il y aura ces quelques personnes qui ne hausseront qu’un sourcil peut-être un tantinet interrogateur, mais guère bouleversé : « Encore un nouvel opus de Slenderman ? ».  Il faut dire que les jeux portant l’appellation « Slender », qu’ils proviennent de l’équipe de développement originelle Parsec Production, ou qu’il s’agisse de versions indépendantes, ont pullulé depuis l’apparition de cette bien étrange figure et de ces quelques pages disséminées aux quatre coins d’une forêt et de ses bâtiments. Oui mais attention, il ne s’agit pas de n’importe quel opus.

Car proposer des DLC, c’est bien (et certaines compagnies se sont spécialisées là-dedans). Mais proposer un DLC qui offre une nouvelle approche du jeu, c’est mieux. Et là, on peut dire que c’est du lourd. Et du vieux. Du très très vieux, même, puisque ce nouveau contenu, au nom très poétique de « les grottes de Lascaux », n’est rien d’autre qu’un préquel du jeu Slenderman : The Eight Pages. Bien qu’aucune date très précise ne soit offerte pour précisément situer le joueur dans le temps, alors que les opus les plus connus de Slenderman s’épanouissent dans les années 2010, les grottes de Lascaux nous font remonter dans un premier temps dans les années 1940, puis au Paléolithique, soit il y a quelques 18 000 ans de cela. Si le contexte donne un petit coup de vieux, le scénario ne prend quant à lui pas une ride, et se base sur la découverte de notre héros, comme vous avez sans doute déjà découvert une (ou plusieurs) des huit pages de Slenderman : The Eight Pages.

 

Une des huit pages de Slenderman : The Eight PagesJookpub

 

Ce scénario est une fois encore simple, mais bien ficelé : notre personnage esseulé, Marcel Ravidat découvre une cavité lorsque son chien Robot – non non, Robot, c’est son nom, ce n’est pas un chien-robot – (dont la présence sera par ailleurs très rapidement effacée dans le jeu) poursuit un lapin. Curieux (bien évidemment), le jeune garçon de la Dordogne profonde s’introduit dans la cavité et y découvre un réseau de grottes et de couloirs. Certains crieront au complot puisque ce concept même d’une découverte de grottes – et de dessins sur les parois de cette grotte – avait été utilisé en Espagne par un certain Marcelino (Coïncidence ? Je ne crois pas.) Sanz de Sautuola dans les années 1875. Comme tout bon héros de film ou de jeux vidéo d’horreur, Marcel se retrouve de façon improbable coincé dans cet environnement a priori hostile, et s’attache donc à l’explorer de fond en comble (pour en trouver une sortie, peut-on supposer), armé de sa seule lampe à huile. Au grès de ses déambulations, notre jeune héros va donc finir par découvrir des dessins sur les murs de cette grotte, des dessins bien énigmatiques qui vont donc le plonger au cœur d’une légende, celle d’un être, humanoïde, mais pas réellement humain, aux proportions anormales, et sans visage : le Slenderman de la Préhistoire.

 

Notre nouveau – enfin, ancien – Slenderman (Représentation d’un homme – Lascaux)

 

Bien que détournée, l’inspiration est plus que flagrante (je vous invite à comparer les deux images précédentes, si le doute persistait). Tous les éléments d’un bon Slender sont donc réunis : une ambiance sinistre, dans un endroit abandonné et étouffant, une lumière qui nous fait défaut, d’étranges images à récupérer, et un monstre légendaire qui nous poursuit alors qu’il nous faut réunir toutes les images pour espérer sortir… Car oui, bien évidemment, une grotte, c’est sombre, c’est glauque, c’est sinistre, c’est clos, et la nôtre est bien évidemment abandonnée à cause d’un champignon qui s’attaque aux peintures murales (d’où un emplacement de ces peintures toujours différentes dans notre jeu).

C’est donc un gameplay à la fois traditionnel et nouveau qui nous est ici proposé : la faible lumière que l’on a nous est apporté par une lampe à huile, au rayonnement fluctuant, ajoutant aux graphismes angoissants par quelques ombres jetées des plus sinistres, des sons qui résonnent toujours plus dans notre casque de par la caisse de résonance que se trouve être une grotte, une déambulation sans fin à la première personne, l’œil à l’affût pour un monstre ou un dessin. Les différences majeures résident bien évidemment dans le traitement de l’ambiance d’époque et du graphisme. Ainsi, quand Slenderman : The Eight Pages prône un art rupestre (terme utilisé parfois à tort et à travers pour signifier l’ensemble des œuvres d’art réalisées – généralement sur des roches, mais ici sur papier – EN PLEIN AIR), le DLC les grottes de Lascaux met en avant l’art pariétal (ensemble des œuvres d’art réalisées – généralement sur des roches – DANS DES GROTTES). Cela ouvre donc la porte à d’autres DLC qui pourraient quant à eux très bien se dérouler en Afrique ou en Amérique latine, par exemple.

 

« It’s a Bird… It’s…» – Les bien mystérieuses lignes de Nazca – Pérou (Source)

 

Côté graphisme aussi, les développeurs ont décidé de ne pas y aller avec le dos de la souris. C’est ainsi un environnement particulièrement réaliste, en 3D, qui nous est proposé, pour une immersion totale. Côté graphisme du monstre, difficile de le juger : toute la tension du jeu réside dans le fait qu’on ne le croise jamais. Ou que ceux qui l’ont croisé n’ont jamais pu en témoigner. Ce sont aussi et surtout les fameuses pages (enfin, ici nos peintures pariétales) qui s’illustrent par un graphisme renouvelé, bien que préhistorique (dans son sens le plus littéral). Principalement à la peinture (la gravure peut se trouver dans ce genre d’art, mais n’a pas fait l’objet de tests de la part des développeurs), animaux et divers symboles plus ou moins mystiques sont représentés, comme des contours de mains, en plus de notre fameux personnage humanoïde. Généralement purement figuratives, parfois narratives, comme des scènes de chasse, ces représentations ne comportent pas de texte, cependant, pour rendre plus crédible l’immersion dans l’époque préhistorique.

Attention cependant à ne pas penser que ces peintures sont des divagations brouillonnes d’enfants munis de pigments divers. Chaque dessin raconte son histoire. Ainsi, à l’image des peintures égyptiennes, la profondeur et le mouvement sont représentés par l’accumulation, à peine décalée, d’éléments de différentes couleurs, ou à l’aide de contours plus clairs. Cela permet notamment de représenter un troupeau, des scènes de chasse ou de guerre. Difficile de savoir avec précision le sens de ces représentations, cependant : à l’image des pages de Slenderman, le message est plutôt cryptique et vient ajouter à l’ambiance du jeu (en plus de poser un enjeu : celui de la sortie).

 

Bestiaire de la grotte Chauvet (maintenant Grotte Chauvet 2 Ardèche) – France (Source)

 

Bien évidemment, dans un monde comme le nôtre, toute idée (bonne ou mauvaise) peut faire et fait vraisemblablement l’objet d’une reprise, d’un détournement, voire d’une parodie. Ainsi, Bansky, une sorte de Slenderman anglais des temps modernes et réels, a lui aussi voulu explorer l’univers préhistorique. Toujours à l’image des pages de Slenderman : The Eight Pages, ses dessins vont et viennent, apparaissent et disparaissent sur les murs des villes anglaises au fil des jours et des coups de karcher, n’étant pas toujours du goût des municipalités britanniques. Ce graffeur anglais sans visage et anonyme sévit ainsi de façon imprévisible, tel le célèbre monstre filiforme, et pourtant nombreux sont les gens, tels les joueurs, à être à la recherche d’une apparition d’un nouveau dessin, aux messages pour le coup très clairs. Le nombre de pages ne semble cependant pas être encore fixé pour cette version-ci du jeu.

 

Banksy

 

Loin de révolutionner l’histoire du jeu, ce petit DLC préhistorique qu’aurait pu être les grottes de Lascaux est pourtant à l’origine d’un art plus que millénaire, et qui coule aujourd’hui encore des jours heureux, jusque sur les parois des rames de métro. Comme quoi, le déclic artistique peut voir attendre au prochain coin de rue !

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