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Les Frères Coen #2 : No Country For Old Men

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Rétrospective consacrée à Joel et Ethan Coen : No Country For Old Men.

Présidents de la 68e édition du Festival de Cannes qui s’est clôturée dimanche dernier, les Frères Coen, qui ont remporté la Palme d’Or cru 1991 avec leur film Barton Fink, ont finalement remis le prix édition 2015 au réalisateur Jacques Audiard, pour son film Dheepan. Suite et fin d’une rétrospective qui leur est consacrée, c’est bien aujourd’hui, aux Frères Coen que nous allons nous intéresser, pour leur film sorti en 2007, No Country For Old Men.

Adaptation au cinéma du roman éponyme de Cormac McCarthy, No Country For Old Men a été quatre fois oscarisé, avec les prix de meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur dans un second rôle pour Javier Bardem et meilleur scénario adapté. Film majeur de leur filmographie, No Country For Old Men s’est insinué, à l’instar de The Big Lebowski, jusque dans la culture geek avec le meme désormais culte de Tommy Lee Jones, extrait du film :

 

Implied Facepalm

 

Célébrés pour leur humour noir et leur sens unique du décalage et de l’absurde, les Frères Coen signent avec ce western contemporain un film sombre et pessimiste sur les conséquences d’un trafic de drogue qui, s’il se déroule à l’époque du film dans les années 80, offre une réflexion sur la société américaine actuelle. Suivez la piste de l’hémoglobine en pays texan et préparez-vous pour un voyage au pays de la mort et de l’absurde.

 

[divider]Dans la lignée de Fargo[/divider]

 

No Country For Old Men raconte l’histoire de Llewelyn Moss, un chasseur texan qui trouve un jour, par hasard, les cadavres de trafiquants de drogue qui se sont livrés à un règlement de compte dont personne n’est sorti indemne. Llewelyn met la main sur deux millions de dollars et se retrouve bientôt poursuivi par un tueur au sang-froid, Anton Chigurh, qui retrace la piste de la mallette en suivant le signal de son émetteur. Le shérif Bell, vieil homme de loi calme mais désabusé, se lance lui aussi sur la piste sanglante de l’argent. Qui retrouvera Llewelyn le premier, et qui ressortira vivant de cette épopée meurtrière ?

 

 

De nombreux aspects de No Country For Old Men rappellent le film Fargo, des mêmes Frères Coen, sorti en 1996. On y retrouve une somme importante d’argent semant la mort et la désolation sur son passage, un tueur psychopathe taciturne et prompt à exécuter ses semblables, l’homme de loi sur la piste du tueur et les passants innocents, coupables de s’être trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment. Les compagnons des protagonistes se retrouvent également pris dans l’engrenage meurtrier à leur corps défendant, dans un crescendo de cynisme et de violence qui élève cependant No Country For Old Men bien au-delà de son prédécesseur tant dans l’ambition du récit que dans la virtuosité de la mise en scène. Si les Frères Coen ont manifestement pris du galon, ce sont les mêmes thèmes qui agitent leur répertoire dans un regard vif et implacable sur la société américaine.

 

[divider]La Mort aux trousses[/divider]

 

Le méchant de No Country For Old Men, interprété par Javier Bardem, est décrit dans le film comme un « psychopathe meurtrier », de par ses façons de tuer résolument non-orthodoxes, comme lorsqu’il n’hésite pas à parier, avec elle, la vie d’une victime à pile ou face. Anton Chigurh, c’est la figure de la Mort elle-même, inexpressive, dont on ne peut stopper l’inexorable avancée et qui laisse dans son sillage des traînées de sang des victimes qu’elle a abattues sans aucune hésitation ni état d’âme. Fascinant, sombre et glaçant, on ignore tout des motivations du personnage. L’appât du gain ? Probablement pas. Dans une scène brève mais révélatrice, en passant sur un pont, Chigurh essaie assez gratuitement de dégommer un corbeau qui se trouvait là. Plus fort que la Mort elle-même (Edgar Allan Poe et ses volatiles n’ont qu’à bien se tenir), le « mystère Chigurh » est peut-être explicité au début du film : l’enfant meurtrier mentionné par la voix-off n’est probablement autre que lui.

 

Javier Bardem est glaçant dans le rôle du tueur Anton Chigurh

 

Javier Bardem incarne donc un personnage de mort qui fait froid dans le dos, mais qui représente quelque part une vision assez cynique du destin et de la violence : aléatoire, absurde, mais sûre de frapper quiconque aura le malheur de croiser sa sanglante route. Anton Chigurh est probablement le véritable « héros » du film, et dans tous les cas très certainement son personnage principal, dans une déconstruction du processus d’identification du spectateur au héros du film. C’est un méchant redoutablement intelligent, mais dont les capacités de séduction s’arrêtent là, car Anton Chigurh est dépourvu de charisme et plus encore, d’humanité. Il ne tue pas par vengeance, il ne tue pas par mission, il ne tue pas par principe, Anton Chigurh tue parce qu’il le peut.

 

[divider]Et la morale du film est…[/divider]

 

[alert type=red ]Nous allons nous pencher dans cette section sur la fin du film No Country For Old Men. Si vous ne l’avez pas encore vu, prenez garde aux spoilers.[/alert]

No Country For Old Men est un film terriblement cynique, violent, et dont la fin n’a rien d’heureux. Il serait cependant faux de le croire dépourvu de tout message, et s’il déconstruit l’affrontement traditionnel entre le Bien et le Mal de façon apparemment amorale, le film engage le spectateur sur une piste de réflexion plus profonde qu’elle n’y paraît.

No Country For Old Men est un film sur la fin d’une génération, mais aussi, paradoxalement et parallèlement, sur un cycle de violence qui n’a de cesse de se renouveler. Tommy Lee Jones incarne un shérif, dans une figure de cinéma qui rappelle la justice des westerns. Proche de la retraite, fatigué et dépassé, le shérif Bell échoue à stopper l’effusion de sang car son rôle est désormais obsolète. Engoncé dans la nostalgie du passé, il refuse de se confronter à la réalité violente de ses jours actuels, et la scène de fin est emblématique de ce gouffre temporel d’un homme confronté à ce qu’il pense être la perte des valeurs de l’Amérique.

 

Sur ce point, cependant, le film porte un regard sans concession. Le western, temple de la confrontation honnête à pistolets tirés (tandis qu’Anton Chigurh incarne une mort violente qui frappe sans prévenir) n’est pas une mise à mort juste, et la justice du shérif n’y est pas plus pertinente. La situation initiale nous présente un effet une fusillade entre cartels dans un décor de western : on y devine un affrontement traditionnel en bonne et due forme, dont il ne ressort aucun survivant. « Et je me suis réveillé » est la dernière phrase du film, car le rêve du passé de Tommy Lee Jones est une fiction d’une époque plus rationnelle et juste. La Mort telle qu’elle nous est présentée au travers du personnage d’Anton Chigurh est une figure atemporelle d’une violence qui n’épargne personne, et à laquelle les autres protagonistes, qui ne cessent de rêver à leur « retraite », pensent, à tort, pouvoir échapper.

 

[divider]La Fin d’un Eden[/divider]

 

 

No Country For Old Men, adapté du roman éponyme de Cormac McCarthy, dont nous reparlerons très prochainement ici, réussit son pari d’un récit lucide et sans concession qui raconte, avec un sens aigu de la mise en scène, le trajet ponctué de morts violentes d’une mallette de deux millions de dollars. Il est intéressant de noter que l’apparition de l’argent entraîne la fin de l’innocence partout où il passe, peu importe que les personnages l’aient cherché ou non, car elles en sont les victimes passives et inéluctables. Les deux enfants sur leur vélo de la séquence de fin sont côte à côte et unis dans la même direction, jusqu’à ce que l’un entre en possession d’un billet vert semeur de discorde qui les fait se retourner l’un contre l’autre.

Géographiquement, No Country For Old Men déplace le curseur de la ruée vers l’Ouest, souvenir empreint d’une nostalgie erronée, pour le replacer dans la réalité plus contemporaine Nord – Sud, de part et d’autre de la frontière mexicaine, où la violence fait fi des frontières. Véritable succès international et critique, No Country For Old Men a fait date et représente un film charnière dans la filmographie des Frères Coen, dont il est l’apogée en termes de virtuosité de la mise en scène et de finesse dans le regard critique qu’ils portent sur l’Amérique.

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