Jeu vidéo, set et match pour le sport ?
Sport et jeux vidéo : voilà deux concepts dont l’association reste encore très problématique et qui est loin de recevoir la bénédiction de tous. Si la question du jeu vidéo comme un sport à part entière se pose de plus en plus avec l’essor de ce que l’on appelle « eSport », un autre aspect de cette relation couramment jugée antinomique est souvent laissé de côté : la place du sport dans le jeu vidéo.
Dans le cadre de cet article, et pour tenter de clarifier un peu les termes de notre réflexion et ne pas, ainsi, nous perdre dans des considérations quelque peu délicates, nous nous limiterons à voir le sport comme une activité physique impliquant une mise à l’épreuve et à contribution du corps et de ses muscles (pouvant impliquer un caractère compétitif). Cette définition contextuelle du terme « sport » exclut donc notamment l’eSport et autres activités que l’on jugera plus intellectuelles.
Quelle relation entretient le jeu vidéo avec le sport, et plus précisément ici l’activité physique ? Si l’on a vu qu’il pouvait être de façon très anecdotique (dans l’idée, en tout cas) bon pour la santé, le gaming dénote globalement toujours une image négative d’un joueur pâle et boutonneux dont le fauteuil aurait fini par épouser les formes plus que rondes. Il est vrai, que l’on remette en question cette image ou non, qu’à l’instar du poker ou des échecs (activités pour lesquels le statut de « sport » est là aussi contesté) les jeux vidéo ne constituent pas exactement une activité des plus physiques. Si cela demande indéniablement certaines capacités physiques (précision, dextérité, rapidité, très bonne vision, moral d’acier, etc), il faut reconnaître que le corps n’est pas plus que cela mis à contribution. C’est du moins ce que l’on était tenté de dire avant que certains jeux ou consoles ne fassent leur apparition.
Alors, gaming et activité physique, un mariage voué à l’échec ?
[divider]Le con dit quoi ?[/divider]
Le jeu vidéo est par définition fictif (même s’il s’inspire ou non de faits réels). C’est l’occasion pour les éditeurs et développeurs de faire de nous les héros (avec le grand H de Hollywood) que nous ne serons jamais. Et si tous les personnages que nous jouons n’ont pas des super-pouvoirs, il faut cependant leur reconnaître une certaine force de caractère. Physique. Car que vous l’ayez remarqué ou non, les personnages que nous incarnons (je ne parle évidemment pas des jeux de stratégie de style Age of Empires) ne semblent pas subir les épreuves du temps ou même du corps, et leur condition physique est mise à dure épreuve : la condition physique n’existe tout simplement pas.
Qu’est-ce que j’entends par « condition physique », me direz-vous ? Eh bien, je n’irai pas jusqu’à dire que les personnages sont invincibles, puisque le principe même d’une grande majorité de ces jeux implique la réussite du joueur sans que le personnage ne meure : c’est bien pour cela que vous êtes généralement doté d’une barre de vie et que vous avez tendance à voir l’écran en rouge quand vous vous montrez un peu trop imprudent. Et pourtant, cela n’empêche pas nos personnages de jeux vidéo de faire preuve d’une endurance des plus extraordinaires lorsqu’ils en viennent à devoir courir. Ou sauter. Ou nager. Ou grimper. Ou courir de nouveau. Ils ne sont jamais à bout de souffle (sur terre comme sous les eaux), et les courbatures ne semblent pas exister dans leur monde. De même, aucun immeuble duquel sauter n’est trop haut, et la surcharge causée par tout équipement de type militaire ou de survie n’est pas au programme. Et ne parlons pas de la faim ou de la soif.
À ce titre, il serait tentant de citer bon nombre de ces jeux (Outlast, Assassin’s Creed, Tomb Raider, m’entendez-vous ?), mais contrairement à nos personnages préférés, nous nous fatiguons rapidement. Au contraire, la fatigue dans les jeux vidéo, c’est pour les faibles. Bien sûr, certains personnages et certains jeux perdraient sans doute de leur charme s’il fallait s’arrêter tous les kilomètres pour cause de points de côté, ou si le personnage refusait tout net de grimper à un mur sous prétexte que ses muscles le font souffrir. Cela étant, il semble acquis pour tout un chacun que le personnage de jeux vidéo est un sportif-né. Qu’il soit journaliste ou étudiant en archéologie, chacun semble avoir reçu un entraînement paramilitaire en guise de jogging du dimanche avant de se retrouver embarqué dans son histoire. Remarquez, les personnages de jeux vidéo ont une ligne plutôt athlétique et les personnages en surpoids ne sont pas exactement monnaie courante. À part peut-être Wario et les Sims (et encore, qui a vraiment créé un Sims obèse, hein ?). Cela permet déjà de résoudre un peu la question.
La notion de sport et celle de condition physique ne sont donc pas spécialement abordées en tant que telles à l’intérieur même de certains jeux vidéo, mais elles restent bien présentes. Ainsi, il est intéressant de noter une certaine tendance au réalisme avec certains jeux, comme The Forest, jeu de survie, certes, et où cela prend donc une place toute particulière, mais où la santé se détériore en l’absence de nourriture, et où la fatigue est un critère important, ou dans un certain nombre de jeux (parlons de GTA ou de Tomb Raider) où certaines capacités physiques comme l’endurance ou l’agilité à l’escalade font l’objet d’une gradation et peuvent donc être améliorées par de l’entraînement et l’attribution de certains points. Un bon point, donc, pour le monde du jeu vidéo pour qui, malgré tout ce qui a pu être dit précédemment, le sport n’est pas un élément négligeable.
[divider]Un coup du sort avec la paix en plus[/divider]
En effet, dire que sport et jeux vidéo ne font pas bon ménage serait un raccourci un peu trop expéditif. Depuis les débuts du jeu vidéo, et de façon d’autant plus variée maintenant, le gaming a eu à cœur de s’attaquer à cet univers très riche qu’est le monde sportif par le biais du jeu de simulation. C’est ainsi en 1958 que voit le jour ce que l’on considère communément comme le premier jeu vidéo de sport : Tennis for Two. Bien que sa nature de jeu vidéo soit remise en question par certains (n’ayant pas été créé pour être joué sur un écran dit « classique », mais sur un oscilloscope), c’est le premier jeu à mettre en scène – de façon simpliste, il faut le reconnaître, mais faisons preuve d’un peu d’indulgence – un sport, à savoir ici, comme vous l’aurez sans doute deviné, le tennis, concept que l’on retrouvera quelques années plus tard dans le plus célèbre Pong.
Bien que précurseur, la simulation de tennis n’est pas ce qui a fait la gloire du jeu vidéo de sport. Ce sont en effet deux autres sports qui se sont principalement illustrés dans le monde du gaming et qui ont su tirer profit de cette nouvelle tendance : la course automobile et le football. De par la multitude de supports et de déclinaisons, mais aussi de par la popularité de ces sports, les jeux de simulation de course et de foot ont su s’imposer. C’est ainsi pas moins de treize éditions de FIFA Football (à raison désormais d’un opus par an) que nous propose Electronic Arts depuis 1993 (sans parler de la vingtaine de versions de son concurrent direct Pro Evolution Soccer ou PES édité par Konami). Le coup de force de la simulation de course automobile ne consiste pas uniquement en la variété de jeux vidéo inspirés (puisque l’on retrouve d’innombrables simulations de Grands Prix, mais aussi de façon plus décalée la série des Mario Kart) mais aussi en un format bien spécifique : l’arcade. Le réalisme a en effet été poussé plus loin encore grâce aux bornes d’arcade équipées de volant et de pédales, équipement qui sera par la suite développé pour les consoles et ordinateurs particuliers et qui ajoute à l’engouement nourri pour ce genre de jeux.
La simulation de sports ne se limite cependant pas à cela, et de nombreux autres sports essayent régulièrement de tirer leur épingle du jeu. Si certains nous font désormais plus sourire qu’autre chose (et pourtant, j’ai adoré pouvoir galoper à la poursuite de papillons et de chevaux mystérieux dans la série de jeux Alexandra Ledermann), il faut admettre qu’il y en a pour tous les goûts. Les simulations de golf ont ainsi été très nombreuses, au même titre que les simulations de sports d’hiver (qui n’a pas joué à une simulation ski et/ou de snowboard, notamment ?). Basketball, football américain, hockey, rugby et autres sports de ballon sont aussi apparus sur le marché, et certains autres sports que l’on pourrait penser plus marginaux (il ne s’agit pas ici d’une critique de ces sports, je tiens à le préciser) ont aussi su conquérir un public certain, comme le vélo ou les sports de combat, à l’image des jeux Le Tour de France (édité par Cyanide) ou Ultimate Fighting Championship (ou UFC, édité par EA Sport).
Le sport est très clairement un marché très porteur pour les éditeurs. Electronic Arts ne s’y est par exemple pas trompé, et a ainsi tout spécialement créé un label spécifique en 1993 sous le nom de EA Sports, label qui perdure toujours aujourd’hui. Et le sport ne se décline plus uniquement sous la forme de la simulation de l’activité elle-même, puisque des versions « Management » de la plupart de ces sports existent elles aussi. Pas besoin d’être sportif, donc, pour jouer à des jeux vidéo de sport. Du moins, pour jouer à ces jeux-là.
[divider]Le jeu vidéo physique[/divider]
La fin d’année 2006 révolutionne le monde de la console et sonne le début d’une nouvelle façon de jouer. C’est en effet une nouvelle façon d’aborder l’interaction jeu/joueur que la Wii, développée par Nintendo, propose. Une ébauche de mouvement pouvait déjà être perçue chez le joueur type dont la tendance la plus primitive et la plus instinctive était de se pencher lorsqu’il prenait un virage en ski ou en voiture dans le jeu. Mais c’est désormais une réelle mise en mouvement du joueur qui est proposée grâce à cette nouvelle console et sa manette. Peut-on dire que la pratique du jeu vidéo est alors devenue sportive ?
Notons en tout cas que le titre de lancement qui accompagne alors la console en 2006, Wii Sports, est un pot-pourri de différents sports – tennis, baseball, bowling, golf et boxe – qui invite donc le joueur à simuler pour de vrai l’action physique liée au sport choisi. Des précautions d’emploi particulières accompagnent par ailleurs la console, et nombreux sont les signalements d’accidents (entorses et tendinites notamment) liés à la pratique de ces jeux sur console, aussi risible cela puisse-t-il être. C’est donc un tout nouveau niveau de simulation du sport. Le mouvement se confirmera avec la sortie en 2009 du premier Just Dance (qui se retrouvera aussi sur la console concurrente Xbox 360 et son périphérique Kinect apparu en 2010).
Mais le plus représentatif de cette nouvelle pratique du jeu vidéo (ou cette nouvelle pratique du sport, au choix) restera sans doute selon moi le jeu Wii Fit. Sorti courant 2007/2008 comme titre phare pour accompagner le nouveau périphérique de la console Wii, la Wii Balance Board, ce jeu n’est à vrai dire même pas un jeu (selon les critères que l’imaginaire collectif a pu établir en tout un chacun). Il s’agit en réalité d’un ensemble d’exercices de yoga, aérobic, gymnastique et autres disciplines à tendance sportive à pratiquer devant son écran de télévision, qui devient alors un coach personnel. Le sport devient dès lors une activité vidéo-ludique, et geeker prend alors un tout nouveau sens. Si, du moins, l’on peut qualifier cette pratique ainsi. Jouer devient un sport.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Le mouvement entamé par le jeu vidéo pour contrecarrer la sédentarité typique du gaming et qui faisait justement l’objet des critiques se poursuit, notamment par le biais des dernières évolutions technologiques. Ainsi, si certains projettent une immersion visuelle dans nos jeux vidéos favoris grâce à la réalité virtuelle (ou réalité augmentée) et à ses lunettes phares du moment (que ce soit les très célèbres Occulus Rift, ou des projets plus discrets comme celui de Sony ou l’association de Valve et HTC), d’autres veulent pousser non pas le bouchon mais l’idée plus loin. Non content de voir, vous pourrez dans un futur normalement relativement proche marcher, courir, sauter, vous accroupir, en gros, vous déplacer, comme votre personnage. Plus question de vous asseoir dans votre canapé pour jouer, votre terrain de jeu sera désormais un bien étrange tapis. Différents projets sont en cours de développement : Cyberith propose ainsi le Virtualizer, et Virtuix l’Omni (tous deux soutenus par des campagnes de Kickstarter plus que réussies). Mais ce ne sont certainement pas les seuls. Le principe reste globalement le même, et vous pouvez le découvrir grâce aux deux vidéos de présentation ci-dessous.
[cbtabs][cbtab title= »Le Virtualizer de Cyberith »]
[/cbtab][cbtab title= »L’Omni de Virtuix »]
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Parfois explosif, parfois fade, le mélange entre sport et jeux vidéo n’est cependant pas stérile. Marché qui n’a cessé de marcher, le jeu vidéo se fait volontiers sportif, et la pratique elle-même du jeu vidéo devient de plus en plus physique. N’y voyez point de conscience altruiste ou de considérations sanitaires : c’est surtout une nouvelle expérience et une immersion toujours plus réelle dans le jeu qui est recherchée, et cette immersion passe donc par la transformation du joueur lui-même comme manette pour une identification toujours plus complète. Un jour, peut-être, le geek sera vu comme un fervent sportif. Et ce jour est sans doute plus proche qu’on peut le croire !