Troisième et dernier article du dossier sur le Penspinning, où nous allons explorer un peu plus en profondeur cette discipline de jonglerie. Il faut bien l’avouer, le terme de Penspinning est assez méconnu et peu de gens s’intéressent à ce hobby en occident. Pourquoi peut-on observer tant de mépris pour les « majorettes du stylo » ?
Si vous avez raté les deux premiers articles, il est toujours temps de se rattraper :
[divider]Un passe-temps pour les cancres[/divider]
Jongler en classe est rarement bien vu. Cependant, l’environnement scolaire apporte au jongleur en herbe tout ce dont il a besoin pour apprendre le Penspinning : un stylo et du temps pour apprendre de nouvelles figures, beaucoup de temps. Dans un pays où les étudiants restent bloqués plus de sept heures par jour dans des salles de classe ou amphithéâtres, il est naturel de voir les adolescents décrocher du cours et reporter leur attention sur leur stylo.
Il n’est pas cas ici d’encourager la pratique du Penspinning pendant les heures de cours, mais force est de constater que le format d’enseignement français n’est pas adapté à l’épanouissement des écoliers au vu du nombre d’heures abrutissant par semaine.
Malgré cela, les Penspinners ont rarement été les coqueluches de la classe. C’est assez énervant d’avoir un voisin qui fait tomber son stylo toutes les dix secondes, que ce soit sur la table, par terre ou le faire dégringoler les escaliers du Cours Magistral jusqu’aux pieds du professeur (oui, ça sent le vécu).
Cette attitude désinvolte en plein cours permet l’amalgame facile avec le cancre de la classe. C’est également ce que pense les japonais qui associent Penspinning et échec scolaire (voir le premier article).
[divider]Le Penspinning, une pratique underground ?[/divider]
Son impopularité dans les classes ne suffit pourtant pas à expliquer pourquoi cette jonglerie est si peu pratiquée. Nous avons poser directement ces questions à l’administratrice du forum officiel français de Penspinning : Magali « Lanfear » Castinel, professeur documentaliste au lycée Louis Bascan de Rambouillet.
« Bonjour Lanfear, peux-tu nous parler du nombre de nouveaux spinners sur la Board ?
– Alors, tout d’abord, il faut savoir que depuis ses débuts en France, le PS revendique une certaine culture « underground ». La discipline est peu médiatisée, peu pratiquée, mais quelque part, cela fait ressentir à chaque spinner le sentiment d’être spécial. De pratiquer quelque chose d’unique. D’être différent.
Et à part au Japon, où les meetings peuvent réunir des centaines de personnes, cet aspect intimiste se retrouve un peu partout dans le monde. De fait, la France passe pour une des communautés les plus actives, avec une moyenne de deux à cinq nouveaux membres par mois (qui d’ailleurs ne restent pas forcément tous très longtemps), une trentaine de membres actifs et une centaine de membres « occasionnels ». Ces statistiques (un peu données au feeling, je l’avoue) varient parfois selon certains éléments de publicité extérieure. Par exemple, un article dans Sciences et vie junior avait attiré des membres pendant des mois.
– Pourtant, le Penspinning pourrait se propager très facilement grâce à Internet (format des vidéos/collaborations), pourquoi le PS n’a-t-il jamais pris davantage d’ampleur ?
– Sûrement plusieurs explications à cela.
Je dirais que, premièrement, le côté « underground » revendiqué classe immédiatement la recherche de popularité comme une trahison. Chaque évènement donne ou aurait pu donner une nouvelle visibilité au PS, lance d’interminables débats. Une médiatisation conduirait-elle à une banalisation de la pratique un peu trop mainstream ? Une dégradation de la communauté qui, agrandie, ne saurait être aussi soudée ? Une marchandisation qui corromprait les spinners ? Je pense que ces questions sont légitimes. Personnellement, j’aime beaucoup ce côté plus discret du PS. Mais en tant qu’administratrice du forum, je constate un essoufflement, notamment dans le renouvellement des membres, et je suis bien consciente qu’il va falloir changer de tactique de communication.
Deuxièmement, le PS est une activité très rigoureuse. Après tout, si tout le monde ne la connait pas en tant que pratique à part entière, chacun a déjà vu l’un de ses camarades en cours effectuer un TA (un tour de pouce). Seulement, apprendre différentes figures, savoir les enchaîner élégamment, se renouveler pour se maintenir au niveau… Tout cela demande énormément d’énergie, de temps (et d’argent en ce qui concerne l’achat de mods). Le PS se pratique rarement en dilettante et cette rigueur n’est pas donnée à tout le monde.
– Quelle est la place du Penspinning par rapport aux autres disciplines de jonglerie ?
– La différence entre le PS et la quasi-totalité des autres disciplines de jonglerie, c’est sa théâtralité. Le PS, c’est du raffinement à petite échelle. Un novice n’est absolument pas capable de différencier les figures qui se déroulent sous ses yeux. Et, sauf cas rares, tout a lieu au niveau de la main. Impossible donc de faire du grand spectacle, contrairement aux balles, diabolo et autre bâton du diable pour les plus connus.
[divider]Le Penspinning, une discipline peu reconnue car peu médiatisée[/divider]
À l’instar de l’eSport, les écarts entre les générations et son unique diffusion par Internet et autres réseaux sociaux ont pu bloquer le développement du Penspinning. Pourtant, les jeux vidéos parviennent à brasser des milliards de dollars et attirer de plus en plus de sponsors.
– Pourquoi ne trouve-t-on aucun sponsor sur la FPSB par exemple ?
– Il y a eu un sponsor ! À une époque, BIC nous a sponsorisé. Ça a duré un an.
Cela a commencé en. 2008. BIC a organisé un tournoi de PS européen, pour faire sa publicité. La majorité du tournoi a eu lieu en ligne. Mais la finale a été organisée sur Paris, dans une boite branchée de la capitale. Les cinq premiers du tournoi (quatre français et un allemand) se sont retrouvés face à des grands noms du PS (Eriror, Scelus, Skatox et Alucard) sélectionnés en tant que juges. Après différentes épreuves, c’est finalement l’allemand Pudelskern qui est arrivé en tête du classement.
NDLR : Ce fameux tournoi européen organisé par Bic n’a pas reçu un très bon accueil de la part des spinners car Bic validait les vidéos si les stylos utilisés dans les vidéos n’étaient PAS modifiés et de la marque Bic uniquement. Il est inutile de préciser qu’il est beaucoup plus dur de créer une vidéo esthétique avec un 4 couleurs…
A la même époque, nous cherchions à transformer la communauté en association, pour faciliter la récolte de fonds, et donc la création d’évènements et/ou de goodies spéciaux. BIC nous est apparu comme le partenaire idéal. L’association a donc été créée et BIC est devenu notre sponsor officiel.
Maiiiiis je ne suis pas toujours facile à vivre. Et certains termes du contrat qui nous liait ne m’ont pas plu. Notamment, ils souhaitaient organiser le Meeting officiel. Ce qu’ils proposaient ne me convenait pas. Les souvenirs du tournoi en boite de nuit me revenaient à la mémoire, et c’est très loin de l’ambiance conviviale et chaleureuse que je souhaitais pour « mon » meeting. Et puis, je n’aime pas trop l’idée de devoir vanter les mérites d’une marque pour laquelle je n’ai pas plus d’affinité que ça. C’est donc moi qui ai « brisé » cette relation entre le PS et le sponsoring. Là où j’ai cru que se créait un partenariat, nous nous retrouvions surtout soumis à de nombreuses contraintes qui n’ont eu pour effet bénéfique qu’une distribution gratuite de Twin Tips, stylos absolument impraticables en PS (et aux couleurs atrocement criardes).
Mais peut-être que le jour où je quitterai le PS, celui qui reprendra le flambeau se tournera vers les sponsors. Je ne pense pas que ça serait difficile, parce que de nombreux spinners ont régulièrement été embauchés pour tourner des publicités dans des milieux très variés (pour Samsung (au moins trois pubs différentes, et elles méritent toutes le coup d’oeil), mais aussi Hermès par exemple)
https://www.youtube.com/watch?v=w3mDQ8nnVA8
– Pourquoi n’y a-t-il pas de récompenses pour les tournois mondiaux alors que League of Legends ou DotA proposent des prix faramineux (en millions de dollars) ?
– Alooors… L’année dernière, il devait y avoir des récompenses pour les vainqueurs du tournoi mondial (en mods, donc une valeur qui ne dépasse pas les 100€) et cette année, il y a 150$, offerts par un généreux donateur, entre les deux vainqueurs du WT.
Mais oui, concrètement, il n’y a pas de récompenses. Là encore, plusieurs raisons, je pense. La première est très concrète : s’il n’y a pas de sponsor, d’où proviendrait l’argent ? Les participants sont majoritairement des lycéens, ils n’ont pas forcément les moyens de participer à un « pot commun » ou même de payer des frais d’inscriptions à un tournoi. La deuxième… Nous fait encore revenir à cette histoire d’ambiance « underground » =) La monétisation des tournois effraie une partie de la communauté. Certains ont peur de voir arriver des gens plus motivés par la récompense que par la pratique en elle-même. On peut également parler de la corruption des juges, qui est plus tentante s’il y a récompense à la clé. D’autres redoutent encore que l’arrivée de l’argent fasse naître des tensions et des accusations entre les membres. Pourtant l’idée a des origines positives : participer à un tournoi d’envergure internationale demande certes du temps, mais également de l’argent (dans les mods mais surtout dans le matériel de tournage). Une gratification monétaire n’est qu’un juste retour des choses, finalement.
Personnellement, je ne suis pas pour les récompenses financières. Quand on voit la folie de certains évènements du monde du jeu vidéo, je suis bien contente de ne pas être mêlée à ce genre de choses. Mais bon, si ça doit se faire, ça se fera…
[divider]Conclusion du dossier[/divider]
Il est difficile de rester impartial dans la création de ce dossier – étant un ancien spinner moi-même -, j’ai pourtant tenter de ne pas trop embellir cette discipline ni de dresser un portrait trop caricatural. Faire tourner mon stylo aura vraiment améliorer mon ennui durant mes heures de philo et de maths au lycée et je suis vraiment très content d’avoir tenter l’aventure et rencontrer autant de bonnes personnes qui sont par la suite devenues des amis.
Aussi, je tiens à remercier la patience de Magali qui a bien voulu répondre à toutes mes questions et pris le temps de me pondre des pavés en guise de réponse (pour la longueur des phrases, se plaindre directement à elle).
Le Penspinning vaut la peine qu’on s’y penche quelques minutes juste pour apprécier la qualité des moviemakers et autres jongleurs. Mon aventure aura duré quelques années et j’en profite honteusement pour faire de la publicité et déterrer un dossier qui date de … six ans et demi !
Si jamais vous êtes intéressés par ce que peuvent rentrer les top mondiaux, les premières vidéos du World Tour 2015 sont disponibles ici.
Et bonne chance à tous nos français !
– Ivabra
– Blue
– Gollumsk8
– Daimo
-Taeko
– Cox
– Zoms