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Imitation Game : décryptage

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Avec seulement 300.000 entrées en France, Imitation Game de Morten Tyldum n’est pas ce qu’on peut appeler un grand succès dans l’Hexagone (en comparaison, La Famille Bélier atteint les 5.600.000 entrées avec 1 million d’entrées en première semaine). Néanmoins, pour le premier long-métrage de ce réalisateur, le film s’en tire très bien outre-Manche et outre-Atlantique puisque le film a été nominé dans huit catégories pour les Oscars ! De plus, le film a hérité d’un budget assez faible (15 millions de dollars) pour reconstituer cette période de l’histoire britannique.

Retour sur ce « biopic thriller » sorti le 28 janvier 2015 dans nos salles.

 

[divider]Imitation Game[/divider]

 

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Synopsis

Pendant la seconde guerre mondiale, Alan Turing, mathématicien et cryptologue, est chargé de « casser » le code Enigma, du nom de la machine dont se servent les Allemands pour coder leurs communications.

 

Une biographie romancée

Méfiance néanmoins : que les aficionados de cryptographie et d’Histoire prennent garde, les deux heures de film ne vont pas retracer en détail la vie de Alan Turing ou les techniques de cryptographie mises en œuvre pour casser la machine réputée inviolable. Beaucoup plus nuancé, le film va jongler entre les différents styles pour faire progresser sa narration. On pourra donc avoir quelques regrets de voir le film s’étirer en longueur devant les sentiments du génie incompris. Pas de panique toutefois, l’histoire parle bel et bien d’Enigma et en fait son sujet principal.

 

Une distribution « british » de qualité

Difficile de parler de ce film sans faire l’éloge de Benedict Cumberbatch pour son impressionnante interprétation de Alan Turing. Troublant, émouvant et captivant, c’est sans grande surprise qu’on retrouve l’interprète de Sherlock Holmes nominé pour l’Oscar du meilleur acteur de cette année. La voix suave de Smaug ne fait pourtant pas trop d’ombre au reste du casting et forme un duo parfait avec Keira Knightley (elle aussi nominée aux Oscars pour le second rôle pour un personnage féminin).

On pourra également parler de Matthew Goode dans le rôle du génial joueur d’échecs mais aussi de Mark Strong du MI-6 ou encore de Charles Dance plus connu dans le rôle de… Tywin Lannister !

 

Un scénario long et non-linéaire

En visionnant le film, on ne pourra pas ne pas ressentir quelques longueurs dans le scénario. Pour son premier long métrage, le norvégien Morten Tyldum aurait pu mieux gérer les temps faibles de son œuvre et adapter le rythme de sa trame. De plus, bien qu’intéressants et pertinents, les nombreux clins d’œil à la biographie de Turing font également perdre le fil au néophyte comme le Test de Turing (auquel il est fait référence lors de la scène de l’interrogatoire), sa forme physique impressionnante (Turing pouvait courir un marathon en 2h46) ou son suicide au cyanure.

Pour ratisser plus large, Imitation Game ne se contente pas de narrer la vie d’Alan Turing et se permet de la romancer un peu pour intéresser les spectateurs. Et comme ce qui semble être à la mode depuis quelque temps au cinéma, la trame n’est pas linéaire et le récit se fait dans trois époques distinctes :

– Tout d’abord, l’histoire commence dans le « futur » : Alan Turing raconte sa vie à un inspecteur de police qui enquête sur le cambriolage de l’appartement du savant.

– Alan va donc parler de toute la période historique de la guerre et de Bletchley Park, là où le décodage aura lieu.

– Nous allons également remonter plus loin dans le temps, en 1927, où Alan va parler de sa jeunesse et de l’amour qu’il éprouvait pour un de ses camarades de classe.

 

Comme Tarantino a si bien su le faire dans Inglorious Bastards, Morten Tyldum va donc mélanger les époques pour un résultat assez douteux et qui permet de rallonger davantage le film. C’est également ce sentiment que l’on pouvait avoir dans Gone Girl ou Captives, plus récemment au cinéma, qui n’apportent pas énormément au déroulement de l’intrigue.

 

Un juste hommage à Alan Turing

 

En conclusion, Imitation Game reste un bon film et est un très bon hommage à l’un des plus grands savants du XXe siècle. Rejeté à cause de son homosexualité et tenu au secret-défense, Alan Turing passera pour un couard auprès de ses compatriotes héroïques lors des bombardements alors qu’on dit aujourd’hui qu’il a été l’un des éléments essentiels de la victoire alliée. Il mettra fin à ses jours en 1954 et sera gracié à titre posthume en … 2013 ! Soit près de soixante ans après sa mort.

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[divider]Pour aller plus loin      SPOILERS[/divider]

 

Ici, je ne dévoilerai pas les clefs de l’intrigue du film mais je parlerai un peu plus en profondeur de quelques sujets qui pourraient vous gâcher la découverte du film. Il est grandement conseillé d’avoir vu le film avant de continuer le texte.

 

Benedict Cumberbatch rattrapé par Sherlock Holmes ?

 

De ce côté de l’Atlantique, il est vrai que Cumberbatch a triomphé par son interprétation exceptionnelle de Sherlock Holmes et de son entente parfaite avec Martin Freeman dans le rôle du docteur Watson. Il est vrai que les ressemblances entre ses deux personnages sont troublantes. Génies incompris, ils brillent également par leur absence totale de tact et ne savent pas gérer les relations humaines. Ajouté à cela des propensions à l’homosexualité et il n’est pas anormal de voir flotter le spectre de Holmes dès les premières images du film !

 

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Sérieux Sherlock, cette coupe, c’est pas possible.

 

 

Bien heureusement, l’acteur incarne parfaitement le savant anglais et parvient aisément à faire oublier le héros de Conan Doyle. Et pour cause, le personnage est largement différent du détective. Pas à son avantage à plusieurs reprises dans le film, Cumberbatch parvient à émouvoir voire même à inspirer de la pitié ou du dégoût lors de certaines scènes. On regretterait presque que Turing ne soit pas un peu plus courageux face à l’adversité.

Quoiqu’il en soit, l’acteur anglais confirme en ajoutant une corde à son arc. Très bon dans son interprétation, on espère pour lui qu’il sera récompensé d’ici quelques mois et qu’il continuera à nous impressionner dans son jeu d’acteur.

 

Trop de romance ?

Dans le but de plaire au plus grand nombre, on s’est permis quelques inventions dans l’écriture. Par exemple, il n’y a jamais eu de différends entre le commandant Denniston de Bletchley Park et Turing. Cette opposition permet d’instaurer un climat d’urgence dans les résultats du décodage d’Enigma.

Il en va de même pour d’autres personnages du film. Aucun document n’atteste que ces hommes aient été un jour en relation : l’homme du MI-6 par exemple ou bien même toute l’histoire autour de l’espion Russe Caincross et du mutisme mutuel espion/homosexuel.

Il est compréhensible que ces libertés puissent choquer les puristes mais le film ne se revendique pas comme une biographie exacte de Turing. Ces intrigues secondaires permettent de créer un film émouvant bien qu’un peu long sur certains abords (comme l’enfance d’Alan…) mais qui reste néanmoins de très bonne facture.

 

Et Enigma dans tout ça ?

Car oui, Imitation Game, c’est aussi un film sur le décryptage de la machine de chiffrement réputée inviolable. Le récit reste d’ailleurs assez fidèle à l’histoire de la Seconde guerre mondiale. Cependant, le personnage de Turing a quelque peu été embelli. Par exemple, il est narré dans le film que les Alliés se retrouvent sans ressource face à Enigma et que les Anglais décident de recruter pendant la guerre des cerveaux capables de décrypter (on voit d’ailleurs une scène assez particulière mais intéressante où Alan Turing fuit le front en train avec … des enfants) des messages. S’ensuit alors la scène d’entretien entre Denniston et Turing sous des relents de Sherlock Holmes. L’Histoire nous dit que Alan Turing a été recruté à Bletchley Park en 1938 avec la montée du nazisme alors que la guerre n’était pas encore déclarée.

Certains points demeurent quelquefois factuellement exacts, tels que la décision de recruter de nouveaux casseurs de code en herbe par la parution d’une grille de mots croisés particulièrement ardue dans le journal (il est dit que les bons cruciverbistes font de fins cryptanalystes.) De même, les imprudences humaines ont effectivement joué un rôle dans la réussite du décryptage d’Enigma, certains transmetteurs allemands choisissant des codes récurrents ou prévisibles.

L’explication du fonctionnement de la machine à proprement parler est sommairement résumée dans l’histoire. De plus, Enigma était déjà utilisé dans les années 20 et bon nombre de cerveaux avaient déjà travaillé sur le décryptage de la machine. Turing s’est basé sur ces travaux comme il s’est également basé sur les travaux de Von Neumann pour produire son premier projet détaillé d’un ordinateur : l’ACE (Automatic Computer Engine).

Si vous voulez en savoir davantage sur la question, je vous conseille cette vidéo d’e-penser, vulgarisant d’une bonne façon le fonctionnement d’Enigma.

 

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