La censure, en voilà un sujet passionnant et délicat. Souvent connotée négativement, elle sévit depuis longtemps au sein de notre société : littérature, politique, cinéma, et bien évidemment, jeux vidéo. La violence, le racisme, le sexe, sont les principaux thèmes invoquant la censure. Essayons d’y voir plus clair dans les mécaniques de cette limitation de la liberté d’expression.
Qu’est ce que la censure ?
Avant de commencer notre réflexion, accordons nos violons sur la notion de censure dans les jeux vidéo.
La censure c’est tout d’abord une limitation de la liberté d’expression. Cette limitation peut être justifiée, ou non, par le contenu d’un jeu vidéo. Comme dit plus haut, la violence, le racisme, le sexe etc… peuvent être des motifs de censure. Évidemment, la censure est liée à la culture de chaque société : les américains ne vont pas censurer les mêmes choses que les Allemands ou les Japonais.
La censure a plusieurs façon d’agir : l’instauration d’un âge minimum pour jouer à un jeu (le fameux PEGI), le retrait ou la modification de certaines parties du jeu, ou bien dans le cas le plus ultime, l’interdiction pure et simple de vente du jeu.
En France, c’est le ministre de l’Intérieur qui dispose de ce pouvoir, pour tout ce qui est destiné à un public de moins de 18 ans.
Pour vous montrer que la censure ne date pas d’hier, le premier jeu censuré sur console serait Ice Climber (1985) sur NES aux États-Unis, où des otaries frappées furent remplacés par des Yétis pour ne pas choquer les associations de défense des animaux.
Il faut savoir que les pays les plus sensibles sont l’Australie et l’Allemagne, qui censurent à tout va dès que du contenu est jugé sensible.
Le PEGI : Pan European Game Information
La plus soft des censures, mais aussi la plus facilement contournable.
Le PEGI, lancé en 2003, est un système de classification par âge, qui donne une idée du contenu du jeu aux parents. Il est divisé en 5 tranches d’âge minimum, et des descripteurs, au nombre de huit (violence, langage grossier, peur, drogue, sexe, discrimination, jeux de hasard et jeux en ligne avec d’autres personnes), sont ajoutés pour préciser ce que le jeu vous propose.
Ici on parle de contenu approprié à un age minimum, pas de la difficulté du jeu. Rare sont les enfants de 3 ans aptes à jouer à FIFA…
Il faut préciser que ce système à des répercutions économiques. Un jeu PEGI +18 touchera moins de monde qu’un jeu PEGI +3. Ainsi, le mmorpg TERA (2012) a volontairement supprimé les décolletés plongeants, les fesses apparentes et certains effets visuel violents pour faire passer sa classification de 18+ à 12+, et ainsi pouvoir toucher plus de monde. Beyond Two Souls (2013) fera une manœuvre similaire pour les mêmes raisons.
Dans l’ensemble, on peut dire que le PEGI est plutôt une bonne chose pour le jeu vidéo. Mais ce n’est pas la censure qui nous intéresse le plus ici.
Le retrait ou la modification d’une partie du jeu
On rentre ici dans le vif du sujet. Un contenu est trop violent, trop sexy, fait référence à un grand père un peu trop à droite ? Hop, on censure.
[divider]Wolfenstein : The New Order[/divider]
Un jeu qui met en scène des nazis, en Allemagne, ça se passe comment ?
D’abord, il faut savoir qu’en Allemagne, on censure toute trace de nazisme. Certains historiens parlent même de « refus de reconnaître la réalité » (Utz Jeggle notamment, historien Allemand). Et évidemment, les œuvres vidéo ludiques ne passent pas au travers de la censure.
Ainsi, Wolfenstein : The New Order sera amputé de TOUT les signes rappelant le nazisme. Un peu fort quand on sait que c’est justement le fond de commerce de Wolfenstein.
Même les dialogues sont censurés !
« Merci. Vous pouvez y aller. Heil Hitler » en version non censurée.
« Merci. Vous pouvez y aller. Circulez. » en version allemande.
Quand en France, on nous dit qu’il faut se souvenir pour ne plus avoir à faire face à ce genre de massacre, on sent que les Allemands ne sont pas du même avis…
[divider]Fallout 3[/divider]
La drogue, c’est mal. Tout le monde le sait. Alors quand Fallout 3 intègre dans son gameplay des drogues aux effets bénéfiques, cela ne plait pas beaucoup à l’Australie, pays qui dispose d’un système de censure très sensible.
Mais des drogues bénéfiques, cela existe, et avec un peu d’honnêteté intellectuelle, on peut dire que la nicotine augmente la concentration et la mémoire, ou que la morphine a des propriétés antalgiques importantes. Alors, pourquoi, dans un monde comme celui de Fallout 3, où la survie est plus importante que le reste, on ne pourrait pas se droguer pour augmenter ses chances de survie ?
Mais la censure ne s’arrête pas là. Vous connaissez les brahmines ? Non ? Eh bien ce sont des vaches mutées qui disposent de deux têtes. Il est possible de tuer ces vaches. C’est donc pour cela que le jeu sera interdit en Inde, pays où la vache, même mutée, est un animal sacré.
L’interdiction d’un jeu dans un pays
Degré ultime de la censure, l’interdiction de publier un jeu vidéo dans un pays. Recours assez fréquent dans les pays peu ouverts, comme la Chine, l’Iran ou les Émirats Arabe Unis, il arrive que certains jeux soient interdits dans des pays moins fermés.
[divider]Rule of Rose[/divider]
Sans doute un des plus célèbres cas de censure. Interdit à la vente en 2006 au Royaume-Uni, Rule of Rose est victime d’un journaliste Italien, auteur d’un article dénonçant le titre. Cet article sera reprit par des politiques Italiens, Français et Anglais, qui vont réussir à créer une polémique sur la pseudo apologie de la violence du jeu.
Bernard Depierre, député UMP, ira jusqu’à dire :
Le but de ce jeu est de violer, battre et tuer une jeune fille. C’est un appel à la violence, à la mort, au viol.
Même si Rule of Rose est un survival horror psychologique, on ne peut en aucun cas violer un enfant dans ce jeu. Bernard Depierre reviendra sur ses propos à la demande du directeur général du distributeur du jeu, 505 Games.
Ici deux choses sont à remarquer : d’abord, l’article du journaliste Italien était un plagiat d’un post sur un forum, signe qu’il faut toujours se méfier de ce qu’on lit dans la presse, et, encore une fois, la classe politique, sans vérifier un seul instant la véracité de leurs propos, a presque réussi à faire interdire un jeu en France sans preuves.
[divider]Dead Island Riptide[/divider]
Interdit en Allemagne pour cause de scène violente par le Département Fédéral des médias dangereux pour la jeunesse (Bundesprüfstelle für jugendgefährdende Medien pour les fans). Le jeu est inscrit sur la liste B, liste qui contient les jeux offrant du contenu nazi ou de l’extrême torture : je ne préfère pas connaître les critères de la liste A. En effet, tuer, mais surtout démembrer des zombies, est considéré comme de la torture par nos voisins Teutons.
[divider]Football Manager 2010[/divider]
Oui, Football Manger 2010 fut interdit… en Chine. Mais pourquoi donc ? Et bien, dans ce jeu, le Tibet est considéré comme un pays indépendant, disposant d’une équipe de football, et cela ne plait pas à tonton Mao.
La censure, qu’en penser ?
La censure, c’est un peu Docteur Jekyll et Mr. Hyde : elle dispose de deux faces.
La première, nécessaire, est celle qui protège les personnes les plus fragiles : c’est le PEGI. Elle peut aussi se transformer en « Super Censure », pour interdire des jeux qui vont beaucoup trop loin.
La seconde, c’est la censure dangereuse, celle qui nous enferme dans un monde parfait, où la violence n’existe pas, les barbaries du passé doivent être oubliées, et les rêves de liberté brisés.
Les jeux vidéos sont des œuvres culturelles à part entière. Je suis étonné que l’on se mobilise plus pour la censure d’un sapin de Noël place Vendôme, alors que toute trace de nazisme est éliminée en Allemagne. Aussi, la censure ne permet pas d’interdire complétement un jeu. Pire, une publicité se crée autour du jeu censuré, et des marchés parallèles se créent, offrant ainsi à tous la possibilité de se procurer des jeux censurés.
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